Bâti en 1625-1630, cet édifice est «encore tourné vers le passé, inféodé qu'il est aux traditions de la Renaissance par la profusion ornementale, la silhouette des pavillons, la place et le type de l'escalier[1]». Caractéristique des hôtels particuliers parisiens de la première moitié du XVIIesiècle, il est «l'une des demeures les plus accomplies du Marais»[2].
L'hôtel est construit dans le Marais, qui est alors le lieu de construction privilégié par la noblesse: se multiplient dans les années 1620 les chantiers de grands hôtels particuliers. Celui de l'hôtel de Sully s'inscrit aussi dans la période d'apogée des constructions monumentales du quartier. En 1624, le contrôleur des finances Mesme Gallet achète le terrain. Il est à l’origine de la construction, un an plus tard, de cet hôtel particulier attribué à l'architecte Jean Androuet du Cerceau. La première campagne de construction, de 1625 à 1627, permet l'achèvement du corps de logis, du jardin et de l'orangerie[3].
Joueur de dés invétéré, Gallet perd sa fortune aux jeux. Ruiné, il vend l'hôtel inachevé à Jean Habert de Montmagny, un de ses créanciers, le 4 décembre 1627. Ce dernier le revend le 27 avril 1628 au conseiller d'État Roland de Neufbourg, qui fait terminer les travaux en 1630, à l'exception de l'aile en retour sur le jardin. Le 23 février 1634, Maximilien de Béthune, duc de Sully, conseiller d'Henri IV, alors en disgrâce, achète le bâtiment achevé et entièrement aménagé. Il fait réaliser le décor intérieur (qui subsiste aujourd'hui)[4],[5]. Même si le duc n'habite en pratique que très peu l'hôtel, celui-ci acquiert et conserve alors le nom de Sully, dont la famille possède la résidence jusqu'en 1752[2].
En 1660, le deuxième duc de Sully acquiert l’hôtel et le fait agrandir en lui rajoutant une aile supplémentaire à l’ouest des logis, dans les jardins. Les travaux sont exécutés par l'entrepreneur Siméon Lambert, peut-être avec l'aide de François Le Vau qui, en reprenant le style architectural des autres bâtiments, créent une certaine homogénéité entre cette aile et le reste de l’hôtel[6].
Après la Révolution, l'hôtel passe entre les mains de négociants. De 1819 à 1838, il est le campus des étudiants de l'École spéciale de commerce et d'industrie (aujourd’hui renommée ESCP Business School). Le directeur de l'école signe en 1820 un bail avec le joailler Louis-François Radu et son épouse pour louer la majeure partie de l'hôtel de Sully et de son jardin. Les héritiers Radu y font installer une école pour filles en 1856 et les deux sphinges dans la cour[7].
Au XIXesiècle, à l'instar d'autres hôtels particuliers du Marais, le bâtiment est divisé en appartements et boutiques, la terrasse surmontant le portail étant comblée par une construction liant les deux pavillons d'entrée. L'hôtel est acheté au début des années 1920 par la comtesse Martine de Béhague, qui souhaite le restaurer et commence à en résilier les baux des échoppes et commerces; elle souhaite également faire démolir la partie ajoutée au-dessus du porche et est prête à «consentir les plus grands sacrifices» pour redonner son lustre au bâtiment. Sa mort en 1939 l'empêchera d'accomplir ce projet[8]. L'État français acquiert l'hôtel en à ses héritiers pour en faire le musée de la Demeure française[9]. Si le changement de régime met un terme au projet, une campagne de restauration profonde, entamée dès 1945 et prolongée jusqu'en 1974[10], permet de rétablir cette terrasse, de réunifier l'hôtel et son orangerie, divisé en deux parcelles au cours du XIXesiècle, et redonner à l'hôtel une configuration proche de celle de sa construction (le bâti au-dessus du porche est ainsi détruit[11]), malgré des modifications neuves à l'orangerie pour des raisons fonctionnelles[9].
Portail cocher[12], dressé contre un corps bas en terrasse (disposition restituée lors de la restauration en 1950-1970) et qui donne accès à la cour pavée[13].
L'entrée principale de cet hôtel se trouve au 62 rue Saint-Antoine. On peut également y accéder par une entrée discrète de la place des Vosges.
