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Soifs est un cycle romanesque de Marie-Claire Blais comprenant dix volumes parus entre 1995 et 2018. Son nom est également celui du premier volume de la série, Soifs, publié en 1995.
Soifs est à l’origine un roman indépendant, puis devient le premier tome de ce qui est conçu comme une simple trilogie, cette mention apparaissant sur la page de garde du deuxième volume, Dans la foudre et la lumière, paru en 2001. Cependant, l’auteure amplifie par la suite son œuvre en y ajoutant des volumes, laissant en suspens la question de sa longueur finale. Mais la parution du dixième tome, Une réunion près de la mer, en janvier 2018, met explicitement fin au cycle[1]. Cependant, l'auteure fera paraître par la suite deux autres romans centrés autour de personnage du cycle, qui constituent des embranchements greffés au tronc principal ; il s'agit de Petites Cendres ou la capture (2020) et Augustino ou l'illumination (paru de manière posthume en 2022).
Outre la longueur du cycle, les différents volumes qui le composent forment un seul paragraphe, sans interruption à part des virgules et de très rares points, avec un foisonnement de personnages. L’auteure exprime elle-même un certain scepticisme quant à la possibilité de rejoindre un lectorat avec une œuvre de prime abord d’un accès si difficile : « Qui aurait assez de patience dans notre monde surexcité pour lire ces pages »[2] dit-elle à propos du livre qu’un de ses personnages, l’écrivain Daniel n’arrive pas à terminer, mais cette phrase pourrait aussi bien s’appliquer à son propre cycle romanesque. La critique Chantal Guy abonde dans ce sens: « Ce n’est pas un cycle, c’est un cyclone », ajoutant : « il en faut du souffle au lecteur pour se lancer dans la phrase blaisienne, qui ne peut souffrir aucun moment d’inattention. » Mais il s’agit pour elle d’une qualité, puisque l’auteure « laissera assurément un incroyable et inépuisable héritage aux exégètes de son œuvre »[3].
Il s’agit d’une des œuvres de fiction les plus importantes de la littérature québécoise, d’abord en raison de son ampleur, mais également de son ambition. En ce qui a trait au style très particulier, Michel Biron le décrit comme « une immense phrase de 2 928 pages [...] À toutes les dix ou vingt pages, il y a bien un point qui apparaît pour stopper cette longue coulée narrative, mais la ponctuation forte est si rare que le lecteur la remarque à peine, emporté par l’énergie et le balancement hypnotique de cette écriture sans cesse relancée comme si elle voulait épouser le rythme de la mer. »[4] Pour sa part, Louis Hamelin parle de « cataractes verbales hypnotiques »[5]. Malgré l’absence de coupures entre les phrases, le fil de la narration passe d’un personnage à un autre de manière continuelle, mais suffisamment clairement pour que le lecteur s’y retrouve, entre autres parce que le nom du personnage concerné apparaît de manière régulière, servant de point de repère. Antonin Marquis explique bien le choix stylistique de Marie-Claire Blais: « Or, il est très probable que la forme du roman soit réfléchie et significative; l’auteure voulait peut-être suggérer un mouvement perpétuel, le flot de la vie qui s’écoule à travers les pages et les personnages, ou alors peut-être voulait-elle évoquer l’urgence de dire, la passion créatrice qui emporte tout sur son passage... »[6]
Les différents romans qui composent le cycle ne sont pas nécessairement organisés autour d’une suite d’actions, se situant plutôt à un moment précis de l’histoire des personnages, et ils détaillent les événements qui les ont menés à la situation actuelle. Le fil de la narration est plus circulaire que linéaire, revenant à répétition sur certains moments clés de la trame, et il faut parfois un certain temps pour que les personnages et les événements puissent être situés dans celle-ci, qui devient progressivement plus lisible. La profusion des personnages, identifiés simplement par leur prénom et souvent introduits sans la moindre description, constitue un autre défi pour le lecteur. Reconnaissant ce défi, l’auteure ajoute à la fin du dernier volume une liste descriptive des principaux personnages du cycle, mais cela ne sera utile que pour les lecteurs qui ne le découvriront pas au fur et à mesure de la parution des différents volumes. Il ne s’agit pas non plus d’un monologue intérieur, puisque la narration est en majorité conduite par un tiers, qui rapporte certaines paroles et pensées des personnages, mais en les considérant toujours d’un point de vue extérieur. S’y insèrent des apartés sur des événements tirés de l’actualité récente, parfois par le biais de l’écrivain Daniel qui cherche à pénétrer la psyché des protagonistes dans le cadre de l’immense roman qu’il écrit lui-aussi au fil des tomes.
La persévérance du lecteur est récompensée parce qu’il a accès à une fresque englobante qui décrit le monde de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, à partir d’une île des Antilles, où se situe le cœur de l’action. Marie-Claire Blais y intègre des faits divers et des événements historiques contemporains à l’action, parfois un peu remaniés mais néanmoins reconnaissables, qui ancrent les personnages dans la réalité et qui offrent des indices temporels pour situer l’action. Pour Yvon Paré, le roman décrit « les failles de l’Amérique [...] les souffrances, les errances, les obsessions, les peurs et la décadence » des États-Unis[7].
