Le château est situé sur la commune de Beaumesnil, dans le département français de l'Eure.
L’existence d’un domaine à Beaumesnil est attestée depuis 911, date du traité de Saint-Clair-sur-Epte. Le château actuel, bâti entre 1633 et 1640, est probablement resté inachevé[2]. Restauré aux XIXeetXXesiècles, il abrite un musée de la reliure.
Le château entra par alliance au XIIesiècle dans la famille d'Harcourt et au XIIIesiècle, il devient l'apanage de la branche cadette de Robert d'Harcourt «dominus de Bellomesnillo» qui y établit sa résidence[3]. À la mort du dernier de sa lignée à la bataille d'Azincourt, ses biens échurent à sa cousine Marie de Tournebu[3]. Celle-ci se verra presque immédiatement confisqué des «manoir, chastel, mote, colombier et court» de Beaumesnil par le roi d'Angleterre qui les donnent à lord Willoughby[3]. La place sera rendu en 1441 au vu des «bombardes et canons qui étaient affûtés» devant ses murs, à Pierre de Brézé qui s'en servira de base pour des coups de main dans la région[4]. Jean de Tournebu recouvra alors le château, qu'il céda peu après au duc de Lorraine[4].
C'est la marquise de Nonant, petite-fille du chancelier de Sillery, qui, après la mort de Jacques Le Conte, finira les travaux comme en témoigne son chiffre «MDC» répété plusieurs fois sur la façade[5].
Jean, fils de Guillaume de Tournebu et de Marie Paynel, dame de Flers (précédemment citée), qui avait elle-même hérité de Beaumesnil de sa mère Marie d’Harcourt, ramène cette terre dans le giron français; il épouse Louise de Hangest.
Félix (†1622), baron de Nonant, achète Beaumesnil en 1604 à Charles d'Harcourt-Lorraine pour son fils Jacques.
Jacques (†1641), marquis de Nonant, écuyer, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Louis XIII, fils du précédent, fait construire le nouveau château qui sera transmis exclusivement par héritage ou par mariage jusqu’en 1927; il épouse en 1623 Marie Dauvet Des Marets, petite fille de l’ambassadeur Nicolas Brûlart de Sillery; chaque année, après avoir accompli son service, il revient passer trois mois sur ses terres.
Pomponne François (1644-1654), marquis de Nonant, fils des précédents.
Catherine (†1693), sœur du précédent.
Bouton de Chamilly (1660–1722)
Hérard (1630–1668), chevalier, comte de Chamilly et gouverneur de Dijon, reçoit Beaumesnil en dot en 1660 par son mariage avec Catherine.
François (1663–1722), comte de Chamilly, ambassadeur extraordinaire au Danemark, fils des précédents; il épouse en 1690 Catherine Poncet de La Rivière.
Madeleine ou Magdeleine (†1772), comtesse de Graville, fille des précédents.
Malet de Graville de Valsemé (1722–milieu du XVIIIesiècle)
Louis Robert (°1698), marquis de Valsemé, lieutenant général des armées, épouse Madeleine en 1730.
Martel (milieu du XVIIIesiècle–1760)
Louise Suzanne Edmée Martel (1745-1779), duchesse de Béthune-Chârost, fille de Françoise Martel de Clères et de Charles Martel d'Esmalleville (†1760[7]), comte de Fontaine Bolbec; petite fille de Madeleine Jauche-Bouton de Chamilly et de son premier mari François Martel (†1726), comte de Clères, maître de camp.
Béthune-Charost (1760–1802)
Armand Joseph de Béthune (1738–1800), duc de Chârost et pair de France, descendant direct de Sully, épouse Louise Suzanne Edmée Martel en 1760; à la Révolution, le château est pillé, le duc est arrêté et, bien qu’il ait aboli les droits féodaux sur ses terres, son fils Armand (1771-1794) est guillotiné à 23 ans.
Maximilienne Augustine Henriette de Béthune (1772-1828), à la fois cousine et veuve d’Armand, hérite de la propriété.
Eugène-Alexandre (1773-1851), «marquis de Montmorency» puis 4educ de Laval, épouse en 1802 Maximilienne (précitée); veuf, il se remarie avec Constance de Maistre; ayant fait vœu d’édifier une chapelle si les Bourbon revenaient au pouvoir, ils tiennent parole à l’avènement de Louis XVIII et la chapelle est consacrée en 1820; le marquis meurt sans postérité.
de Maistre (1851–1927)
Rodolphe de Maistre (1789–1866), frère de Constance, hérite du domaine; il épouse Charlotte Espérance de Plan de Sieyes.
Charles (1832–1897), comte de Maistre, fils du précédent.
Rodolphe (1868–1934), comte de Maistre, fils du précédent.