Il est composé d'un corps de logis centré, entre cour et jardin, dispositif qui caractérise l'hôtel «à la française» et qui existe depuis le Moyen Âge (hôtel de Cluny, palais Jacques-Cœur), mais, innovation du XVIesiècle, il adopte un plan en U avec deux ailes sur cour, terminées par deux pavillons sur rue reliés par une terrasse (comme l'hôtel Carnavalet). Faute de place, il ne dispose pas de deux cours séparées (cour d'honneur et cour de service), mais d'une seule cour sur laquelle donnent les communs (bâtiments de service comprenant les remises à carrosses, écuries, cuisines et offices qui sont rejetés sur la rue et communiquent avec elle). Une courette à fumier, avec l'indispensable puits, complète ce service[14].
Le registre décoratif des façades sur cour et jardin est très riche, de goût maniériste et d'inspiration Renaissance. Il prend trois voies principales: la sculpture (trumeaux ornés de bas et hauts-reliefs représentant des allégories, alternance de frontons), le jeu du bossage et les ordres d'architecture à l'aspect ostentatoire. Le même goût maniériste se retrouve dans la distribution, avec l'escalier principal placé au centre du logis, dans l'axe de l'entrée, et associé au passage vers le jardin[15]. Le motif qui s'impose au niveau du logis central est le perron amorti par deux grosses piles rectangulaires qui servent également de socle aux deux sphinges gardant une porte entablement surmonté d’une petite fenêtre couronnée d'un fronton curviligne à volutes sur cosses[16].
Les fenêtres des façades sont réparties sur trois étages. Au rez-de-chaussée, elles sont surmontées de linteaux droits ornés de rosaces encadrées de palmettes, et couronnées de frontons curvilignes dans lequel apparaissent des têtes de femmes (coiffées à la mode du temps de Louis XIII) entourées de feuillages et de fruits. Au bel étage, les linteaux sont ornés de têtes de femmes plus classiques, émergeant d'un gros collier de perles, et qui sont cantonnées par des draperies pendantes soutenues par des patères. Au centre des frontons triangulaires, sont inscrits des coquilles Renaissance. Les grandes lucarnes, flanquées d'ailerons à grandes feuilles, reprennent le même décor que celui du rez-de-chaussée, avec un motif ornemental supplémentaire à l'extrémité des linteaux, des têtes de divinité[17].
Ces murs bas sont reliés par deux pavillons sur rue. Chaque pavillon qui termine une aile comporte trois travées et en élévation, un rez-de-chaussée avec des fenêtres à fronton curviligne, un étage avec des fenêtres à fronton triangulaire. Il est couronné par un haut toit pointu, qu'amortit un large fronton demi-circulaire (grand arc) dans le tympan duquel s'ouvre une petite fenêtre, flanquée de génies tenant des casques antiques, et coiffée d'un arc en forte saillie dont la clé est ornée d'une tête de lion. Les autres façades des pavillons sont amorties par des frontons cintrés percés d'un oculus.
Les frontons des deux travées externes, sont coupés, phénomène qui s'observe également sur le chambranle externe des fenêtres, ce qui suggère que le projet de construction initial ne comportait que trois travées avec des pavillons plus larges, à une époque où l'hôtel n'avait pas d'autre accès à la rue Saint-Antoine qu'en passant sous une ancienne demeure médiévale, l'hôtel de La Moufle (accès dégagé qu'en 1530). L'alternance classique des frontons courbes et triangulaires, appuie ce décor Renaissance (draperies pendantes, rinceaux, têtes de femme). Cf. Alexandre Gady, L'hôtel de Sully: au cœur du Marais, Éditions du patrimoine, , p.9, 10 et 50
Le portail est orné de massifs bossages et flanqué de ces deux colonnes dont le fût lisse se détache sur ce décor à bossages, créant un effet très plastique inspiré de Michel-Ange. Le passage du portail est couvert d'une voûte en berceau à caissons octogonaux. Cf. Alexandre Gady, L'hôtel de Sully: au cœur du Marais, Éditions du patrimoine, , p.48.
Hôtel ne disposant pas de la place suffisante, les fonctions de remises et d'écurie se mêlent dans la cour unique, les premières dans une suite d'arcades, la seconde côté rue. Les grandes demeures disposent en plus de la cour d'honneur d'une cour de service avec notamment des bâtiments abritant les écuries dont le nombre de stalle est un étalon de la richesse et de l'importance du propriétaire. «Il peut y avoir une écurie à deux rangées de stalles, disposition que Savot(la) critique, mais qui domine. À partir du XVIIesiècle, l'écurie se complète de remises à carrosses, pour ranger les voitures, encombrantes et trop fragiles pour être laissées dehors. Ces remises peuvent rester ouvertes sur la cour ou bien être fermées de portes de menuiserie. Elles deviendront logiquement, au XXesiècle, les garages des automobiles». Cf. Alexandre Gady, Les hôtels particuliers de Paris: du Moyen-Âge à la Belle Époque, Parigramme, , p.65.