L’île où se déroule la majorité de l’action n’est pas nommée, mais elle intègre surtout des éléments de Key West, l’île où Marie-Claire Blais réside lors de la rédaction du cycle. On y retrouve une population métissée, avec de riches familles blanches ou de race mixte, une classe populaire d’origine africaine, de nombreux réfugiés venus d’autres îles comme Cuba ou Haïti, et des visiteurs venus du nord pour profiter du climat tropical. La beauté tropicale de l’île cache cependant une criminalité, des trafics de drogue et une violence importante, y compris un arrière-fond de racisme, avec les « Blancs chevaliers », inspirés du Ku Klux Klan, qui apparaissent de temps en temps dans le récit. L’auteure est aussi intéressée par des drames sociaux qui lui semblent révélateurs de l’âme humaine dans ce qu’elle a parfois de plus noir.
Les premiers volumes du cycle sont reçus avec enthousiasme, particulièrement Soifs qui reçoit le Prix du Gouverneur général. Cependant, la rigueur formelle de l’édifice en rebute plus d’un, et au fur et à mesure que les volumes s’accumulent, alors qu’il ne semble pas clair si l’auteure a encore un plan global en tête, plusieurs expriment une certaine lassitude. Mais comme l’explique la critique Chantal Guy, il s’agit souvent d’une simple réaction à un projet qui va à l’envers des codes du XXIe siècle, qui favorise la brièveté et le direct. Elle ajoute que comme elle était la seule parmi les critiques littéraires qu’elle connaissait à avoir lu les premiers tomes, son éditeur lui demandait systématiquement de faire la recension des suivants au rythme de leur parution, personne ne voulant avoir à lire le nombre de plus en plus imposant de volumes déjà publiés[8] ! On trouve d’ailleurs régulièrement des critiques qui se plaignent de ne pas se retrouver dans ce magma quand ils recensent le dernier volume paru sans le bénéfice d’avoir lu les premiers[9]. Une autre réaction commune est de se demander, surtout lorsque les derniers volumes du cycle paraissent, à quoi rime tout cet amoncellement de dialogues intérieurs qui semblent se répéter, puisque l’auteure n’a pas encore donné d’indications claires sur la finalité de l’œuvre : « On a un peu l’impression, par moments, de regarder un film sans le son, et d’être l’observateur distant de dialogues et de gesticulations dont on arrive difficilement à faire sens », écrira Christian Desmeules lors de la parution du 8e volume[10].
Cependant, malgré la perplexité des critiques littéraires face à cette entreprise démesurée, le milieu universitaire lui n’hésite pas à se pencher dès les premiers volumes dans une étude poussée de certains des thèmes du cycle. Ainsi les travaux critiques en littérature abordant différents aspects du roman abondent, et l’œuvre est dès l’abord une des plus étudiées dans les départements de lettres françaises du Canada, bien avant qu’elle ne soit complétée. Elle est également diffusée en France par le biais d’une coédition aux Éditions du Seuil, et dans le reste du Canada par la traduction en anglais des différents volumes, avec un retard de quelques années sur leur date de publication originale, même si ces traductions ne traversent presque pas les frontières du pays.
Lorsque le dernier volume parait au début de 2018, cependant, la réaction est unanime : la critique reconnaît qu’il s’agit d’une des œuvres majeures de la littérature québécoise qui vient de prendre sa forme finale[11], et cette publication est traitée comme un événement, avec articles dans les quotidiens et reportages radiophoniques. Les critiques sont élogieuses et invitent les lecteurs à se plonger dans cet univers englobant, insistant sur le fait que le caractère qui peut sembler hermétique de l’œuvre ne correspond pas à la réalité d’un roman très humain et qui a su percer la réalité du début du XXIe siècle mieux que n’importe quelle autre œuvre contemporaine, toute nationalité confondue[12],[13]. Les éditions du Boréal en profitent pour lancer une campagne publicitaire pour inciter les lecteurs à découvrir cette fresque en reproduisant les couvertures des neuf premiers volumes sur une affiche destinée aux librairies - cette approche est particulièrement efficace vu le soin qui a toujours été apporté aux couvertures des volumes dans cette édition originale, toutes très différentes mais également saisissantes sur le plan graphique. Pour sa part, la revue LQ (Lettres Québécoises) consacre immédiatement un numéro spécial à l’événement marquant que constitue la fin du cycle[14].
Les comparaisons qui reviennent le plus souvent sont avec À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, œuvre avec laquelle Soifs partage une ambition assumée et un foisonnement de personnages capturant la diversité d’une époque, et La Promenade au phare de Virginia Woolf, une des œuvres majeures qui utilise la technique du monologue intérieur. C’est d’ailleurs une phrase tirée de ce roman qui est en exergue du premier volume, et même si le roman de Virginia Woolf est plutôt bref, la tentative de capturer la complexité de la conscience humaine rapproche les deux œuvres. William Faulkner, un autre écrivain profondément ancré dans la réalité du sud des États-Unis, est aussi souvent évoqué.
