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mission spatiale habitée De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Apollo 13 ( - ) est la troisième mission du programme spatial américain Apollo ayant pour objectif de faire atterrir des hommes sur la Lune. Elle est connue pour avoir été le théâtre, durant le transit entre la Terre et la Lune, d'un accident grave, qui aurait pu être fatal pour l'équipage et qui imposa l'abandon de la mission et le retour vers la Terre.
Apollo 13 Mission spatiale avec équipage | ||||||||
Insigne de la mission. | ||||||||
Données de la mission | ||||||||
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Vaisseau | • CSM Apollo (CSM-109) • LM Apollo (LM-7) |
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Type vaisseau | Modules habités | |||||||
Objectif | Atterrissage sur le cratère de Fra Mauro | |||||||
Équipage | • Jim Lovell • Jack Swigert • Fred Haise |
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Indicatif radio | • CM : Odyssey • LM : Aquarius |
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Lanceur | Fusée Saturn V (SA-508) | |||||||
Date de lancement | 19 h 13 UTC | |||||||
Site de lancement | LC-39, Centre spatial Kennedy | |||||||
Date d'atterrissage | 18 h 7 min 41 s UTC | |||||||
Site d'atterrissage | Océan Pacifique Sud 21° 38′ 24″ S, 165° 21′ 42″ O |
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Durée | 5 jours 22 h 54 min 41 s | |||||||
Photo de l'équipage | ||||||||
Jim Lovell, Jack Swigert et Fred Haise. | ||||||||
Navigation | ||||||||
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La mission a pour objet de conduire un équipage jusque sur la Lune : les astronautes Jim Lovell et Fred Haise doivent se poser près de la formation géologique Fra Mauro, site d'un des impacts d'astéroïde les plus importants à la surface de la Lune, tandis que Ken Mattingly doit rester en orbite. Mais la NASA pense que ce dernier risque d'attraper la rougeole du fait de la maladie d'un autre astronaute, et Jack Swigert est envoyé à sa place.
Pendant le trajet vers la Lune, l'explosion d'un réservoir d'oxygène met hors d'usage le module de service Apollo qui, dans un contexte normal, fournit à la fois l'énergie, l'eau, l'oxygène et le système propulsif durant la majeure partie de la mission. Pour survivre, l'équipage se réfugie dans le module lunaire Aquarius, dont il utilise les ressources relativement limitées. Le vaisseau ne peut pas faire demi-tour et doit contourner la Lune avant de revenir sur Terre, qu'il ne peut atteindre au mieux qu'au bout de plusieurs jours. Des procédures sont mises au point par les équipes au sol pour faire fonctionner le vaisseau dans ces conditions très dégradées et conserver suffisamment de consommables (en particulier l'énergie et l'eau) pour permettre la survie de l'équipage et la réalisation des manœuvres indispensables jusqu'au retour sur Terre.
L'enquête menée après le dénouement heureux de la mission démontre que l'accident résulte d'une erreur de manipulation et de plusieurs anomalies dans la conception et la fabrication du réservoir d'oxygène. Des mesures sont prises pour les corriger lors des missions suivantes.
Le programme Apollo, lancé par le président John F. Kennedy le , a pour objectif d'envoyer pour la première fois des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie. Il s'agit de démontrer la supériorité des États-Unis sur l'Union soviétique dans le domaine spatial, devenu un enjeu politique dans le contexte de la guerre froide[1]. Le , l'objectif fixé à l'agence spatiale américaine, la NASA, est atteint lorsque les astronautes de la mission Apollo 11 parviennent à se poser sur la Lune[2]. La mission Apollo 12, qui lui succède quatre mois plus tard, confirme ce succès et valide la procédure permettant l'alunissage de précision[3].
Apollo 13 est la troisième mission ayant pour objectif de permettre à des hommes de se poser sur la Lune. Sept autres missions sont programmées, dont six missions « J », qui disposent d'un module lunaire plus lourd emportant un jeep lunaire[4] et permettant un séjour prolongé avec trois sorties extravéhiculaires. Mais les restrictions budgétaires, motivées par une conjoncture économique plus difficile et l'atteinte de l'objectif fixé par Kennedy, commencent à toucher sévèrement le programme Apollo : la dernière mission planifiée, Apollo 20, est annulée et l'arrêt de la production des fusées géantes Saturn V est programmé, ce qui ne laisse aucun espoir que le programme se poursuive[5].
