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discours prononcé le 20 avril 1968 par Enoch Powell De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le discours des « fleuves de sang » (en anglais, Rivers of Blood speech) est prononcé le samedi par l'homme politique britannique Enoch Powell lors d'un rassemblement du Parti conservateur à Birmingham.
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Écrit pour s'opposer au projet de la loi sur les relations raciales du Parti travailliste qui vise à rendre illégal de refuser un logement ou un emploi à une personne en raison de sa couleur de peau, Powell préconise d'arrêter immédiatement l'arrivée d'immigrants non-blancs au Royaume-Uni, en particulier ceux en provenance des pays du Commonwealth, avant de mettre en place une politique de remigration à destination des immigrés déjà présents. En cas d'augmentation de la population non-blanche et de mise en place de lois anti-discrimination donnant aux immigrés un statut privilégié ou spécifique, il craint l'apparition de quartiers ou de villes entièrement peuplés de populations immigrées où elles ne s'intégreront plus mais reproduiront leur société d'origine et où les blancs y seraient indésirables. Citant l'exemple des États-Unis, qui dans les années 1960 semblent au bord de la guerre ethnique entre blancs et noirs dans le contexte du mouvement des droits civiques, il estime qu'un afflux trop important d'immigrés ne peut mener à court terme qu'à des émeutes raciales de leur part et au sentiment de dépossession et de discrimination des populations blanches, ainsi qu'à plus long terme à une partition du pays et une guerre civile.
Powell nommait lui-même son texte « discours de Birmingham » mais il est devenu connu sous le nom de discours des « fleuves de sang », bien que l'expression « fleuves de sang » n'y soit jamais prononcée, mais constitue une allusion à un vers de l'Énéide de Virgile qu'il cite : « Je contemple l'avenir et je suis rempli d'effroi. Comme les Romains, je vois confusément le Tibre écumant de sang »[1]. D'autres phrases ont beaucoup marqué le public de l'époque telles que « Dans ce pays, dans 15 à 20 ans, les noirs domineront les blancs », « Nous devons être fous, littéralement fous à lier, en tant que nation » et « J'ai l'impression de regarder ce pays élever frénétiquement son propre bûcher funéraire ».
Le discours provoque une tempête politique et fait de Powell l'uns des personnalités politiques les plus discutées et les plus controversées du pays, ce qui conduit dès le lendemain à son limogeage du cabinet fantôme par le chef du Parti conservateur Edward Heath[2]. Pour protester contre son éviction, nombre de dockers du pays se mettent en grève et réclament son retour. Cette population de travailleurs, pourtant traditionnellement de vote travailliste, estime que le sujet de l'immigration va au-delà de la politique et qu'il s'agit de l'avenir de la nation et du peuple. Selon la plupart des témoignages, la popularité des idées de Powell a pu jouer un rôle décisif dans la victoire surprise des conservateurs aux élections générales de 1970, bien que Powell soit lui-même devenu l'un des plus farouches opposants au gouvernement Heath[2],[3]. Ayant lieu juste après la Beatlemania, les Beatles composent également la chanson Get Back pour marquer leur opposition au discours de Powell.
Le discours a tellement marqué et divisé la société britannique de l'époque, entre ceux qui le considèrent comme « réaliste » et « prémonitoire » et ceux qui le considèrent comme « raciste » et « provocateur », qu'il a eu pour conséquence inattendue de rendre tabou tout débat national sur l'immigration pendant plus d'une génération, tandis que le nom d'Enoch Powell est devenu aussi sulfureux en Grande-Bretagne que celui, en France, de Jean-Marie Le Pen.
L'expression « Enoch avait raison » (Enoch was right) est aujourd'hui universellement connue au Royaume-Uni et fréquemment utilisée par les opposants à l'immigration de masse, au multiculturalisme et à l'islamisation dans le pays.
Powell, le parlementaire conservateur de la circonscription de Wolverhampton South West et secrétaire d'État à la Défense du cabinet fantôme, s'adressait à l'assemblée générale du Centre politique du parti conservateur de la région des West Midlands. Le projet de loi sur les relations raciales de 1968 du gouvernement travailliste devait avoir sa deuxième lecture trois jours plus tard, et l'opposition conservatrice avait déposé un amendement affaiblissant considérablement ses dispositions[4]. Ce projet de loi succédait à la loi sur les relations raciales de 1965.
La chaîne de télévision ATV (en) de Birmingham avait reçu une copie du discours le samedi matin et son rédacteur en chef avait envoyé une équipe de télévision sur les lieux où elle filmera des parties du discours. Plus tôt dans la semaine, Powell avait dit à son ami Clement Jones, journaliste puis rédacteur en chef de l'Express & Star (en) de Wolverhampton : « Je m'apprête à faire un discours ce week-end et il va décoller comme une fusée ; mais contrairement aux autres fusées qui retombent toutes sur Terre, il restera en orbite[5] » (I'm going to make a speech at the weekend and it's going to go up 'fizz' like a rocket; but whereas all rockets fall to the earth, this one is going to stay up).
