Jirō Taniguchi naît dans une famille «endettée, assez pauvre»[1]. Enfant à la santé fragile, il passe beaucoup de temps à lire et à dessiner[1]. Son père est tailleur, sa mère exerce divers métiers tels que femme de ménage, employée de marché ou de pachinko[2]. Il a deux frères aînés[3]. Âgé de 4 ans, il est très marqué par l'incendie de la maison familiale survenu lors du grand incendie de Tottori (鳥取大火, Tottori taika?) le , qu'il relatera plus tard dans Le Journal de mon père[4].
Lecteur dans sa jeunesse de mangas shōnen, il s'intéresse au seinen et au gekiga à partir de la fin des années 1960 sous l'influence de Yoshihiro Tatsumi et du magazine Garo[5]. À 18 ans il quitte la maison familiale et trouve un emploi de bureau à Kyoto[6]. Au bout de quelques mois, il réalise qu'il aime par-dessus tout dessiner des mangas: il décide de devenir mangaka en 1969, et monte alors à Tokyo où il devient l'assistant de Kyūta Ishikawa, pendant cinq ans[7]. Il publie sa première bande dessinée en 1970: Kareta heya, répond à quelques commandes de mangas érotiques, puis devient assistant de Kazuo Kamimura[7]. C'est à cette époque qu'il découvre la bande dessinée européenne, alors inconnue au Japon, et dont le style (netteté et diversité du dessin), notamment celui de la ligne claire, va fortement l'influencer[8],[9].
Il finit par prendre son indépendance et s'associe dans les années 1980 avec les scénaristes Natsuo Sekikawa(ja) (également journaliste) et Caribu Marley, avec lesquels il publiera des mangas aux styles variés: aventures, policier, mais surtout un manga historique, Au temps de Botchan, sur la littérature et la politique dans le Japon de l'ère Meiji. C'est à cette époque qu'il décide de limiter ses sorties éditoriales, bien qu'il travaille toujours «huit à neuf heures par jour»[8].
Autour du thème de la relation entre l'homme et la nature, il s'attache particulièrement à l'alpinisme, avec K, Le Sauveteur, Le Sommet des dieux et avec la nouvelle La Terre de la promesse (dans le recueil Terre de rêves).
Reconnu en France, le grand public japonais le découvre en 2012 avec l'adaptation en série-télé du Gourmet solitaire[10].
Son atelier se trouve dans le quartier de Kumegawa (久米川?) de la ville de Higashimurayama (banlieue ouest de Tokyo)[8],[11].
Jirō Taniguchi s'éteint le à l'âge de 69 ans, à Tokyo, des suites d'un cancer[10],[12],[13]. Il venait de terminer le premier volume d'une nouvelle œuvre qui aurait dû en compter trois, La Forêt millénaire[10],[13].
À ses débuts, Jirō Taniguchi s'inspire avec Natsuo Sekikawa(ja) du roman noir américain, avec pour objectif d'en faire une version BD humoristique, sans grand succès[14]. Il est également influencé par les romans animaliers, notamment ceux d'Ernest Thompson Seton dont il s'inspire pour Blanca (du nom d'un des chiens de Lobo the King of Currumpaw), et à qui il rendra hommage dans Seton[15].
Ses histoires plus récentes traitent de thèmes universels comme la beauté de la nature, l'attachement à la famille ou le retour en enfance. Il s'inspire d'ailleurs de sa vie personnelle: souvenirs de son enfance à Tottori dans Le Journal de mon père et Quartier lointain[3], vacances chez ses grands-parents dans L'Homme de la toundra[16], débuts de mangaka à Tokyo dans Un zoo en hiver[3], ou relations avec ses animaux domestiques dans Terre de rêves. La place de l'animal et de la nature dans l'existence des hommes est une question qui est au centre de sa création[17]. De plus, d'après lui il est «l'un des rares auteurs de manga à dessiner des animaux, ce qui m'incite à pousser ma réflexion et mon travail sur le sujet»[17]. Sur son attrait pour les choses du quotidien, Jirō Taniguchi déclare[18]:
«Si j'ai envie de raconter des petits riens de la vie quotidienne, c'est parce que j'attache de l'importance à l'expression des balancements, des incertitudes que les gens vivent au quotidien, de leurs sentiments profonds dans les relations avec les autres. [...] Dans la vie quotidienne, on ne voit pas souvent des gens hurler ou pleurer en se roulant par terre. Si mes mangas ont quelque chose d'asiatique, c'est peut-être parce que je m'attache à rendre au plus près la réalité quotidienne des sentiments des personnages. Si on y pénètre en profondeur, une histoire peut apparaître même dans les plus petits et les plus banals événements du quotidien. C'est à partir de ces moments infimes que je crée mes mangas.»