La mission Apollo 12 a permis de mettre au point une technique d'alunissage plus économe en carburant et plus précise. Les responsables du programme ont décidé en conséquence de réduire la quantité minimale d'ergols que le module lunaire Apollo doit conserver, ce qui permet de choisir un site à une latitude plus éloignée de l'équateur lunaire[Note 1]. La nécessité de disposer d'un site d'atterrissage de rechange pour pallier le glissement de la date de lancement est également levée, ce qui permet d'inclure des coordonnées situées plus à l'ouest[Note 2]. La précision de l'atterrissage démontrée au cours de la mission précédente permet également de choisir des régions caractérisées par un relief plus tourmenté, car les astronautes n'ont plus besoin que d'une zone dégagée de relativement petite taille (ellipse de 1,5 km)[6].
Le site de l'atterrissage du module lunaire retenu par les géologues associés au programme spatial est situé au nord du cratère Fra Mauro, à 180 kilomètres à l'est du site d'atterrissage d'Apollo 12. Cette région de collines est recouverte par les éjectas et débris de l'impact géant qui a créé, quelques centaines de millions d'années après la formation des planètes, la mer des Pluies (Mare Imbrium) située à l'est. L'analyse de ces roches présente un intérêt majeur, car elles proviennent sans doute des profondeurs et donc de la croûte d'origine : à ce titre, elles constituent des reliques de matériaux qui, sur Terre, ont complètement disparu de la surface, du fait de la tectonique des plaques. Les scientifiques espèrent également pouvoir déterminer la date de l'impact à partir des échantillons de roches ramenés par les astronautes et ainsi établir les relations avec les formations géologiques voisines[7].
Les principaux objectifs scientifiques de la mission Apollo 13 sont[8] :
La mission Apollo 13 reprend le déroulement de la mission précédente Apollo 12[10] :
L'équipage d'Apollo 13, nommé par la NASA le [11], est composé de trois anciens pilotes militaires[12] :
L'équipage de réserve, mobilisable en cas de défaillance d'un ou plusieurs membres titulaires, est constitué de l’équipage du futur Apollo 16[12] :
L'équipage d'Apollo 13 embarque à bord d'un vaisseau formé d'un ensemble de quatre modules distincts (cf. Schéma 1).
D'une part, le module de commande et de service d'Apollo (le CSM, acronyme de Command and Service Module). De plus de 30 tonnes, il transporte les astronautes à l'aller et au retour et il est lui-même composé du module de commande (le CM, pour Command module) et du module de service (le SM, Service Module). C'est à l'intérieur du premier que les trois astronautes vivent durant la majeur partie de la mission et dans le second que sont regroupés presque tous les équipements nécessaires à la survie de l'équipage : le moteur de propulsion principal, les sources d'énergie, d'oxygène, d'eau etc.
De facon plus détaillée:
D'autre part, le module lunaire Apollo (le LM, acronyme pour Lunar Module), est utilisé par deux des astronautes pour descendre sur la lune, y séjourner et retourner en orbite pour rejoindre le module de commande et de service. Le module lunaire est lui-même composé de deux étages : un premier permet d'alunir et sert de plate-forme de lancement au second, qui retourne en orbite et ramène les astronautes au vaisseau en orbite. L'indicatif radio du CSM est Odyssey, tandis que celui du module lunaire est Aquarius.
De facon plus détaillée:
La fusée Saturn V qui emporte la mission Apollo 13 décolle le . Le lanceur, utilisé par la mission précédente Apollo 12, avait été frappé à deux reprises par un éclair au cours du décollage, occasionnant un arrêt momentané de plusieurs systèmes clés du vaisseau spatial. Le déclenchement du phénomène était dû à la création d'un sillage de particules ionisées par le lanceur, mettant en relation, via la colonne de gaz conductrice formée, le sol et la couche basse des nuages, caractérisés par des potentiels différents. Pour mesurer les perturbations du champ électrique créées par le lanceur au niveau du sol, plusieurs capteurs ont été répartis sur le site de lancement pour la mission Apollo 13 et recueillent des informations exploitables[15].
Le moteur central du deuxième étage du lanceur s'éteint deux minutes trop tôt mais les quatre autres moteurs fonctionnent plus longtemps, ce qui permet de compenser la perte de poussée. Ce système de gestion de la poussée des moteurs en cas de défaillance avait été expérimenté dès les premiers vols des fusées Saturn I. Les investigations menées par la suite montreront que le moteur s'est éteint à cause d'un effet pogo (phénomène oscillatoire) particulièrement élevé, induisant des fléchissements de la structure de poussée atteignant 7,6 cm. Des modifications seront introduites dans la conception des lanceurs suivants pour réduire ce phénomène. Le vaisseau Apollo et le troisième étage de la fusée se placent sur l'orbite de parking visée (orbite terrestre basse à une altitude de 190 km). Deux heures plus tard, la propulsion du troisième étage est rallumée : le vaisseau Apollo quitte son orbite et se place sur une trajectoire devant le conduire jusqu'à la Lune.
