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Évêque marin ou episcopus marinus, également appelé vir marinus episcopi specie, voire poisson-évêque, ou « monstre marin en habits d'évêque ».
Mentionné pour la première fois en 1517 par Cornelius Aurelius dans les Diviesekroniek, il est décrit comme un monstre merveilleux, un poisson en tous points comme un homme, comprenant le langage des hommes sans le parler, portant les attributs d'un évêque et notamment la mitre et un chasuble susceptible d'être soulevé jusqu'au-dessus des genoux. Cette dernière précision anatomique relative à la limite de retroussement du chasuble est reprise par quelques sources dont Jarry dans Faustroll.
Il fut présenté au roi de Pologne en 1431 avant d'être à sa demande muette rendu aux flots pour ne jamais reparaître. L'illustration de l'imprimeur de l'Académie à Leiden - Jan Seversz - apparaît à l'identique à plus de trois reprises dans l'ouvrage : il s'agit d'un même portrait d'évêque en bénédiction, illustrant notamment l'évêque marin et l'évêque d'Utrecht.
Ce récit initial des Diviesekroniek, constitue la source commune à tous les autres récits. Repris avec plus ou moins d'erreurs notamment sur la date de l’événement, il sera, par souci de crédibilité scientifique, plus ou moins amputé ou déformé par plusieurs naturalistes du XVIe siècle tels que Rondelet[1], Belon, Coenen ou Gesner[2]. À leur suite, Aldrovandi, Ambroise Paré[3], Henri de Sponde, le père Fournier, les pères de Trévoux, l'archevêque Carlo Labia ont fait mention de cet être merveilleux.
Dans le domaine littéraire, l'évêque marin a inspiré Prætorius, Heine, Nerval et Jarry ainsi que de nombreux artistes et illustrateurs y compris de nos jours. Meerbischoff en Allemagne, Zeebisschop aux Pays-Bas, biskup morski ou ryba biskup en Polonais, Sea-bishop ou Bishop-Fish en langue anglaise, Pez Obispo au Mexique, Obispo del Mar en Espagne, 主教鱼 en Chine, et 海坊主 au Japon.
Si les variations autour du récit initial sont de grande amplitude, deux prototypes d'illustration seulement inspirent scientifiques et littéraires depuis bientôt cinq siècles.
Le prototype le plus ancien et le plus repris est le prototype occitan de Guillaume Rondelet dans la version latine de l'histoire entière des poissons parue en 1554 et cité en référence notamment par Gesner, Aldrovandi et Paré.
Le prototype de François Desprez en 1567 est à peine plus récent. Repris par Sluperius, Coenen et Heins, il est plus proche d'une créature marine que d'un homme. En marge Zahn et Labia le représentent avec un visage humain.
La genèse de cet être singulier est étudiée en détail par Jac Conradie[4]. L'intégralité des éléments narratifs repris ultérieurement en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre par les naturalistes, les géographes et plusieurs auteurs proviennent de cette source unique les Cronycke van Hollandt, Zeelandts and Vrieslant[5] de Cornelius Aurelius[6], également connues sous le nom de Diviesiekroniek[7], imprimées par Jan Severen de Leyden (Johannis à Leydnis ou encore Jan Seversz) pour la première fois en 1517. Jan Seversz dispose alors d'un privilège[8] de 4 ans sur l'ouvrage.
La vue no 275v initie la narration en ces termes : « Van enen wonderliken monster dat doe gevangen wort. Dat XLVII capitel ».
La description de Cornelius Aurelius comprend notamment la présentation au roi de Pologne, reprise par Rondelet et la plupart des auteurs ; le chasuble qui se lève jusqu'aux genoux mais pas plus haut, que l'on retrouve chez Sponde et Fournier ; la mitre et autres habits et attributs épiscopaux ; sa capacité à comprendre les hommes sans toutefois parler.
Rondelet, qui est à l'origine de la plupart des autres références à l'évêque marin, mentionne une correspondance entre le physicien Gilbert Hostius (ou Gisberto Germano), à Rome, et le Seigneur Cornelius d'Amsterdam : il puise donc sans doute à cette même source. L'origine de l'illustration de Rondelet reste toutefois un mystère : elle n'a rien de commun avec le portrait donné par les Chroniques. Coenen, dont l'illustration typique du Zeebisschop est similaire à celles de Desprez et Sluperij, cite également les Chroniques.
Plusieurs naturalistes ou scientifiques écrivent voire représentent l'évêque de mer :
Les éditions plein chant[45] publient un article très complet avec de nombreuses références à l'évêque de mer dans la littérature, reprises ci-après.
