Abbaye Notre-Dame de l'Atlas
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L'abbaye Notre-Dame de l'Atlas est un monastère de cisterciens-trappistes, fondé le à Tibhirine, près de Médéa, en Algérie. En 1996, sept moines furent enlevés du monastère, lors de la guerre civile algérienne, et assassinés. À la suite de ces événements, les moines cisterciens se replient au Maroc, tout d'abord à Fès, puis s'installent à Midelt en 2000. Le monastère Notre-Dame de l'Atlas y est aujourd'hui établi[1],[2].
Abbaye Notre-Dame de l'Atlas | |
Monastère de Tibhirine vu des champs. | |
Présentation | |
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Nom local | Tibhirine ثبحرين |
Culte | Catholique romain |
Type | Ordre cistercien, Pères trappistes |
Rattachement | Abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle |
Début de la construction | XXe siècle |
Géographie | |
Pays | Algérie |
Région | Alger |
Ville | Médéa |
Coordonnées | 36° 17′ 44″ nord, 2° 42′ 56″ est |
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Le film Des hommes et des dieux, sorti en 2010, retrace les événements ayant conduit à leur assassinat.
En 1843, des moines cisterciens-trappistes de l'abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle fondent une abbaye à Staouëli, en Algérie, en vue de former la population aux techniques agraires modernes. L'abbaye de Staouëli, et son exploitation agricole, se développent rapidement. Mais en 1904, les moines quittent le pays en raison de difficultés à rentabiliser le domaine et par crainte de la loi française sur les associations, votée en 1901, qui limite les droits des congrégations religieuses[3],[4],[5],[6].
En 1933-1934, des moines trappistes de l'abbaye Notre-Dame de Délivrance (Rajhenburg, Slovénie)[Note 1], se rendent en Algérie[7],[6],[8],[9]. Les moines gagnent Fort Alger en passant par différentes abbayes, Notre-Dame-des-Dombes et Notre-Dame-d'Aiguebelle. Parmi eux on peut citer, le Père Marcel (né à Taisey qui fait partie de Saint-Rémy, en Saône-et-Loire, en 1868) et le Père Berchmans (Joseph Baillet) et son frère le Père Benoît (Stanislas Baillet)[10]. La communauté vit dans un refuge monastique à Ouled-Trift, qui est ensuite transféré, en 1935, à Ben-Chicao, à 20 km de Médéa et à 100 km au sud d'Alger, dans le massif montagneux de l'Atlas[2],[Note 2].
En 1938, l'abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle devient l'abbaye mère de cette communauté[2],[4]. Les moines fondent le monastère Notre-Dame de l'Atlas, le , près du village de Lodi fondé par des colons en 1848[11], dans le domaine agricole de Tibhirine, devenu Tibhirine après 1962[2] (Tibhirine signifie « jardins » en berbère et plus précisément « jardin potager » : ce nom évoque les « jardins en escaliers » autour du monastère, irrigués par un bassin)[12]. C'est une grande maison de campagne, une ferme, qui est dominée par la Forêt de Tibhirine. La communauté compte tout d'abord treize moines dont quelques-uns étaient déjà présents à Staouëli[13].
La grande croix de la fondation fut érigée dans le préau le en la fête des Saintes Félicité et Perpétue[14]. Le , les frères Céléstin et Eugène, du monastère de Tibhirine, vont chercher dans le cimetière de l'ancienne abbaye de Staouëli une grande statue de la Vierge. Celle-ci est représentée enceinte, surmontant un croissant de lune, la tête couronnée de douze étoiles (Vierge de l'Apocalypse). Ils la ramènent à Tibhirine et la fixent au rocher Abd el-Kader, dans la montagne, où elle est bénie le 8 septembre, fête de la Naissance de la Vierge[3]. Ils sont vingt en 1939 et vivent principalement de la vente des produits de la vigne[13].