Lors de la préparation de son discours, Powell avait suivi le conseil de Clement Jones de le prononcer un samedi après-midi, meilleur moment selon lui pour faire des discours politiques percutants et des remises en question impactantes de l'organisation de son parti, après avoir remis des copies sous scellé le jeudi ou le vendredi précédent à des éditeurs et journalistes politiques sélectionnés de journaux sortant le dimanche. Cette tactique pourrait assurer la couverture du discours pendant trois jours par le biais des bulletins du samedi soir puis des journaux du dimanche, ceci afin que la couverture soit reprise dans les journaux du lundi[5].
Dans le discours, Powell relate une conversation qu'il a eue avec l'un de ses électeurs, un homme d'âge moyen, quelques semaines plus tôt. Powell déclare que l'homme lui avait dit : « Si j’avais les moyens, je quitterais le pays. J’ai trois enfants. Ils ont tous le bac [grammar school], deux d’entre eux sont mariés et ont une famille. Mais je ne serai heureux que lorsque je les aurai tous vu partir à l’étranger ». L'homme avait terminé en disant à Powell : « Dans ce pays, dans 15 à 20 ans, les noirs domineront les blancs »[6].
Powell continue :
« Dans ma propre ville, au grand jour, un brave et honnête compatriote me dit à moi, son député, qu’il ne fera pas bon vivre dans son pays pour ses propres enfants. Je n’ai tout simplement pas le droit de hausser les épaules et de passer à autre chose. Ce que dit cet homme, des milliers, des centaines de milliers de gens le pensent et le disent. Peut-être pas dans tout le pays, mais partout où s’opère la transformation radicale à laquelle nous assistons aujourd'hui, et qui n’a aucun parallèle connu en 1000 ans d’histoire. [...] J’ai l’impression de regarder ce pays élever frénétiquement son propre bûcher funéraire. Nous sommes devenus fous au point de permettre à des célibataires d’immigrer ici dans le but de fonder une famille avec des conjoints ou des fiancés qu’ils n’ont jamais vus[6],[7]. »
Powell cite une lettre qu'il a reçue d'une femme de Northumberland, au sujet d'une femme âgée vivant dans une rue de Wolverhampton où elle était la seule résidente blanche. Le mari et les deux fils de la femme sont décédés durant la Seconde Guerre mondiale et elle avait mis les chambres de sa maison en location. Une fois que les immigrants ont emménagé dans la rue dans laquelle elle vivait, ses locataires blancs sont partis. Deux hommes noirs avaient frappé à sa porte à 7 heures du matin pour demander d'utiliser son téléphone pour appeler leurs employeurs, mais elle a refusé, comme elle l'aurait fait à tout autre étranger frappant à sa porte à une telle heure, et a ensuite été agressée verbalement.
La femme avait demandé une réduction d’impôts, mais la jeune femme l'ayant reçue lui a dit de louer les pièces de sa maison. Lorsque la femme a déclaré que les seuls locataires seraient noirs, elle lui a répondu : « Les préjugés raciaux ne vous mèneront nulle part dans ce pays ».
