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Émile Bonotaux (1896-1945) fut un officier français giraudiste engagé dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale (réseaux SSMF/TR , ORA, EMA). Il fut arrêté le à Paris, sur trahison probable de l'agent triple Henri Déricourt, organisateur (pour le SOE, section F) du vol qui l'a amené en France. Déporté en Allemagne, il mourut des suites d'un typhus au camp de Dachau le .
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1896. Émile Alphonse Bonotaux naît le à Voujeaucourt (Doubs).
1914. Il prépare l'École polytechnique.
1915. le , son sursis résilié, il est incorporé comme 2e classe au 4e RA.
1916. Il est promu aspirant le 1er février ; puis sous-lieutenant promu au feu, le 1er novembre.
1918. Sous-lieutenant, à titre définitif, le (pour prendre rang le ) ; lieutenant, le . Il est décoré de la croix de guerre 1914-1918 à trois reprises, en 1916 et 1918. Il embrasse la carrière militaire.
1921-1922. Il participe à la guerre du Rif au Maroc ; il est décoré de la croix de guerre TOE avec étoile d'argent.
1927. Capitaine, le .
1937. Chef d'escadron, le .
[Source : Revue Historique de l'Armée, , p. 51-60, Avec les Chasseurs et les Artilleurs de Blaregnies.]
Le , vers 3 heures du matin, le commandant du 2e groupe (le chef d'escadron Bonotaux) demande au colonel commandant le détachement l'autorisation de rendre inutilisables ses canons ; les quelques coups qui restent à chaque pièce sont tirés sur les positions ennemies à l'ouest de Blaregnies et le dernier coup fait sauter la pièce.
Le jour se lève et permet de se rendre compte que l'ennemi a bien réalisé l'encerclement total du détachement.
[...] La tentative[2] s'avère rapidement présomptueuse ; tous les cheminements possibles sont barrés ou tenus sous le feu ; rejetés de-ci de-là, éprouvant des pertes sévères, ces petits détachements auront finalement tous le même sort. Celui qu'emmène le colonel André est bientôt arrêté et le colonel, le mousqueton à la main, est mortellement blessé.
D'autres petits groupes sont faits prisonniers.
Quelques-uns enfin[3] se joindront aux débris du 10e BCP après s'être rendu compte de l'inanité de leurs efforts pour traverser le cercle ennemi et prendront part à l'ultime tentative que le commandant de ce bataillon[4] va tenter en fin de matinée du 23, en direction du bois du tilleul, afin de rompre l'étau qui enserre inexorablement ce qui reste des belles unités de la 43e division.
[...] C'était trop beau et la fête n'a qu'un temps. Un à un, nos mortiers se taisent. Fin de munitions... Fin de munitions... Tout a été tiré... Trois projectiles encore, qui partent. On n'en a plus. C'est la panne, l'affreuse panne, la panne mortelle, quand passait déjà sur ce bataillon quelque chose comme un souffle de victoire. Les mitrailleurs vont essayer d'en imposer, quand même, en lâchant quelques bandes. Mais peuvent-ils donner le change ? Ils doivent bien savoir, les autres, que nous sommes à bout.
[...] Fin de munitions... Les trois sinistres mots qui marquent le destin du bataillon.
Maintenant, je revois le lieutenant-abbé Le Sourd, planté sur le parapet de la tranchée. Avec la même pâleur sous le casque trop grand, la même maigreur dans la capote sanglée, et la même sérénité que toujours. Des fusants éclatent au-dessus de lui. Il lui faut forcer la voix :
— Que ceux qui veulent recevoir l'absolution...
La plupart des chasseurs du 10e sont des catholiques. Les têtes se découvrent. Le soleil est déjà haut et promène ses reflets sur les vitres du village. La matinée sera belle. Et chaude.
— Ego te absolvo...
Vite, Le Sourd, descendez...
Il ne se presse pas, s'aide de sa canne, revient parmi nous, nous regarde. Bien sûr, nous savons comme lui. Nous savons ce que sera la suite. Il est 10 heures et il n'y a plus d'obus, ni de cartouches, ni de grenades.