Le monastère reçoit le statut d'abbaye le 26 septembre 1947[2]. Le premier abbé en est dom Bernard Barbaroux, ancien abbé de Maguzzano : il reçoit la bénédiction abbatiale le treize octobre, avec la crosse abbatiale de l'abbaye de Staouëli, datée de 1856, ce qui exprime la filiation directe de la nouvelle Trappe. Amédée Noto et un autre novice prononcent ensuite leurs vœux[13]. Pendant la guerre, les habitants du Tamesguida descendent de la montagne par crainte des troubles et s'installent peu à peu aux alentours et sous la protection du monastère, ce qui contribue au développement du village de Tibhirine[15]. Les moines sont une trentaine en 1951 et environ vingt-cinq ensuite, c'est-à-dire bien moins qu'à Staouëli[13].
En 1958, lors de la guerre d'Algérie, le monastère est perquisitionné par des fellaghas[2]. En 1959, frère Luc, le médecin du monastère, est enlevé par le FLN avec un autre moine. Ils sont libérés quelques jours plus tard[16]. En 1962, il ne reste que quelques moines[13]. Après l’indépendance de l’Algérie, la fermeture du monastère est envisagée par les moines[17],[4], mais le décès de l'abbé général de l'ordre cistercien de la stricte observance, Dom Gabriel Sortais, le soir même de la signature du décret de fermeture du monastère[13], suspend la décision[16]. Mgr Léon-Étienne Duval, évêque d’Alger, demande alors aux responsables de l’ordre de maintenir une communauté monastique à Tibhirine[17],[4]. Un nouvel abbé, Ignace Gillet, renforce la communauté[13]. Huit nouveaux frères, issus des monastères de Timadeuc et d’Aiguebelle, arrivent en 1964. Les autorités algériennes exigent toutefois que les moines ne soient pas plus de douze[17].
La vie du monastère prend une tournure peu commune, marquée par une absence de rancune envers les musulmans, et au contraire, par un grand désir de se connaître mutuellement. La prière rythme les journées du monastère, qui vit en paix avec le village voisin.
La ferme et les terres attenantes à l'abbaye (374 hectares) sont nationalisées en 1976. Les moines gardent 17 hectares dont 12 hectares de terrains cultivables. Ils créent, avec des villageois, une coopérative agricole pour cultiver ces terres ensemble[18]. En 1978, le prieur est le père Jean de la Croix Przyluski, ancien abbé d'Aiguebelle. D'origine polonaise, il se montre inquiet de la place que prend l'islam dans la vie de l'abbaye et craint avec certains frères que Christian ne devienne abbé et donne libre cours à sa tendance islamophile. L'abbé exige alors que les cours d'islamologie se fassent désormais à l'hôtellerie c'est-à-dire en dehors du chapitre : malgré cela, Christian est élu abbé, supérieur de onze moines, le , après un vote à bulletins secrets[19].
En 1984, les moines renoncent au statut d'abbaye pour devenir un prieuré autonome. Le prieur est alors Christian de Chergé[7],[Note 3]. Le à la demande de Mgr Hubert Michon, archevêque de Rabat, le prieuré Notre-Dame de l'Atlas fonde un monastère annexe au Maroc, près de Fès-Bathat[6]. Les moines occupent l'ancien « hôtel Bellevue », où se trouvaient auparavant les Petites Sœurs de Jésus[20]. Cette communauté de Fès, dépend également de l'abbaye française d'Aiguebelle[6].
Le premier étage de l'abbaye était utilisé seulement pour les grandes occasions. Il présentait une vue panoramique sur Tamesguida, ce qui signifie « montagne de feu », qui avait abrité des bandits et des rebelles, et le Chréa. Cette partie de l'abbaye constituait un luxe gênant aux yeux du prieur, qui souhaitait que tout cela disparaisse un jour.
« Les deux fiefs montagneux, Tamezguida et Chréa, semblent encore lorgner le monastère, posé sur un mont de moindre hauteur, mais dominé par de vastes espaces verdoyants. D’où que vous regardez, votre œil se posera sur grandeur et majesté et vous ne ressentirez, alors, que la petitesse et l’insignifiance de la personne humaine dans le processus naturel et l’évolution des choses. Le sol reverdi et la luxuriance des bois et fourrés annonce un hiver moins rude que les précédents. Romarin, menthe, luzerne, coriandre, origan, laurier, menthe pouliot et thym embellissent les coteaux et emplissent l’air d’effluves à nul autre pareil »
— Fayçal Oukaci, Les jardins suspendus de Tibhirine[22].
