Les idéaux disposent d'une multiplication, cette opération est associative et il existe un élément neutre constitué de l'anneau tout entier. En revanche, le manque d'inverse empêche de munir l'ensemble des idéaux d'une structure de groupe. Dans le cas des anneaux d'entiers, la structure possède toutes les bonnes propriétés pour offrir un contournement. Cette configuration est axiomatisée dans la définition d'un anneau de Dedekind. Dans un premier temps l'anneau est plongé dans son anneau total de fractions, puis la notion d'idéal est généralisée.
Une tentative de Leonhard Euler pour résoudre le dernier théorème de Fermat si n est égal à 3 l'amène à considérer les nombres de la forme a + bi√3, où a et b sont des entiers et i l'unité imaginaire. Sa preuve est fausse: un tel anneau n'est pas factoriel, c'est-à-dire qu'il n'existe pas une unique manière de factoriser un nombre à l'aide de facteurs premiers. Par exemple, 4 est à la fois le carré de l'entier 2 et le produit (1 + i√3)(1 – i√3). Si la mise en œuvre est un peu maladroite, l'idée s'avère bonne. Gauss le montre en étudiant l'anneau des nombres de la forme a + ib, où a et b sont des entiers. Il est euclidien et dispose d'une bonne factorisation. Gotthold Eisenstein découvre le «bon» anneau[1] pour rendre rigoureuse la démonstration d'Euler. Composé des nombres de la forme a + jb, où j désigne une racine cubique de l'unité, il s'avère aussi être euclidien.
Dans le cas général, il est vain d'espérer trouver une structure euclidienne pour les anneaux d'entiers. Ernst Kummer en comprend la raison profonde, qu'il qualifie de deuxième obstruction. Les équivalents des nombres entiers, sur les anneaux d'entiers algébriques ne sont pas assez «nombreux». Il ajoute en conséquence ce qu'il appelle des nombres idéaux[2]. Cette découverte lui permet de démontrer le grand théorème de Fermat pour toutes les valeurs de n inférieures à 100 à l'exception de 37, 59 et 67[3].
Kummer analyse les entiers algébriques du corps Q[ζn], où ζn désigne une racine primitive de l'unité, structure maintenant appelée extension cyclotomique. Richard Dedekind et Leopold Kronecker cherchent à généraliser la théorie à toute extension finie des nombres rationnels. Leurs approches sont opposées: Kronecker s'inscrit dans la tradition calculatoire, instaurée par Gauss et suivie par Kummer, tandis que Dedekind cherche une théorie fondée sur les caractéristiques structurelles des anneaux d'entiers, quitte à ne pas disposer d'algorithme effectif[4]. Cette philosophie l'amène à réécrire quatre fois son traité de la théorie des nombres. La version de 1876 contient la définition moderne d'idéal et d'idéal fractionnaire[5]. Son approche abstraite le pousse à étudier la structure algébrique des idéaux, et particulièrement leur multiplication. L'adjonction des idéaux fractionnaires assure l'existence d'un inverse. La dernière version de son traité, datée de 1894, montre en toute généralité et sous sa forme moderne l'unicité de la décomposition remplaçant le théorème fondamental de l'arithmétique[6].
Un sous-A-moduleM de K est dit inversible[7] s'il existe un sous-A-module N de K tel que M.N = A, où M.N désigne le sous-module produit engendré par les produits d'éléments de M et de N.
Un idéal fractionnaire de A est une partie de K de la forme d−1J où d est un élément régulier de A et J un idéal de A[8]. Autrement dit, c'est un sous-A-module M de K tel qu'il existe un élément régulier d de A pour lequel d.M est inclus dans A[9].Attention à cette appellation trompeuse: un idéal fractionnaire de A n'est pas toujours un idéal de A. En fait les idéaux de A sont exactement, parmi ses idéaux fractionnaires, ceux qui sont inclus dans A.
Un idéal fractionnaire F est dit principal s'il est engendré (comme A-module) par un élément, autrement dit s'il est de la forme F = d−1J où J est un idéal principal de A.