Notæ :
Les signifiants employés établissent tantôt le primat de l'animal ou du monstre, de l'évêque ou de l'homme :
L'évêque marin inspire et suscite l'invention et la créativité jusque dans les explications rationnelles fournies pour expliquer son apparition.
A l'occasion de son exposition sur la mer, la Bibliothèque nationale de France (voir liens externes) reproduit une gravure de poisson-évêque de Sluperij recolorisée, puis cite les écrits de Guillaume Rondelet[1] avant de proposer cette interprétation : « N'est-ce pas aussi, en ces temps de Réforme [protestante], un pied de nez au clergé catholique ? ».
Cette interprétation se trouve renforcée par la lecture des pages 361 et 362 de l'ouvrage de Rondelet concernant le poisson-moine. Il y est en effet représenté un « Monstre marin en habit de moine » décrit en ces termes bien peu flatteurs : « En noſtre tems en Nortuege, on a pris un monſtre de mer (...) tous ceux qui le virent incontinent lui dŏnerent le nom de Moine car il auoit la face d'home, mais ruſtique é malgratieuſe, la teſte raſe é lize. »
Toutefois, montrer que chez les poissons aussi il y a des évêques et des moines, peut être interprété au contraire comme la validation de l'institution ecclésiale, immanence d'une volonté divine applicable à tous les êtres vivants semblablement. C'est l'usage qu'en fait l'archevêque Carlo Labia, voir Dell' Impresse pastorali, page 12[51].
Pour Michel Pastoureau[69] aux XIIe et XIIIe siècles, « l’image que se font alors de la mer les clercs et leurs lecteurs, les prédicateurs et leurs ouailles, est encore très proche de celle que met en scène la Bible : une mer terrible, un monde de chaos et de mort, où agissent des puissances démoniaques qui se déchaînent contre les hommes et contre les moines. »
Désigné ici comme monstre marin, là comme évêque de mer, cet être singulier est ainsi à la fois inférieur (poisson, monstre) et supérieur (évêque) au vulgaire.
« L'Onde a comme le Ciel (...) son Moine et son Prélat ». Par ces termes, Du Bartas renvoie de manière très explicite à l'oxymore issue de la table d'émeraude : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». On notera qu'à l'époque de Guillaume Rondelet, la frontière entre alchimie et science n'était pas aussi claire qu'elle ne l'est devenue aujourd'hui[70], et que Macé Bonhomme, imprimeur de l'ouvrage de Rondelet illustrant l'évêque marin, s'intéressait à l'alchimie[71],[72].
L'observation de monstres de mer est parfois attribuée à des observations déficientes d'animaux méconnus : le grenadier[73], le dugong, le phoque-capucin du Groënland (Cystophora cristata), le sirénien ou lamantin, la Chimaera monstrosa[74]. Or ceux qui ont proposé une illustration de l'évêque marin précisent qu'ils ne l'ont pas observé eux-mêmes. Pour justifier de manière rationnelle que l'évêque-marin n'existe pas, cette explication a donc besoin d'inventer une observation qui n'a pas eu lieu, pour la qualifier de déficiente. Le mythe est déplacé, de la créature observée à l'observateur.
En 1876-1877, Henri-Frédéric-Paul Gervais indique dans Les poissons, synonymie, description[75], p. 245, que la pastenague marine ou Trygon Thalassia, de nom scientifique : Bathytoshia centroura[76], signalée en mers adriatique et méditerranée et dont le corps est d'un beau violet foncé sur le dessus, plus pâle dessous, se nomme poisson-évêque sur les côtes d'Italie. La pastenague vue de dessus, présente une silhouette proche de celle de la créature de Desprez ou de Sluperij vue de dos.
Nota : en Cornouailles[77], d'après le docteur Gill-Carey, le weever-fish - qui ne ressemble en rien à la pastenague - porte aussi le nom vernaculaire de bishop fish. En Afrique du Sud, l'évêque bleu (bloubiskop) et l'évêque noir (swartbiskop) sont des noms vernaculaires de poissons[40].
Pour Russel et Russel[78], l'évêque de mer peut constituer une forme d'adaptation chrétienne d'un dieu d'une religion plus ancienne.
Dans un article de la revue américaine Folklore intitulé The origin of the sea bishop[78], d'après Karl Shuker[79], les auteurs suggèrent que l'évêque marin pourrait être une création humaine réalisée à partir de raies modifiées manuellement puis séchées : un Jenny Haniver, tel que celui exposé au musée de Whitby[80]. C'est également la thèse soutenue par l'Académie des sciences en 1829[81].
De ce qui précède, on peut reprendre en synthèse la filiation des sources déclarées, l'évolution du signifiant et les différentes représentations.