Les moines exploitèrent ensemble les sept hectares du domaine agricole ; frère Christophe en était l'agriculteur. Le monastère était environné de jardins. Ceux-ci étaient très accueillants. Dans l'un d'eux, les moines avaient taillé une table ronde et des sièges dans la roche de la région. Dans un autre, une table ronde et trois sièges étaient faits du tronc et des branches d’un eucalyptus. Certains arbres du jardins sont centenaires. Dans la partie la plus à l’est du monastère, se trouvait une retenue d'eau et des jardins en escalier. Les villageois pouvaient avoir accès aux cultures des moines : les légumes cultivés par frère Christophe (tomates, courgettes, pommes de terre, fèves, haricots, petits pois, endives, piment, salades et choux-fleurs), les fruits provenant de 2 500 arbres fruitiers, répartis sur cinq hectares, vendus au marché ainsi que leurs confitures : figues, prunes, cerises, kakis, mûres, rhubarbe etc. Le miel des abeilles, qu'on trouvait en grande abondance, leur servait aussi aux soins des malades, tout ceci était l'héritage de la Trappe de Staouëli, abbaye pilote et ferme modèle de la fin du XIXe siècle[23].
En 1996, on trouve à Tibhirine neuf moines vivant les vœux monastiques (pauvreté, chasteté et obéissance) de la règle cistercienne.
La vie des moines cisterciens de la Trappe Notre-Dame-de-l'Atlas est réglée par la règle de saint Benoît. La lecture de cette règle est quotidienne car, pour un moine, elle traduit le véritable esprit de l'Évangile. La devise « Ora et Labora » (prie et travaille) est ainsi vécue chaque jour avec fidélité.
La prière s'exprime dans les heures monastiques de l'office divin : de jour comme de nuit, les moines chantent des psaumes, des hymnes et des antiennes. Le matin, matines, et laudes, le soir, vêpres, et complies sont les principaux offices. Ensuite la messe et l'oraison silencieuse, la Lectio Divina. Chaque matin les moines se réunissent en chapitres afin d'échanger les nouvelles, commenter l'actualité, se concerter, faire une répétition de chant ou discuter de la liturgie monastique.
Horaires de la Trappe affichés dans le monastère :
Les moines de Tibhirine vivent de leur travail agricole (leur domaine fait 12 hectares) : frère Christophe était l'agriculteur du monastère et partait chaque matin au travail. En outre, frère Amédée donnait des cours aux enfants du village et frère Luc tenait une consultation médicale dans le dispensaire du monastère. Les tâches les plus humbles sont les plus estimées, comme la cuisine, le ménage ou la lessive. La vie des moines reposait sur sept piliers évangéliques : célibat, prière, hospitalité, locaux (l'abbaye), travail, église locale, entraide[36]. L'abbaye a enfin, selon la tradition monastique bénédictine, une hôtellerie qui accueillait les visiteurs désirant se ressourcer.
« Nos frères étaient le visage, le cœur, les mains de Jésus pour des musulmans, nos voisins, nos hôtes, nos frères[37] »
L'accent est mis à Tibhirine sur l'Amour de Dieu et fraternel : le père de Chergé relate cette histoire des pères du désert, qu'un moine rendit visite à saint Antoine lui disant que sa règle monastique était moins austère que la sienne : pourquoi donc était il plus célèbre que lui. Et Antoine répondit : « c'est que j'aime Dieu plus que toi ». Ainsi à Tibhrine l'accent était mis non sur l'ascétisme, mais sur l'Amour de Dieu et du prochain, jusqu'à la mort.
