Fondée le par le philosophe et théologien Adam Weishaupt à Ingolstadt, elle eut à faire face à des dissensions internes avant d'être interdite par un édit du gouvernement bavarois en 1785 et de disparaître peu après.
Cette société, mouvement éphémère de libres penseurs, rationalistes et progressistes, la mouvance la plus radicale du siècle des Lumières[1] a été fondée le par Adam Weishaupt, professeur de droit canonique à l'université d'Ingolstadt, dans le royaume de Bavière, où l'Électeur conservateur Charles Théodore succéda en 1777 au progressiste et éclairé Maximilien III Joseph. Weishaupt avait l'idée de créer un Ordre où le savoir serait partagé et où des connaissances ésotériques pourraient être transmises aux membres des grades les plus élevés. Tout d'abord École secrète[2], le groupe fut d'abord baptisé Bund der Perfektibilisten (Cercle des Perfectibilistes) puis Illuminatenorden (Ordre des Illuminés)[3].
Le but de cette société était d'encourager le perfectionnement de l'humanité selon les principes de liberté, d'égalité et de fraternité[4]. D'après l'historien Stéphane François, Adam Weishaupt avait pour objectif, dans une Allemagne catholique «dominée par l'ordre des Jésuites, très conservateur, qui formaient les futures élites de l'État», de «devancer [les] forces conservatrices en formant une élite progressiste», et en particulier de lutter contre la Rose-Croix d'or d'ancien système, société secrète «paramaçonnique de nature conservatrice»[5].
Organisation
Cette organisation pyramidale, même si son système contient les rituels des trois premiers degrés traditionnels de la franc-maçonnerie, s’en distingue fondamentalement par leur interprétation et le but qu’elle poursuit. Weishaupt y porte le titre de «général» et est assisté par un «Conseil suprême» formé de ses premiers compagnons, qu'il appelle «aréopagites»[6]. Seule la direction de l'organisation connaît ses secrets et ses objectifs. Les nouveaux recrutés, les «Novices» doivent observer une période probatoire d'environ deux ans avant d'accéder au grade de «Minerval» après une initiation qui reprend des thèmes et des dénominations de l'antiquité. Le recrutement reste limité à la Bavière et ne dépasse pas quelques dizaines de membres jusqu'en 1780, date à laquelle Weishaupt décide de renforcer son organisation en reprenant certaines formes maçonniques, après avoir infiltré quelques loges allemandes, notamment la loge «À la Prudence», dans laquelle il entra en février 1777 bien qu'elle défendît des conceptions mystiques très différentes des siennes, et la loge «Théodore au Bon Conseil» de Munich, à laquelle s'affilièrent deux autres membres dirigeants de son ordre[6].
Réorganisation: apport de Knigge
Alors que le projet - soutenu par un étudiant fidèle au «General», Franz Xaver von Zwack -n’attire d'abord que «peu de personnes, surtout des proches et d'anciens élèves» d'Adam Weishaupt, le baron Adolf von Knigge rejoint le mouvement en 1780[5]. Franc-maçon depuis 1773, il réorganise l'ordre des illuminaten en trois classes:
Première classe – Pépinière:
Cahier préparatoire
Noviciat
Minerval
Illuminé Mineur
Deuxième classe – Franc-maçonnerie:
Apprenti
Compagnon
Maître
Illuminé majeur ou Novice écossais
Illuminé dirigeant ou Chevalier écossais
Troisième classe – Mystères:
Petits Mystères - Prêtre
Petits Mystères - Régent ou Prince
Grands Mystères - Mage
Grands Mystères - Roi
Knigge donne à l'ordre une direction philosophique moins anticléricale et plus rousseauiste, fondée sur un idéal d'ascétisme et de retour de l'homme à l'état de nature[7].
De plus, «il décide qu'il faut investir les loges maçonniques pour y recruter de nouveaux membres», et «cible non pas de futurs fonctionnaires, mais des personnes qui sont déjà en poste», stratégie qui permet aux Illuminés de passer «de quelques dizaines de membres à plus de 1500»[5].
Le est constituée une Grande Loge provinciale. La société atteint alors son apogée, se répandant dans les pays rhénans, en Autriche et en Suisse. Cependant, le conflit entre Knigge et Weishaupt s'envenime, et le premier, que le second accuse de «fanatisme religieux» se retire en avril 1784 en publiant un mémoire condamnant les conceptions anticléricales de Weishaupt et de la majorité des dirigeants de l'ordre[6].