En novembre 2022, le professeur d'université retraité Pierre-Éric Villeneuve, qui se décrit comme un reclus devenu un super-fan de Blais et en particulier de son œuvre maitresse, procède à une lecture publique des dix volumes du cycle dans une galerie d'art du quartier de Limoilou, à Québec, d'où est originaire l'auteure, projet s'étendant sur 17 jours. Commentant ce projet fou, il explique à la journaliste Chantal Guy de La Presse: « Je veux que tout le Québec se mette à l’heure de Marie-Claire Blais ! »[15]
Édition originale en 1995 aux éditions du Boréal; réédition en France en 1996 chez Seuil, en 1997 en format poche dans la collection Boréal Compact et en 2014 dans la collection Points n. 3335. Publié en anglais sous le titre These Festive Nights, traduit par Sheila Fischman, House of Anansi Press, 1997.
Le premier volume du cycle se situe au début des années 1990 (quoique certains commentateurs pensent plutôt le situer lors des derniers jours de 1999[16]) et tourne autour d’une fête organisée par Mélanie et Daniel pour célébrer le dixième jour de la naissance de leur fils Vincent. Y sont présents de nombreux invités, dont la tante de Mélanie, Renata, et son mari Claude, sa mère Esther, et les autres enfants du couple. De nombreux autres personnages participent à la fête, dont Vénus, qui chante avec le groupe engagé pour l’animation, et plusieurs écrivains. Sur cette célébration joyeuse plane quelques ombres, dont la mort récente de l’universitaire Jacques, victime du sida, ainsi que la tragédie d’un groupe de boat-people ayant péri dans le naufrage de leur embarcation de fortune (on est à l’époque du coup de force militaire qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide en 1993 et qui a provoqué un exode maritime d’Haïti vers les côtes de la Floride ou des Bahamas). Ce naufrage trouve son écho dans l’histoire d’Esther, dont les cousins ont péri dans un ghetto polonais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Soifs est couronné du Prix du Gouverneur général en 1996. Le caractère très touffu du roman, ainsi que sa qualité littéraire, ont suscité de nombreuses études universitaires cherchant à en dégager les thèmes, par exemple le rapprochement avec l’Enfer de Dante[17], ou encore son caractère mystico-religieux et ses liens avec l’Apocalypse de saint Jean[18]. La question de la place du mal dans la société et la réaction des personnages face à celui-ci intéresse aussi les commentateurs[19].
Édition originale en 2001 aux éditions du Boréal ; réédition en France en 2002 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Thunder and Light, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2001.
Le deuxième tome se situe à la fin des années 1990, en tout cas quelques années après le premier tome puisque Vincent, nouveau-né dans Soifs, a maintenant commencé à fréquenter l’école. Le roman tourne autour d’un incident sur lequel il revient à plusieurs reprises, alors que le jeune Carlos tire au pistolet sur son ami Lazaro qui l’accuse de lui avoir volé une montre de marque Adidas. Carlos brandit un fusil qu’il ne croit pas être chargé, mais blesse son ami à la jambe et va se cacher chez sa sœur Vénus. Le roman se termine sur un autre grand rassemblement, cette fois-ci sur une île inhabitée à l’occasion de la mort du poète Jean-Mathieu alors que ses cendres sont dispersées dans la mer. Le roman oppose également deux tragédies aériennes, celle réelle de Jessica Dubroff tuée à l’âge de 7 ans en tentant d’être la plus jeune pilote à traverser les États-Unis, et une autre, fictive, d’un vol entre la France et l’Amérique centrale dans lequel ont pris place Renata et Claude avant de le quitter à New York (il s’écrasera quelques heures plus tard dans les montagnes du Honduras). Plusieurs faits divers caractéristiques de la fin de la décennie des années 1990 sont aussi évoqués : les suicides collectifs de l’Ordre du Temple solaire, l’assassinat de touristes à Louxor en Égypte, les massacres aux armes à feu commis dans les écoles comme à Columbine, et la peine de mort prononcée contre des meurtriers mineurs aux facultés mentales limitées sont également évoqués.
La critique a bien accueilli la suite inattendue du cycle, soulignant à nouveau la vigueur de la prose et la volonté de l’auteure de contraster le noir et le blanc, l’horreur et la poésie, le calme et la violence[20],[21].
Nigel Spencer a reçu un premier Prix du Gouverneur général : traduction du français vers l'anglais pour sa traduction de l'ouvrage.
Édition originale en 2005 aux éditions du Boréal ; réédition en France en 2006 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Augustino and the Choir of Destruction, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2007.
Le tome 3 se situe cinq ans après le tome 2. Carlos a été arrêté et purge une peine de prison alors que Mélanie siège désormais au Sénat. Il s’ouvre sur une fête pour célébrer le 80e anniversaire d’Esther organisée par Tchouan, l’amie de Mélanie, et se termine le lendemain matin alors qu’une centaine de vaisseaux sont assemblés au large de l’île pour une parade à laquelle assistent de nombreux personnages. Parmi les événements contemporains relatés dans le roman figure l’histoire d’Elián González, nommé José Garcia dans le roman, petit garçon cubain rescapé par miracle d’une embarcation de fortune alors que sa mère s’est noyée et qui aboutit chez un grand oncle en Floride tandis que son père, resté à Cuba, plaide pour son retour. L’auteur parle également des frères Menéndez, issus d’un milieu très aisé, qui assassinent leurs parents et essaient de maquiller leur crime afin de récupérer leur héritage, et des événements du 11 septembre 2001 ainsi que la peur des attentats à l’anthrax qui s’est installée peu après les attaques.