On trouve dès le début, à son arrivée à Tibhirine, dans ses notes, sous la plume de frère Christian, lorsqu'il relate sa « Nuit de feu », des accents semblables à celui de l'hymne si célèbre à la charité de saint Paul dans l'épître aux Corinthiens : « Les trois demeurent : la foi, l’espérance et la charité. Mais la charité est la plus grande. » (I Co 13, 1-7.) :
« C'est toi qui t'élances. J'accueille. Je ne demande pas la richesse ; je ne demande pas la puissance ni les honneurs… Je ne demande que l'Amour qui vient de toi… Rien n'est aimable en dehors de Toi, et rien ne peut aimer sans Toi. Je veux T'aimer en tout. L'Amour est la source et l'œil de la religion. L'Amour est la joyeuse consolation de la foi[38]. »
— Christian de Chergé , « Nuit de Feu »
Les moines de Tibhirine se réunissaient tous les matins en chapitre pour commenter l'actualité, échanger les nouvelles, faire des répétitions de chant ou de liturgie. Cela constituait ce que Christian de Chergé appelait des « mini-séries ». La règle de saint Benoît y est commentée en profondeur. À partir de 1986, Le père Christian de Chergé prit en notes, d'une petite écriture serrée et très lisible, sur de grande feuilles A4, des résumés de ces chapitres. C'est une sorte de journal quotidien de l'abbaye, une méditation par jour, sur un mot, un concept, une phrase de l'évangile, de la Bible ou de la règle de saint Benoît, longuement commentée, une sourate du Coran, un apophtegme des pères du désert.
Ces chapitres de Tibhirine constituent aussi une source de réflexion sur les liens entre l'islam et le christianisme. Au Moyen Âge, des moines (Pierre le Vénérable et Hermann le Dalmate) avaient traduit le Coran et collecté des textes musulmans : c'est le Corpus de Tolède. Mais peu de religieux, avant le XXe siècle, avaient songé à comparer ainsi les deux religions, ni à prier ensemble.
Les moines poursuivirent une réflexion et une démarche de réconciliation avec l'Islam, dans la lignée du concile Vatican II concernant le dialogue interreligieux. Ce dialogue avait un sens concret (d'amour en actes et non en paroles) dans la mesure où Christian de Chergé trouvait stériles les débats d'ordre théologique. Ces rencontres se traduisaient donc par le partage d'un morceau de pain, d'un verre d'eau, des soucis quotidiens, partage des récoltes, puisque les parcelles de terrains étaient cultivées aussi par quatre ou cinq associés du village voisin, qui obtenaient ensuite la moitié du produit de la terre[39].
Les moines entretenaient de bonnes relations avec le voisinage. Ils participaient aux repas de fêtes musulmanes, comme la fin du ramadan. Les villageois eux, s’associaient aux grandes fêtes chrétiennes : un couscous (sans viande) réunissait bien souvent les moines et les habitants du village[40].
« Supportez-vous les uns les autres dans la charité ; efforcez-vous de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix »
— Saint Paul, Épître aux Éphésiens, 4:3
Un projet original s'est développé au monastère. Souvent y avaient lieu les réunions amicales de prière et de partage spirituel du groupe Ribât al-Salâm ou « Lien de la paix » composé de chrétiens et de musulmans soufis alawis. Ce groupe avait été fondé en 1979 par Claude Rault, père blanc, évêque du Sahara en Algérie de 2004 à 2017, et par Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine[41]. Trois moines de Tibhirine font partie de ce groupe qui se réunit deux fois par an à l'hôtellerie : dom Christian, Christophe et Michel, ainsi que des laïcs ou des religieux comme le P. Christian Chessel ou sœur Odette Prévost qui mourront également assassinés.
L'adhésion à ce groupe se faisait en deux étapes, la première étant un temps de partage avec un membre du groupe et la seconde l'acceptation de la candidature par le groupe. L'esprit du groupe était résumé par une citation mise en exergue du bulletin de liaison « Appliquez vous à garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix » (saint Paul, Épître aux Éphésiens, 4:3). La traduction lien de la paix n'est pas exacte ; il s'agit plus exactement du « monastère de la Paix », car le mot « Ribâts » désignait les monastères fortifiés des moines-soldats aux confins des territoires dits « infidèles » de l'islam. Par un retournement sémantique il devenait le symbole de la paix, le lien de la paix[42].
