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affaire criminelle De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L’affaire Guy Turcotte est une affaire criminelle canadienne dans laquelle le cardiologue Guy Turcotte a été reconnu coupable d'avoir poignardé à mort ses deux enfants de 3 et 5 ans dans la nuit du à Piedmont, au Québec[1].
Affaire Guy Turcotte | |
Fait reproché | Homicide de deux enfants |
---|---|
Chefs d'accusation | Meurtre au deuxième degré |
Pays | Canada |
Ville | Piedmont |
Nature de l'arme | Arme blanche |
Type d'arme | Couteau |
Date | |
Nombre de victimes | 2 |
Jugement | |
Statut | Affaire jugée : • En 1re instance : non criminellement responsable, pour cause de troubles mentaux (2011) • En appel : annulation du verdict antérieur (2013) • De retour en 1re instance : coupable de meurtre non prémédité (2015) |
Tribunal | Cour supérieure du Québec |
Date du jugement | 6 décembre 2015 |
Recours | Demande d'appel rejetée |
modifier |
Cette saga judiciaire, hautement médiatisée, sème la controverse dans l'opinion publique à la suite d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux émis par la Cour supérieure du Québec lors du premier procès en , suivi de sa remise en liberté conditionnelle un an et demi plus tard[2]. Il est incarcéré dans un pénitencier fédéral depuis au terme d'un deuxième procès. Il est toutefois transféré pendant son incarcération dans différents établissements fédéraux. Initialement détenu à Port-Cartier, il purgeait depuis quelques années sa peine au pénitencier La Macaza dans les Laurentides. En septembre 2024, il est transféré de nouveau dans un autre établissement fédéral, le centre régional de réception qui accueille les pires criminels du pays. Turcotte est cependant placé dans une unité à sécurité minimale[3].
Guy Turcotte, né le [4], rencontre Isabelle Gaston durant leurs études de médecine à l'Université Laval de Québec en 1999. Lui, timide et elle, extravertie, emménagent ensemble en 2000 puis partent s'installer à Prévost lorsque Turcotte obtient un poste de cardiologue à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme en 2003. Le 27 avril, Isabelle accouche d'Olivier avant de terminer ses études en médecine et d'être embauchée au même hôpital que Turcotte en tant qu'urgentologue. Ils se marient le , puis Anne-Sophie naît le .
À partir de 2007, le couple bat résolument de l'aile et les querelles sont nombreuses. Dès , Isabelle Gaston a comme amant Martin Huot, son entraîneur personnel et ami du couple[1].
Le , alors que le couple prépare un voyage au Mexique avec leurs enfants, Turcotte est informé de la liaison entre sa conjointe et Huot par la femme de ce dernier. Il feint l'ignorance, mais le lendemain de leur arrivée, Isabelle Gaston apprend sur Facebook que sa relation extra-conjugale a été éventée par celle-ci. Isabelle Gaston confronte Turcotte au sujet de son silence : « Tu le savais et tu n'as rien dit ». Le reste du voyage se déroule dans une ambiance froide et une séparation est même évoquée[1].
Turcotte quitte la résidence familiale deux jours après leur retour puis loue une maison à Piedmont. À la suite de la séparation, les enfants sont placés en garde partagée et la relation entre les parents devient hostile. Le , Guy Turcotte se rend à son ancien domicile afin de récupérer un chandail et fait la rencontre de Martin Huot qui semble y faire vie commune avec Isabelle Gaston. Il s'écrie alors : « T'es un écœurant. Tu m'as volé ma femme, tu m'as trahi. T'es un criss d'hypocrite. Tu venais chez nous, tu me faisais des gros hugs... » Il le frappe ensuite au visage[1].
Dans l'après midi du , Turcotte va chercher sa fille à la garderie et son garçon à l'école et communique avec Isabelle afin de l'aviser qu'il ira chercher des raquettes à son domicile pendant son absence. Celle-ci l'informe qu'elle vient de faire changer les serrures. Turcotte déclare alors : « Tu n'avais pas le droit, c'est ma maison. Tu veux la guerre, tu vas l'avoir »[1].
Le soir du 20 février, après avoir mis les enfants au lit, il se met à lire des courriels échangés entre Gaston et Huot puis fait des recherches sur des techniques de suicide. Il annule ensuite un rendez-vous prévu le lendemain avec son agent d'immeubles et communique avec la gardienne qui doit garder les enfants pendant le rendez-vous. « Mes plans ont changé, je n'aurai plus besoin de vos services. Merci beaucoup », dit brièvement Guy, avant de raccrocher[1].
