La Collection philosophique est un groupe de manuscrits grecs contenant essentiellement des œuvres philosophiques, en particulier de tendance platonisante (Platon, Proclus, Damascius, Olympiodore, Simplicius, Jean Philopon), ce dont rend compte l'expression « collection platonicienne » par laquelle on la désigne aussi[1]. Son existence a été signalée pour la première fois en 1893 par T. W. Allen[2]; ces manuscrits sont datés du troisième quart du IXesiècle, ce qui correspond à la période dite de la renaissance macédonienne, dont ils constituent l'un des fleurons, et semblent avoir appartenu à un érudit byzantin[3] intéressé par la philosophie, et d'abord par Platon et ses « successeurs » (διάδοχοι[4]).
Caractéristiques générales
Allen[5] a identifié ce groupe de manuscrits comme formant un ensemble sur la base de critères tant codicologiques que paléographiques. Concernant la définition des traits communs à tous ces manuscrits[6], le lecteur se reportera à la bibliographie.
Les manuscrits de la collection
Westerink[7] a divisé les manuscrits de la collection en deux groupes en prenant pour critère l'identité du scribe. La classification des différentes mains suit la synthèse la plus récente, celle de Cavallo[8].
La première main
Un premier groupe est constitué de six manuscrits que l'on peut attribuer au même copiste:
Parisinus graecus 1807[9], désigné par le sigle A dans les éditions de Platon. Ce manuscrit, exceptionnel d'un point de vue paléographique pour la pureté du type de minuscule qu'il documente, contient les tétralogies VIII et IX de Platon, ainsi que les Définitions et les dialogues apocryphes circulant sous son nom. De ce fait, il est admis qu'il constitue la seconde partie d'un exemplaire des œuvres de Platon en deux volumes, dont le premier est perdu sous sa forme d'origine. L'étude la plus récente à laquelle il a donné lieu est l'article d'Henri Dominique Saffrey, « Retour sur le Parisinus graecus 1807, le manuscrit A de Platon », dans C. D'Ancona (dir.), The Libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.3-28. Pour l'auteur, le tome I de ce Platon en deux volumes « serait l’archétype du Marcianus app. gr. IV 1 (sigle T) » (op. cit., p.3), ce qui rejoint les positions de Diller[10] et de Carlini[11];
Parisinus graecus 1962, qui contient des conférences de Maxime de Tyr (fol. 1-145) et l'Enseignement des doctrines de Platon d'Alcinoos (fol. 147-175 recto);
Laurentianus 80,9 + Vaticanus graecus 2197, qui contient le Commentaire sur la République de Platon de Proclus. Bien qu'Allen mette en doute l'identité du copiste, celle-ci a été confirmée par Wilhem Kroll, Robert Devreese[12] et John Whittaker[13]. Les travaux les plus récents confirment cette attribution[14];
Parisinus suppl. graecus 921, qui contient onze feuillets d'un palimpseste du Commentaire sur le Timée de Platon de Proclus;
Marcianus graecus 246, le manuscrit A de Damascius, témoin unique des principaux écrits de cet auteur (Traité des premiers principes et Commentaire sur le Parménide de Platon). Une étude exhaustive en est donnée par Westerink dans son édition du texte[15]. Le copiste a inséré des corrections, des commentaires et des scolies qui témoignent d'une grande compétence tant philologique que philosophique. Le manuscrit comporte également des corrections de la main du cardinal Bessarion, son premier propriétaire connu;
Palatinus Heidelbergensis graecus 398, qui comprend des géographes mineurs[16], une chrestomathie de Strabon, des extraits de mythographes et de doxographes, ainsi que des correspondances (fictives) diverses[17]. D'après Cavallo, il reste à vérifier « si le codex a ou non été écrit en collaboration avec une autre main »[18].