Powell plaide pour une ré-émigration volontaire par « des subventions et une aide généreuses » et il mentionne que des immigrés venaient le voir de temps à autre pour lui demander d'en bénéficier. Il déclare que tous les citoyens devaient être égaux devant la loi et que :
« Mais cela ne doit pas signifier pour autant qu’un immigré ou ses descendants doivent disposer d’un statut privilégié ou spécifique, ou qu’un citoyen ne soit pas en droit de discriminer qui bon lui semble dans ses affaires privées, ou qu’on lui dicte par la loi ses choix ou son comportement[8]. »
Il fait valoir que les journalistes qui exhortent le gouvernement à adopter des lois anti-discrimination étaient « du même moule, parfois des mêmes journaux qui, jour après jour dans les années 1930, ont tenté d’aveugler le pays face au péril croissant qu’il nous a fallu affronter par la suite ». Powell décrit ce qu'il percevait comme la position évolutive de la population de souche :
« Pour des raisons qu’ils ne comprennent pas, en application de décisions prises à leur insu, pour lesquelles ils ne furent jamais consultés, les habitants de Grande-Bretagne se retrouvent étrangers dans leur propre pays. Leurs femmes ne trouvent pas de lits d’hôpital pour accoucher, leurs enfants n’obtiennent pas de places à l’école, leurs foyers, leurs voisins, sont devenus méconnaissables, leurs projets et perspectives d’avenir sont défaits. Sur leurs lieux de travail, les employeurs hésitent à appliquer au travailleur immigré les mêmes critères de discipline et de compétence qu’au Britannique de souche. Ils commencent à entendre, au fil du temps, des voix chaque jour plus nombreuses qui leur disent qu’ils sont désormais indésirables. Et ils apprennent aujourd'hui qu’un privilège à sens unique va être voté au Parlement. Qu’une loi qui ne peut, ni n’est destinée à les protéger ni à répondre à leurs doléances, va être promulguée. Une loi qui donnera à l’étranger, au mécontent, à l’agent provocateur, le pouvoir de les clouer au pilori pour des choix d’ordre privé[9]. »
Powell avertit que si la législation proposée pour le projet de loi sur les relations raciales devait être adoptée, elle entraînerait une discrimination contre la population de souche :
« Le sentiment de discrimination, de dépossession, de haine et d’inquiétude, ce ne sont pas les immigrés qui le ressentent, mais bien ceux qui les accueillent et doivent continuer à le faire. C’est pourquoi voter une telle loi au Parlement, c’est risquer de mettre le feu aux poudres[10]. »
Powell était préoccupé par le niveau actuel de l'immigration et soutenait qu'elle devait être contrôlée :
« Dans de telles circonstances, la seule mesure adaptée est de réduire, toutes affaires cessantes, le rythme de l’immigration jusqu'à des chiffres négligeables, et de prendre sans délai les mesures législatives et administratives qui s’imposent[10]. »
Powell fait valoir qu'il pensait que bien que « plusieurs milliers » d'immigrants voulaient s'intégrer, il estimait que la majorité ne le faisait pas, et que certains avaient intérêt à favoriser les différences raciales et religieuses « dans le but d’exercer une domination, d’abord sur les autres migrants et ensuite sur le reste de la population »[11]. La péroraison du discours de Powell a donné naissance à son surnom populaire. Il cite la prophétie de la sibylle de Cumes dans le poème épique l’Énéide, chant VI, 86-87, de « guerres, terribles guerres, / et le Tibre écumant de sang » (« Bella, horrida bella, / et Thubrim multo spumantem sanguine cerno »).
« Je contemple l’avenir et je suis rempli d’effroi. Comme les Romains, je vois confusément “le Tibre écumant de sang”. Ce phénomène tragique et insoluble, nous l’observons déjà avec horreur outre-Atlantique, mais alors que là-bas il est intimement lié à l’histoire de l’Amérique, il s’installe chez nous par notre propre volonté, par notre négligence. Il est déjà là. Numériquement parlant, il aura atteint les proportions américaines bien avant la fin du siècle. Seule une action résolue et immédiate peut encore l’empêcher. Je ne sais si la volonté populaire exigera ou obtiendra de telles mesures. Mais ce que je sais, c’est que se taire devant cette situation serait une trahison majeure[12]. »
Selon C. Howard Wheeldon, qui était présent à la réunion au cours de laquelle Powell a prononcé le discours, « il est fascinant de constater le peu d'hostilité qui a émergé du public. Au meilleur de ma mémoire, une seule personne a exprimé un signe de contrariété »[13]. Le lendemain du discours, Powell est allé à la communion du dimanche dans son église locale et quand il est sorti, il y avait une foule de journalistes et un plâtrier local (Sidney Miller) lui a dit : « Bien joué, monsieur. Il fallait le dire »[14]. Powell a demandé aux journalistes présents : « Ai-je vraiment provoqué une telle fureur ? ». À midi, Powell se rend sur le plateau de l'émission The World This Weekend sur la BBC pour défendre son discours et est plus tard apparu dans la journée dans le journal d'ITN.
Le parlementaire travailliste Edward Leadbitter (en) déclare qu'il renverra le discours à la Direction des poursuites pénales (en) et le dirigeant du Parti libéral, Jeremy Thorpe, parle d'une affaire prima facie contre Powell pour incitation. Dora Gaitskell traite le discours de « lâche » et le joueur de cricket noir Learie Constantine le condamne[15].
