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Une servitude environnementale volontaire ou obligation réelle environnementale (en anglais : conservation easement) est, dans le domaine de la conservation de la nature, un concept juridique opérationnel du droit privé, correspondant à un transfert volontaire de la part d'un propriétaire foncier d'une partie de ses droits de propriété, qu'on pourrait en quelque sorte qualifier de mise en servitude volontaire pour des raisons environnementales.
C'est un concept juridique inventé et principalement décliné en Amérique du Nord.
C'est un outil qui peut accompagner une démarche individuelle d'éthique environnementale, ou encore d'agriculture biologique ou d'écosociocertification forestière de type FSC[1]. C'est un outil parfois aussi utilisé comme mesure compensatoire ou conservatoire[2].
En France, cette idée a été évoquée lors du Grenelle de l'environnement, et reprise par la députée Geneviève Gaillard dans le rapport qu'elle a coordonné en 2011 pour la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale, intitulé « Pour une politique audacieuse et intégrée de conservation et de reconquête de la biodiversité »[3].
La servitude environnementale est une « auto-servitude » qui s’illustre concrètement par la conclusion (signature et enregistrement légal) d’un acte juridique, durablement contraignant, entre un propriétaire foncier volontaire et un tiers qui peut être une collectivité, un établissement ou une organisation de protection de la nature. Son objectif, dans tous les cas, est la mise en défend juridique d'un espace physique en tant que paysage ou habitat naturel contre la construction ou son artificialisation.
Ce principe s'est concrétisé dans les années 1960 aux États-Unis, puis dans plusieurs pays de droit anglosaxon, puis dans certains pays de droit romano-germanique (Suisse par exemple[4]).
Cet outil est un des outils utilisés - dans les pays où il est légalement possible de le mettre en œuvre - pour protéger des sites naturels et les services écologiques qu'ils rendent ; que ces sites abritent une haute biodiversité, une ou plusieurs espèces patrimoniales, ou simplement des espèces ordinaires.
C'est souvent le seul ou le meilleur moyen pour un propriétaire (qui souhaite le rester) de soustraire tout ou partie des parcelles qu'il possède à la convoitise ou à la spéculation agricole ou immobilière.
Dans le domaine de l'agriculture, cela permet par exemple d'éviter le retournement d'une prairie permanente, ou la destruction d'une haie bocagère, de coteaux calcaires, le drainage de zones humides pâturées, etc. ou de se prémunir des effets de la périurbanisation, du développement de projets immobiliers, ou de la conversion du sol ou sous-sol à des fins commerciales ou industrielles, ou de toute activités menaçant l'intégrité ou les fonctions éco paysagères du site.
La servitude environnementale permet, aux échelles locales ou globales (quand l'outil est largement utilisé comme aux États-Unis), à des propriétaires de s'assurer que leurs terres, leur région et leur pays conservera un degré de naturalité et de qualité éco-paysagère qu'ils ont apprécié durant leur vie et qu'ils souhaitent léguer aux générations futures, tout en capitalisant sur certains des usages et valeur associées à ces terres. Aux États-Unis, en 2008, des programmes étaient actifs dans 23 États qui "achètent" aux agriculteurs leurs droits à construire ou aménager de sol, de manière à le protéger pour le futur.
Une autre forme de servitude environnementale est un accord engageant un propriétaire (privé ou public) à protéger un patrimoine naturel (une forêt tropicale, récif corallien, lagune par exemple) en échange du remboursement ou de l'effacement d'une dette supportée par ce propriétaire (privé, ou collectivité ou pays). C'est une des formes possibles de coopération décentralisée et transfrontalière entre pays riches et endettés, qui s'est notamment développée à la suite du Sommet de la Terre 1992 de Rio (juin 1992), face à l'incapacité des États à s'accorder sur une convention mondiale pour la protection des forêts (elle s'était à Rio transformée en « Déclaration »), et face au constat du recul des forêts primaires et anciennes et de l'érosion accélérée de leur biodiversité.
Aux États-Unis, ce type de servitude fait partie de ce que le droit américain nomme encumbrance ; notion désignant dans le droit anglosaxon tout ce qui peut affecter ou limiter (dans le présent, ou potentiellement dans le futur) un titre de propriété (exemple : hypothèques, baux, servitudes, commodités, privilèges, ou tout type de restriction associée au titre de propriété).