[...] Quand avons-nous mangé pour la dernière fois ? Et dormi ? L'épuisement crispe les visages, nos tenues sont en loque. Tant pis !
Tant pis. Le moral tient toujours. Il tient toujours puisque le commandant Carlier vient de crier :
— La Sidi ![6]
Et tout aussitôt, de proche en proche, de section en section, le cri se répercute : la Sidi ! la Sidi !. Il y a, à cet instant, dans ce village de Blaregnies, quelque chose qui vibre, qui doit être l'âme du bataillon.
À pleine voix, le 10e entonne le refrain de la Sidi-Brahim. Mais les dernières paroles du couplet se perdront dans un fracas de tonnerre.
L'ennemi a ouvert le feu de toute son artillerie.
Le commandant Carlier a rassemblé les capitaines et ôté sa pipe :
— Messieurs, l'heure est venue...
L'heure, oui... Les fanions ont été brûlés, les baïonnettes sorties des fourreaux. Dans le vacarme des obus, des ordres retentissent. Le bataillon décimé, le bataillon isolé, perdu, oublié, le bataillon va essayer, malgré tout, de s'ouvrir un chemin. Objectif : le bois au nord de Blaregnies. Ensuite, si l'on passe, Valenciennes... Mais passera-t-on jamais ?
[...] Avancer, avancer... Je vois Riottot, qui n'accorde pas au péril un salut du casque, et dont la carrure est un défi. J'entends Chaumont qui fait serrer les files. Au passage, le chef d'escadron Bonotaux, de l'artillerie, sort d'un fossé. Il nous attendait, et foncera avec nous jusqu'à la balle qui l'atteindra à la face.
Maintenant, nous arrivons sur le plateau et la grêle redouble...
[...] Le bataillon marche toujours. Mais que de capotes jonchant l'herbe... Pour Riottot, c'est une rafale dans le ventre. Il l'avait prévue [...] Sous le ciel d'un bleu insolent, la mort nous prend de vitesse. Là-bas, en échelon avancé, le lieutenant Malessard en tête de sa section a réussi à atteindre le bois et Le Sourd est avec lui. C'est à bout portant que les Allemands les tirent.
— Le commandant ! le commandant est blessé ! Il a les deux bras traversés... Mais à peine a-t-il ralenti. Le bataillon saigne mais continue, les regards sur son chef. Vers le bois, le bois... Hélas! Le commandant Carlier n'y parviendra pas. Cette fois, il a trois éclats de Minen dans la poitrine. Puis une sorte de coup de grâce : du 105 dans la cuisse.
Et c'est alors que, subitement, le feu cesse. Comme saisis de respect devant ces hommes désarmés, les Allemands renoncent à massacrer les survivants.
Il en sort de partout, de tous les chemins, de tous les taillis, des Allemands, qui braquent sur nous un incroyable arsenal. À quoi bon ? Il y a beau temps qu'il ne nous reste plus un chargeur, plus une grenade. Beau temps que notre compte était bon, abandonnés dans le gros de l'ennemi, aux prises avec un régiment entier, à un contre dix. C'est fini.
[...] Le commandant Carlier, déjà secoué par la fièvre, répète les paupières closes :
— Le bataillon, le bataillon...
Le bataillon est mort, mais il a vécu. Il a vécu Blaregnies. [...]
En janvier, Bob Maloubier mentionne que Bonotaux est affecté à Royat et qu'au sein de l’armée d’armistice, Bonotaux est de ceux qui créent les Groupes d’autodéfense (GAD).
À Clermont-Ferrand (13e DM), il est délégué régional du 3e bureau des M.A. En novembre, quand la Wehrmacht envahit la zone libre, l’état-major du 2e bureau part à Alger, tandis que Bonotaux reste sur place pour assurer la liaison entre l’ORA et le général Giraud. Il est promu Lieutenant-colonel le .