Les autres mains
Un deuxième groupe est constitué de manuscrits copiés par d'autres mains, mais provenant du même scriptorium[19]:
Marcianus graecus 258, qui contient les Scripta minora d'Alexandre d'Aphrodise (Questions, apocryphes à l'exception du livre IV, Traité de l'âme et Traité du destin, à ne pas confondre avec le Traité de la providence transmis uniquement en arabe[21]) (folios 1 à 324) et le De tempore de Zacharie de Chalcédoine, un contemporain de Photius;
Vaticanus graecus 2249, qui contient les œuvres du Pseudo-Denys l'Aréopagite (Traité des Noms divins, Hiérarchie céleste, Hiérarchie ecclésiastique, Théologie mystique et Lettres) (fol. 1-163) et la Thérapeutique de Théodoret de Cyr (fol. 164-320);
Vaticanus graecus 1594, qui contient l'Almageste (Μαθηματική σύνταξις) de Ptolémée (folios 1 à 277);
Laurentianus 28.27, qui contient le De actionum auspiciis de Maxime d'Éphèse (folios 1 à 8) et les Apotelesmatica du Pseudo-Manéthon (verso du folio 8 à recto du folio 48);
Troisième main: Marcianus graecus 196, qui comprend des commentaires néoplatoniciens de dialogues de Platon: Commentaires d'Olympiodore sur le Gorgias, l'Alcibiade et le Phédon; Commentaires de Damascius sur le Phédon et le Philèbe (plus précisément, il s'agit dans tous les cas non pas d'œuvres écrites par ces auteurs, mais de notes de cours sur les dialogues concernés[23]). Ces deux derniers commentaires ont été faussement attribués à Olympiodore; c'est L. G. Westerink qui a démontré qu'ils devaient être en fait de Damascius[24];
Quatrième main: Marcianus graecus 226, qui contient les livres V à VIII du Commentaire de Simplicius à la Physique d'Aristote (folios 1 à 381);
Cinquième main: Marcianus graecus 236, qui contient le traité Sur l'éternité du monde contre Proclus de Jean Philopon. Ce manuscrit a été exclu de la collection par Allen, mais y est inclus par Jean Irigoin[25] (qui en explique les propriétés atypiques par son ancienneté supposée).
La question se pose de savoir s'il faut inclure dans la Collection philosophique deux manuscrits contenant des œuvres d'Aristote:
Hormis ces manuscrits conservés, on a pu suggérer que certains manuscrits perdus auraient appartenu à la Collection philosophique. En raison du caractère nécessairement conjectural de ces attributions, elles ne sont pas détaillées ici; le lecteur intéressé pourra se reporter à la liste qu'en dresse Westerink[27].
Cf. par exemple Jean Irigoin, « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople », dans Cahiers de civilisation médiévale, V, 1962, p.298: « [...] Les œuvres de Platon et ses successeurs dominent, au point qu'on peut parler de collection platonicienne ».
Sur l'identité du propriétaire de la collection, voir les remarques de L. G. Westerink (« Le texte du Traité des premiers principes », dans Damascius, Traité des premiers principes, t. I: De l'ineffable et de l'un, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p.LXXVI-LXXX), qui nie que l'on puisse l'identifier à Aréthas de Césarée, Photius — ce qui était l'hypothèse de Diller (« The scholia on Strabo », dans Traditio, X, 1954, p.45-47), appuyée par Irigoin — ou Léon le Philosophe. Certains détails relevés par Irigoin (p.299-300 de l'article cité précédemment) attestent néanmoins la proximité de la collection avec les cercles de Photius et de Léon (on constate par exemple qu'une partie du Parisinus graecus 1807, c'est-à-dire le manuscrit A de Platon, suit la recension du texte platonicien faite par Léon). Récemment, Marwan Rashed, « Nicolas d’Otrante, Guillaume de Moerbeke et la Collection philosophique », dans Studi medievali, III, 43, 2002, p.693–717 (en particulier p.713-717), a supposé que la Collection philosophique aurait pu être destinée à la bibliothèque du Palais impérial de la Magnaure, dans le cadre de la réorganisation des études supérieures à Constantinople entreprise par Bardas, mais cette hypothèse a suscité les réserves de Guglielmo Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. D'Ancona (dir.), The libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.158.