Bien que le nom d’Augustino, deuxième fils de Mélanie, figure dans le titre, il joue un rôle plutôt passif dans le volume, alors qu’il passe la nuit de la fête chez lui, à écrire. Les thèmes de ce volume sont le vieillissement, d’abord celui d’Esther, mais aussi de Caroline, désormais confinée à domicile, et de Charles, qui a abandonné son amant de longue date, Frédéric, miné par la maladie, pour un jeune homme, Cyril, que ses amis rejettent, et qui le quittera à la fin du tome.
Lors de sa publication, le roman est décrit par plusieurs critiques comme le dernier volet de la trilogie, bien que l’édition originale ne comprenne plus de mention à cet effet, et que de nombreuses histoires restent en suspens à la conclusion du volume[22],[23]. Malgré ce malentendu sur l’ampleur finale du projet, les critiques reconnaissent qu’il constitue déjà une œuvre grandiose à nulle autre comparable dans la littérature québécoise. Marie-Claire Blais reçoit d’ailleurs le Prix Gilles-Corbeil cette même année et Radio-Canada y voit le « couronnement d’une œuvre » complétée par ce qui est considéré comme le dernier volume de la trilogie[24]. Au-delà de l’accueil immédiat, les critiques s’intéressent particulièrement à l’utilisation par l’auteure des événements du 11 septembre comme métaphore de la destruction d’un monde, qui trouve son parallèle dans la disparition de certains personnages[25].
Nigel Spencer a reçu le Prix du Gouverneur général : traduction du français vers l'anglais pour sa traduction de l'ouvrage vers l'anglais.
Édition originale en 2008 aux éditions du Boréal; réédition en France en 2009 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Rebecca, Born in the Maelstrom, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2009.
Le tome 4 s’ouvre six ans plus tard, alors que Vénus a 25 ans et a eu une fille prénommée Rebecca qui a six ans et étudie à l’école primaire. Son frère Carlos, toujours en prison, a 21 ans et devra bientôt être jugé comme adulte. Le tome se déroule aux approches de la fête de Noël, célébrée par une parade flottante en ville et pour laquelle la famille de Mélanie se réunit pour une autre fête rassemblant parents et amis. À l’extérieur, la Guerre d'Irak a commencé à faire des victimes parmi les jeunes gens des environs. La communauté est aussi ébranlée par l’histoire d’un adolescent de bonne famille qui a pris le bateau de son père et tué par accident deux jeunes enfants qui faisaient de la plongée près du port, aggravant son geste en cherchant ensuite à s’enfuir. L’ouragan Katrina, qui a dévasté La Nouvelle-Orléans, est aussi évoqué, de même que l’histoire d’Andrea Yates, mère qui a noyé ses cinq enfants et l’attaque au gaz sarin de la secte Aum Shinrikyo contre le métro de Tokyo.
La critique admire toujours la beauté des images et la qualité de la phrase de l’auteur, mais on sent déjà que certains, qui ne se sont pas nécessairement familiarisés avec les premiers volumes du cycle, ont de la difficulté à situer les personnages[26]. Les commentaires accrochent aussi sur les « tourments » évoqués dans le titre, qui interpellent dans une ère de "guerre contre le terrorisme", à laquelle l’auteure semble opposer la force de la création littéraire comme antidote, mais également sur l’impossibilité à communiquer - entre Vénus et son père le pasteur Jérémy, entre les deux écrivains que sont Daniel et son fils Augustino, ce qui résulte en une polyphonie de discours parallèles[27]. Le volume est le deuxième du cycle à recevoir le Prix littéraire du Gouverneur général du Canada, catégorie Romans et nouvelles en français, étant couronné en 2008.
Édition originale en 2010 aux éditions du Boréal; réédition en France en 2011 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Mai at the Predators’ Ball, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2012.
Le tome 5 se situe quelque cinq années plus tard alors que Mai a 15 ans, et s’ouvre immédiatement après le décès par surdose de Fatalité, une des danseuses transsexuelles du saloon Porte du Baiser. Toutes les danseuses et les habitués du saloon se joignent à la procession funéraire organisée à sa mémoire. Les soirées au club et les relations entre les danseuses y sont décrites en détail, avec le patron androgyne Yinn, son mari Jason, et les personnages de Herman, Flavian, Geisha, Robbie, Cœur Vaincu et Cobra apparaissant pour la première fois. L’action se déroule alors que viennent d’être célébrés en Californie les premiers mariages entre conjoints de même sexe. Un titre alternatif pour le roman aurait pu être « les rêves habités par les morts », puisque ceux-ci surprennent plusieurs personnages — Esther, Daniel et Yinn.