Les dirigeants conservateurs du Cabinet fantôme sont scandalisés par le discours. Iain Macleod, Edward Boyle, Quintin Hogg et Robert Carr menacent tous de démissionner du parti si Powell n'est pas limogé. Margaret Thatcher pensait qu'une partie du discours de Powell était « de la viande forte[16] », et dit à Heath quand il lui a téléphoné pour l'informer que Powell serait limogé : « Je pense vraiment qu'il vaut mieux laisser les choses se refroidir pour le moment plutôt que d'aggraver la crise ». Le chef conservateur Edward Heath limoge finalement Powell de son poste de secrétaire fantôme à la Défense, lui annonçant au téléphone le dimanche soir (c'était la dernière conversation qu'ils auraient). Heath déclare en public à propos du discours qu'il était « raciste et susceptible d'exacerber les tensions raciales ». Les parlementaires conservateurs dans l'aile droite du parti, comme Duncan Sandys, Gerald Nabarro (en) et Teddy Taylor, se prononcent quant à eux contre le limogeage de Powell[17]. Le , Heath déclare au journaliste Robin Day dans l'émission Panorama : « J'ai licencié M. Powell parce que je pensais que son discours était incendiaire et susceptible de nuire aux relations raciales. Je suis déterminé à faire tout mon possible pour éviter que les problèmes raciaux ne se transforment en troubles civils. [...] Je ne crois pas que la grande majorité du peuple britannique partage le point de vue de M. Powell dans son discours »[18].
The Times l’appelle le « discours diabolique », déclarant « C'est la première fois qu'un homme politique britannique sérieux appelle à la haine raciale de cette manière directe dans notre histoire d'après-guerre[19] ». The Times poursuit en se faisant l’écho d'incidents d'attaques raciales au lendemain du discours de Powell. Un de ces incidents, rapporté sous le titre « Une famille colorée attaquée », s'était produit le à Wolverhampton même : il s'agissait d'une bande de quatorze jeunes blancs armés de bâtons et scandant « Powell ! » et « Pourquoi ne retournez-vous pas dans votre propre pays ? » lors d'une fête de baptême afro-caribéenne. L'une des victimes antillaises, Wade Crooks de la rue Lower Villiers, était le grand-père de l'enfant baptisé. Il eut huit points de suture à l'œil gauche et aurait déclaré : « Je suis ici depuis 1955 et rien de tel ne s'est produit auparavant. Je suis bouleversé[20] ». Un sondage d'opinion commandé par l'émission Panorama en décembre 1968 constate que 8 % des immigrants estimaient avoir été maltraités par des blancs depuis le discours de Powell, 38 % souhaitaient retourner dans leur pays d'origine si une aide financière leur était offerte et 47 % soutenaient le contrôle de l'immigration, alors que 30 % y étaient opposés[21].
Le discours génère beaucoup de courriers à destination des journaux, surtout de l'Express & Star de Wolverhampton même, dont le bureau de tri local reçoit la semaine suivante 40 000 cartes postales et 8 000 lettres adressées au journal local. Clement Jones rappelle :
« Ted Heath a fait d'Enoch un martyr, mais pour autant que la zone de distribution de l'Express & Star's est concernée, pratiquement toute la région est déterminée à faire de lui un saint. Du mardi à la fin de la semaine, j'avais dix, quinze à vingt sacs pleins de lettres de lecteurs : 95 % d'entre eux étaient pro-Enoch[5]. »
À la fin de la semaine, il y eut deux manifestations simultanées à Wolverhampton, l'une des partisans de Powell et l'autre de ses opposants, qui chacune présente des pétitions sur le bureau de Clement Jones, les deux foules étant tenues à distance l'une de l'autre par la police[5].
Le , la loi sur les relations raciales est en seconde lecture à la Chambre des communes[4]. De nombreux députés font référence au discours de Powell ou y ont font allusion. Chez les travaillistes, Paul Rose (en), Maurice Orbach (en), Reginald Paget, Dingle Foot, Ivor Richard et David Ennals le critiquent tous[4]. Chez les conservateurs, Quintin Hogg et Nigel Fisher (en) le dénoncent, tandis que Hugh Fraser, Ronald Bell (en), Dudley Smith et Harold Gurden (en) le soutiennent[4]. Powell est présent pendant le débat mais ne prend pas la parole[4].
Plus tôt dans la journée, 1 000 dockers de Londres s'étaient mis en grève pour protester contre le limogeage de Powell et avaient manifesté de l'East End au palais de Westminster en brandissant des pancartes avec des slogans telles que « Nous voulons Enoch Powell ! » (We want Enoch Powell !), « Enoch ici, Enoch là, nous voulons Enoch partout » (Enoch here, Enoch there, we want Enoch everywhere), « Ne frappez pas Enoch » (Don't knock Enoch) et « Grande-Bretagne fière, pas Grande-Bretagne noire » (Back Britain, not Black Britain). Trois cents d'entre eux sont entrés dans le palais, 100 pour faire pression sur le député travailliste Peter Shore de la circonscription de Stepney, et 200 sur l'autre député travailliste Ian Mikardo (en) de Poplar. Shore et Mikardo ont été hués et certains dockers ont frappé Mikardo à coups de pied. Dora Gaitskell leur a alors hurlé : « Battez-vous dans les urnes aux prochaines élections ». Les dockers ont répondu : « Nous n'oublierons pas »[22]. L'organisateur de la grève, Harry Pearman, mène une délégation pour rencontrer Powell et déclare : « Je viens de rencontrer Enoch Powell et il m'a fait me sentir fier d'être Anglais. Il m'a dit qu'il pensait que si cette affaire était mise sous le tapis, il soulèverait lui-même le tapis et recommencerait. Nous sommes des représentants des travailleurs. Nous ne sommes pas des racistes »[23].
