La Vénus Victrix (génitifvictricis) est dans la Rome antique une représentation de la déesseVénus victorieuse ou amenant la victoire, célébrée notamment par Pompée pour fêter l'un de ses succès militaires. Elle est cependant inspirée d'une Aphrodite armée «Nikếphoros» (νικήφορος nikḗphoros, qui porte la victoire) qui dans certaines régions Est de la Grèce antique protégeait les acropoles (on évoque également sa parenté avec la déesse Ishtar)[1] et elle trouve sa source primitive dans la victoire que remporte Aphrodite lors du Jugement de Pâris évoquée dans la mythologie grecque et sa conséquence, selon l'Énéide, sur la fondation de Rome par l'entremise de son fils Énée[2]. Dans la tradition romaine, la réputation d'une Vénus victorieuse s'affirmera au IIIesiècleav. J.-C., notamment lors de l'affrontement avec Carthage[3].
La mode s'était répandue à Rome, pendant tout le Iersiècleav. J.-C., dans les grandes familles, particulièrement les chefs ambitieux, de se trouver une ascendance divine[4]. Ainsi César prétendra-t-il descendre d'une Venus Genitrix (Vénus génitrice). Pompée, quant à lui, identifie sa destinée glorieuse à Venus Victrix, pour revendiquer lui aussi la protection de Vénus dans la sourde rivalité qui l'opposait justement à César et à Sylla qui, lui-même, invoquait la Vénus Felix (bonne fortune) pour le conduire à la victoire[5]. Ils promettent leur gratitude à Vénus en cas de succès militaire[6].
Conformément à sa promesse, Pompée érige un temple à Venus Victrix (aujourd'hui disparu) après sa victoire lors de la guerre de Mithridate (en 55 av. J.-C.). Il célèbre ainsi son triomphe «de orbi universo» («sur le monde entier»). Le temple, édifié au sommet de la cavea du théâtre qu'il avait aussi fait construire sur le Champ de Mars, est inauguré le 12 août 52 av. J.-C.[7],[8]. Pour célébrer ses victoires, César dédie également un temple à Venus sur le forum qu'il construit, mais à Vénus Genitrix, bien que ce soit au nom de Vénus Victrix qu'il avait préalablement lancé ses troupes contre Pompée à la bataille de Pharsale (en 48 av. J.-C.)[8],[9].
Cependant, le premier temple romain élevé en l'honneur d'une Vénus victorieuse, également le premier célébrant le culte de Vénus, serait celui dédié à Vénus Obsequens (Vénus propice, exauçant les souhaits) en 293 av. J.-C., par le consul Fabius Gurges en remerciement de la victoire contre les Samnites[10].
La Vénus Victrix avait aussi un temple sur la colline du Capitole[11]. La Vénus Victrix se fêtait les 12 août et 9 octobre et donnait lieu à un sacrifice annuel à cette dernière date[12],[13]. On célèbre aussi la déesse Victoria[14].
À l'égal de la Vénus Felix et de la Vénus Genitrix qui finira par absorber symboliquement toutes les autres[15] compte tenu de l'élan fondateur de César, la Vénus Victrix complétera les représentations traditionnelles de Vénus dans l'empire romain. Elles sont toutes les trois liées à l'idée d'une Vénus favorisant la victoire[16]. On les retrouve représentées sur les pièces de monnaie, notamment la Vénus Victrix, du Ier jusqu'au IVesiècle, principalement sur les monnaies des impératrices mais aussi sur celles de quelques empereurs. Compte tenu de la constance dans la figuration de la Vénus Victrix sur ces pièces (dans une première période, présentée de dos, son voile tombant découvrant les fesses), souvent s'appuyant sur une colonne, celle-ci pourrait s'inspirer d'une statue de marbre qui aurait été célèbre dans l'Antiquité sans qu'on en ait aucune trace et sans certitude[17].