Tous les six mois, entre deux réunions, les membres du groupe devaient méditer un thème particulier emprunté à l'une des deux religions : action de grâce, dhikr, alliance, épreuve, unité, mort de Jésus, alliance fraternelle, vie spirituelle, chemin de Marie, humilité[43].
Toute sa vie, le prieur de Tibhirine, Christian de Chergé, cherchera à percer le mystère de la place de l'islam dans l'histoire du salut. Sa vision de l'existence est marquée par l'espérance : après leur mort, les musulmans accèdent, selon lui, à la même joie paradisiaque que les chrétiens.
Marie, la mère de Jésus, est un thème privilégié du dialogue entre chrétiens et musulmans. Les trappistes avaient une affection spéciale pour la Vierge Marie. La prière du soir est traditionnellement close par le Salve Regina. Elle fut sans doute un des thèmes clefs du groupe Ribât-el-Salâm. Frère Christophe écrit dans un de ses poèmes : « Je suis heureux de ton baiser, désiré, ma brûlure et ma joie, et bienheureux de ton Amour, feu et lumière, en Marie, toute paix »[44]. Dans la Bible, le messie est le Prince de la paix, qui viendra de Bethleem[Note 5]. En 1993, lors de l'entrée en force de l'émir, avec un groupe armé, dans le prieuré, Christian de Chergé lui dit qu'ils sont le soir de Noël et fêtent la naissance de Jésus à Bethléem, nuit de paix. L'émir répond en s'excusant « Je ne savais pas » et il s'en va. Les moines célébreront ensuite les vigiles et la messe de minuit.
Marie nous appelle dans le Verbe
et dans l'Esprit nous laisser aller
Dans la Joie du DON
Vers le Père
Vers nos Frères
(Poème de Frère Christophe, 1979)[44]
Les violences, liées à la guerre civile algérienne, sont vives dans les années 1990. Des religieux sont enlevés et tués. Les moines choisissent de rester en Algérie, mais fermeront les portes du monastère à 17 h 30. Des groupes armés viennent souvent au dispensaire demander des soins. Durant une nuit de Noël, en 1993 la communauté reçoit la visite du commando de l’émir Sayah Attia, qui vient d’assassiner quelques jours plus tôt, douze ouvriers d'origines yougoslaves, lesquels avaient pris l’habitude de fêter Noël au monastère. Le commando est venu lever l’impôt révolutionnaire et veut aussi emmener frère Luc. Le prieur, frère Christian, refuse en lui expliquant que Noël est une fête chrétienne sacrée et qu'ils ne reçoivent personne. Il lui dit aussi que frère Luc continuera de soigner ceux qui se présenteront au monastère. L’émir repartira dans la montagne sans avoir enlevé personne[45].
Après cette visite menaçante de ce groupe armé, la majorité des moines désirent quitter la région. Ils s'accordent toutefois une journée de réflexion et de prière avant de prendre une décision. À l'issue de celle-ci, ils choisissent, unanimement, de rester[46].
Dès lors sans doute, les moines pressentent leur enlèvement.
« Je te demande en ce jour la grâce de devenir serviteur
et de donner ma vie ici
en rançon pour la paix
en rançon pour la vie
Jésus attire moi en ta joie d'amour crucifié»[48].
Le père Henri Vergès, leur ami, et sœur Paul-Hélène Saint-Raymond, deux religieux, sont tués en , dans la casbah d'Alger. Quelque temps avant leur enlèvement, Christian de Chergé organise un vote à bulletin secret pour savoir s'ils partiraient ou resteraient en Algérie. Les moines décident de rester[3].