Le 24 avril, 600 dockers des docks de St Katharine votent la grève et de nombreuses petites usines à travers le pays suivent leur exemple. 600 porteurs de viandes de Smithfield marchent jusqu'à Westminster pour remettre à Powell une pétition de 92 pages le soutenant. Powell déconseille la grève et leur demande d'écrire à Harold Wilson, Heath ou à leurs députés. Cependant, les grèves se poursuivent, atteignant le port de Tilbury (en) le 25 avril et il aurait reçu sa 30000e lettre le soutenant, en comparaison aux 30 qui s'opposaient à son discours. Au 27 avril, 4 500 dockers étaient en grève. Le 28 avril, 1 500 personnes défilent vers Downing Street en scandant « Arrêter Enoch Powell »[24]. Powell a affirmé avoir reçu 43 000 lettres et 700 télégrammes le soutenant début mai, contre 800 lettres et quatre télégrammes qui s'y opposaient[25]. Le 2 mai, le procureur général Elwyn Jones annonce qu'il ne poursuivrait pas Powell après avoir consulté la Direction des poursuites pénales.
The Gallup Organization organise fin avril un sondage d'opinion et conclut que 74 % des sondés étaient d'accord avec le discours de Powell[26], et 15 % étaient contre. 69 % estimait que Heath avait tort d'avoir limogé Powell et 20 % soutenaient Heath dans sa décision. Avant son discours, Powell n'était favori pour succéder à Heath à la tête du Parti conservateur que pour 1 % de ses membres, tandis que Reginald Maudling bénéficiait de 20 % de soutien. Après son discours, 24% étaient en faveur de Powell et 18% de Maudling. 83% pensent désormais que l'immigration devrait être restreinte (75% avant le discours) et 65% sont favorables à une législation anti-discrimination[27]. Selon George L. Bernstein, le discours a fait penser au peuple britannique que Powell « était le premier homme politique britannique à les écouter[28] ».
Le 4 mai, Powell défend son discours dans une interview pour le Birmingham Post : « Ce que je considère comme « raciste », c'est une personne qui croit en l'infériorité inhérente d'une race humaine à une autre, et qui agit et parle au nom de cette croyance. Donc, la réponse à la question de savoir si je suis raciste est « non » - à moins que ce ne soit, peut-être, d'être raciste à l'envers. Je considère qu'un grand nombre des peuples de l'Inde sont supérieurs à bien des égards - intellectuellement, par exemple, et pas seulement - aux Européens. C'est peut-être trop inversé »[29]. Le 5 mai, le Premier ministre Harold Wilson, fait sa première déclaration publique sur la race et l'immigration depuis le discours de Powell. Il déclare à ses partisans travaillistes lors du May Day au Birmingham Town Hall :
« Je ne suis pas prêt à me tenir à l'écart et à voir ce pays englouti par le conflit racial que des orateurs calculateurs ou des préjugés ignorants peuvent créer. Non plus dans la grande confrontation mondiale sur la race et la couleur, où ce pays doit déclarer sa position, je ne suis pas prêt à être neutre, que cette confrontation ait lieu à Birmingham ou à Bulawayo. Sur ces questions, il ne peut y avoir ni position neutre, ni échappatoire à la décision. Car dans le monde d'aujourd'hui, alors que l'isolationnisme politique invite au danger et l'isolationnisme économique invite à la faillite, l'isolationnisme moral invite au mépris[30]. »
Dans un discours à la conférence du parti travailliste d'octobre à Blackpool, Wilson déclare :
« Nous sommes le parti des droits de l'homme - le seul parti des droits de l'homme qui parlera à cette tribune ce mois-ci (forts applaudissements). La lutte contre le racisme est une lutte mondiale. C'est pour la dignité de l'homme que nous nous battons. Si ce que nous affirmons est vrai pour Birmingham, c'est vrai pour Bulawayo. S'il y a jamais eu une condamnation des valeurs du parti qui forme l'opposition, c'est du fait que le virus du powellisme a si bien pris racine à tous les niveaux[31]. »
Lors des élections générales de 1970, la majorité parlementaire du Parti travailliste ne souhaite pas « attiser la question de Powell[32] ». Cependant, le député travailliste Tony Benn déclare :
« Le drapeau du racisme qui a été hissé à Wolverhampton commence à ressembler à celui qui flottait il y a 25 ans au-dessus de Dachau et Belsen. Si nous ne nous prononçons pas maintenant contre la propagande raciste, sale et obscène [...], les forces de la haine marqueront leur premier succès et mobiliseront leur première offensive. [...] Enoch Powell est devenu le véritable chef du Parti conservateur. C'est un personnage bien plus fort que Mr. Heath. Il dit ce qu'il pense ; Heath ne le fait pas. La dernière preuve du pouvoir de Powell est que Heath n'ose pas l'attaquer publiquement, même quand il dit des choses qui dégoûtent les conservateurs décents[32]. »
Selon la plupart des témoignages, la popularité des idées de Powell sur l'immigration a peut-être joué un rôle décisif dans la victoire surprise des conservateurs aux élections générales de 1970, bien que Powell soit devenu l'un des opposants les plus farouches au gouvernement Heath qui fut créé[2],[3]. Dans une « recherche exhaustive » sur les élections, le sondeur américain Douglas Schoen (en) et l'académicien R. W. Johnson (en) de l'université d'Oxford pense qu'il « incontestable » que Powell avait attiré 2,5 millions de voix auprès des conservateurs, mais à l'échelle nationale, le vote des conservateurs n'avait augmenté que de 1,7 million depuis 1966[3]. Dans sa propre circonscription à cette élection — sa dernière à Wolverhampton —, sa majorité de 26 220 voix et 64,3% des voix était alors la plus élevée de sa carrière.