Le général Frère l'envoie en mission à Alger pour organiser des liaisons avec les commandements alliés et français et rapporter en métropole des missions et des moyens. Il est d'abord prévu qu'il parte par le sous-marin Casabianca le . Le colonel A. de Dainville raconte dans son livre que le colonel Bonotaux attend le sous-marin, "en civil, son uniforme roulé dans son sac tyrolien". Mais la mer est démontée, le sous-marin n'est pas là. Il attend le 4, planqué dans les buissons, il attend encore le 5 dans une ferme et finalement doit renoncer. Un message d'Alger annonce l'impossibilité définitive d'une récupération par sous-marin. Paul Paillole « Perrier » (TR) décide d'organiser avec les Anglais l'envol d'un avion d'Angleterre pour enlever Gilbert-Guillaume, le colonel Bonotaux et le courrier. Un Lysander doit venir à la lune d'avril, dans le Puy-de-Dôme et les emmener en Angleterre. Le lieu choisi, homologué par la RAF, se trouve dans le hameau de Pardines, entre Sauvagnat, Issoire et les grottes de Perier. Les messages BBC convenus sont : « Les voyages forment la jeunesse, a dit Madame de Sévigné. » et « Les bains de mer sont agréables en été. » Le , la BBC passe le message convenu. Toute la journée est consacrée à la préparation du courrier d'Alger via Londres et à l'organisation à terre du départ. Le capitaine Mercier de TR 113 accompagnera les passagers, secondé par Michel Thoraval, Herbelin et Simonin.
Dans la nuit du 16 au [7], Émile Bonotaux part à Londres par Lysander, en compagnie de Georges Guillaume « Gilbert »[8].
Récit du pick up par Georges Guillaume « Gilbert », le deuxième passager[9]
À l'heure prévue, la BBC confirme l'opération. Dernier dîner en France dans un excellent restaurant discret de Clermont-Ferrand, dernière coupe de champagne en attendant celui que nous sablerons dans notre pays libéré.
Nous disposons de deux voitures pour nous rendre sur le terrain. Dans la première, Herbelin, en tenue de gendarme, assure la sécurité.
Nous arrivons vers 23 heures sans encombre. Le paysage est sauvage, dénudé ; pas la moindre ferme à l'horizon. Si l'endroit est propice sur le plan de sa sécurité, il ne semble pas présenter un terrain idéal pour atterrir en peine nuit.
Le sol est inégal, caillouteux, plein de trous et la surface utilisable est limitée par un ravin.
Le colonel Bonotaux et moi-même, avec nos précieux bagages, sommes à l'abri d'un couvert en bordure du plateau.
Michel, Simonin et Herbelin mettent en place le dispositif de balisage prévu : quatre lumières blanches et une lumière rouge à l'extrémité du terrain. Michel se tient prêt à donner la lettre convenue avec la RAF.
Le Lysander doit être là à partir de minuit. Le temps est couvert, et la lune, bien pâle, ne se montre que par intermittence... Nous sommes tous à l'écoute du bruit du moteur. Allongés sur le dos, nos yeux fixent le ciel pour essayer d'y trouver l'étoile filante, gage de notre évasion.
Une demi-heure... Une heure... Une heure et demie... Toujours rien. Nous sommes à la limite des possibilités car l'avion devra regagner l'Angleterre avant le lever du jour.
Il est un peu moins de 2 heures quand un ronronnement se fait entendre, léger d'abord et très rapidement assourdissant.
L'avion vient de frôler nos camarades et au moment où nous le voyons immanquablement rouler dans le précipice, le pilote réussit acrobatiquement à reprendre de l'altitude.
Herbelin, au côté de la lampe rouge, a failli être décapité.
Michel prend l'initiative de faire déplacer rapidement les lampes de quelques dizaines de mètres. Quelques minutes plus tard, le Lysander, au mépris de toute prudence, atterrit tous phares allumés. Le colonel Bonotaux n'a que le temps de se déplacer rapidement pour éviter d'être happé par l'avion.
Le pilote freine à fond et s'immobilise quelques secondes avant de rouler pour gagner l'extrémité du terrain, prêt au décollage.
Nous nous précipitons en même temps qu'un coup de feu nous fait sursauter... Nous nous écrasons au sol, l'arme à la main.