Gonzague (1873–1936), frère du précédent; ayant sauvé de la ruine le château que son frère lui avait cédé après la Première Guerre mondiale (il a recours aux services d'Henri Jacquelin), il le vend en 1927 à une société américaine.
Audrey Emery riche héritière d'origine américaine achète le château à Gonzague de Maistre en 1927 et à son divorce en 1937 le lègue à son époux grand-duc Dimitri Pavlovitch (1891–1942); Audrey Emery fera restaurer les pavillons.
Fürstenberg (1939 à nos jours)
Jean Fürstenberg (1890-1982) et son épouse Eugénie achètent la propriété en 1939; ils créent un musée de la reliure.
Au décès de Jean, la fondation Fürstenberg Beaumesnil, reconnue d’utilité publique en 1966, s'efforce de maintenir en état l’ensemble du domaine et de ses collections.
De la forteresse élevée au XIIIesiècle, il ne subsiste, pour la mémoire, qu’une énorme motte circulaire couverte d’un labyrinthe végétal qui matérialise l’emplacement d’une ancienne tour talutée.
Rare exemple de château baroque d’époque LouisXIII (l’essentiel de la construction, dirigée par l’architecte Jean Gallard, se situe entre 1633 et 1640), la demeure actuelle, contemporaine de la fontaine Médicis et de l’hôtel de Sully, porte l’empreinte de la Renaissance finissante, mais on y trouve aussi la marque de courants nouveaux, venus d’Italie (style florentin) et de Hollande. Les matériaux utilisés sont la brique et la pierre. La brique, bon marché, était produite en grande quantité en Normandie mais, pour remédier aux éventuels défauts de fabrication, il était d’usage de renforcer les parties les plus fragiles avec de la pierre.
Côté ouest, l’entrée principale est précédée par un pont, une vaste cour formant terrasse et un escalier d'une vingtaine de marches aboutissant à mi-hauteur entre le sous-sol et le premier étage. Venant du parc, côté est, on franchit un autre pont qui débouche sur un double escalier donnant directement sur le premier étage.
L’ensemble comprend:
un avant-corps central surmonté d’un lanternon, symbole de puissance où deux feux signalaient toute la nuit aux alentours l’emplacement du château;
un corps de logis rectangulaire comportant trois travées de part et d’autre de l’avant-corps, où se trouvaient les appartements des maîtres de maison et les pièces réservées aux invités de marque;
deux pavillons latéraux, ajoutés au XVIIIesiècle, où on logeait les personnes de moindre importance;
Le logis se compose de quatre niveaux: un sous-sol, deux étages et un étage de combles.
Sur les façades, construites par les Frères Martin et Toussaint La Flèche, c’est la ligne verticale, soulignée notamment par la hauteur des baies et des cheminées, qui domine. La décoration est assez chargée: chaque baie, chaque fenêtre, chaque lucarne est surmontée d’un fronton cintré ou triangulaire dont le centre est occupé par un mascaron inspiré des masques de la Commedia dell'arte. Le motif répétitif d’un «M» et d’un «D» entrelacés rappelle les initiales de la première propriétaire (Marie Dauvet des Marets). On note l’association de trois couleurs: le bleu de l’ardoise, symbole du ciel, le blanc de la pierre, couleur royale, et le rouge de la brique, couleur des empereurs romains.
Le grand escalier d’honneur est entièrement logé dans l’avant-corps. Au niveau inférieur du corps de logis, qui abrite des soubassements à la belle architecture voutée, se trouvent:
la salle à manger des communs;
la cuisine, meublée et animée. Une cheminée monumentale, à l’intérieur de laquelle un tourne broche mécanique est installé; il permettait que les petits marmitons ne se brûle le visage à tourner la broche des heures durant. Un puits, un coussiège (sorte de banc en pierre construit dans le renfoncement des fenêtres) qui permettait de profiter de la lumière naturelle pour effectuer des travaux de couture; la cuisine est directement reliée au premier étage par un escalier de service.