Pour tous sous-A-modules F et G de K, on note (G: F) le sous-module «transporteur de F dans G»[10] constitué des éléments k de K tels que kF soit inclus dans G, et l'on note F−1 le sous-module (A: F).
tout sous-A-module de K de type fini est un idéal fractionnaire[9];
pour tous idéaux fractionnaires F non nul et G, (G: F) est un idéal fractionnaire[9];
si un idéal fractionnaire F est inversible alors F−1 est l'unique idéal fractionnaire H tel que H.F = A[12]. Par conséquent:
F est inversible si et seulement si le produit F−1.F est égal à A tout entier,
si F est inversible alors pour tout sous-A-module G de K, (G: F) = G.F−1[12];
l'ensemble des idéaux fractionnaires inversibles forme un groupe abélien (pour le produit défini plus haut), dont le neutre est l'anneau A lui-même.
La définition d'un anneau de Dedekind adoptée par de nombreux auteurs, et reprise dans l'article Anneau de Dedekind est: anneau (commutatif unitaire) intègre, noethérien, intégralement clos, et dont tout idéal premier non nul est maximal. Nous la reprenons ici, mais nous verrons qu'elle équivaut à celle due à Dedekind (anneau dont tout idéal non nul est inversible), plus adaptée à l'objectif d'un analogue, en termes d'idéaux, du théorème fondamental de l'arithmétique.
Théorème—Les propriétés suivantes sont équivalentes:
A est un anneau de Dedekind,
tout idéal premier non nul de A est inversible,
tout idéal non nul de A est inversible,
A est intègre et tout idéal non nul de A est produit d'idéaux maximaux,
A est intègre et tout idéal de A est produit d'idéaux premiers.
De plus, si A est un anneau de Dedekind, la décomposition de tout idéal non nul en produit d'idéaux premiers est unique (à l'ordre près des facteurs).
Démonstration
: Soit P un idéal premier non nul de A. Le localiséAP étant un anneau de valuation discrète donc principal, il existe un élément t de P engendrant l'idéal P.AP de AP, c'est-à-dire tel que P soit inclus dans t.AP.
Par ailleurs, A étant noethérien, soit (p1, ... , pr) une famille finie génératrice de P. Chaque pi appartient à tAP, donc il existe dans A un élément a n'appartenant pas à P tel que les (a/t)pi appartiennent à A, si bien que (a/t).P est inclus dans A.
Définissons l'idéal fractionnaire Q = A + (a/t)A et vérifions qu'il est inverse de P. Par construction, Q.P est un idéal de A contenant P. Puisqu'il contient aussi l'élément (a/t)t = a qui n'est pas dans P, et que P est maximal, on en déduit que Q.P = A.
[13],[14]: Dans l'ensemble inductif des idéaux non inversibles de A, soit P un élément maximal. Montrons (pour conclure à l'absurde) que P est premier, en supposant qu'il contient un produit ab mais ne contient pas a et en montrant qu'alors il contient b. L'idéal Q:= P + aA contenant strictement P, il est inversible, et PQ−1 est un idéal de A non inversible (comme P) et contenant P, donc égal à P (par choix de ce dernier). Or il contient aussi b (puisque P contient bQ). Donc b appartient bien à P.
+ unicité de la décomposition en premiers: L'hypothèse 3 entraîne que A est intègre (car les idéaux principaux non nuls sont inversibles) et noethérien (tout idéal inversible étant de type fini). Soit I un idéal non nul de A, montrons qu'il est produit de maximaux. S'il est égal à A, c'est le cas (sous forme d'un produit indexé par le vide). Sinon, soit un idéal maximal contenant I: est non nul donc inversible, et est un idéal de A contenant strictement I. On construit de cette manière une suite strictement croissante d'idéaux de la forme qui (par noethérianité) est finie, c'est-à-dire qu'il existe un entier naturel n tel que , d'où . Montrons maintenant que si avec premiers alors m=n et (à permutation près) . Si m=0 c'est immédiat. Sinon, comme est premier et contient le produit , il contient l'un d'entre eux, disons par exemple donc (par maximalité de ) . En multipliant l'équation de départ par il reste , d'où (en itérant) le résultat souhaité.
théorème 11.149 (attribué à Matusita) dans Szpirglas
(dans ces trois sources, la série d'arguments est la même).