Le pilote anglais, flegmatique, une cigarette dans une main, un revolver dans l'autre, nous montre le pneu de son avion qu'il vient de crever. Michel, faisant l'interprète, nous indique qu'un silex a crevé un pneu en prenant contact avec le sol. L'avion risquant d'être déséquilibré et de capoter au décollage, le pilote n'avait pas d'autre solution pour rétablir l'équilibre !... Le départ sera acrobatique.
Les valises sont rapidement chargées et nous prenons place, le colonel Bonotaux et moi dans un étroit habitacle, puis nous faisons glisser le cockpit en plexiglas sur nos têtes.
Le temps n'est pas aux effusions et il faut repartir. Le moteur n'a pas cessé de tourner. Dans un vacarme infernal, il donne son plein régime et nous avançons. Nous sommes secoués comme dans une machine à laver et nous ressentons le moindre caillou du terrain... Nous éprouvons la sensation pénible que nous n'arriverons jamais à décoller...
Enfin, après une secousse que nous percevons avec acuité, nous ressentons soudain l'ivresse de voler presque silencieusement.
Nous prenons de la hauteur, pas suffisamment à notre gré car il nous paraît d'une folle témérité de survoler un territoire occupé à une altitude qui ne dépassera jamais huit cents mètres sauf à l'approche de la Manche.
Nous sommes reliés au pilote par une sorte de petit téléphone. Nous devons lui communiquer toutes nos observations : avions ennemis, tirs de la DCA, etc. l nous indique que nous avons des bouteilles thermos à bord contenant thé et café. La deuxième boisson a notre préférence. Nous aurons toujours le temps à Londres de la sacrifier au breuvage traditionnel.
Nous arrivons, le colonel Bonotaux et moi, à échanger quelques paroles, mais il faut crier pour se faire entendre. Nous sommes en pleine euphorie, sans pour cela oublier nos camarades qui ont assuré notre départ et qui, à l'heure où nous volons, vers la liberté, sont au danger... Le bruit (moteur et coups de feu) a peut-être alerté l'ennemi !
Notre vol se poursuit. La terre de France se déroule sous nos yeux : nous distinguons très bien des hameaux, des rivières, des forêts. L'itinéraire, minutieusement choisi, évite les grands centres et nous survolons presque constamment la campagne, quelquefois en vol rasant.
Vers 5 heures, après avoir pris de l'altitude, nous survolons la Manche. Pendant quelques instants, la lune perce les nuages et l'eau nous offre le spectacle scintillant de son étendue.
Encore une demi-heure et nous apercevrons le rivage de l'Angleterre... Nous descendons en larges virages et tout à coup nous avons la surprise de survoler quelques secondes un magnifique terrain illuminé par des projecteurs... Nous saurons plus tard que le pilote avait alerté Portsmouth que ses deux pneus étaient crevés, ce qui avait motivé cet éclairage proscrit en temps de guerre...
Une ambulance et les pompiers étaient prêts à intervenir... Fort heureusement, le pilote, très habile, pose son engin au sol sans autre dommage que de brutales secousses...
Nous aurions eu autrement peur si nous avions su que notre train d'atterrissage était entouré de plus de trois mètres de fils téléphoniques que nous avions arrachés au départ.
Et c'est dans un hangar de la RAF qu'un whisky à la main, nous remercions notre pilote... Champagne en France à 22 heures, whisky en Angleterre à 5 heures 30, quel meilleur symbole de la collaboration franco-britannique ?