Sur ce terme, voir par exemple Marie-Odile Goulet-Cazé, « L'école de Plotin », dans Porphyre, La Vie de Plotin, t. I: Travaux préliminaires et index grec complet, par Luc Brisson et al., Paris, Vrin, 1982, p.252-253.
Pour les analyses paléographiques les plus récentes et les plus détaillées, voir Lidia Perra, « Scrittura e ornamentazione nei codici della Collezione filosofica », dans Rivista di studi bizantini e neoellenici, 28, 1991, p.45–111.
Guglielmo Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. D'Ancona (dir.), The Libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, p.155-165.
Un fac-similé intégral de celui-ci a été publié par Henri Omont, Platonis codex Parisinus A.: fac-similé en phototypie, Paris, Leroux, 1908. Le manuscrit a été numérisé et mis en ligne par la Bibliothèque nationale de France[lire en ligne].
Voir notamment la dernière synthèse en date, celle de G. Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. D'Ancona (dir.), The libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.155-165.
L. G. Westerink, « Le texte du Traité des premiers principes », dans Damascius, Traité des premiers principes, t. I: De l'ineffable et de l'un, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p.LXXXI-XC.
cf. Jean Irigoin, « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople », dans Cahiers de civilisation médiévale, V-19, 1962, p.299 (en ligne).
G. Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. D'Ancona (dir.), The libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.156.
Dans le cas de la Collection philosophique, il faut manier le terme de « scriptorium » avec précaution, car il semble que ce soit plutôt à un cercle d'érudits voués à la copie et à l'étude approfondie des grands textes de l'Antiquité qu'on doive les manuscrits de cette collection qui nous sont parvenus. Sur ce point, voir Guglielmo Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. d'Ancona (dir.), The Libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.158. Sur les cercles d'érudits byzantins de l'époque, consulter aussi, du même auteur, « Sodalizi eruditi e pratiche di scrittura a Bisanzio », dans Jacqueline Hamesse (dir.), Bilan et perspectives des études médiévales (1993-1998), Actes du deuxième Congrès européen d'études médiévales, Barcelone (8-12 juin 1999), Turnhout, Brepols, « Textes et études du Moyen Âge » 22, 2004, p.649-669.
Sur la différence entre les mains 2a et 2b, voir Guglielmo Cavallo, art. cit, p.156, et Lidia Perria, « Scrittura e ornamentazione nei codici della Collezione filosofica », dans Rivista di studi bizantini e neoellenici, 28, 1991, p.106.
À l'exception de sept fragments cités par Cyrille d'Alexandrie. L'ensemble du dossier a été édité et traduit par Pierre Thillet: Alexandre d'Aphrodise, Traité de la Providence, édition, introduction et traduction de l'arabe [et du grec] par Pierre Thillet, Paris, Verdier, 2003.
Cette addition à la collection a été proposée par Annaclara Cataldi Palau dans son article « Un nuovo codice della “Collezione filosofica”: il palinsesto Parisinus graecus 2575 », dans Scriptorium, 55, 2001, p.249-274.
On trouvera des éléments sur les questions soulevées par ces textes dans les travaux que leur a consacré L. G. Westerink, notamment dans son article « Das Rätsel des untergründigen Neuplatonismus », dans Φιλοφρόνημα: Festschrift für Martin Sicherl für 75. Geburtstag: von Textkritik bis Humanismusforschung, Paderborn, Schöningh, « Studien zur Geschichte und Kultur des Altertums, n. F., I. Reihe, Monographien » 4, 1990, p.105-123.
Voir à ce propos les arguments réunis dans Damascius, Lectures on the Philebus, wrongly attributed to Olympiodorus, texte, traduction, notes et index de L. G. Westerink, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1959, et The Greek commentaries on Plato's Phaedo, vol. 2. Damascius, introduction, traduction et notes de L. G. Westerink, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1977.