Le troisième étage de la fusée Saturn V est largué, tandis que l'ensemble formé par le module de commande et de service Apollo et le module lunaire Apollo poursuit sa course vers la Lune. Au cours des missions précédentes, cet étage de la fusée avait été placé sur une orbite héliocentrique. Pour la mission Apollo 13, l'étage S-IVB est dirigé vers la surface de la Lune. L'objectif est de mesurer les ondes sismiques générées par l'impact de l'étage à l'aide du sismomètre passif déposé sur le sol lunaire par l'équipage d'Apollo 12. L'étage de 14 tonnes s'écrase à une vitesse de 2,6 km/s (10 000 km/h) à environ 140 kilomètres du sismomètre, produisant l'équivalent de l'explosion de 7,7 tonnes de TNT. Les ondes sismiques arrivent au sismomètre environ 28 secondes plus tard et continuent de se produire durant un temps très long, phénomène jamais observé jusque-là sur Terre[16].
Fichier audio | |
Houston, nous avons eu un problème | |
La célèbre phrase prononcée par Jack Swigert lors de sa conversation radio avec Houston : Swigert : I believe we've had a problem here. (Je crois que nous avons eu un problème ici) - Lousma (centre de contrôle sur Terre à Houston) : This is Houston. Say again, please (Ici Houston, répétez s'il vous plait) - Lovell: Houston, we've had a problem. We've had a Main B Bus Undervolt (Houston, nous avons eu un problème. La tension du bus électrique principal B est tombée en sous-tension) - Lousma : Roger. Main B Undervolt (Bien reçu. Sous tension du bus principal B). - Lousma: Okay, stand by, 13. We're looking at it (Très bien, attendez, 13. Nous allons regarder ça.)[17]. | |
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Le vers 3 h 7 UTC, soit presque 56 heures après le lancement et à peu près à mi-parcours de la destination du vaisseau (à plus de 300 000 kilomètres de la Terre), Swigert déclenche, à la demande du Centre de contrôle de mission de Houston, le brassage, par un ventilateur, de l'oxygène contenu dans le réservoir no 2. Il s'agit d'un des deux réservoirs situés dans le module de service qui, d'une part, fournissent l'atmosphère respirable de la capsule Apollo et, d'autre part, alimentent les trois piles à combustible qui produisent l'électricité — et l'eau — du vaisseau. Ce brassage de routine sert à homogénéiser l'oxygène conservé sous pression à l'état liquide, afin d'optimiser le fonctionnement du capteur qui mesure la quantité d'oxygène restante. 16 secondes plus tard, l'équipage entend une explosion sourde, tandis qu'une alarme se déclenche à la suite d'une chute de tension sur le circuit électrique B du module de commande[18].
Les astronautes l'ignorent, mais un court-circuit électrique, produit par le câble d'alimentation (en partie dénudé) du ventilateur à l'intérieur du réservoir d'oxygène no 2, a déclenché la combustion de la couche d'isolant entourant le câblage électrique, portant la température à plus de 500 °C. La pression résultante a fait exploser le réservoir. Le bruit provoqué fait immédiatement réagir les astronautes. C'est à ce moment que Swigert prononce ces mots devenus célèbres :
« Houston, on a eu un problème. (écouter fichier audio) »
Le Capcom, Jack Lousma, l'invite à répéter mais c'est Lovell qui prononce alors à nouveau la phrase. Ce dernier précise ensuite que la tension du circuit électrique B a chuté, tout en indiquant que la situation s'est rétablie quelques secondes plus tard.
Durant les premières minutes, l'équipage ne perçoit pas la gravité de la situation. Il se consacre à un problème apparemment plus important : l'ordinateur a redémarré et les valves de certains des petits propulseurs du système de contrôle d'attitude se sont fermées. Toutefois, au centre de contrôle de Houston, le responsable des systèmes électriques du vaisseau, Sy Liebergot, constate, avec son équipe, d'autres anomalies bien plus graves[Note 3]. L'antenne grand gain fixée sur le module de service a cessé de fonctionner et les communications passent désormais par l'antenne faible gain, omnidirectionnelle. D'autre part, des dizaines d'indicateurs indiquent que divers équipements du vaisseau spatial ne fonctionnent plus normalement. Selon eux, les piles à combustible nos 1 et 3 sont dépressurisées et ne fournissent plus de courant. Seule la pile à combustible no 2 en fournit encore. La pression dans le réservoir d'oxygène no 2 semble nulle, tandis que celle du réservoir no 1 chute rapidement. Le vaisseau a complètement perdu un des deux circuits de distribution électrique et tous les équipements qui s'y rattachent.