De nombreux types iconographiques, développés à Rome pendant les dernières années de la République, représentent la Vénus armée sur différents supports mais, excepté la statuaire rattachée ultérieurement à ce type, la représentation des différentes versions de Vénus Victrix nous est parvenue presque exclusivement par la numismatique romaine[18],[19].
La Vénus est généralement à demi dénudée mais peut parfois porter une armure légère. Ses attributs habituels sont la pomme de Pâris qu'elle porte à la main le bras tendu, le bouclier et la lance pointe en bas (parfois traduit comme un sceptre). La pomme est parfois remplacée par un casque ou la victoire ailée (ou la Vénus est elle-même ailée), et la lance, par une palme, symbole du vainqueur. Le bouclier et le casque peuvent être posés à terre. Vénus s'appuie généralement sur une colonne (visible ou non) et peut avoir la tête entourée d'une couronne de laurier.
La perte de leurs bras laissant entière la question de leur fonction, on a voulu reconnaître la Vénus Victrix notamment dans la Vénus de Milo[20], ce que loua notamment le poèteLeconte de Lisle[21], et dans la Vénus d'Arles[22]. Outre les supputations sur leurs attributs militaires éventuels, les deux statues ont en commun leur rapport à la pomme de Pâris[23] et leur semi-nudité, considérée comme typique de la représentation de la Vénus Victrix[24].
En outre, dans l'art néoclassique, la dénomination de Vénus Victrix est employée dans le contexte du Jugement de Pâris autant que dans le sens de «Vénus victorieuse sur le cœur des hommes»[12],[13],[25]. Par exemple: la Vénus Victrix (ou Vénus Borghèse), une statue du XIXesiècle où le sculpteur Antonio Canova immortalise la beauté triomphante de Pauline Bonaparte dans une Vénus étendue à demi nue qui tient de la main gauche la pomme de Pâris (Rome, Galerie Borghèse).
Autres représentations ou évocations à l'ère moderne:
En horticulture, «Vénus Vitrix» est le nom donné à une variété de Fuchsia créée en 1840, caractérisée par un tube blanc et sépales à pointe verte, avec une corolle pourpre-violet qui est bleue lors de la première ouverture[36].
Le culte de Nikêphoros était présent notamment à Argos, selon Louis Séchan, dans sa présentation du «Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines» de Daremberg et Saglio (1877), sur le site mediterranees.net. On évoque également la parenté avec la déesse de l'amour et de la guerre, Ishtar qui, dans le panthéon babylonien, était la personnification divine de la planète Vénus (Félix Guirand, La mythologie assyro-babylonienne. Nouveau Larousse Encyclopédie de la mythologie /trad. Aldington et Ames, Londres: Hamlyn, 1968, p. 58)
Virgile rapporte les événements qui allaient entrainer la fondation de Rome: les amours du dieu de la guerre Mars et de la Vestale Rhéa Silvia, mère de Romulus et Rémus (les fondateurs de Rome) et descendante d'Énée, lui-même fils d'Aphrodite/Vénus (Virgile, L'Énéide, Chants II à VII). Sous Marc Aurèle, une monnaie de Faustine II représente, au revers, Mars en compagnie de Vénus Victrix, faisant clairement allusion à cet évènement (voir cette monnaie). Virgile dit qu'Énée fut sauvé par sa mère Aphrodite pendant la guerre de Troie (consécutive au jugement de Pâris), à l'issue de laquelle il s'établit en Italie pour engendrer la nation appelée à dominer le monde (les Romains) comme Jupiter l'avait prédit (Virgile, Énéide,1.254-304). Il fut ainsi considéré à l'origine de la fondation de Rome car son fils Ascagne fonda Albe la Longue où naquirent Romulus et Rémus, qui descendent de lui, et donc de Vénus (Virgile, Énéide,1.271). Voir également: Édith Hamilton, Mythology, 1940/trad. Abeth de Beughem, coll. Marabout université, 20.1983, p. 268).