Dans la matinée du , deux policiers de la Sûreté du Québec se rendent à la résidence de Turcotte en réponse à un appel de sa mère qui s'inquiète de l'état dépressif de son fils, et qui d'ailleurs attend les agents à l'extérieur de la maison[5]. Faute de réponse, les patrouilleurs entrent par la force puis constatent la présence à l'étage des corps inertes de deux enfants. Ils découvrent ensuite sous un lit Turcotte dans un état second et couvert de vomi et de sang. Celui-ci déclare alors à la police qu'il veut mourir et qu'on le laisse tranquille[6]. Lors des procès, un des deux policiers déclare qu'en le mettant en état d'arrestation, il a dit au suspect: « tu es un imbécile », ce à quoi Turcotte aurait répondu « oui, je le sais ». Cette affirmation ne figure toutefois pas dans le rapport initial de police[5].
Il est immédiatement transporté en ambulance à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, où il est soigné par ses propres collègues. Turcotte formule de nouveau le souhait qu'on le laisse mourir et n'acceptera finalement de révéler ce qu'il a ingéré qu'à 14h30 : « deux litres de liquide lave-glace (méthanol), vers 20 h la veille ». Il hurle à quelques reprises qu'il a tué ses enfants, qu'il est un criminel[7]. La mère des victimes est quant à elle informée de la tragédie en soirée alors qu'elle se trouvait en séjour de ski au Massif de Charlevoix[1].
Guy Turcotte est initialement transféré au département de psychiatrie de l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, puis à l'Institut Philippe-Pinel le [1]. Après son arrivée à Philippe-Pinel, certains de ses agissements laissent perplexes. Par exemple, il dresse une liste d'objets que sa famille Turcotte doit récupérer à son domicile, tels que des billets de spectacle pour une sortie en famille ou un chèque-cadeau destiné à Mme Gaston en vue d'un séjour dans un spa. Il contacte aussi sa planificatrice financière afin que soit retiré le nom de son ex-conjointe de son testament et de sa police d'assurance-vie.
Aussi, il téléphone à la gardienne d'enfants, qu'il avait décommandée le soir des assassinats, pour s'excuser de la souffrance qu'il lui aurait causée et lui mentionner que ce n'était pas la première fois qu'il envisageait un tel scénario. En revanche, il appelle Isabelle Gaston le pour lui exprimer sa colère contre elle et lui formuler le souhait qu'elle ne puisse tirer aucun bénéfice de ses assurances et du testament[7].
En il est envoyé à la prison provinciale de Rivière-des-Prairies pour y attendre son procès, où il fait une tentative de suicide en avalant des dizaines de calmants[1].
Le suspect admet d'emblée être l'auteur des meurtres. L’autopsie des corps permet de déterminer que les enfants ont reçu au total 46 coups de couteau. Le garçon de 5 ans en a reçu 27, dont 16 à l’abdomen, 4 au dos et 7 aux mains ou aux poignets. Ces derniers signifient que l'enfant a essayé de se protéger. La fillette de 3 ans a, quant à elle, reçu 19 coups à l'abdomen et au dos, mais aucun sur les mains ou poignets. En revanche, elle a été retrouvée avec des poignées de ses propres cheveux dans les mains[8].
Accusé de meurtre en 2009[1],[9], il comparaît à la cour en [10]. Des psychiatres témoignent à titre d'experts et se contredisent sur le rôle qu'a pu jouer l'ingestion de méthanol et l'état émotionnel de l'accusé sur l'altération de sa conscience. L'experte de la défense affirme pour sa part que son état mental était perturbé à la fois par un trouble de l'adaptation, une crise suicidaire et la prise de méthanol dont les effets psychotropes sont comparables à ceux de l'alcool[11].
En , le jury conclut que Turcotte a agi sans être en pleine possession de ses facultés. La cour rejette la charge de meurtre, le déclare « non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux » et lui impose une thérapie en milieu psychiatrique pour une durée indéterminée.
Il est présenté à la Commission d'examen des troubles mentaux du Québec pour la première fois le . Les spécialistes s'entendent pour dire qu'au moment des faits, Turcotte souffrait d'un trouble d’adaptation avec humeur dépressive, mais d'aucun trouble psychique. La Commission conclut qu'il n'est pas prêt à être libéré de l'Institut Philippe-Pinel, entre autres car il demeure fragile et peu apte à affronter le dur processus de réhabilitation, et qu'il représente toujours un danger pour autrui du fait de la gravité des gestes commis[12].