Le souffle de l'explosion a éjecté le panneau extérieur du module de service et partiellement coupé une conduite du réservoir d'oxygène no 1. Le panneau éjecté a également endommagé l'antenne grand gain fixée à proximité. Extérieurement, ces dégâts seraient facilement visibles, mais la forme même du module de commande et la position de ses hublots empêchent les astronautes situés à l'intérieur d'apercevoir cette partie du module de service.
Pour l'équipage, les conséquences de l'explosion sont potentiellement très graves. Le retour sur Terre, du fait des lois de la mécanique spatiale, n'est pas envisageable avant plusieurs jours. Durant ce laps de temps, l'équipage doit disposer de suffisamment d'énergie, d'eau, d'oxygène et d'ergols pour survivre. L'énergie est indispensable pour faire fonctionner l'électronique, dont dépend le fonctionnement de tout le vaisseau et en particulier les corrections de trajectoire (calcul des manœuvres, déclenchement des propulseurs), le maintien de l'orientation indispensable aux corrections de trajectoire et à la stabilité thermique, les résistances chauffantes qui maintiennent une température supportable dans l'habitacle et pour certains équipements. L'énergie d'Apollo est fournie par des piles à combustibles — qui consomment de l'hydrogène et de l'oxygène — et des batteries. Dans les deux cas, l'électricité stockée n'est pas renouvelable (pas de panneaux solaires). L'eau est évidemment vitale pour la survie des astronautes mais elle sert surtout à refroidir les éléments de l'électronique qui ne pourraient fonctionner sans régulation thermique. Dans le vide, la chaleur est difficile à dissiper. La solution retenue consiste à l'évacuer par sublimation, en rejetant de l'eau réchauffée dans l'espace. Or, cette méthode consomme en permanence d'importantes quantités d'eau (beaucoup plus que l'équipage lui-même). Enfin, l'oxygène présent dans l'atmosphère doit être régulièrement renouvelé et débarrassé du CO2 dégagé par la respiration des astronautes afin de permettre leur survie pendant la durée de la mission[Note 4].
Dans la salle de contrôle, Liebergot pose dans un premier temps un diagnostic prudent : il pourrait s'agir d'un faux problème généré par les instruments de mesure. Mais au bout de quelques minutes consacrées à des contrôles plus poussés, les spécialistes au sol se rendent compte que le problème ne tient pas à des mesures anormales. Ils tentent avec l'équipage plusieurs manipulations pour tenter de remettre en marche le circuit électrique et les piles à combustible. Il s'est écoulé environ onze minutes depuis l'incident, lorsque Lovell aperçoit par le hublot situé au milieu de l'écoutille des particules qui s'échappent du vaisseau. Ce que voit l'astronaute, c'est l'oxygène liquide qui fuit des réservoirs éventrés. Sans connaître l'origine du problème, le centre de contrôle demande alors à l'équipage de commencer à éteindre les équipements non essentiels pour réduire la consommation électrique, en attendant de résoudre le problème. Il est également invité à fermer les valves des piles à combustible 1 et 3 pour arrêter la fuite, mais cette action n'arrête pas la chute de la pression dans les réservoirs[19],[20].
Finalement, Liebergot prend conscience que l'équipage ne parviendra pas à remettre en service les piles à combustible et que les réservoirs à oxygène du module de service sont perdus. L'objectif n'est plus désormais d'accomplir la mission mais de sauver l'équipage. Il demande alors au directeur de vol, Gene Kranz, d'empêcher la dernière pile à combustible encore opérationnelle de puiser dans le réservoir d'oxygène de secours, situé à bord du module de commande, afin de préserver celui-ci pour la phase finale du vol. Kranz, comprenant brutalement la gravité de la situation, se fait confirmer cette demande, puis accepte de relayer l'instruction à l'équipage. Les contrôleurs tentent pendant quelques minutes encore de sauver la dernière pile à combustible, mais celle-ci décline aussi à mesure que l'oxygène s'épuise. 45 minutes après le début de l'incident, Liebergot annonce à Kranz qu'il faut envisager d'utiliser le module lunaire (ou LEM, ou LM) comme vaisseau de secours[Note 5], car ses spécialistes indiquent que la dernière pile à combustible ne fonctionnera pas plus de deux heures.