Récit du pick up par Hugh Verity[10]
L'objectif était un petit plateau à l'ouest d'Issoire, dans la région montagneuse au sud de Clermont-Ferrand. [...] Le temps était mauvais par endroits : de nombreux nuages rendaient la navigation difficile. Malgré cela, John [Bridger] avait eu l'audace nécessaire - et assez de confiance en sa navigation - pour percer la couche nuageuse à son ETA (heure estimée d'arrivée). Mais le risque principal était l'approche de la bande d'atterrissage qui se trouvait sur un plateau de montagne, entre deux vallées. Le vent soufflait fort cette nuit-là et un courant descendant se produisait sur l'escarpement à l'approche du plateau. Pour éviter un brusque décrochage, John dut remettre les gaz dans la phase finale avant de se poser. Il poussa un peu trop et toucha le sol bien après la première lumière, plutôt vite et en descente. Comprenant qu'il approchait très rapidement de la vallée à l'autre bout du petit plateau et qu'il ne pourrait sans doute pas s'arrêter à temps, il voulut refaire un tour, mais, n'ayant pas pu prendre assez de vitesse, bascula dans le vide. Il baissa le nez de l'appareil pour reprendre de la vitesse aussi rapidement que possible, piquant dans la vallée. Puis, à la puissance maximale, il reprit de l'altitude, cap sur l'autre versant de la vallée. Par ce clair de lune, il pouvait apercevoir la crête au-dessus de lui. Il ne put l'éviter tout à fait et rebondit deux fois. Son premier rebond le projeta au-dessus des maisons qui se trouvaient là ; le second, plus spectaculaire encore, lui fit traverser des câbles à haute tension entre deux pilônes. Un éclair éblouissant l'aveugla momentanément. Mais il ne s'était pas écrasé. Il se retrouva en ligne de vol, resta en palier en attendant que ses yeux se réhabituent à la nuit. Puis il éclaira à la lampe de poche son train d'atterrissage. Tout semblait aller assez bien, à part un pneu déchiré dans un des rebonds. Il revint au plateau et se mit en ligne pour une autre approche. Il tint meilleur compte cette fois-ci du courant descendant et atterrit court, à la hauteur de la lampe A. Craignant que le pneu déchiré ne le déporte vers la gauche, il se servit, pour compenser cet effet, du palonnier et du frein de droite. Puis il revint vers le chef du terrain, Michel Thoraval, et le comité d'accueil très ému, et sortit du cockpit pour inspecter les dégâts. Pendant que les passagers échangeaient les chargements, il décida de dégonfler le bon pneu, estimant que le décollage serait plus facile à contrôler sur les jantes des deux roues plutôt que sur un train boiteux. N'y arrivant pas avec son couteau de commando, il prit son Smith and Wesson 39. Il lui fallut cinq balles pour arriver à ses fins. Le pneu s'affaissa avec un léger sifflement. En 1988, le docteur Thoraval m'apprit que c'est avec le pistolet de gros calibre d'un gendarme qui faisait partie de son équipe qu'on arriva à crever le pneu. Le sol était dur et sec ; les roues ne s'enfoncèrent pas. Il décolla sans grande difficulté. Selon certains récits, il aurait retraversé les câbles à haute tension. [...] Je me souviens du mètre et demi de gros fil de cuivre enroulé autour de la casserole de son hélice et des sept mètres de ce même fil, traînés derrière lui par le Lysander à l'atterrissage à Tangmere. Il me semble que, de tous les atterrissages que nous ayons connus, celui-là fut le plus extraordinaire.
Récit du pick up par Michel Thoraval, dit « petit Michel », organisateur du pick up[11]
L'atterrissage se passa mal, un pneu éclata. Pour arriver à équilibrer l'avion, il fallait donc crever l'autre, nous n'avions évidemment pas de roue de rechange sur place.
Le pilote, le capitaine Bridger, descendit et essaya en vain avec son 7,65 de crever la deuxième roue. J'essayai à mon tour avec mon pistolet, mais je n'eus pas plus de chance. Enfin Herrmann — toujours lui ! — arriva avec son « artillerie lourde » et du premier coup réussit, mais dans un bruit d'enfer. L'écho se prolongea longtemps dans la nuit. Une fois encore nous n'étions pas rassurés. Il fallait faire vite.
Le décollage fut évidemment pénible. Le pilote accrocha une ligne à haute tension qui passait à proximité et arracha quelques mètres de fil. Notre angoisse était extrême. Nous prévînmes Londres par radio. Ambulances et pompiers attendirent l'avion à l'atterrissage. J'appris plus tard que tout s'était passé normalement, mais j'en frémis encore.