Au second niveau, on découvre successivement:
la bibliothèque, où se trouve un tableau représente Marie de Médicis (le grand-père de l’épouse du premier propriétaire fut un de ses ministres); au-dessus de ce tableau, on lit la devise des Montmorency; le carrelage rouge reprend différents emblèmes de cette famille (l’aigle, le lion, le trèfle à quatre feuilles au milieu d’une branche de laurier et la croix des Croisés);
le Grand Salon en partie LouisXV, avec, au centre, des sièges dits «courants» (qu’on déplaçait fréquemment), recouverts de tissus aux motifs de fables de La Fontaine et de personnages exotiques et, le long des murs, des sièges cannés dits «meublants» (qu’on ne déplaçait pas), dont on recouvrait l’assise d’une galette en hiver; un paravent à quatre pans protégeait des courants d’air la personne installée sur le lit de repos, meuble confortable souvent utilisé pour la conversation; la cheminée est décorée d’une coquille Saint-Jacques au naturel; des lambris, sculptés dans les parties supérieures, sont présents sur les quatre murs; le tapis, qui recouvre une grande partie du parquet, était roulé et rangé quand la pièce n’était pas utilisée; au-dessus de la cheminée, la glace est composée de cinq éléments car la technique française du début du XVIIesiècle ne permettait pas encore la fabrication d’une grande surface d'un seul tenant; au plafond, la partie centrale, peinte en bleu, est encadrée par un bandeau d’ornement;
une salle à manger avec une table dressée, dont le sol est carrelé, comme dans la bibliothèque, aux armes des Montmorency; des tapisseries ont été posées par la suite mais la règle voulait qu’il n’y ait pas de tissu accroché aux murs en raison du risque d’imprégnation des odeurs; de même, la cheminée a été ajoutée au XIXesiècle; avant, elle n’avait pas sa place dans ce type de pièce;
les appartements de Madame, dont une chambre dans laquelle on reconnaît un portrait d’Henriette-Marie de France, reine d’Angleterre; le secrétaire était équipé d’un dispositif ingénieux: l’ouverture du cylindre déclenchait le déplacement de la tablette et le retrait de celle-ci commandait la fermeture du cylindre; le décor d’un dessus de porte est agrémenté de brins de muguet;
un petit bureau.
Le niveau supérieur abrite:
le musée de la reliure; dans laquelle on conserve un extrait des minutes de l’interrogatoire de Ravaillac, exposé dans une vitrine;
une galerie de cuisiniers célèbres auteur de livre de cuisines comme Antonin Carême ou Brillat Savarin;
une exposition de tables d’égoïstes et des arts de la table au fil des siècles;
Le dernier étage du château n'est pas ouvert à la visite.
Façade occidentale vue du pont.
Détail façade occidentale.
Masque en façade.
Façade orientale.
Le domaine de 80ha (il atteignait près de 3 000ha au XVIIesiècle) comprend également:
à l’est, un parc traversé par une longue allée dans le prolongement du château, bordée symétriquement par des carrés de pelouse et, au-delà, par une zone boisée; il fut à l’origine réalisé par Jean-Baptiste de La Quintinie;
au nord, des jardins à la française dits «la demi-lune» et «les quatre saisons»; ils sont parsemés de statues;
une vaste pièce d’eau entourant complètement le château et la motte féodale qui s’y reflètent; ces sortes de douves sans fonction défensive sont agrémentées de jets d’eau;
à l’ouest, des communs et une ferme situés de part et d’autre de l’allée qui mène du portail à la cour d’honneur.
Un verger où se trouve une glacière, chaque domestique devant deux jours de corvée en hiver pour récupérer de la glace aux alentours; une buanderie; un lavoir.
le château, sauf parties classées est inscrit par arrêté du ;
les façades et toitures ainsi que le grand escalier intérieur du château, la cour d'honneur, les douves, la grande perspective du parc et la terrasse lui faisant suite, la motte féodale sont classés par arrêté du ;
le parc, les perspectives, l'avant-cour, la demi-lune, les basses-cours, les vergers et jardins clos avec leurs aménagements, les murs, les grilles et portails; les façades et toitures des pavillons d'entrée et des communs sont inscrits par arrêté du .
Depuis 1979[9], le château abrite dans sa bibliothèque et sur l'un de ses étages un musée de la reliure. Environ 450 reliures anciennes y sont exposées, ainsi que des outils de relieur. La collection comporte de nombreuses reliures d'origine allemande, italienne et d'Europe centrale, ainsi que des reliures françaises « à l'éventail » et dorées aux petits fers (XVIIesiècle) et reliures aux armes du XVIIIesiècle[9].
Philippe Seydoux (photogr.Serge Chirol), La Normandie des châteaux et des manoirs, Strasbourg, Éditions du Chêne, coll.«Châteaux & Manoirs», , 232p. (ISBN978-2851087737), p.204.
Château de Beaumesnil. XVIIesiècle, dans Claude Sauvageot, Palais, châteaux, hôtels et maisons de France du XVeauXVIIIesiècle, A. Morel libraire éditeur, Paris, 1867, tome 4, p.49-55 et planches
Jean Fürstenberg, Architecture et chronique du château de Beaumesnil, (La vie et l'art en Normandie, Nouvelles de l'Eure - Numéro hors série, 1970).
Virginie Michelland, Le château de Beaumesnil : Un rêve de pierre au cœur de la Normandie, broché, éditeur : Ysec Médias, 2013, (ISBN2919091271 et 978-2919091270).