Le « bal des prédateurs » du titre contraste avec le bal de la pureté où Daniel amène sa fille Mai, pensant ainsi la détourner de son attrait pour les hommes potentiellement dangereux. Dans le roman, elle quitte son domicile un soir en prétendant aller chez une amie pour plutôt la retrouver sur la plage où se déroule une fête où l’alcool coule à flots et les drogues sont nombreuses. Elle y rencontre un vrai prédateur — un soldat en permission d’Afghanistan — mais elle sauve plutôt son amie du danger, la ramenant saine et sauve chez elle après qu’elle ait trop bu et souillé ses vêtements. On apprend finalement que la fête s’est terminée par une descente de police, à laquelle les deux jeunes filles ont échappé.
Le romancier Louis Hamelin a comparé ce tome à Tandis que j'agonise de William Faulkner, le personnage d’Esther, en fin de vie, étant au centre de la communauté comme l'est le personnage central du roman de Faulkner ; il souligne également les similitudes de style entre les deux écrivains. Il note cependant que les différentes trames ne se rejoignent pas et que le tout ne mène pas à une conclusion, ce qui rend difficile la lecture du roman hors du cycle dont il fait partie, malgré la richesse de la description de la communauté des travestis nocturnes[28]. Pour sa part, Jacques Julien note que le roman constitue avant tout une expérience esthétique, puisqu'on n’y apprend rien de neuf sur le monde cosmopolite décrit par l’auteur « avec un grand angle », mais qu’il a l’intérêt de placer la marge au centre, en faisant de la communauté des travestis le cœur du roman[29].
Nigel Spencer a reçu pour la troisième fois le Prix du Gouverneur général : traduction du français vers l'anglais pour sa traduction ; il avait aussi reçu le prix pour sa traduction de deux des tomes précédents du cycle.
Édition originale en 2012 aux éditions du Boréal; réédition en France en 2012 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Nothing for You Here, Young Man, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2014.
Le titre du tome 6 se réfère au premier livre écrit par Augustino, Lettre à des jeunes gens sans avenir, dans lequel il fustige ceux qui ont acculé l’humanité à une destruction presque certaine en favorisant le développement des armes nucléaires. Les images d’Apocalypse sont d’ailleurs nombreuses dans le tome, celle de la ville d’Hiroshima anéantie par la bombe nucléaire, des ouragans qui déchirent la vie de Bryan, ou encore du projet du musicien Fleur de composer un opéra sur la fin du monde
L’action tourne autour du quartier défavorisé de la rue Bahama, où vivent dans la rue l’ancien enfant prodige de la musique Fleur, la punkette Kim, et l’écrivain Bryan, traumatisé par les ouragans. Tout près de là loge Petites Cendres, qui a désormais perdu toute volonté de danser, alors que le saloon et Yinn sont dans une période de grande prospérité après une tournée triomphale en Asie. L'ami de Petites Cendres Robbie essaie de la sortir de son aboulie. Tous ces personnages et quelques autres pourraient être qualifiés de jeunes personnes sans avenir. Comme plusieurs des tomes précédents, celui-ci s’achève sur un décès, celui du danseur transsexuel Herman qui s’effondre pendant la cérémonie de couronnement de Robbie comme reine du carnaval.
L’action se déroule un peu après le décès du chanteur Michael Jackson, deux ans après le tome 5, puisque Rudie avait alors quatre ans et qu’il va maintenant fêter ses six ans. On apprend aussi en passant le décès d’Esther, personnage qui a joué un rôle important dans les tomes précédents. L’auteure évoque le phénomène de l’intimidation des jeunes en milieu scolaire, avec l’histoire d’une jeune fille nommée Phœbe, acculée au suicide par les persécutions de ses camarades de classe. L’auteure parle aussi du déversement de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010, ainsi que le procès des dirigeants des Khmers rouges.
Le volume est distingué par le Grand prix du livre de Montréal en 2012. Lors de sa réception, les critiques commencent à percevoir qu’il s'agit d'une œuvre massive et renoncent à l’interpréter eux-mêmes, cherchant plutôt à interviewer l’auteure pour qu’elle fournisse elle-même des clés de lecture[30]. Cependant, Andrée Ferretti essaie de faire une première sommation du cycle, relevant ses principaux thèmes : la noirceur de l’avenir qui appelle à un bouleversement, la marginalité, la compassion et exprime clairement l’opinion que le lecteur se trouve face à un chef-d’œuvre en devenir[31]. C’en est fini de l’agacement à l'égard du parti-pris stylistique unique : ceux qui n’ont pas embarqué ont décroché depuis longtemps, et ne restent que ceux qui peuvent apprécier la richesse du monde en création. Le sentiment qu’on se mesure à une œuvre incontournable malgré son abord intimidant est d’ailleurs confirmé par le grand nombre de critiques publiées dans des médias de masse lors de la sortie du livre, alors que certains des tomes précédents n’avaient été recensés que par les « Happy Few »[32].
Édition originale en 2014 aux éditions du Boréal; réédition en France en 2014 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre The Acacia Gardens, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2016.