Pour nous, après le décollage, la mission était terminée ; il n'y avait plus qu'à rentrer, cependant notre mitraillade avait bien pu alerter les gens des environs.
Effectivement nous eûmes la désagréable surprise de voir arriver dans l'ombre un militaire casqué, tout essoufflé. Herrmann le mit tout simplement en joue et lui demanda « ce qu'il faisait là ».
Il était, répondit-il, de garde sur le terrain et devait, en cas d'incidents, avertir par téléphone les autorités.
Nous essayâmes de rassurer ce brave homme en lui disant que l'avion était parti à destination de Vichy. Il n'en crut rien et nous fit le reproche de ne pas l'avoir prévenu et surtout... de ne pas l'avoir mis dans l'avion.
Nous l'avertîmes gentiment qu'à la prochane liaison nous penserions à lui, à condition, toutefois, qu'il ne signale en aucun cas l'atterrissage de l'avion sur cette partie du terrain. Pour plus de précautions, nous ne lui fîmes pas mystère que tout message passé par lui pour alerter les autorités nous serait communiqué et signifierait son arrêt de mort.
Le terrain était isolé. Il semblait bien que ce militaire seul s'était rendu compte de ce qui venait de se passer. Nous pûmes donc rentrer sans autres incidents à Clermont. Une fois encore, nous en fûmes quittes pour la peur. Nous étions tombés sur un brave homme qui sut se taire.
Le colonel Bonotaux est pris en charge par le capitaine Bonnefous qu'il a eu sous ses ordres et qui sert dans une section secrète du SOE baptisée Devonshire. À l'insu de la France libre, elle prend en charge les agents de Giraud de passage en Angleterre et qui refusent de se ranger sous la bannière gaulliste. Bonotaux accepte de rencontrer Passy, patron du BCRA, polytechnicien et artilleur comme lui. Ils sympathisent, mais sans plus.
Le SOE lui procure un passage sur Alger où le général Giraud le reçoit. Bonotaux lui apprend que les généraux Revers, Frère, Verneau, Olleris, se placent sous ses ordres et l'assurent de leur entier dévouement. Le général Frère, ancien chef d'état-major de l'armée d'armistice, se fait fort de la remobiliser le moment venu et de créer un réduit stratégique en Auvergne. Le messager venu de France est déçu. Il croyait rencontrer un véritable « chef », celui qui rallierait la France entière et réaliserait l'union sacrée. Or Giraud lui apparaît hésitant, indécis. À Alger, gaullistes et giraudistes se livrent une lutte sans merci. Sur décision du général Revers, Bonotaux rencontre le commandant Paillole, à qui il ne cache pas son amertume. Il demande à regagner la France où on se bat « sans arrière-pensées ». Paillole écrira : « Il avait une certaine tristesse en me quittant pour rejoindre la France. Il devait être pris en charge par une organisation qui n'était plus la nôtre. Il me disait combien il était inquiet de cela. Son intuition, hélas, devait se réaliser. »[13] Le commandant Paillole l'adresse au délégué du BCRA à Alger, Pélabon, qui dispose des moyens d'acheminer Bonotaux en France via l'Angleterre. Bonotaux repart donc à Londres..
À Londres, il rencontre le commandant Pierre Lejeune, chef du Devonshire, ancien membre des GAD et de l'ORA, rentrant d'une tournée en France. Lejeune est consterné que les délégations de pouvoir et les consignes qu'emporte Bonotaux ne soient pas codées, et qu'on lui ait donné pour point de chute « de secours » à Paris un restaurant de la rue Troyon jugé suspect. Heureusement le colonel empruntera la ligne de Déricourt, jugée (alors !) parfaitement sûre.
Au 93, rue Lauriston, qu'occupe la sinistre « Gestapo française », on le fouille. Surprise, sa serviette contient 4 millions de francs et des documents à en-tête du gouvernement d'Alger ayant trait à l'Organisation de résistance de l'armée, l'ORA, d'obédience giraudiste ! Les pseudonymes cités dans le texte sont cousus de fil blanc. Ainsi, un certain « Félix », délégué de « H » pour la France occupée, ne peut être que le général Frère et H, le général Giraud. La prise est d'une telle importance que Henri Lafont, en personne, la livre avenue Foch.