En 1977, lors d'une interview, Powell s'est vu poser la question suivante : « Neuf ans après le discours, sommes-nous toujours à votre avis sur une sorte de bûcher funéraire ? » :
« Oui, j'ai été coupable, je suppose, je l'ai déjà dit, d'avoir sous-estimé plutôt que surestimé. Et je repensais aux chiffres dont je parlais alors en 1968 pour la fin du siècle. Rappelez-vous mes estimations qui ont été considérées avec un tel ridicule et dénoncées, que les universitaires me pardonnent, elles sont inférieures à l'estimation officielle que les Franks[Qui ?] ont rapportée en début d'année. Donc, dans l'ensemble, j'ai sous-estimé, peut-être que c'est une faute, l'ampleur et le danger. »
Puis il lui est demandé : « Quelle est maintenant selon vous la perspective probable ? Toujours le Tibre écumant de sang ? » :
« Ma perspective est que les personnalités politiques de tous les partis diront « Eh bien Enoch Powell a raison, nous ne disons pas cela en public mais nous le savons en privé, Enoch Powell a raison et cela se développera sans aucun doute comme il le dit. Mais c'est mieux pour nous de ne rien faire maintenant, et de laisser cela se produire peut-être après notre temps, plutôt que de saisir les nombreuses orties vénéneuses que nous aurions à saisir si nous tentions d'éviter le résultat. Alors laissez-le continuer jusqu'à ce qu'un tiers du centre de Londres, un tiers de Birmingham, Wolverhampton, soient colorés, jusqu'à ce que la guerre civile arrive, laissez-le continuer. Nous ne serons pas blâmés, soit nous serons partis, soit nous nous échapperons d'une manière ou d'une autre[33] »
Des sondages dans les années 1960 et 1970 montrent que les opinions de Powell étaient populaires dans la population britannique à l'époque[34]. Un sondage de Gallup, par exemple, montrent que 75% de la population était favorable aux opinions de Powell[35]. Un sondage NOP montre qu'environ 75 % de la population britannique était d'accord avec la demande de Powell de stopper complètement l'immigration non-blanche, et environ 60 % étaient d'accord avec son appel à la ré-émigration des non-blancs déjà présents en Grande-Bretagne[34].
Le discours des « fleuves de sang » est accusé d'avoir provoqué une vague de paki-bashing, de violentes attaques contre la communauté pakistanaise et autres venant du sous-continent indien, qui deviennent fréquentes après le discours de 1968[36]. Cependant, il y a « peu de consensus sur la mesure dans laquelle Powell était responsable de ces attaques racistes »[37]. Ce dénigrement des Pakistanais a finalement culminé dans les années 1970 et 1980[36].
Powell est mentionné dans les premières versions de la chanson Get Back des Beatles de 1969[38],[39]. Cette première version de la chanson, connue sous le titre provisoire No Pakistanis, parodie les idées anti-immigration d'Enoch Powell[40].
Le , Eric Clapton provoque un tollé et une controverse persistante quand il se prononce contre l'immigration grandissante durant un concert à Birmingham. Visiblement en état d'ébriété, Clapton exprime son soutien au discours controversé et annonce sur scène qu'il y avait danger que la Grande-Bretagne devienne une « colonie noire ». Entre autres choses, Clapton déclare : « Gardez la Grande-Bretagne blanche[41] ! », ce qui était le slogan du Front national britannique (NF) à l'époque[42],[43].