Dans la nuit du 26 au , à 1 h 15 du matin, un groupe d'une vingtaine d'individus armés se présente aux portes du monastère. Ils pénètrent de force à l'intérieur et vont vers le cloître où ils enlèvent sept moines. Frère Jean-Pierre et frère Amédée, qui dormaient dans une autre partie du monastère, échappent aux ravisseurs[17]. Le , le communiqué no 44, attribué au GIA, annonce : « Nous avons tranché la gorge des sept moines, conformément à nos promesses. » Neuf jours plus tard, le gouvernement algérien annonce la découverte des têtes des moines, retrouvées le près de Médéa[49]. Les obsèques ont lieu à l'église Notre-Dame d'Afrique à Alger, le [50]. On envisage de les inhumer en Europe. Mais les responsables de l'ordre cistercien insistent pour que l'inhumation ait lieu en Algérie, sur le site où ils ont vécu. Le , les sept moines sont enterrés dans le cimetière du monastère de Tibhirine. Les tombes ont été creusées par des voisins[17],[16].
Certains estiment que les moines de Tibhirine exilés de France en Algérie vécurent, selon les critères d'un texte chrétien très ancien, l'Homélie de Cambrai, concernant le monachisme irlandais du VIIe siècle, trois types de martyres : l'exil, le travail et l'ascèse quotidienne, et le martyre du sang[51]. Le P. Christian préférait évoquer quant à lui le « martyre d'amour »[52].
« Le choix des moines de Tibhirine de servir le « Dieu désarmé » plutôt que le « Dieu des armées » était et demeure une provocation pour tous ceux qui croient au pouvoir des armes » (Henry Quinson)[53].
Le pardon du père de Chergé correspond aussi aux plus grandes et plus anciennes exigences du christianisme : « Ainsi tu accorderas les mêmes bienfaits, les mêmes honneurs à l'infidèle, à l'assassin, d'autant plus que lui aussi est un frère pour toi, puisqu'il participe à l'unique nature humaine. Voici, mon fils, un commandement que je te donne : que la miséricorde l'emporte toujours dans ta balance, jusqu'au moment où tu sentiras en toi la miséricorde que Dieu éprouve envers le monde. » (Isaac le Syrien, VIIe siècle).
Un groupe de six personnes de l'I.S.T.R. (Institut des Sciences et Théologie des Religions) de Marseille, dont Christian Salenson, s'est constitué à la demande de Dom Barbeau, abbé de l'abbaye d'Aiguebelle, pour étudier les écrits (journaux, écrits, correspondance) des moines de Tibhirine[55]. Il lui consacrent la revue Chemins de Dialogue numéro 27 en 2006, « L'écho de Tibhirine ».
Après la mort des sept moines, les frères survivants de Tibhirine, le Père Amédée Noto, et le Père Jean-Pierre Schumacher, se rendent dans le monastère de Fès au Maroc. Le prieuré Notre-Dame de l’Atlas y est transféré le . Les moines partiront ensuite, en 2000, à Midelt près d'une communauté de franciscaines missionnaires de Marie. C'est là que le prieuré Notre-Dame de l'Atlas se trouve aujourd'hui. Le supérieur, depuis 1999, en est le père Jean-Pierre Flachaire. La chapelle de l'abbaye est désormais précédée d’un oratoire mémorial des frères de Tibhirine. C'est aujourd’hui le seul monastère cistercien du Maghreb[2],[56],[20],[57]. Grâce à l'arrivée de 2 nouveaux frères en 2013, la communauté refleurit (6 frères actuellement).
Le prieuré Notre-Dame de l’Atlas de Midelt abrite aussi, depuis , les reliques du père Albert Peyriguère, ermite au Maroc. Elles ont été transférées d’El Kbab (province de Khénifra, Maroc), où il avait été inhumé, à Midelt[58].
Un mémorial leur est consacré à l'abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle (France). Un autre oratoire que celui de Midelt est situé en Corse à 8 km de Bonifacio, près de grottes et situé à 200 m d'altitude, en un lieu fréquenté par des anachorètes depuis le Ve siècle : dans un ancien ermitage dit « ermitage de la Trinité » capucin, l'oratoire Notre-Dame de Tibhirine et sous la protection de la première Vierge portant le nom de « Notre-Dame de Tibhirine » (reproduisant celle de la cour de l'hôtellerie du monastère de Tibhirine, qui provenait de la Trappe Notre-Dame de Staouëli), sculptée par Gérard Artufel, et du troisième et dernier exemplaire de la Croix-Icône de Tibhirine écrite en 1986 par sœur Françoise, ermite ardéchoise, à la demande de Christian de Chergé[59] Un oratoire et tabernacle dans l'hôtellerie de l'abbaye de Tamié, composé d'un tabernacle entouré de sept pierres du monastère primitif du XIIe siècle, gravées d'inscriptions en grec et hébreu, tabernacle en cube de fer portant l'inscription « Vraiment il est ressuscité » écrite en arabe, et figurant sur la croix du monastère de Tibhirine, leur est également dédié.