Répression
À partir de 1782, «certains francs-maçons hostiles aux Illuminés dénoncent leur présence au sein des loges»[5].
En 1784, Joseph Marius von Babo, dans sa lettre Ueber Freymaurer, a accusé l'ordre bavarois des Illuminés de Bavière de vouloir commettre un complot contre l'État, et a été l'une des premières raisons de l'interdiction officielle et de l'autodissolution de l'ordre et de la persécution de ses membres[8].
Traqués, assimilés à des criminels, les Illuminés de Bavière disparaissent totalement du Sud de l'Allemagne dès 1786, seuls quelques foyers résistent en Saxe jusqu'en 1789[6].
D'après une liste complète des membres sûrs et supposés de l'ordre des Illuminés de Bavière (ne sont donnés ici que les noms de membres sûrs)[11].
Membres des Illuminés de Bavière
Jacob Friedrich von Abel (1751-1829), alias Pythagoras Abderites, philosophe et professeur à Stuttgart;
Edmund Ackermann, alias Sextus Quintilius Varus, commerçant à Mayence;
Christian Heinrich Aldenbruck, alias Petrus Waldus, conseiller de la chambre haute à Cologne;
Martin Ambach von Grienfelden, alias Antonius Liberalis, chanoine;
Ferdinand d'Antoine, alias Hermogenes, compositeur à Bonn;
Ferdinand Maria von Baader (1747-1797), alias Celsus, affilié le 13 décembre 1778, médecin de la duchesse-mère de Bavière, philosophe allemand et naturaliste, membre de la Bayerische Akademie der Wissenschaften (Académie bavaroise des sciences), aréopagite de l'ordre;
FreiherrThomas Franz Maria de Bassus(it) (1742-1815), alias Hanibale, affilié en décembre 1778, mécène du compositeur Johann Simon Mayr (1763-1845) et éditeur, membre de la loge maçonnique «Théodore au Bon Conseil» de Munich et aréopagite de l'ordre[12];
Rudolph Zaccharias Becker (1752-1822), alias Henricus Stephanus, écrivain, journaliste, enseignant et éditeur allemand;
Johann Joachim Christoph Bode (1730-1793), alias Aemilius, éditeur allemand des œuvres de Goethe et Herder, il fut le chef de fait des Illuminés de Bavière après Weishaupt;
Freiherr Philipp von Boos zu Waldeck und Montfort, alias Alcuinus, chambellan à Mayence;
Ignaz von Born (1742-1791), alias Furius Camillus, minéralogiste et métallurgiste allemand;
Joseph Brannten, alias Helvidius Perseus/Priscus, commerçant à Aix-la-Chapelle;
Franz Xaver Bronner (1758-1850), alias Aristoteles, écrivain, ensuite à Aarau;
Johann Michael von Brunner, alias Macedonius, lieutenant et assesseur à Neuwied;
Theodor Dorner (ou Thaddäus), alias Scaliger, secrétaire à Munich;
Anton Joseph Dorsch (1758-1819), alias Ptolemäus Lathurus, professeur de théologie à Mayence;
Anton Drexel (1753-1830), alias Pythagoras, bibliothécaire à Ingolstadt;
Friedrich Ferdinand Drück (1754-1807), alias Heraklit, professeur d'histoire de l'Antiquité à Stuttgart;
Franz Paul de Duffrene (ou Dufresne), alias Maevius, conseiller de la cour à Munich;
Alois Duschl, alias Confucius / Deucalion, répétiteur à Ingolstadt;
Karl von Eckartshausen (1752-1803), alias Aetilius Regulus, écrivain allemand; il est notamment l'auteur d'un traité déiste qui eut un grand succès au XIXesiècle, intitulé Gott ist die reinste Liebe (Dieu est le plus pur amour) (1790);
Baron Ludwig von Ecker (ou Egkher) (1757-1826), alias Pericles, conseiller de la cour à Amberg;
Johann Joseph Eichhoff (1762-1804), alias Desiderius, cuisinier des Princes-Electeurs à Bonn;
Johann Peter Eichhoff, alias Hephaestion, rédacteur du Intelligenzblatt de Bonn;
Baron Markus von Erdt, alias Theseus, conseiller de la cour à Munich;
Rudolf Esser, aias Godofredus a Valla, commerçant à Aix-la-Chapelle;
Sigismund Falgera (1752-1790), alias Attis, pianiste, violoniste et compositeur allemand; en 1784, il se transfère à Paris, où il devient membre de la loge "Les Amis Réunis"[15];
Joseph Mühlbauer, alias Archilogus/Ardzilachus, secrétaire du conseil ecclésiastique à Munich;