Le tome 7 s’ouvre à nouveau sur le personnage de Petites Cendres, qui réside cette fois dans la maison de retraite pour les anciennes danseuses que Yinn a fait ouvrir, au centre d’un nouveau développement paradisiaque nommé les Jardins des Acacias, qui donne son titre au volume. C’est Yinn qui finance la présence de Petites Cendres dans ce lieu luxueux, alors qu’il est suggéré que c’est parce qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre. Le thème du sida est présent depuis le premier volume avec la mort de l’universitaire Jacques, clairement victime de cette maladie même si elle n’est jamais nommée. Les Jardins comprennent d’ailleurs un mur dédié à la mémoire des victimes du sida sur l’île, dont certaines qui sont apparues précédemment dans le cycle. En parallèle, le tome revient sur le musicien Fleur, qui a fait jouer avec succès sa Nouvelle symphonie à New York et s’est vu offrir d’effectuer une tournée de spectacles en Europe. Il est attiré par la faune des marginaux et tombe à Paris sous l’influence d’un personnage qui a un côté maléfique, Wrath, mais décide finalement de quitter cette vie et d’accepter le succès qui s’offre à lui. L’action se déroule alors que Mai, née entre les tomes 1 et 2, est à l’université.
L’auteure évoque l’affaire John Demyanyuk, cet ancien garde sadique d’un camp de concentration nazi qui s’est ensuite installé aux États-Unis et y a mené sous un nom d’emprunt une vie tranquille jusqu'à ce que son passé le rattrape plusieurs décennies plus tard. Elle évoque aussi les scandales liés à la pédophilie, au sein de l’Église catholique, parmi les pédiatres et autres figures d’autorité, et les touristes sexuels en Thaïlande qui tous finalement commencent à ressentir l’étau d’une justice tardive se resserrer autour d’eux. Elle parle également de la légalisation récente du mariage pour tous, et de la réaction de certains commerçants qui refusent de fournir des services aux mariages entre conjoints de même sexe.
Le roman oppose clairement le jardin d'Eden que constituent les Jardins des Acacias, avec l’enfer des souterrains sous les ponts parisiens, où règne le personnage méphistophélique de Wrath, point central du roman. Celui-ci est cependant complexe, puisqu'à part son côté sombre de prêtre pédophile déchu, il est aussi celui qui encourage Fleur à ne pas sombrer dans la facilité qui consisterait à retourner à sa vie de marginal incompris, mais d’accepter son rôle d’artiste créateur - et les obligations qui s’y rattachent. Encore une fois le roman est couronné de critiques élogieuses dans les plus grands médias francophones: La Presse[33], Le Devoir[34] et Le Monde[35], par exemple.
Édition originale en 2015 aux éditions du Boréal ; réédition en France en 2016 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre A Twilight Celebration, traduit par Nigel Spencer, House of Anansi Press, 2019.
Le tome 8 s’ouvre alors que Daniel vient d’arriver en Écosse afin de participer à une grande conférence d’écrivains en faveur de la paix, qui sera justement couronnée par un festin au crépuscule quelque part dans les montagnes. Il est cependant hanté par des écrivains absents, et particulièrement Suzanne, morte un peu plus tôt d’un suicide assisté, son ami le poète brésilien Rodrigo, qu’il imagine chassé de son pays et habillé de lambeaux, rejeté par la société polie, et son fils Augustino, qui ne donne plus signe de vie. En contraste, la banalité des écrivains qui sont présents à la rencontre l’afflige. Il doit par ailleurs prononcer un discours lors de ce festin, et ignore par quel bout l’aborder.
L’action se déroule alors que la question de la transsexualité est très présente dans l’actualité, y compris le débat emblématique sur l’utilisation des toilettes publiques, ainsi que le suicide de jeunes se sentant rejetés et les lois répressives adoptées par certains États. L’époque est aussi à la résurgence des mouvements suprémacistes blancs qui se rendent coupables de massacres atroces. L’auteure y raconte aussi le parcours du compositeur classique contemporain John Tavener, miné par la maladie, mais néanmoins génial, avec qui elle fait un parallèle avec Beethoven, et avec le personnage du musicien Fleur, qui rencontre ses premiers succès lors d’une tournée européenne.
Le roman tourne autour du thème du rôle prophétique de l’écrivain et de l’artiste, ainsi que le poids du fardeau qu’ils portent d’expliquer le monde à leurs contemporains. La difficulté de Daniel de terminer son grand roman est un symptôme de cet état, déconcerté qu’il est par la violence du monde - il pense lors de sa conférence raconter l’anecdote de jeunes filles, l’une Palestinienne et l’autre Israélienne, toutes deux tuées lors d’attentats terroristes. Il fait d’ailleurs partie des chanceux, puisque plusieurs de ses collègues originaires de pays en développement ne peuvent même pas se rendre à la conférence[36].
Édition originale en 2017 aux éditions du Boréal ; réédition en France en 2017 chez Seuil. Publié en anglais sous le titre Songs for Angel, traduit par Katia Grubisic, House of Anansi Press, 2021.