La plupart des auteurs citent leurs sources, ce qui permet d'identifier deux origines commune et une origine inconnue.
Les œuvres citées dans cet articles offrent une quinzaine d'illustrations de l'évêque marin. L'illustration de Guillaume Rondelet, avec un auriculaire fléchi, constitue la source la plus reprise, caractérisée par l'auriculaire de la main intérieure fléchi et non pas droit ou tendu. L'illustration d'Aldrovandi, dont l'auriculaire est droit, constitue également une source reprise à plusieurs reprises. Trois ouvrages anonymes présentent des illustrations peu soignées, dont il est difficile de dire si elles empruntent à Rondelet ou à Aldrovandi. L'illustration de Zahn est atypique. L'illustrations de Desprez, identique à celle de Sluprij reprise par la BnF dans une version colorisée, est en tous points comparable à celle de Coenen.
L'illustration de Guillaume Rondelet en 1554 et 1558 retournée par Gessner, est reprise par Ambroise Paré en 1575 dans la version française de ses œuvres, puis par Nerval vers 1850 et par Armand Landrin en 1870. Cet ensemble se caractérise par la commissure des lèvres qui oblique vers le bas, un majeur et un annulaire accolés ou au moins proche et parallèles ainsi qu'un auriculaire fléchi sur la main contre l'abdomen - main droite pour Rondelet, main gauche pour Gessner.
Un second ensemble, initié par Aldrovandi, repris par Paré dans sa version anglaise ainsi que par Caspar Schott puis Jarry et Gourmont, présente une gravure dont les doigts de la main contre l'abdomen sont nettement disjoints et dont l'auriculaire tendu, droit.
L'histoire universelle des poissons et autres monstres aquatiques de 1600, éditée par les héritiers de Benoist Rigaud à Lyon, présente la plus ancienne gravure de cette série d'illustrations que l'on retrouve dans les nombreuses éditions de l'Histoire des animaux à l'usage des jeunes gens (...), notamment de 1780 à 1812 , imprimées à Lyon, Berlin, Hambourg, ou Avignon. Les trois présentées ci-après affichent un auriculaire tendu, à l'instar de la gravure produite par Rondelet, dans une posture générale qui évoque celle du dessin réalisé par Coenen.
Zahn présente en 1696, dans Specula physico-(...), un Vir marinus episcopi specie stylisé : à la différence des trois premiers ensembles, il n'a aucune écaille sur le visage, par ailleurs expressif, souriant et proche d'un visage humain. Bien que désigné au sommaire de l'ouvrage comme un poisson en forme d'évêque, l'illustration de Carlo Labia en 1685 se rapproche de celle de Zahn.
Desprez en 1567, Sluperius en 1569, Adriaen Coenen[21] entre 1577 et 1580, puis Zacharias Heyns en 1601 représentent l'évêque marin de manière très spécifique, bien distincte des ensembles de gravures présentés plus haut dans cet article. Cette représentation est reprise par la Bibliothèque nationale de France en 2005, dans une version colorée pour son exposition virtuelle sur La mer (voir liens externes). La gravure de Desprez à consulter sur Gallica en haute-définition, est probablement le prototype premier car elle est plus précise et plus complète - un épi végétal de plus au sol - que celles de Sluperius et Heyns.
De ce qui précède, il ressort que si les éléments narratifs et les sources citées convergent sans exception vers les grandes chroniques des Pays-Bas de 1517, il demeure au moins un chaînon manquant pour les illustrations : rien de commun en effet, entre la gravure de Guillaume Rondelet qui dit avoir eu communication de ces visuels par un médecin allemand nommé Gisbertus, repris par la suite par tous les bestiaires ultérieurs[82] dont celui d'Ambroise Paré d'une part, et d'autre part l'ensemble initié par les Chroniques et repris par François Desprez, Sluperij, Coenen et Heins et par eux seuls.
De plus, certaines sources citées n'ont pas été trouvées : un vitrail de Rouen ainsi qu'une mention chez Thomas Cantimpré dans le Liber de natura rerum, livre VI page 34 ; le physicien - ou médecin - Gilbert Hostius (ou Gisberto Germano), à Rome ; Bartlemew de Granville ; les écrits de Majolo ou de Jan van Naaldwijk ; l'ouvrage Christophorus Columbus de Ontdekker van Amerika ou toute autre source qui montrerait que Christophe Colomb a pu rencontrer un évêque marin ; les écrits de Willughby, la carte du monde de Giacomo Gastaldi de 1561 qui présenterait un évêque marin au sud du Japon ou encore l'almanach de Liège, voire - qui sait - les archives du roi de Pologne Władysław Jagiełło ou de la Reine Marguerite de Valois.
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