Dans des circonstances normales, le LM reste en sommeil jusqu'à l'approche de la Lune, afin d'économiser son énergie fournie par des batteries. Les seuls équipements allumés sont des résistances chauffantes, alimentées par le module de commande et de service, qui maintiennent une température minimale. Il faut donc réactiver le LEM. Mais cette opération complexe, normalement lancée depuis le module de commande, n'est plus possible, faute d'énergie. Les techniciens doivent donc mettre au point une série d'instructions pour aller puiser l'énergie nécessaire dans les batteries du module de descente. Heureusement, une simulation effectuée un an auparavant avait déjà traité ce cas. Elle avait abouti à la mort virtuelle de l'équipage, mais les techniciens avaient ensuite trouvé une solution pour écarter ce risque. À la demande du centre de contrôle, l'équipage s'installe aux commandes du LM pour exécuter la séquence d'instructions définie par les spécialistes du module lunaire. La tension est à son comble car, selon les dernières estimations de l'équipe de Liebergot, la dernière pile à combustible cessera de fonctionner dans 15 minutes. Finalement, ce délai suffit à réactiver les équipements du module lunaire. Les astronautes initialisent manuellement la centrale à inertie, en reprenant les valeurs fournies par celle du module de commande et en les transposant (les deux centrales sont tête-bêche)[19]. À l'intérieur du module de commande, le pilote, Swigert, désactive tous les équipements y compris le chauffage, pour préserver les deux batteries qui seront utilisées pour les ultimes manœuvres avant la rentrée atmosphérique et durant celle-ci. Il rejoint ensuite Lovell et Haise dans le module lunaire Aquarius, appelé à servir de canot de sauvetage jusqu'au retour à proximité de la Terre. Aquarius n'est pas conçu pour accueillir trois hommes, mais ses équipements permettent à l'équipage de disposer de suffisamment d'eau, d'électricité et d'oxygène pour assurer sa survie jusqu'à son retour sur Terre[19].
Maintenant que la survie à court terme de l'équipage n'est plus menacée, les spécialistes de la mécanique spatiale du centre de contrôle étudient comment ramener l'équipage sur Terre le plus rapidement possible, avant que soient épuisées les ressources limitées en énergie et en oxygène. Parmi les options étudiées figure celle consistant à faire demi tour immédiatement. Les spécialistes ont calculé qu'en utilisant tout le carburant disponible dans le module de service Odyssey, il est possible d'effectuer une telle manœuvre, baptisée direct abort (abandon direct) par la NASA. Mais les réservoirs d'ergols et le moteur-fusée sont situés dans le même module que le réservoir d'oxygène qui, on le sait désormais, a subi une explosion dont l'étendue des dégâts est inconnue. La mise à feu du moteur-fusée pourrait déclencher une explosion qui aggraverait la situation, voire tuerait immédiatement l'équipage. L'autre scénario consiste à laisser le vaisseau Apollo contourner la Lune et revenir sur Terre, ce qu'il doit faire naturellement sur la lancée de son mouvement actuel (trajectoire de retour libre). La seule manœuvre nécessaire serait une légère correction de trajectoire durant le trajet de retour, afin de ne pas manquer la Terre, manœuvre pouvant être effectuée à l'aide du moteur de l'étage de descente du module lunaire Aquarius. Mais ce scénario recule la date du retour sur Terre et impose à l'équipage de trois personnes de séjourner encore plus de 80 heures dans un module lunaire conçu normalement pour alimenter deux personnes en énergie, air et eau pendant 48 heures seulement. Au centre de contrôle, les spécialistes sont divisés. Kranz, le responsable des opérations, décide de choisir ce dernier scénario car il reste trop peu de temps pour planifier un retour direct et la moindre erreur enverrait le vaisseau s'écraser sur la Lune[21],[22].
Les spécialistes du centre de contrôle ne disposent que de quelques heures pour mettre au point de nouvelles procédures afin d'effectuer les opérations indispensables à la survie de l'équipage dans une configuration qu'aucune simulation, aussi poussée soit-elle, n'a jamais prévue[21] :
Une première manœuvre est effectuée environ six heures après l'accident, pour replacer le vaisseau sur une trajectoire qui le ramène de manière naturelle vers la Terre. Le moteur de l'étage de descente du module lunaire fonctionne durant 34 secondes[23]. Seize heures plus tard, le vaisseau contourne la Lune à une distance de 254 km. Les communications sont interrompues durant 25 minutes car la Lune s'interpose entre la Terre et le vaisseau. L'équipage bat à ce moment le record de distance à la Terre (400 171 km), car l'orbite choisie est plus haute que pour les missions précédentes et la Lune est à l'apogée de son orbite[24].