Lors de la première guerre punique en 244 av. J.-C., les Romains défendent le sanctuaire d’Érycine sur le Mont Éryx, consacré à Aphrodite, avec un tel acharnement que le carthaginois Hamilcar Barca renonce à s’emparer du lieu sacré. Rome acquiert ainsi la conviction que l’Aphrodite d’Érycine est porteuse de victoire. En 217 av. J.-C. après la défaite de Trasimène, lors de la seconde guerre punique, Quintus Fabius Maximus(en) installe la Vénus d’Érycine sur le Capitole, à l’intérieur du pomœrium. La victoire suivra. Tite-Live, Histoire romaine, XXII, 9 et 10 (voir également infra lors de la troisième guerre samnite)
Robert Schilling, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu'au temps d'Auguste, Paris, De Boccard, 1954. Il semble que cette invocation remonte à ses victoires en Orient en 82 av. J.-C.
Plutarque rapporte que Pompée et César avaient chacun promis d'élever un temple dédié à Vénus Victrix en cas de victoire (Plutarque Pompée 68.2, Appian 2.10.6)
Selon Samuel Ball Platner qui évoque Pline (NH VIII .20): Dictionnaire topographique de la Rome antique, London Oxford University Press, 1929, p. 555. Voir également: Filippo Coarelli, «Le théâtre de Pompée», in Dialogue d'histoire ancienne, 23/2, 1997, pp. 105.124; le complexe de Pompée
Sophie Madeleine, Le complexe pompéien du Champ de Mars au IVesiècle, témoin de la réappropriation idéologique julio-claudienne, Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96). Lire en ligne
«C’est seulement en mars 45 que Venus Genitrix remplacera la Venus Victrix pharsalienne comme mot de ralliement des troupes césariennes, à la bataille de Munda», selon Paul Marius Martin, Pourquoi écrire la Guerre civile quand on est César? in Action politique et écriture de l'histoire, Cahier des études anciennes, 2009, paragraphe 34 (Lire en ligne). Le temple est érigé en 46 av. J.-C. et il subsiste aujourd'hui les ruines de quelques colonnes
Plutarque dit que Fabius ramena de la capitale des Samnites la Vénus victorieuse qui y était adorée, pour la porter à Rome (Bíoi Parállêloi, p. 315). Tite-Live le situe près du Circus Maximus et date sa construction à -295 (Histoire romaine, Livre X, 31)
Selon Samuel Ball Platner (op. cit. p. 555) qui évoque un temple ou un autel sur le Capitole, mentionnée dans les calendriers avec populi Romani Genius et Felicitas (Fast. Amit. Arv. Ad VII Id. Oct., CIL I 2 P214, 245, 323, 331)
André Baudrillart se demande s'il s'agit, avec la Vénus Victrix, d'une seule et même déesse comme certains le prétendent: Les divinités de la victoire en Grèce et en Italie d'après les textes et les monuments figurés, Thorin et Fils éditeurs, Paris, 1894, pp. 74.87 (lire en ligne). Voir aussi Georges Roux, Pausanias en Corinthie, 1961, p. 110, pour qui les cultes de Vénus victrix et de fortuna-victiria ont confondu à Corinthe les personnages d'Aphrodites et de Tyché
Gilbert Charles-Picard, par exemple, dit clairement qu'il existait trois formes de Vénus victorieuse: «La félix de Sylla, la Victrix de Pompée et la Genitrix de César»: La Vénus funéraire des Romains, in Mélanges d'archéologie et d'histoire, vol. 56, 1939, p. 126
Pour une étude sur l'iconographie de la Vénus Victrix, voir Gilles Sauron, «Quis deum? L'expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome», Rome, École française de Rome, Palais Farnèse, 1994, pp. 253-254 - Voir aussi: Fredéric Weber, Monnaies de l'antiquité - Vénus
Cécile Carrier fait état des différents supports où est représentée Vénus Victrix, de différentes manières, outre les monnaies, des reliefs, des rondes-bosses ou des camés dont il reste néanmoins quelques traces: relief sur le mur de la villa Médicis (Rome) ou camé de Florence, etc. («Sculptures augustéennes du théâtre d'Arles» in Revue archéologique de Narbonnaise, 2005, volume 38, N° 38-39, p. 373 [lire en ligne]).