Friedrich Münter, (1761-1830), alias Syrianus, ecclésiastique danois, fondateur de la Loge de NaplesPhilantropia[19], puis évêque luthérien de Seeland;
Comte Alois Ludwig von Taufkirch, alias Agesilaus, commandant à Wasserburg;
Comte Anton von Törring zu Seefeld (1725-1812), alias Ulysses, président de la chambre de la cour, conseiller secret à Munich;
Marquis Donato Tommasi(it) (1761-1831), alias Giano Gioviano Pontano, franc-maçon, fondateur de la Loge de NaplesPhilantropia, premier ministre du royaume des Deux-Siciles[19];
Ernst Leopold Tropenegro, alias Coriolanus, conseiller de commerce à Munich;
Joseph von Utzschneider (1763-1840), alias Hellenicus Lesbius, professeur et conseiller de la cour à Munich, secrétaire intime de la duchesse-mère de Bavière;
Comte Philipp Franz von Waldersdorf (1739-1810), alias Walsingham, chanoine à Trèves, puis évêque de Spire;
Adam Weishaupt (1748-1830), alias Spartacus, professeur de droit canonique à l'université d'Ingolstadt, fondateur, en 1776, du Bund der Perfektibilisten, préfiguration de l'Illuminatenorden, plus tard conseiller de la cour à Gotha;
Johann Georg Wendelstadt, alias Eucharius, conseiller de la cour et médecin à Neuwied;
Erasmus von Werner, alias Menelaus, conseiller de révision à Munich;
Johann von Wlaskowitz, alias Aurelius Cotta, premier lieutenant à Brünn;
Franz Xaver Woschika alias Astiages, musicien à Munich;
Gottfried Würschmidt, alias Abraham, chanoine et curé à Mayence;
Karl Kasimir Wundt (1744-1784), alias Raphael, professeur à Heidelberg;
Malgré la faible durée de vie de l'organisation (une décennie)[25], les Illuminati de Bavière ont toujours eu une image ténébreuse dans l'histoire populaire, à cause des écrits de leurs opposants. Les allégations lugubres de théories conspirationnistes qui ont façonné la vision de la franc-maçonnerie ont pratiquement occulté les Illuminati. En 1798, l'abbé Augustin Barruel publia les Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme qui soulignaient la théorie d’une grande conspiration regroupant les Templiers, les Rosicruciens, les Jacobins et les Illuminati. Simultanément et de manière indépendante, un Maçonécossais et professeur d'histoire naturelle, John Robison sortait en 1798Les Preuves d'une conspiration contre l'ensemble des religions et des gouvernements d'Europe. Quand il vit le travail similaire réalisé par Barruel, il ajouta une multitude de notes pour compléter son essai. Robison prétendait montrer la preuve d'une conspiration des Illuminati œuvrant au remplacement de toutes les religions par l'humanisme et de toutes les nations par un gouvernement mondial unique.
La génèse de la théorie du complot s'appuie principalement sur:
En 1789, Jean-Pierre-Louis de Luchet, marquis de La Roche du Maine, dit aussi «le marquis de Luchet», publie son Essai sur la Secte des Illuminés[27] où il dénonce les dirigeants des Illuminés de Bavière comme contrôlant l'espace maçonnique européen en général et français en particulier[28].
En 1798, l'abbé Augustin Barruel publia les Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme[29] qui soulignaient la théorie d'une grande conspiration regroupant les templiers, les rosicruciens, les francs-maçons, les jacobins et les illuminati[30]. Barruel attribue la paternité de la société des Illuminati autant à Adam Weishaupt qu'à Emmanuel Swedenborg, mystique suédois; il affirme qu'elle existe toujours, qu'elle demeure très influente sur la franc-maçonnerie et qu'elle a pour projet la destruction de tout ordre et de toute religion[31]. Jean-Joseph Mounier lui apporte une réponse en 1801 en publiant De l'Influence attribuée aux philosophes, aux francs-maçons et aux illuminés sur la Révolution de France; il se voit accusé par Barruel d'être un agent des Illuminati[31].