Sans une nouvelle correction de trajectoire, le vaisseau doit amerrir dans l'océan Indien 152 heures après son lancement. Or les consommables restants, en particulier l'eau et l'électricité, sont insuffisants pour garantir la survie de l'équipage à cette échéance. Après avoir envisagé de réduire le temps de transit restant de 36 heures par une manœuvre risquée (le largage immédiat du module de service, exposant longuement le bouclier thermique au vide spatial, et l'utilisation de tous les ergols disponibles dans les réservoirs de l'étage de descente), les responsables du centre de contrôle optent pour une solution moins extrême qui fait gagner seulement 12 heures. La manœuvre intervient deux heures après le contournement de la Lune. Le moteur-fusée de l'étage de descente fonctionne durant 264 secondes, modifiant la vitesse du vaisseau de 262 m/s[21],[25].
Module | Principales caractéristiques | Principaux équipements | Consommables Quantité restante au moment de l'accident ⇒ en fin de mission[26] |
Utilisation normale | Utilisation après explosion |
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Module de commande | Masse 6,5 tonnes Volume habitable de 6,5 m3 | Ordinateurs de navigation et de pilotage de la propulsion 3 couchettes | Réservoir oxygène Batteries (99 ⇒ 118 ⇒ 29 Ah) | Séjour de l'équipage sauf durant excursion à la surface de la Lune, ou il n'en accueille qu'un. Seul module revenant sur Terre | Complètement désactivé Réactivé et réoccupé par l'équipage pour la rentrée atmosphérique en fin de mission. |
Module de service | Masse 24 tonnes Module non pressurisé | Propulsion principale Antenne à faible et grand gain Propulseurs contrôle d'attitude | 3 piles à combustible (énergie et eau) Oxygène (225 kg) Hydrogène Ergols (18,5 ⇒ 18,4 t.) | Permet au module de commande de fonctionner durant toute la mission Utilisé pour les principales manœuvres d'injection en orbite lunaire, puis de retour sur la Terre Largué quelques heures avant le retour sur Terre | N'est pratiquement plus utilisé : équipements détruits (piles à combustibles, oxygène, antenne grand gain) ou fiabilité douteuse (propulsion). Largué quelques heures avant le retour sur Terre. |
Étage de remontée (module lunaire Apollo) | Masse 4,5 tonnes Volume habitable de 4,5 m3 | Ordinateurs de navigation et de pilotage de la propulsion Emplacement pour 2 astronautes en apesanteur Système de propulsion Propulseurs contrôle d'attitude | Oxygène (24 ⇒ 14 kg) Batteries (voir infra) Eau (153 ⇒ 23 kg) Ergols du système de propulsion | Abrite les 2 astronautes durant l'excursion de 48 heures à la surface de la Lune Permet de piloter le module lunaire durant la descente sur la Lune et la remontée Propulsion assurant la remontée de la surface de la Lune Largué depuis l'orbite lunaire avant le retour vers la Terre | Abrite les trois astronautes Fournit eau et oxygène durant la mission Largué immédiatement avant la rentrée atmosphérique. |
Étage de descente (module lunaire Apollo) | Masse 10 tonnes | Système de propulsion Équipements scientifiques | Batteries des deux étages (2 719 ⇒ 410 Ah) Ergols (8,3 ⇒ 4,6 t.) | Étage propulsif utilisé pour descendre sur le sol lunaire Transporte les équipements utilisés à la surface de la Lune Laissé à la surface de la Lune | Propulsion utilisée pour toutes les manœuvres de modification de trajectoire Principale source d'énergie Largué immédiatement avant la rentrée atmosphérique. |
Afin d'économiser de l'énergie pour la rentrée dans l'atmosphère, 80 % des équipements électriques sont coupés et seuls les systèmes de communication avec Houston sont maintenus en état de marche. Parmi les systèmes arrêtés figurent le système de guidage du vaisseau et le chauffage assuré par des résistances électriques, ce qui fait chuter la température à l'intérieur du module lunaire à 9 °C, et à 3 °C dans le module de commande. L'arrêt de l'ordinateur complique les corrections de trajectoire. À cause du rationnement de l'eau consécutif à l'explosion (l'eau est produite par les piles à combustible qui ne fonctionnent plus), Fred Haise contracte une infection urinaire et arrive sur Terre avec de la fièvre. Les trois hommes se trouvent confrontés à un autre problème : la teneur en CO2, dangereux à forte concentration, augmente dans Aquarius, car le système de soutien-vie n'a pas été conçu pour héberger l'équipage au complet durant plusieurs jours. Un des spécialistes de la salle de contrôle, Ed Smylie, met au point un dispositif pour éliminer le CO2 excédentaire[27],[28]. Les astronautes confectionnent un adaptateur à l'aide de sacs en plastique, de carton et de ruban adhésif renforcé. Grâce à ce bricolage — surnommé « mailbox », « boîte aux lettres » en français —, ils peuvent utiliser les cartouches de rechange des filtres à air du module de commande pour remplacer le filtre à air du module lunaire, d'un format différent[29],[30].