«Si mon berceau flottant sur la Thétys antique Ne fut point caressé de son tiède cristal; Si je n' ai point prié sous le fronton attique Vénus victorieuse, à ton autel natal» Extraits de «La Vénus de Milo» (1846), in Poèmes antiques, Alphonse Lemerre, Paris, 1852 (lire en ligne).
Thèse selon laquelle la Vénus portait lance et casque, notamment rapportée par Jean Julien Estrangin, Études archéologiques, historiques et statistiques sur Arles, Aubin éditeur, 1838, p. 57. et Louis Jacquemin, Monographie du théâtre antique d'Arles, Typographie Dumas et Dayre, Arles, tome II, Chapitre VI, 1863, p. 37. Cette thèse est réactualisée par Cécile Carrier qui lui met un glaive dans la main et lui prête l'intention d'enlever son baudrier («Sculptures augustéennes du théâtre d'Arles» in Revue archéologique de Narbonnaise, 2005, volume 38, N° 38-39, pp. 365-396). Voir également infra note 22
On a retrouvé, non loin de la Vénus de Milo, un bras portant une pomme que l'on croit pouvoir lui attribuer et les bras inventés de la Vénus d'Arles portent désormais la pomme de Pâris
Il semble établi aujourd'hui qu'il y eut, dès l'époque archaïque, plusieurs types de représentations de Vénus, d'après les divers rôles qui lui étaient prêtés. Ainsi, Aphrodite-Ourania ou la Vénus céleste était figurée vêtue d'une longue robe, la tête ornée d'un bandeau; la Vénus Genitrix ou la Vénus Victrix était figurée demi nue. Se rattachent de ce point de vue à la Vénus Victrix également la Vénus de Capoue (Naples) et l'Aphrodite tordant sa chevelure (Vatican). En ce sens les présentations historiographiques de Vénus/Aphrodite sur les sites Mémo.fr - Hachette et Lutèce.
Dans un sens proche, Louis Viardot qui, à propos de différentes Vénus présentes au Louvre, retient qu'elles sont des Vénus Victrix, non pas victorieuses sur le mont Ida (allusion au jugement de Pâris), mais, par leurs charmes: Les merveilles de la sculpture, Hachette, Paris, 1869, p. 90. Dans cette acceptation, les Vénus de Milo et d'Arles seraient également des Vénus Victrix; mais en fait, toutes les représentations flamboyantes de la féminité, telle cette peinture de Ludovic Mouchot, un nu étendu baptisé "Vénus victorieuse" au salon des beaux-arts de Paris en 1880
André Baudrillart, «Les divinités de la victoire en Grèce et en Italie d'après les textes et les monuments figurés», Thorin et Fils éditeurs, Paris, 1894;
(de) Walter Burkert, in Homo Necans (1972) 1983:80, noting C. Koch on «Venus Victrix» in Realencyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft , 8 A860-64;
DAPHNE - Données en Archéologie Préhistoire et Histoire sur le NEt (CNRS) - Mot clef: Vénus Victrix;
Jean Gagé, «Théologie de la victoire impériale», Revue Historique., 1932;
(en) Samuel Ball Platner, Thomas Ashby (ed. rev.), «Vénus Victrix, Aedes», in Dictionnaire topographique de la Rome antique, Oxford University Press, Londres, 1929;
Gilles Sauron, «Quis deum? L'expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome», Rome, École française de Rome, Palais Farnèse, 1994, pp. 253-254;
Félix Robert Schilling, La religion romaine de Vénus depuis les origines jusqu'au temps d'Auguste, De Boccard, Paris, 1954.