En novembre 2010, l'acteur Sanjeev Bhaskar rappelle la peur que le discours a instillée chez les Britanniques d'origine indienne : « À la fin des années 1960, Enoch Powell était une figure assez effrayante pour nous. Il était la seule personne qui représentait un retour forcé, et nous avions donc toujours des valises prêtes. Mes parents pensaient que nous devions peut-être partir[44] ».
Tandis qu'une partie de la population blanche semblait rejoindre les idées du discours de Powell, l'auteur noir Mike Phillips estime qu'il a légitimé l'hostilité, voire la violence, envers les Britanniques noirs comme lui[45].
Dans son livre The British Dream (2013), David Goodhart affirme que le discours de Powell « a repoussé à plus d'une génération un débat vigoureux sur les succès et les échecs de l'immigration »[46].
« Juste au moment où une discussion aurait dû commencer sur l'intégration, la justice raciale et distinguer le raisonnable des plaintes racistes des blancs dont les communautés étaient en train de se transformer, il a polarisé l'argument et l'a fermé[46]. »
Après le discours de Powell, il y a eu des tentatives pour localiser la citoyenne de Wolverhampton qu’il décrit comme victime de résidents non-blancs. Le rédacteur en chef du journal local Express & Star, Clement Jones (un ami proche de Powell qui a rompu ses relations avec lui à cause de la controverse), affirme ne pas avoir réussi à identifier la femme en question à partir de la liste électorale et d'autres sources[47].
Peu de temps après la mort de Powell, Kenneth Nock, un avocat de Wolverhampton, a écrit au Express and Star en avril 1998 en prétendant que son cabinet avait défendu la femme en question, mais qu'il ne pouvait pas la nommer en raison du secret professionnel[48]. En janvier 2007, l'émission Document sur la BBC Radio 4, déclaration reprise par le Daily Mail, affirme avoir découvert l'identité de la femme en la personne de Druscilla Cotterill (1907-1978), la veuve de Harry Cotterill, un sergent de la Royal Artillery mort durant la Seconde Guerre mondiale[49] (elle était également la cousine au deuxième degré de Mark Cotterill (en), une figure de l'extrême droite britannique[50]). Elle vivait à Brighton Place à Wolverhampton qui, dans les années 1960 était principalement peuplé de familles d'immigrés. Afin d'augmenter ses revenus, elle avait mis les chambres de sa maison en location, mais ne souhaitait pas de locataires noirs et a définitivement cessé de louer après l'entrée en vigueur de la loi sur les relations raciales de 1968 qui interdisait la discrimination raciale en matière de logement. Elle a verrouillé ses chambres d'amis et ne vivait plus que dans deux pièces de sa maison[49].
Au Royaume-Uni, notamment en Angleterre, « Enoch [Powell] avait raison » (Enoch was right) est une phrase de rhétorique politique, invitant à comparer les aspects de la société anglaise actuelle avec les prédictions faites par Powell dans son discours des « fleuves de sang »[51]. Cette phrase implique une critique des quotas raciaux, de l'immigration et du multiculturalisme. Des badges, des t-shirts et autres articles portant le slogan ont été produits à différents moments au Royaume-Uni[52],[53]. Powell obtient le soutien autant des électeurs de droite que de gauche, et traditionnellement des populations de travailleurs de gauche, pour sa position anti-immigration.
Powell a également le soutien de l'extrême-droite britannique. Des badges, des t-shirts et des magnets pour réfrigérateur avec le slogan « Enoch avait raison » (Enoch was right) sont régulièrement visibles lors de manifestations d'extrême droite, selon Vice News[52]. Powell est également présent sur les réseaux sociaux, avec une page Enoch Powell sur Facebook gérée par le groupe d'extrême-droite Traditional Britain (en) qui réunit plusieurs milliers de likes, et des pages similaires qui affichent « des mèmes et articles racistes du Daily Mail[52] » ont le même succès[52], tout comme la page facebook du nationalisme britannique et du parti anti-immigration Britain First[54].
Dans l'émission The Trial of Enoch Powell d'avril 1998 sur Channel 4, à l'occasion du trentième anniversaire de son discours des « fleuves de sang » (et deux mois après sa mort), 64% des spectateurs du plateau votent que Powell n'était pas raciste. Certains de l'Église d'Angleterre, dont Powell était membre, avait un avis différent. À la mort de Powell, Wilfred Wood (en), l'évêque de Croydon, né à la Barbade, déclare : « Enoch Powell a donné un certificat de respectabilité aux opinions racistes blanches que des personnes autrement décentes auraient honte de reconnaître[55] ».