On lui concède néanmoins des droits non absolus de sorties, d'abord avec un accompagnateur, puis sans supervision à partir de septembre[13]. Lors de la seconde audience en décembre, les commissaires constatent que Turcotte a entrepris une psychothérapie, qu'il est plus apte à identifier ses mécanismes de défense et qu'il évite moins ses émotions[12]. Ainsi, les trois membres de la Commission décident à l'unanimité de le libérer sous condition le , jugeant cette fois-ci « acceptable » le risque pour la société[14].
Entre-temps, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a demandé le la tenue d'un nouveau procès en invoquant que l'intoxication de Turcotte était essentiellement un geste suicidaire, donc volontaire, et de ce fait incompatible avec le principe de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux[13]. En , la Cour d'appel du Québec accède à sa demande, annule le verdict antérieur et ordonne un nouveau procès à Guy Turcotte, sorti d'hôpital psychiatrique depuis un an[15],[16].
En effet, la Cour d'appel a considéré que le juge de première instance Marc David aurait dû informer le jury que c'était à l'accusé de démontrer qu'il souffrait d'une « maladie mentale incapacitante » distincte de l'intoxication. Selon l'article 16 du Code criminel qui prévoit la non-responsabilité criminelle, seul le « trouble mental » peut ouvrir la porte à cette défense[17]. En , la Cour suprême du Canada rejette une demande de Guy Turcotte qui invoquait le principe du non bis in idem (« nul ne peut être poursuivi une seconde fois pour la même offense »)[18],[19].
Il reste détenu jusqu'en septembre 2014 alors qu'il est de nouveau libéré sous caution, encore une fois non sans controverse. Le juge André Vincent motive sa décision en soulignant que rien n'indique que Guy Turcotte pourrait ne pas se présenter à son procès ni qu'il représente un danger pour la société. Le troisième critère, à savoir si la libération pourrait affaiblir la confiance du public dans le système de justice, était moins certain. En revanche le juge Vincent cite les causes récentes et distinctes d'Adèle Sorella et de Cathie Gauthier, accusées de meurtre d'enfants puis libérées en attendant leur procès. Il fait également valoir l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit à un inculpé « le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable »[20].
Le nouveau procès débute le [21]. Le , après 7 jours de délibérations, le jury rend un verdict le déclarant coupable du meurtre non prémédité de ses enfants[22], et le le juge lui impose un minimum de 17 années de prison[23]. Pour arriver à ce verdict, le tribunal a dû prendre en considération la jurisprudence récente de la Cour suprême qui, peu de temps après le premier procès, s'était prononcé en faveur de la responsabilité criminelle du meurtrier Tommy Bouchard-Lebrun, souffrant de troubles mentaux et ayant passé à l'acte alors qu'il était sous l'effet de puissants stupéfiants.
Cette nouvelle donne aurait facilité le travail de la Couronne. L'experte psychiatre de la défense, qui avait aussi témoigné en 2011, ne mentionne cette fois le méthanol qu'à une seule reprise en précisant que l’accusé a posé un geste suicidaire en ingérant cette substance[11]. Le , Guy Turcotte dépose sans succès une demande d'appel sur le verdict à la Cour d'appel du Québec avec pour motifs les directives évasives du Juge Vincent au jury[24].
Son projet de réintégrer immédiatement la société est interrompu en décembre 2015 alors qu'il est reconnu coupable et est immédiatement transféré au Centre régional de réception[25] de l'Établissement Archambault, puis à celui de Port-Cartier en [26]. Quelques jours après son arrivée, il est battu par d'autres détenus. En effet, selon un témoin de la scène, « son chien était mort en rentrant »[27].
En , il renonce à porter sa cause en appel devant la Cour suprême et restera donc détenu au moins jusqu'en 2033, année à partir de laquelle il pourra présenter une demande de libération conditionnelle[28].
Tout au long de l'affaire Guy Turcotte, l'opinion publique[29] prend vigoureusement position en faveur de sa culpabilité[30]. La saga soulève tant les passions qu'elle devient un enjeu de la confiance des Québécois dans leur système judiciaire[31]. Elle remet en question la notion de responsabilité criminelle et fait naître des débats sur la maladie mentale[32]. La vulnérabilité des enfants[33] est abordée, ainsi que les préjugés de classe[34] ou encore la normalisation de la violence[35]. Un autre débat sensible que l'affaire fait rejaillir est celui de la violence faite aux femmes[36] qui, dans ce cas, est transposée sur les enfants : action révélatrice quant à la vision de la femme qu'elle traduit.
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