Des moines ont essayé de revenir dans le monastère de Tibhirine, mais sans succès. En 1998-2000, six moines cisterciens, venus de plusieurs trappes du monde entier, se sont réunis à Alger dans l'espoir de pouvoir s'installer à Tibhirine. Mais la situation qui restait tendue dans la région a dissuadé l'ordre cistercien de tenter l'expérience[17],[16].
En 2010, l'accès au village de Tibhirine est encore entravé par de multiples barrages tenus par des militaires. L'état d'urgence est en effet toujours en vigueur en Algérie. Installées à Alger à la demande de Mgr Henri Teissier, ancien évêque d'Alger, trois sœurs de la famille monastique de Bethléem se rendent régulièrement à Tibhirine, et contribuent à l'entretien du monastère. Un prêtre d'Alger, le père Jean-Marie Lassausse, prêtre de la Mission de France, ingénieur agronome, vient, sous escorte policière, deux fois par semaine au monastère, célébrer la messe et assister les jardiniers[60],[61].
Une partie du monastère a été refaite, et les fenêtres sont neuves. Le verger de 2 500 arbres fruitiers et le potager sont entretenus par Youssef et Samir, les amis du frère Christophe, qui s'occupait des travaux agricoles. Les fruits et légumes récoltés sont vendus au marché de Médéa, ce qui permet d'entretenir les lieux et de payer deux ouvriers. La bergerie est remplie de moutons et de brebis, une trentaine en tout. Dans le dispensaire où frère Luc soignait les malades, des jeunes filles et des femmes du village font de la broderie. Sœur Bertha, fille de la Charité d'origine mexicaine, vend deux fois par mois leurs ouvrages à Alger. L’association des « Amis de Tibhirine » aide à la réalisation de petits projets, comme l’achat d'un fourneau à gaz[60],[61].
Sous un arbre, les tombes des sept moines sont placées sous sept pierres de marbre blanc. Ce cimetière fut visité par Nicolas Sarkozy en 2006 et par le cardinal Philippe Barbarin en 2007. Une grande mosquée a été construite juste en face du monastère.
En 2018, c'est le prêtre-ouvrier Jean-Marie Lassausse, d'origine lorraine, qui est responsable du lieu. Les habitants de la commune ainsi que l'Église de France souhaitaient voir revenir une communauté religieuse. Depuis le , c'est le Chemin Neuf qui s'est vu confier le monastère[62].
Date | Évenement |
---|---|
Premiers essais Ouled Trift (Alger). | |
Transfert à Ben-Chicao (Alger). | |
1938 | Changement de maison mère : Aiguebelle au lieu de Rajhenburg. |
Transfert à Tibhirine. | |
Érection canonique de la maison. | |
Érection du noviciat. | |
Érection en abbaye. | |
Élection du premier abbé de N.D. de l'Atlas. | |
1950 | Bénédiction de la nouvelle chapelle provisoire par le père abbé général D. Dominique Nogues. |
1962 | Après l'indépendance de l'Algérie, suppression décidé par le chapitre, mais non approuvée par le Saint-Siège. La communauté est maintenue par un apport de religieux de Timadeuc. |
1964 | Les autorités algériennes autorisent les moines à rester, à condition qu'ils ne soient pas plus de douze. |
1984 | Les moines renoncent au statut d'abbaye pour devenir un prieuré autonome. |
mars- | Enlèvement et mort de sept moines du prieuré. |
Transfert du prieuré de l'Atlas à Fès. |
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