En mars 2016, l'écrivain allemand de droite Michael Stürmer écrit un article rétrospectif pro-Powell dans Die Welt, estimant que personne d'autre n'avait été « puni si impitoyablement » par les autres membres du parti et les médias pour leurs points de vue[56].
Le , le militant politique britannique et rédacteur de Breitbart News Raheem Kassam auto-publie Enoch Was Right: 'Rivers of Blood' 50 Years On, dans lequel il défend Powell et soutient que son discours des « fleuves de sang » s'est réalisé[51].
En octobre 2018, les conservateurs de l'université de Plymouth expriment leur soutien au discours en arborant la phrase « Enoch avait raison » (Enoch was right) sur les vêtements portés lors d'un rassemblement[57].
Dans une interview à Today (en), Margaret Thatcher déclare, peu de temps après son départ du poste de Premier ministre en 1990, que Powell avait « présenté un argument valable, bien qu'en des termes parfois regrettables[58] ».
Trente ans après le discours, Edward Heath déclare que les remarques de Powell sur le « fardeau économique de l'immigration » n'avaient pas été « sans prescience[58] ».
Le député travailliste Michael Foot fait remarquer à un journaliste qu'il était « tragique » que cette « personnalité exceptionnelle » ait été largement mal comprise comme prédisant une réelle effusion de sang en Grande-Bretagne, alors qu'en fait il avait simplement utilisé la citation de l'Énéide pour communiquer son propre sentiment d'appréhension[58].
En novembre 2007, Nigel Hastilow (en) renonce comme candidat conservateur pour la circonscription de Halesowen and Rowley Regis après avoir écrit un article dans l'Express & Star de Wolverhampton qui comprend cette déclaration : « Enoch, autrefois député de Wolverhampton Sud-Ouest, a été limogé du Parti conservateur et marginalisé politiquement pour son discours des « fleuves de sang » de 1968, alors qu'il avertissait qu'une immigration incontrôlée changerait irrévocablement la Grande-Bretagne. Il avait raison et l'immigration a radicalement changé le visage de la Grande-Bretagne[59],[60] ».
En janvier 2014, Nigel Farage, chef du Parti UKIP, après avoir été informé au cours d'une interview qu'une déclaration qu'il venait de lire venait du discours de Powell, il déclare : « Eh bien, il avertissait qu'avec un grand afflux de personnes dans une zone, qui changeait l'identité de cette zone, il y aurait des tensions - le principe de base est juste[61] ». En juin de la même année, en réponse aux accusations du scandale du cheval de Troie (en) islamiste, l'ancien ministre conservateur Norman Tebbit écrit dans le Daily Telegraph, « Personne n'aurait dû être surpris de ce qui se passait dans les écoles de Birmingham. C'est précisément ce dont je parlais il y a plus de 20 ans et Enoch Powell mettait en garde bien avant cela. Nous avons importé beaucoup trop d'immigrants qui sont venus ici non pas pour vivre dans notre société, mais pour reproduire ici la société de leur patrie[62] ». Le député conservateur Gerald Howarth déclare sur le même sujet : « De toute évidence, l'arrivée de tant de personnes de confession non chrétienne a posé un défi, et beaucoup d'entre nous, y compris feu Enoch Powell, l'avaient prévenu il y a des décennies[63] ».
En avril 2018, le dirigeant d'UKIP au Pays de Galles, Neil Hamilton, déclare que « l'idée qu'Enoch Powell était une sorte de méchant uniquement raciste est un non-sens absolu ». Il affirme que les arguments de Powell ont été « démontrés par les événements » en termes de changement social sinon de violence. En réponse, le chef du Plaid Cymru, Leanne Wood, accuse Hamilton de « maintenir la rhétorique raciste de Powell ». L'homme politique travailliste Hefin David (en) qualifie le commentaire de Hamilton de « scandaleux[64] ».
Le discours est le sujet de la pièce de théâtre What Shadows (en) de Chris Hannan, jouée à Birmingham du 27 octobre au 12 novembre 2016, avec Ian McDiarmid dans le rôle de Powell et George Costigan (en) dans celui de Clem Jones[65].
Le roman The Speech d'Andrew Smith, qui se déroule à Wolverhampton pendant les jours précédant et suivant le discours et avec Powell comme l'un des protagonistes du livre, est publié en octobre 2016[66].
En avril 2018, la BBC annonce que l'émission radiophonique Archive on 4 (en) diffusera 50 Years On: Rivers of Blood pour marquer le 50e anniversaire du discours[67]. Ian McDiarmid lira l'intégralité du discours, la première fois qu'il sera diffusé à la radio britannique, et il sera suivi de discussions et d'analyses. Dans les jours précédant la diffusion, un certain nombre de personnes ont critiqué la décision de la BBC de diffuser ce discours toujours controversé[68].
Texte original en anglais[69] : |
Traduction en français : |
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