Jean Irigoin, « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople », dans Cahiers de civilisation médiévale, V, 1962, p.298 et la note 75. Voir aussi, du même auteur, « Pour une étude des centres de copie byzantins », dans Scriptorium, 12, 1958, p.216-217.
Quelques éléments sur le sujet dans Jean Irigoin, « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople », dans Cahiers de civilisation médiévale, V, 1962, p.298, et Guglielmo Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. d'Ancona (dir.), The Libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, « Philosophia Antiqua » 107, 2007, p.157.
L. G. Westerink, « Le texte du Traité des premiers principes », dans Damascius, Traité des premiers principes, t. I: De l'ineffable et de l'un, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1986, p.LXXV-LXXVI, qui contient aussi les références bibliographiques indispensables.
Charles-Émile Ruelle, « Notice du Codex Marcianus 246 », dans Mélanges Graux: recueil de travaux d'érudition classique dédié à la mémoire de Charles Graux, Paris, Thorin, 1884, p.547-552 (avec une planche).
T. W. Allen, « Palaeographica III. A group of ninth-century manuscripts », dans Journal of Philology, XXI, no41, 1893, p.48-65.
Aubrey Diller, « The scholia on Strabo », dans Traditio, X, 1954, p.29-50.
Jean Irigoin, « L'Aristote de Vienne », dans Jahrbuch der Österreichischen Byzantinischen Gesellschaft, VI, 1957, p.5-10.
Id., « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople », dans Cahiers de civilisation médiévale, V, 1962, p.287-302 (repris dans La tradition des textes grecs: pour une critique historique, Paris, Les Belles Lettres, 2003).
John Whittaker, « Parisinus graecus 1962 and the writings of Albinus. Part I », dans Phoenix, XXVIII, 1974, p.320-354 (avec trois planches).
Jules Leroy, « Les manuscrits grecs en minuscule des IXeetXesiècles de la Marcienne », dans Jahrbuch der Österreichischen Byzantinischen Gesellschaft, XXVII, 1978, p.25-48.
Nigel G. Wilson, Scholars of Byzantium, London, Duckworth, 1983, p.86-88.
Leendert Gerritt Westerink, « Le texte du Traité des premiers principes », dans Damascius, Traité des premiers principes, t. I: De l'ineffable et de l'un, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p.LXXIII-LXXX.
Id., « Das Rätsel des untergründigen Neuplatonismus », dans Φιλοφρόνημα: Festschrift für Martin Sicherl zum 75. Geburtstag: von Textkritik bis Humanismusforschung, hrsg. von D. Harlfinger, Paderborn, Schöningh, 1990, p.105-123.
Lidia Perria, « Scrittura e ornamentazione nei codici della Collezione filosofica », dans Rivista di studi bizantini e neoellenici, 28, 1991, p.45–111.
Ead., « L'interpunzione nei manoscritti della Collezione filosofica », dans Paleografia e codicologia greca: atti del II Colloquio internazionale di paleografia greca (Berlino-Wolfenbüttel, 17-21 ottobre 1983), a cura di D. Harlfinger e G. Prato, I, Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1991, p.199-209.
Henri Dominique Saffrey, « Nouvelles observations sur le manuscrit Parisinus graecus 1807 », dans Studies in Plato and the Platonic tradition: essays presented to John Whittaker, ed. by M. Joyal, Aldershot, Ashgate, 1997, p.293–307, reproduit dans H. D. Saffrey, Le néoplatonisme après Plotin, t. II, Paris, Vrin, 2000, p.255–266.
Marwan Rashed, « Nicolas d’Otrante, Guillaume de Moerbeke et la Collection philosophique », dans Studi Medievali, III, 43, 2002, p.693–717.
Henri Dominique Saffrey, « Retour sur le Parisinus graecus 1807, le manuscrit A de Platon », dans C. D'Ancona (dir.), The Libraries of the Neoplatonists, Leiden, Brill, 2007, p.3-28.
Guglielmo Cavallo, « Qualche riflessione sulla “collezione filosofica” », dans C. D'Ancona (dir.), op. cit., p.155-165.