Malgré la dernière correction de trajectoire, le vaisseau Apollo s'écarte de sa trajectoire (on découvrira par la suite que l’évaporation de l'eau du système de refroidissement du module lunaire exerce une faible poussée permanente sur le vaisseau). Une correction s'impose pour que le vaisseau entame sa rentrée dans l'atmosphère sous l'angle exact souhaité (si l'angle est trop ouvert, le module de commande risque de freiner trop brutalement et de brûler ; s'il est trop fermé, il ricochera sur l'atmosphère et se perdra dans l'espace). Mais le système de navigation du module lunaire ayant été arrêté, les astronautes ne disposent pas des mesures nécessaires pour effectuer cette manœuvre. L'équipage effectue donc cette correction en utilisant une technique mise au point dans le cadre des programmes Gemini et Mercury et reposant sur un relevé du terminateur à la surface de la Terre. Une deuxième correction est effectuée un jour plus tard à la demande de l'Atomic Energy Commission (AEC). En effet, le module lunaire transporte un générateur thermoélectrique à radioisotope (RTG) SNAP-27, destiné à rester à la surface de la Lune mais qui va désormais s'écraser sur Terre. La charge de Plutonium 238 utilisée comme source de chaleur par ce RTG est contenue dans un blindage qui, normalement, doit résister à la rentrée atmosphérique. Mais l'AEC demande que les restes du module lunaire s'écrasent le plus loin possible de toutes terres habitées. La trajectoire est donc modifiée une deuxième fois, cette fois à l'aide des moteurs du RCS du module lunaire (poussée d'une durée de 21,5 secondes), pour faire plonger les restes d'Aquarius dans la fosse des Tonga, profonde de 10 kilomètres[31].
Avant la rentrée dans l'atmosphère, l'équipage se réinstalle dans Odyssey, seul capable de les ramener sur Terre grâce à son bouclier thermique. Ils réactivent, étape par étape, les systèmes du module. Ils commencent par larguer le module de service. Ils aperçoivent pour la première fois, à leur grande surprise, que le panneau situé au niveau du réservoir d'oxygène a été expulsé. Le module lunaire Aquarius est largué très peu de temps avant d'entamer la rentrée atmosphérique, pour minimiser la consommation des ressources limitées en oxygène et surtout en énergie du module de commande, qui ne fonctionne plus que grâce à ses batteries de rentrée. Lorsque le module lunaire est largué, celui-ci peut encore fournir de l'oxygène pendant 124 heures mais de l'eau durant seulement cinq heures et demie et de l'électricité durant quatre heures et demie[32].
Normalement la rentrée atmosphérique après une mission lunaire s'accompagne d'une perte de liaison radio d'environ quatre minutes, causée par l'apparition de plasma incandescent autour du bouclier thermique de la capsule, qui perturbe le passage des ondes radio autour du vaisseau. Le temps de silence (en anglais : blackout) lors de la rentrée du module de commande d'Apollo 13 durera cependant six minutes, soit 87 secondes de plus que prévu. Cette durée a plus tard été attribuée à un angle de rentrée légèrement plus plat que l'angle optimal, ce qui a fait durer la rentrée un peu plus longtemps que prévu. Les équipes au sol ont un dernier moment de frayeur à cause de cette durée de silence trop importante, craignant alors que le bouclier thermique ait été endommagé par l'explosion dans le module de service et que l'équipage ait péri calciné lors de la rentrée atmosphérique.
Le vaisseau amerrit finalement dans l'Océan Pacifique entre la Nouvelle-Zélande et les Îles Fidji, à six kilomètres du navire d'assaut amphibie USS Iwo Jima (LPH-2), navire amiral de la flotte chargée de récupérer les astronautes. Après avoir été récupérés par l'Helicopter 66 — un hélicoptère Sikorsky SH-3 Sea King affecté à la récupération des astronautes —, les trois hommes sont hissés sains et saufs à bord du navire, de même que le module de commande[33].
