Le mot bichelamar vient du portugaisbicho do mar «bête de mer» qui désigne un animal marin, l'holothurie[1]. En français, cet animal est appelé concombre de mer, mais parfois aussi bêche de mer ou biche de mer, notamment dans l'océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie...). L'anglais ne connaît que sea cucumber. Les holothuries sont un produit consommé par les Chinois: leur commerce se fit d'abord avec les Malais, puis il s'étendit au Pacifique-Sud. Au milieu du XIXesiècle, des trafiquants, les beachcombers («tamiseurs de plages» ou «batteurs de grève»), allèrent la ramasser sur les récifs des îles mélanésiennes pour la revendre en Chine. La langue parlée entre ces navigateurs et les populations locales, sorte de sabir à base d'anglais et de quelques autres langues comme le portugais, constitue la toute première forme du futur pidgin qui allait se répandre dans toute la Mélanésie. C'est ainsi que le terme bichelamar a fini par désigner l'une des variantes de ce pidgin. La forme bislama est la prononciation de ce même mot dans le pidgin lui-même, et sa graphie officielle dans cette langue.
Dans la première moitié du XIXesiècle, la Polynésie a été le lieu d'une importante pêche à la baleine. De nombreux autochtones ont été engagés dans les équipages des baleiniers. C'est l'origine d'un premier pidgin utilisé entre membres de ces équipages. Le nombre de baleines a décru progressivement, et donc leur pêche, mais le pidgin est resté comme langue de communication.
Dans le même temps, en 1827, la présence de bois de santal a été révélée dans l'île d'Erromango. Ce bois précieux, très prisé en Chine, a été l'objet d'un intense commerce effectué par les marchands australiens. Ces deux activités se sont ajoutées à l'exploitation de l'holothurie, et à son exportation vers la Chine.
Au cours du XIXesiècle, le bichelamar est également parlé, parmi d'autres langues, en Nouvelle-Calédonie[2]. Mais au milieu du XXesiècle le Bislama n'était plus utilisé en Nouvelle Calédonie.
Mais aux environs de 1860, toutes ces activités déclinèrent. C'est à cette époque que se sont développées de nouvelles plantations en Australie, spécialement au Queensland: canne à sucre surtout, mais aussi coton et coprah. Ces cultures réclamant beaucoup de main d'œuvre, c'est près de 50 000 habitants du futur Vanuatu qui furent enlevés pour travailler dans les plantations, au cours d'une période connue sous le nom de «Blackbirding». Les travailleurs étaient engagés pour une durée théorique de 3 ans, mais certains ont effectué deux, voire trois fois cette période. Les travailleurs venant d'îles différentes, et donc parlant des langues différentes, utilisèrent naturellement entre eux le pidgin qui émergeait alors. En effet, pour communiquer entre eux, ces travailleurs déracinés utilisaient un parler véhiculaire, comportant un vocabulaire anglais mais conservant la syntaxe des langues mélanésiennes. Ce pidgin est à l'origine du tok pisin aujourd'hui parlé en Papouasie-Nouvelle-Guinée; du pijin parlé aux îles Salomon; et du bislama parlé au Vanuatu.
À la fin de la période du Blackbirding, alors que les travailleurs rentraient chez eux autour de 1910, le bislama s'est stabilisé linguistiquement, puis a commencé à se répandre comme lingua franca, dans tout l'archipel du Vanuatu (alors nommé les Nouvelles-Hébrides). Lors de l'indépendance en 1980, il devient langue officielle, aux côtés du français et de l'anglais. De plus, en 1981, les Églises de Vanuatu ont accepté d'utiliser le bislama comme langue de communication avec leurs fidèles. Tout ceci a considérablement renforcé la position de cette langue, peu considérée jusque-là. Au cours des dernières décennies, les courants migratoires, l'urbanisation, les mariages entre groupes linguistiques différents, le livre et la radio ont contribué au processus de créolisation du pidgin-english: le bislama, dans les deux zones urbaines du pays (Port-Vila et Santo), est ainsi devenu la première langue de nombreux locuteurs qui ont cessé de parler leur langue d'origine. Il garde néanmoins son statut de pidgin (langue véhiculaire) dans les zones rurales du Vanuatu, qui continuent encore aujourd'hui à parler les langues vernaculaires d'origine.
Le bislama est actuellement la langue la plus utilisée dans l'archipel du Vanuatu, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les médias ou au parlement, faisant office de terrain neutre dans un pays partagé entre les influences française et anglaise.
(en) Dictionary: Bislama to English, Port-Vila, Maropa Bookshop, 1977, 138 p.
(en) BALZER T., LEE E., MÜLHì, USLER P., MONAGHAN P., Pidgin Phrasebook. Pidgin languages of Oceania, Lonely Planet Publications.
CHARPENTIER (Jean-Michel), Le Pidgin bislama(n) et le multilinguisme aux Nouvelles-Hébrides. Paris: SELAF, 1979, 416 p. (Langues et civilisations à traditions orales 35).
(en) CROWLEY (Terry), An Illustrated Bislama-English and English-Bislama Dictionary, Port-Vila, University of the South Pacific, 1990, 478 p.
(en) CROWLEY (Terry), Beach-La-Mar to Bislama: The Emergence of a National Language in Vanuatu, Oxford University Press(ISBN0-19-824893-8).
(en + fr) (J.B.M.) GUY, Handbook of Bichelamar / Manuel de Bichelamar, The Australian National University, Canberra, (présentation en ligne).
(en) TRYON (Darell T.), Bislama: An Introduction to the National Language of Vanuatu. Canberra: The Australian University, 1987, 261 p. (Pacific Linguistics, série C, No50).
Une bande dessinée publiée par Guy Michel Deroin à Port-Vila simultanément en français et en bichelamar: Mino, une nouvelle légende du fils des chefs Tabu: Sauve-moi la vie ou Mino, Niufala stori blong Pikinini blong Jif Tab: Sevem laef blong mi.
Mémoire de maîtrise Université Paul Valéry Montpellier 1981 "Etude critique de certains aspects phonologiques et syntaxiques du Bislama du Vanuatu" par Casimir RUNA et Yves FIOL, sous la Direction de Monsieur le Professeur Philippe ROTHSTEIN.