: Sous l'hypothèse 2 (qui entraîne 3, 4, 5, et l'unicité de la décomposition en premiers), on a déjà vu que A est noethérien et intègre. De plus (cf paragraphe Valuation ci-dessous) on peut associer à chaque idéal premier non nul P de A une valuation vP sur K de telle sorte que A soit l'intersection des anneaux de valuation associés. Il est donc intégralement clos (voir l'article Élément entier). Tout idéal premier non nul P est maximal (par existence d'une décomposition en maximaux et unicité de la décomposition en premiers). Ainsi, A vérifie toutes les propriétés requises pour être un anneau de Dedekind.
Il en résulte immédiatement que si A est un anneau de Dedekind alors:
le groupe des idéaux fractionnaires inversibles est le plus gros qu'on puisse espérer: il est constitué de l'ensemble Fr (A) de tous les idéaux fractionnaires non nuls (car un tel idéal est de la forme d−1J = J.(dA)−1 avec J idéal de A non nul de A donc inversible);
le groupe Fr (A) est le groupe abélien libre sur l'ensemble P(A) des idéaux premiers non nuls de A, c'est-à-dire que tout idéal fractionnaire se décompose de manière unique en un produit fini de puissances positives ou négatives d'idéaux premiers (l'existence d'une telle décomposition pour les idéaux fractionnaires se déduit de celle pour les idéaux, et de l'écriture ci-dessus d'un idéal fractionnaire; l'unicité également, en se ramenant, par produit, à des puissances positives);
un idéal fractionnaire est un idéal de A si et seulement si toutes les puissances, dans sa décomposition en produit d'idéaux premiers, sont positives («si» est immédiat, «seulement si» se déduit de la fin du théorème).
On suppose ici que A est un anneau vérifiant la propriété 2 du théorème précédent, et toutes ses conséquences (propriétés 3 à 5, intégrité, noethérianité, unicité de la décomposition en premiers). On va expliciter les valuations sur A qui permettent de compléter la preuve de 2 ⇒ 1 dans ce théorème. Dans un premier temps, on se fixe idéal premier non nul P:
.
L'unicité de la décomposition en facteurs premiers des idéaux fractionnaires permet, comme pour les entiers naturels ou les rationnels, de définir une valuation sur le groupe multiplicatif Fr(A):
L'application vP qui à un idéal fractionnaire F non nul associe l'exposant de P dans sa décomposition en idéaux premiers, et qui associe à l'idéal nul la valeur infinie, est appelée valuation sur Fr(A) en P.
Des résultats du paragraphe précédent on déduit immédiatement que pour tous :
Ceci permet de définir une valuation sur K en restreignant vP aux idéaux fractionnaires principaux non nuls:
l'application qui à un élément k du corps des fractions K de A associe vP(kA) est appelée valuation sur K en P. Cette application est encore notée vP.
Sur K, la famille de valuations (vP), quand P parcourt maintenant l'ensemble P(A) des idéaux premiers non nuls, vérifie en outre:
Pour tout élément non nul x de A, vP(x) n'est strictement positif que pour un ensemble fini d'idéaux (et est nul pour les autres).
Autrement dit, x n'appartient qu'à un nombre fini d'idéaux premiers.
«Théorème d'approximation»[15]: Soient distincts, et . Il existe alors tel que
Les idéaux fractionnaires principaux non nuls forment un sous-groupe du groupe des idéaux fractionnaires non nuls. Le groupe quotient est appelé groupe des classes. Si A est l'anneau des entiers algébriques d'un corps de nombres alors son groupe des classes est d'ordre fini. Ce résultat est une des clés permettant de résoudre des équations diophantiennes et particulièrement celle liée au dernier théorème de Fermat.
R. Dedekind (trad.C. Duverney), Traité sur la théorie des nombres, Genève, Tricorne, (ISBN2829302893)— Le livre de Dedekind donnant la définition d'idéal fractionnaire.
(en) Tsit Yuen Lam et Manuel Lionel Reyes, «A prime ideal principle in commutative algebra», J. Algebra, vol.319, no7, , p.3006-3027 (lire en ligne), Cor. 3.15.