Son dessin, bien que caractéristique du manga, est cependant accessible aux lecteurs qui ne connaissent que la bande dessinée occidentale. Taniguchi dit d'ailleurs trouver peu d'inspiration parmi les auteurs japonais[19], et est plus influencé par des auteurs européens, tels Jean Giraud, avec qui il a publié Icare, François Schuiten, proche comme lui de La Nouvelle Manga, mouvement initié par Frédéric Boilet, le promoteur du manga d'auteur en France, et surtout Tito, d'après Taniguchi lui-même[20]. Il finit ainsi par sortir en France, en 2007, un titre sous le format de bande dessinée, La Montagne magique, prépublié au Japon en au format classique[21], puis une série de quatre tomes intitulée Mon Année à partir de , en collaboration avec le scénariste Jean-David Morvan, en attente de prépublication au Japon[22],[23]. Il confie à Benoit Peeters dans un livre d’entretien en 2013[24]:
«Le paradoxe, c’est que tout en étant mangaka, mon style est assez proche de la bande dessinée à l’européenne et que je mets beaucoup d’éléments dans chaque image. Je me situe sans doute entre la BD et le manga de ce point de vue. Et c’est peut-être ce qui fait que pour certains lecteurs japonais mes mangas sont difficiles à lire…»
Jirō Taniguchi se dit également influencé par le cinéaste Yasujirō Ozu, chez qui on retrouve le même rythme et la même simplicité[8]:
«C'est une influence directe. J'ai été marqué par Voyage à Tokyo et Printemps tardif. Je les ai vus enfant, mais sans en apprécier toute la portée. Je m'y suis vraiment intéressé quand j'avais 30 ans. J'aime l'universalité et l'intemporalité de ses histoires et la simplicité efficace avec laquelle il les raconte. Aujourd'hui, j'y pense à chaque fois que je dessine un manga.»
Live! Odyssey(LIVE!オデッセイ, Live! Odessei?), 1981, 3 volumes, 2 lors de ses rééditions en 1987 et 1998, scénario de Caribu Marley
Knuckle Wars(ナックルウォーズ?), 1982-1983, 3 volumes, 2 lors de sa réédition en 1988, scénario de Caribu Marley
Shin-jiken-ya kagyō(新・事件屋稼業?), 1982-1994, 4 volumes, 5 lors de sa réédition de 1994, 6 lors de celle de 1996, scénario de Natsuo Sekikawa
Seifū ha shiroi(西風は白い?, litt. «Le Vent d'ouest est blanc»), 1984, recueil de 8 nouvelles, scénario de Natsuo Sekikawa
Rude Boy(ルードボーイ, Rūdo bōi?), 1984-1985, collaboration avec Caribu Marley
Blanco(ブランカ, Buranka?), 1984-1986 (Casterman sous le titre Le Chien Blanco, 1996, puis volumes 1 et 2, 2009), 2 volumes
Enemigo, 1985 (Casterman, 2012), scénario de M.A.T.
Tokyo Killers(海景酒店 Hotel Harbour View, Kaikei shuten Hotel Harbour View?)[note 2], 1986 (Kana, 2016), scénario de Natsuo Sekikawa
K(ケイ?), 1986 (Kana, 2006), scénario de Shirō Tōzaki
Au temps de Botchan(ぼっちゃんの時代, Botchan no jidai?), 1987-1996 (Le Seuil, 2002-2006, Casterman, 2011-2013), scénario de Natsuo Sekikawa, fresque en cinq volumes évoquant l'ère Meiji et ses écrivains
Ice Age Chronicle of the Earth(地球氷解事紀, Chikyū hyōkai-ji-ki?), 1987-1988 (Casterman, 2015), 2 volumes
Encyclopédie des animaux de la préhistoire(原獣事典, Genjū jiten?), 1987-1990 (Kana, 2006), one shot
Terre de rêves(犬を飼う, Inu o kau?, litt. «Élever un chien»), 1991-1992 (Casterman, 2005), recueil de cinq nouvelles
L'Orme du Caucase(人びとシリーズ「けやきのき」, Hitobito Shirīzu: Keyaki no ki?, litt. «Série sur les humains: Le Zelkova du Japon»), 1993 (Casterman, 2004), recueil de 8 nouvelles, scénario de Ryūichirō Utsumi
Jirô Taniguchi, une anthologie(谷口ジロー選集, Taniguchi Jirō Senshū?, litt. «Sélection/anthologie de Jirō Taniguchi »): Inu o kau to 12 no tanpen(犬を飼うと12の短編?, litt. «Élever un chien et 12 histoires courtes»), 2009 (Casterman, 2010), one shot regroupant les recueils Inu o kau (Terre de rêves) et Tōdo no tabibito (L'Homme de la toundra), ainsi que deux nouvelles inédites: La Lune finissante(秘剣残月, Hiken zangetsu?) et Une lignée centenaire(百年の系譜, Hyakunen no keifu?)[note 3]
Furari(ふらり。, Furari.?), 2011 (Casterman, 2012), one shot inspiré de la vie de Tadataka Inō
Les Enquêtes du limier(猟犬探偵, Ryōken tantei?), 2011-2012 (Casterman, 2013), 2 volumes, d'après le roman St Mary no ribbon(セント・メリーのリボン, Sento Merī no ribon?) d’Itsura Inami
Les Contrées sauvages(荒野より, Kōya yori?), 2012 (Casterman, 2014, 2 volumes), recueil de nouvelles reprenant notamment Nazuke enumono
Les Gardiens du Louvre(千年の翼、百年の夢, Chitose no tsubasa, hyaku nen no yume?, litt. «Ailes de mille ans, rêve de cent ans»), 2014 (Louvre éditions/Futuropolis, 2014), one shot
La Forêt millénaire, Rue de Sèvres, 2017, one shot
Nos Compagnons, Casterman, 2019. Recueil qui reprend les quatre premières histoires de Terre de rêves, avec la nouvelle Une lignée centenaire(百年の系譜, Hyakunen no keifu?) à la place de La Terre de la promesse.