Il est représenté par un Bacchus en adolescent couvert d'une peau de bête. Il tient dans ses mains des grappes de vigne. Accompagné d'un chien de chasse, il est surmonté d'un signe du zodiaque correspondant à l'équinoxe d'automne, la Balance.
Il est représenté par un vieillard frileux appuyé sur une canne dont l'extrémité s'enfonce dans un feu. À côté de lui est figuré un tronc d'arbre mort autour duquel s'enroule un serpent. Glissant une main sur sa poitrine, le vieillard semble rechercher la chaleur en s'avançant près d'un feu. Il est surmonté d'un signe du zodiaque correspondant au solstice d'hiver, le Capricorne.
Cette saison est personnifiée par Flore, une divinité qui porte une corne d'abondance dans sa main droite et un oiseau sur son bras gauche levé. Une corbeille de fleurs est posée à ses pieds. Elle est surmontée du signe du Zodiaque correspondant à l’équinoxe du printemps, le Bélier.
Il est représenté par une jeune femme dont la chevelure est ornée d’épis. Son bras gauche soutient une corne d'abondance contenant des épis. La faucille qu'elle tient dans la main droite symbolise comme les épis les moissons. Ses pieds foulent des gerbes de blé et une cruche laissant échapper de l'eau. Il est surmonté d'un signe du zodiaque correspondant au solstice d'été, le Cancer.
À gauche la Terre représentée par Cybèle dont le ventre rond est prêt à enfanter le monde. Coiffée d'une tour, tenant de son bras droit une corne d'abondance, un lion est à ses pieds. À droite l'Eau, représentée par Amphitrite qui tient sur son épaule gauche un vase qui verse de l'eau pour alimenter une rivière bordée de roseaux. À ses pieds, un autre vase renversé laisse également échapper de l'eau. Autour de ses jambes ondulent des flots dans lesquels se joue un dauphin. Au-dessus, des bandeaux horizontaux soulignent et isolent de ces deux figures, respectivement une truie (symbole de fécondité) et un arc-en-ciel trônant au-dessus de rayons (représentant une pluie battante ou les rayons du soleil dont la réfraction forme ce photométéore).
À gauche, l'Air est représenté par une femme, un bras levé au ciel. À ses pieds est figuré un petit animal, peut-être un caméléon car on pensait à l'époque qu'il changeait de couleur en fonction de l'air. Au-dessus, sous la corniche, son attribut représente ce qui ressemble à un éventail de plumes de paon. À droite le Feu, représenté par une femme couronnée d’un soleil. À ses pieds, une salamandre se joue dans les flammes (ce reptile légendaire étant réputé être engendré par le feu), à côté d'une souche d'arbre où l'on croyait qu'elle hibernait. Au-dessus, son attribut représente l'astre solaire et des flammes.
Cette terrasse est bornée à l'origine, d'un côté par ce mur renard destiné à masquer le mitoyen de la cour du voisin (et non le mur en briques actuel), de l'autre par le portique de style Louis XIII du petit jardin (aujourd'hui disparu). Cf. Alexandre Gady, L'hôtel de Sully au cœur du Marais, Édition du patrimoine, , p.50
Composée d'un corps de logis reposant sur cinq grandes arcades auxquelles répondent les cinq lucarnes pendantes (coupant la corniche), flanqué de deux pavillons aux toitures en pointe ornées d'épis de faîtage en plomb, l'orangerie permet, par un jeu de miroir, «de contempler la façade arrière du corps de logis principal, qui reprend le décor de la cour, à une époque où les façades sur jardin sont d'ordinaire moins soignées». Cf. Alexandre Gady, L'hôtel de Sully: au cœur du Marais, Éditions du patrimoine, , p.10
Alexandre Gady, L'hôtel de Sully au cœur du Marais, Collection Itinéraires, Édition du patrimoine, 2002.
Alexandre Gady, Les hôtels particuliers de Paris, du Moyen-Âge à la Belle époque, Paris, Parigramme,
Jean Marot, Recueil des plans, profils et élévations des [sic] plusieurs palais, chasteaux, églises, sépultures, grotes et hostels bâtis dans Paris et aux environs par les meilleurs architectes du royaume desseignez, mesurés et gravez par Jean Marot, vues 90, 91, 92 et 93 (Voir)