Le tome 9 s’ouvre avec Robbie, Petites Cendres et Mabel, accompagnée de son perroquet, se dirigeant vers la plage des Pélicans en hommage au jeune Angel, qui vient de mourir et dont c’était l’endroit favori. D'autres proches et amis convergent aussi vers la plage isolée, y compris Misha, le chien de Bryan, qui est inconsolable depuis le décès du jeune garçon. Parallèlement, Daniel est à insérer dans son roman jamais terminé l’histoire du jeune homme blanc qui à Charleston a tué une douzaine de paroissiens noirs d’une église méthodiste, par pure haine raciale, et plonge profondément dans les pensées du jeune homme. On apprend également ce qui s’est passé immédiatement après la fin du tome 8, qui s'est terminé alors que Daniel s’apprêtait à donner une conférence à la rencontre des écrivains pour la paix en Écosse : son fils Vincent y était présent sans que Daniel ne le sache, et il surprend son père pour le féliciter à la fin de son discours, ce qui lui fait beaucoup de bien. Mais quand il rentre sur l’île après la conférence, Daniel trouve la maison vide. Le livre se termine alors qu’arrivés sur la plage, les amis d’Angel répandent ses cendres à la mer pendant qu’un chœur chante pour accompagner la cérémonie, d’où le titre du volume.
Parmi les événements de l’actualité mentionnés dans le tome, l’auteure évoque la loi de l’état de la Caroline du Nord retirant aux personnes transsexuelles le droit de fréquenter les toilettes publiques correspondant à leur nouvelle identité. Elle trace également un parallèle entre la tuerie de Charleston et les exactions des combattants de l’État islamique contre les jeunes filles kurdes.
Un des thèmes principaux du tome est la réaction face aux humiliations subies dans l’enfance, autant le jeune assassin de Charleston qui croit se venger de diverses brimades qu’il aurait subies en s’en prenant à la communauté noire, une jeune fille qui se suicide sur une autoroute après avoir été humiliée publiquement sur internet par son père pour avoir fréquenté des garçons de son âge, ou les jeunes filles du Moyen-Orient transformées contre leur gré en bombes humaines. La figure d’Angel, qui a lutté courageusement contre la maladie et recherché la beauté du monde au cours de sa brève vie, y fait contraste.
Les critiques relèvent le tour de force qui consiste pour l’auteure à s’insérer dans la tête d’un suprémaciste blanc, symbole du mal profond qui afflige l’Amérique contemporaine[37]. L’auteure explique que pour elle, le geste commis par le tueur constitue un faux héroïsme lorsque l’on s’imagine que « les idées les plus terribles de la terre vont vous rendre célèbre » ; le livre parait d’ailleurs à peine quelques semaines après l'Attentat de la grande mosquée de Québec, où un autre de ces jeunes abreuvés de messages de haine s’est acharné à détruire l’autre qu’il ne parvient pas à comprendre et sur lequel il rejette la responsabilité de son mal-être[38]. Le talent pour la prophétie ne se limite pas à ce simple événement, puisqu'elle anticipe aussi l’élection de Donald Trump, évoqué indirectement dans le roman sous la forme d’un bouffon qui a un ballon rouge à la place du visage. Le rôle de l’auteure comme « analyste clinique et critique des maux sombres qui forment notre monde » est également souligné par la critique[39].
Édition originale en 2018 aux éditions du Boréal ; réédition en France en 2018 chez Seuil.
Le tome 10 s’ouvre alors que Daniel veut organiser une fête surprise pour les 18 ans de sa fille Mai au Grand Hôtel de l’île, propriété de son oncle Isaac. En parallèle, la mère de Carlos se rend en voiture dans une petite ville près d’Atlanta recueillir son fils, qui vient enfin d’être libéré de prison, après avoir accidentellement tiré sur son ami Lazaro dans le tome 2. De même, Robbie s’apprête à inaugurer son nouveau bar, Le Fantasque, décoré pour l’occasion avec l’aide de Yinn, Geisha et Petites Cendres. Il ne sait pas que la fête se terminera en bain de sang, alors qu’un inconnu fera sauter une bombe et tirera à l’arme automatique dans les lieux, dans un acte de folie semblable à celui qui a dévasté une discothèque d’Orlando en 2016.
Le tome permet de revenir sur les différents personnages qui sont apparus au cours du cycle et certains épisodes marquants, y compris plusieurs personnages qu’on n’avait pas revus depuis les premiers volumes ou qui sont morts en cours de route, ce qui donne clairement à ce tome la forme d’une sommation du cycle dans son ensemble. En parallèle avec ce retour en arrière, l’auteure évoque, à nouveau à travers l’imaginaire littéraire de Daniel, deux médecins nazis ayant mené des expériences abominables sur de jeunes enfants, Josef Mengele et Herta Oberheuser, et entre dans leurs pensées comme il l’avait fait dans celles du tueur de Charleston dans le tome précédent. Dans l’actualité, l’auteure évoque la guerre civile et la destruction du patrimoine culturel de la Syrie, ainsi que la politique des nouvelles autorités américaines visant à séparer les enfants des immigrants illégaux de leurs parents. En épilogue du livre, l’auteure dresse un tableau des personnages apparaissant au cours de la série.