En 1798, simultanément et de manière indépendante, un franc-maçon écossais, professeur d'histoire naturelle, John Robison sortait Les Preuves d’une conspiration contre l'ensemble des religions et des gouvernements d'Europe[32]. Quand il vit le travail similaire réalisé par Barruel, il ajouta une multitude de notes pour compléter son essai. Robison prétendait montrer la preuve d'une conspiration des Illuminati œuvrant au remplacement de toutes les religions par l'humanisme et de toutes les nations par un gouvernement mondial unique.
Les écrits originaux des Illuminés de Bavière ont été republiés en deux volumes:
Traduite en français, une collection complète a été publiée en 2017:
L'École secrète de sagesse: Rituels et doctrines authentiques des Illuminés, édition établie par Reinhard Markner et Josef Wäges, traduit par Lionel Duvoy, Paris, Dervy, 2017 (ISBN979-10-242-0136-8).
Ainsi que la correspondance:
(de) Die Korrespondenz des Illuminatenordens vol. 1, 1776-81, édité par Reinhard Markner, Monika Neugebauer-Wölk et Hermann Schüttler, Tübingen, Max Niemeyer, 2005, vol. 2, Berlin, De Gruyter, 2013.
Les francs-maçons, une société secrète, Marco Carini. Parragon Books Ltd, Queen Street House. 4 Queen Street. Bath BH1 1 HE, Royaume-Uni. (ISBN978-1-4054-9748-0), page 77.
Cf. A. Weishaupt, Rede an die neu aufzunehmenden Illuminatos dirigentes (1782): «Wer also allgemeine Freiheit einführen will, der verbreite allgemeine Aufklärung: aber Aufklärung heißt nicht Wort- sondern Sachkenntniß, ist nicht Kenntniß von abstracten, speculativen, theoretischen Kenntnissen, die den Geist aufblasen, aber das Herz um nichts bessern.» («Que celui qui veut instaurer la liberté universelle diffuse les Lumières universelles. Or les Lumières ne désignent pas un savoir conceptuel, mais un savoir pratique, ce n'est pas un savoir fait de connaissances abstraites, spéculatives ou théoriques qui gonflent l'esprit d'orgueil, sans améliorer le cœur.»)
Stéphane François, «Un mythe contemporain: les Illuminati», dans Jean-Loïc Le Quellec & Catherine Robert, L'Anthropologie pour tous. Actes du colloque du 6 juin 2015, Saint-Benoist-sur-Mer, (lire en ligne), pp. 86-93
"Arrivé le 24 juin 1787 à Paris, soit un mois après la clôture du Convent des Philalèthes", Arnaud de la Croix, Les Illuminati: La réalité derrière le mythe, Bruxelles, , p.84
(de) Franz Xaver von Zwack, Geschichte des Illuminaten-Ordens: Richard van Dülmen, Der Geheimbund der Illuminaten. Darstellung, Analyse, Dokumentation, Stuttgart: Bad Cannstatt, (lire en ligne), p.329-341.
Fils cadet du duc de Paganica, sa vie est retracée en détail dans l'ouvrage de Loris Di Giovanni et Elso Simone Serpentini, "La Libera Muratoria in Abruzzo dal XVIII al XX secolo", Artemia Nova Editrice, 2020, 542 pages.
"le duc régnant étant franc-maçon et Illuminé". Arthur Mandel, Le Messie Militant ou La Fuite du Ghetto. Histoire de Jacob Frank et du mouvement frankiste, Archè, Milan, 1989, p. 163.
Nico Perrone, La Loggia della Philantropia. Un religioso danese a Napoli prima della rivoluzione. Con la corrispondenza massonica e altri documenti, Palermo, Sellerio éd., 2006.
"Sonnenfels est devenu un traître de l'Ordre", Lettre de Ignaz von Born à Friedrich Münter datée du 2 juillet 1786, citée par Jan Assmann, Religio duplex. Comment les Lumières ont réinventé la religion des Égyptiens, Paris, Aubier 2013, p. 297.