Même si Bonotaux n'avait pas été capturé, jamais les généraux Frère, Olleris et Verneau n'auraient reçu le courrier qui leur était destiné ; ils avaient été arrêtés les uns après les autres. Depuis la fin de l'hiver, libre d'agir à sa guise sur tout le territoire français, la Gestapo n'avait pas eu grand mal à identifier l'ORA, composée de militaires mis à la retraite d'office. Il lui avait suffi de recenser les « états-majors », les « cabinets », les « bureaux » qui, même clandestins, n'avaient su s'affranchir de la routine administrative. Le SD avait saisi des notes, des instructions soigneusement classées. En outre les réunions secrètes des responsables ne l'étaient guère. Dans une lettre, tombée entre les mains du SD, Giraud demandait au général Frère de le rejoindre à Alger ; il voulait lui confier le commandement des formations militaires qui seraient remises sur pied en France afin de harceler l'ennemi quand le débarquement aurait lieu. Frère avait refusé net : « Jamais ! Ce serait une désertion ». Peu après, Frère avait été incarcéré. Le , c'est le tour du général Olleris et de son adjoint. Les Allemands n'ont retenu contre les officiers que de vagues présomptions. Après quelques interrogatoires, on leur laisse entendre qu'ils pourraient être relâchés. C'est à ce moment-là que Bonotaux a été capturé.
Hans Kieffer trouve, parmi les documents dont Bonotaux est porteur, un ordre du jour au ton très officiel signé de Giraud qui se déclare « chef de la Résistance sur le territoire français » et s'adresse au général Frère, « chef de l'armée secrète et commandant de l'armée française à l'heure du débarquement », un débarquement prévu pour l'automne 1943. L'ordre stipule : « S'il arrivait malheur au général Frère, le général de Lafond prendra la relève, puis le général Olleris. »
Après son passage avenue Foch, Bonotaux est interné dans une villa de Neuilly — 9, avenue Victor-Hugo — d'où il réussit à donner des nouvelles, grâce à un plombier français occupé à des réparations, qui accepte de transmettre un message à la famille. Puis, à l'aide d'une sarbacane, Bonotaux parvient à projeter dans la rue des billets roulés en boule relatant les circonstances de son arrestation. Par-dessus l'enceinte de la propriété, sa femme peut l'apercevoir une fois et échanger de loin quelques gestes de reconnaissance. Puis Bonotaux est transféré à Fresnes. Le général Frère l'y rejoint[18].
1944. En février, sa femme peut le voir à deux nouvelles reprises, à Fresnes. Bonotaux est déporté le avec les généraux Frère, Olleris, Gransard et Gilliot au camp de Natzweiler-Struthof, connu sous le nom d'"enfer d'Alsace". Ils sont tous étiquetés N.N., donc voués à la mort sans laisser de traces. Bonotaux et le général Frère sont là hospitalisés ensemble. Bonotaux assiste dans ses derniers instants le général Frère, qui meurt le , juste un an après son arrestation. Le , ses camarades partent pour être jugés à Breslau. Le colonel Bonotaux et le général Delestraint, trop malades pour être transportés, restent sur place. Puis, le camp étant évacué vers Dachau, Bonotaux y est transféré le 3, et après une journée, gagne Allach. Vers fin octobre, il est ramené à Dachau dans un bloc fermé.
1945. En janvier, une épidémie de typhus se déclenche, très grave dans le bloc où il se trouve. Il contracte la maladie fin janvier. Lors de sa convalescence, il meurt le d'une myocardite, complication secondaire du typhus. Par décret du , il est promu colonel (à titre posthume), pour prendre rang du .
Cité à l'ordre de l'Armée
Le nom d'Émile Bonotaux est mentionné sur le mémorial national, situé à Ramatuelle (Var), dédié aux membres des services spéciaux morts pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale.
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