Les critiques qui marquent la sortie du volume en profitent généralement pour faire eux-aussi une sommation du cycle, encourageant les lecteurs qui n’ont pas encore abordé l’œuvre à l’entamer à partir du début[40],[41]. Dans Le Devoir, Caroline Montpetit souligne que malgré toutes les horreurs qui peuplent les volumes du cycle, celui-ci se termine sur le mot « espoir », une indication que malgré le fait que l’auteure n’est pas dupe de la présence du mal, elle croit cependant qu’une force opposée existe[1]. On peut penser aux personnages de Bryan, Fleur, Mélanie, Yinn, le médecin Dieudonné ou Angel, qui constituent des anges du bien qui œuvrent chacun à leur façon à restaurer l’équilibre du monde perturbé par la présence si grande du mal. C’est d’ailleurs ce que Marie-Claire Blais explique à la journaliste: « C’est vrai que nous sommes à une époque où il y a beaucoup de mal et beaucoup de violence. C’est très difficile à vivre pour ceux qui sont sensibles à la souffrance des autres. Mais en même temps, l’espoir, c’est fondamental. Ça nous fait vivre. C’est notre instinct d’éprouver la joie de vivre et de survivre à tous les malheurs. Même si c’est difficile. »[1]
Le volume est le deuxième de la série à remporter le Grand prix du livre de Montréal, l’année de sa parution, après Le jeune homme sans avenir[42].
Une fois le dernier volume du cycle publié en 2018, Marie-Claire Blais fera paraître deux autres romans qui sans faire partie du tronc principal se rattachent clairement à cette œuvre puisqu'ils tournent tous les deux autour d'un des personnages du cycle.
Édition originale en 2020 aux Éditions du Boréal ; réédition en France en 2021 chez Seuil
Ce roman tourne autour du personnage de Petites Cendres (Ashley), une travestie qui est un des personnages principaux du cycle. L'action se déroule semble-t-il après ceux du cycle, alors que, afin de calmer une situation qui risque de dégénérer, Petites Cendres s'interpose quand un policier blanc armé s'apprête à arrêter un homme noir ivre, Grégoire. Cet incident occupe toutes les 200 pages du roman, intercalé de nombreux autres incidents et personnages dans un tourbillon rappelant les images du cycle principal[43]. À noter que le roman est publié quelques mois avant l'intervention policière à Minneapolis qui mènera au décès de George Floyd et déclenchera de nombreuses manifestations à travers les États-Unis, un autre exemple de la prescience de l'auteure qui est très au fait des tensions qui agitent l'Amérique et risquent à tout moment de déborder.
Édition originale (de manière posthume) en 2022 aux Éditions du Boréal.
Ce volume est nettement plus court que les autres puisqu'il ne compte que 95 pages dans l'édition originale (y compris la préface qui replace l'œuvre dans le contexte du cycle, et la biographie de l'auteur). Le manuscrit était d'ailleurs inachevé au moment du décès de l'auteure et a été publié tel quel. L'auteure reprend le fil de l'histoire d'Augustino, qui était un personnage marquant des troisième et quatrième volumes du cycle, mais qui n'apparaît plus directement par la suite, quoique son absence est soulignée à de nombreuses reprises. Ce roman permet d'expliquer ce qui lui est arrivé, son insatisfaction quant à sa capacité de remédier aux maux du monde par son seul travail d'écrivain, son installation en Inde où il soigne des malades d'un nouveau type de lèpre, la «lèpre bleue», dont il est lui-même infecté, ainsi que sa colère contre sa génération. Comme dans les romans du cycle, l'histoire du personnage principal est entremêlée de diversions se déroulant à une autre époque, dont la principale touche un ancien employé de banque allemand, le «voyageur ordinaire», qui vers la fin de la Seconde guerre mondiale a pratiquement tout perdu et commence à comprendre que ces trains qui amènent des hordes de gens hors de la ville les destinent aux camps de la mort, et que les quelques amis qui lui restent qui semblent prospérer le font grâce à une collaboration abjecte avec la machine de guerre[44]. Le voyageur croise également un violoniste qui continue à jouer malgré les destructions et qu'on devine être Joseph, le grand-pêre d'Augustino, qui aboutira lui-aussi dans les camps où les responsables le forcent à jouer pour leur diversion. On retrouve également un Donald Rumsfeld, appelé ici le «Grand Secrétaire», vieillissant sur son ranch, qui rédige ses mémoires afin de justifier les milliers de morts causés par l'invasion américaine de l'Iraq qui, pensait-il, devait être très brève et s'achever dès la chute du dictateur. L'auteure évoque aussi un groupe d'astronautes morts dans une mission spaciale et tombés dans l'océan Pacifique. De fait, toutes ces histoires occupent beaucoup plus d'espace que celle d'Augustino, mais il ne s'agissait peut-être pas de l'intention finale de l'auteure puisque le roman est inachevé
Les personnages foisonnent au cours du cycle. Ceux qui suivent sont parmi les principaux, qui reviennent régulièrement d’un roman à l’autre. L’auteure inclut une liste des personnages à la fin du tome 10, ce qui pourra aider les futurs lecteurs, même si ceux qui ont découvert l’œuvre au rythme de sa publication n’auront pas pu en bénéficier. Les personnages se rassemblent autour de milieux déterminés, certains communiquant entre eux et d’autres étant plutôt hermétiques.
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