Œuvres collaboratives
Frédéric Boilet, Tōkyō ha boku no niwa(東京は僕の庭?), 1997 (Tokyo est mon jardin, 1998). Jirō Taniguchi n'a réalisé que les trames de cet album.
Benoit Sokal, La villa sur la falaise, 2012, Casterman. Jiro Taniguchi a dessiné l'une des dix variations autour d'un même canevas de départ qui composent cette bande dessinée.
Artbook et illustrations
Yōko Hiramatsu, Un sandwich à Ginza(サンドウィッチは銀座で, Sandowicchi wa Ginza de?), 2011 (Picquier, 2019)
Yōko Hiramatsu, Le Roi des gyozas(ステーキを下町で, Sutēki o shitamachi de?, Un steak à Shitamachi), 2013 (Picquier, 2023)
Travel Book Venise, Louis Vuitton 2014
L'Art de Jirô Taniguchi(谷口ジロー画集, Taniguchi Jirō gashū?), 2016 (Casterman, 2016)
L'œuvre de Jirō Taniguchi a conquis un large public en France[17]. Il se dit lui-même surpris par l’intérêt que porte le public français à son travail: «Au Japon, souvent on trouve mes histoires trop sobres, trop littéraires, alors qu'en France je sens une attention très profonde à mon travail, notamment au texte.»[17] À sa mort en 2017, Quartier lointain a été écoulé à plus d'un million d'exemplaires en France[26].
L'auteur obtient globalement un succès certain auprès des lecteurs européens, notamment grâce à son style entre la bande dessinée et le manga. Au Japon, il est peu connu; d’après Pierre-Alain Szigeti, avec qui il a travaillé pour le magazine Morning de Kōdansha dans les années 1990: «Il ne vendait rien, peut-être 60 000 exemplaires, ce qui est dérisoire pour le Japon. Son œuvre est majeure, mais il n'a jamais vraiment percé. Aux yeux des Japonais, il est resté trop intimiste.»[20]
Expositions
Son œuvre a fait l'objet d'une exposition monographique en France: «Éloge du détour», produite en 2012 par l'abbaye de Fontevraud, sous la direction artistique de Xavier Kawa-Topor, commissariat de Ilan Nguyen. Cette exposition a été présentée en différents lieux en France dont la Cité internationale de la Bande Dessinée et de l'Image à Angoulême[27].
Jirō Taniguchi est l'un des principaux invités du 42e festival international de la bande dessinée d'Angoulême qui s'est déroulé du au . À cette occasion, une grande exposition monographique intitulée «Taniguchi, l'homme qui rêve» lui est consacrée, «la première de cette envergure qui lui soit dédiée en Europe[28]». Cette exposition est reprise du au à Versailles[29].
À la suite de sa disparition, une exposition, organisée par les éditeurs Rue de Sèvres, Kana, Futuropolis et Casterman, et une conférence, avec Benoît Peeters, Jean-David Morvan et Corinne Quentin, sont organisées au salon du livre de Paris 2017[30],[31].
2015: annonce de la préparation d'un film d'animation français en 2D tiré du Sommet des dieux et réalisé par Jean-Christophe Roger et Éric Valli[37],[38].
«Il débute difficilement sa carrière […] par de courts récits influencés par le hard-boiled américain. Son scénariste, Natsuo Sekikawa, résume assez bien la situation d'alors: "Les rares critiques favorables classaient toujours nos créations dans le genre polar. Nous comprenions que ces critiques ne nous étaient pas hostiles, nous ne pouvions pas protester, mais notre intention n'avait jamais été de faire du polar. Non, nous avions l'ambition d'écrire des récits humoristiques."»