Dès le retour de l'équipage, une commission est nommée pour enquêter sur l'accident. Ses membres sont des responsables d'établissement de la NASA (Goddard, Ames), des hauts responsables de la NASA ainsi que l'astronaute Neil Armstrong. L'enquête permet de démontrer que l’accident résulte bien de la surpression d'un des réservoirs d'oxygène et permet de remonter la chaîne d'événements y ayant conduit, en identifiant les erreurs commises[34],[35] :
Pour éviter que se reproduise semblable anomalie, ou à tout le moins en limiter les conséquences, la commission émit des recommandations induisant principalement des modifications du module de service. On modifia la conception du réservoir : on supprima les ventilateurs afin d'éliminer les câbles électriques. On réduisit autant que possible la présence de matériaux susceptibles de s'enflammer, à l'instar de l'aluminium et du téflon. Un réservoir d'oxygène et une batterie indépendante des piles à combustible furent ajoutés afin, d'une part, de disposer d'une réserve supplémentaire d'oxygène et, d'autre part, de ne pas dépendre des piles à combustibles en cas de défaillance de celles-ci. Des capteurs supplémentaires furent installés au niveau des vannes des piles à combustibles afin de disposer de plus d'informations sur leur fonctionnement. La restitution et la hiérarchisation des alarmes fut revue pour mieux mettre en évidence les incidents graves et éviter que certaines alarmes passent inaperçues en cas d'alarmes simultanées[36].
Les conclusions de l'enquête menées à la suite de l'accident d'Apollo 13 entraînèrent le report de la mission suivante, Apollo 14, pour permettre d'en tirer les conséquences. Son lancement fut repoussé à début 1971. Selon les plans fixés en , la mission Apollo 14 devait se poser dans une région située près du cratère Littrow, qui avait peut-être été le siège d'un volcanisme récent. Mais la reconnaissance photographique nécessaire pour identifier le site d'atterrissage devait incomber à la mission Apollo 13 et ne put être effectuée, compte tenu des circonstances. Les responsables du programme modifièrent donc les plans : la mission Apollo 14 reprit les objectifs d'Apollo 13, c'est-à-dire l'étude de la formation géologique Fra Mauro. À la même époque, le programme Apollo subit de nouvelles coupes budgétaires et les deux dernières missions furent annulées. Apollo 14 devint la dernière mission de type « H », c'est-à-dire dotée d'une version allégée du module lunaire Apollo[37]
Dans les années 1980, le module de commande fut prêté au musée de l'Air et de l'Espace du Bourget, mais il retourna ensuite aux États-Unis en 1995, pour les besoins de promotion du film Apollo 13. Depuis, la capsule est conservée au musée de l'espace Cosmosphere de Hutchinson (Kansas), États-Unis.
Le déroulement de la mission est le sujet du film Apollo 13, sorti en 1995, qui retrace assez fidèlement son histoire et constitue dans le domaine cinématographique le témoignage le plus réaliste sur le programme Apollo. Dans la version anglaise, la plupart des transmissions radio sont les bandes originales de la mission. Toutefois, afin d'accentuer le caractère dramatique, certains détails s'écartent de la réalité. Il s'agit notamment de l'explosion du réservoir d'oxygène, beaucoup moins spectaculaire dans la réalité que dans le film.
Plusieurs témoignages ont été publiés par les différents acteurs de la mission. Le commandant de la mission Lovell a rédigé avec un journaliste Lost Moon: The Perilous Voyage of Apollo 13, publié en 1994. Le responsable des systèmes électriques dans la salle de contrôle, Sy Liebergot, a livré son témoignage dans un livre intitulé Apollo EECOM, rédigé avec David M. Harland et publié en 2003. Le directeur des vols Gene Kranz décrit le déroulement de la mission dans le cadre de son autobiographie Failure Is Not an Option, publiée en 2000.
L'expression « Houston, we've had a problem » (en français, « Houston, on a eu un problème »), qui fut prononcée par Jack Swigert, est vite entrée dans la culture américaine, car le sauvetage de la mission Apollo 13 a été très suivi par les médias et le public. C'est l'euphémisme de la formulation qui a frappé les esprits, compte tenu de l'ampleur du « problème » en question (même si Swigert ne saisit pas la gravité de la situation au moment où il prononce cette phrase). La phrase a ensuite été légèrement déformée et est surtout connue de nos jours sous la forme « Houston, we have a problem » (« Houston, on a un problème »)[38].
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