En France, un propriétaire peut demander que son terrain soit classé en réserve naturelle volontaire (devenue « réserve naturelle régionale »), s'il y a accord de la collectivité régionale, mais outre qu'il doit justifier de la présence d'espèces ou d'habitats patrimoniaux, ce contrat est généralement tacitement reconductible tous les cinq ans et n'a pas le même poids juridique ni surtout la même stabilité dans le temps que le conservation easement inventé par le droit anglosaxon.
La loi no 2016-1087 du pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, prévoit que les propriétaires ayant conclu un contrat d'obligation réelle environnementale (ORE) puissent être exonérés de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
L'objectif premier d'une servitude environnementale est de protéger le sol et la biodiversité qu'il supporte de certaines formes de développement ou d’utilisation non souhaitées par le propriétaire et/ou les personnes physiques ou morales avec lesquelles il prépare l'accord.
Dans les faits, les terres protégées par une telle servitude seront souvent :
La protection se traduit essentiellement par la séparation entre le droit de subdiviser la ou les parcelle(s), et d'y mettre en œuvre certains aménagements, et les autres droits de propriété (Le propriétaire qui cède des « droits de développement » conserve son droit de propriété et de gestion). Les groupes de travail du Grenelle de l'Environnement avaient évoqué la possibilité d'intégrer ce principe dans le droit français via la Loi Grenelle I ou Grenelle II, mais cette proposition n'a pas fait l'objet du consensus recherché par le Grenelle.
Une dimension socio-culturelle et socio-psychologique importante est que le propriétaire contribue lui-même, et de manière proactive au bien public en préservant certaines valeurs associées à son sol, pour les générations futures et l'intérêt général. En acceptant ou choisissant d'associer cette servitude à son terrain, ce même propriétaire prend la responsabilité de surveiller les utilisations futures de sa terre et de s’assurer de la bonne application des termes de l’accord, voire - en cas de violation de ceux-ci - d’avoir recours aux tribunaux. C'est un outil qui de ce point de vue relève du champ de l'éthique environnementale.
Si les servitudes existent depuis des temps immémoriaux, l'origine juridiquement formalisée de ce type servitude à vocation explicitement environnementale, est récente ; comme l'est d'ailleurs la presque totalité du droit de l'environnement.
Dans les pays ayant développé une fiscalité environnementale, sur certains territoires ou dans certains contextes (réseau écologique, plans de protection de la nature ou du paysage, parcs naturels, etc), le droit anglo-saxon et des pays favorisant ce type de servitude permet généralement au propriétaire foncier d’une « servitude environnementale » d'être éligible à une déduction fiscale.
Aux États-Unis, tout propriétaire foncier faisant don d'une "qualification" de servitude environnementale à une " organisation de protection de la nature" reconnue en vertu de la réglementation énoncée dans le Code des impôts (Internal Revenue Code) peut ainsi être admissible à une déduction de l'impôt fédéral sur le revenu égale à la valeur de sa donation.
Cette valeur est déterminée par un expert qualifié (homologué) ; Elle correspond à la différence entre la valeur de la propriété avant et après la mise en place de la servitude. Pour obtenir cette déduction fiscale, la servitude doit être:
À la suite d'une nouvelle législation votée durant la présidence de George W. Bush le [10], les propriétaires accordant une servitude environnementale à une ONG environnementale peuvent déduire une somme correspondant à la valeur de leur don, de 50 % du montant annuel de l'impôt (« adjusted gross income » ou « AGI »). De plus les propriétaires dont 50 % ou plus de leurs revenus proviennent de l’agriculture peuvent se voir déduire 100 % de leur AGI
Tout ou partie de la valeur de la donation, si elle n'a pas été déduite des impôts la première année peut l'être durant les 15 années qui suivent (ce qui permet d'utiliser le droit de déduction sur une durée maximale de 16 ans), ou durant cette période jusqu'à ce que le montant total déductible ait été atteint.
L'adoption d'une nouvelle loi sur l'agriculture (Farm Bill ; été 2008) a élargi ces incitations fiscales de manière qu'elles s'appliquent également à toutes les servitudes de conservation réalisées par des agriculteurs en 2008 et 2009.
Aux États-Unis toujours ; s'il y a accord du propriétaire, le terrain peut alors devenir un « Easement refuge » et faire partie d'un réseau national ou fédéral de zones-refuges pour la faune sauvage (« National Wildlife Refuge » ; réseaux de plus de 500 aires protégées gérées par le United States Fish and Wildlife Service et vouées à la protection des habitats naturels, de leur faune et de leur flore). Le terrain bénéficie alors d'une garderie et des mêmes critères que les aires protégées surveillées par l'United States Fish and Wildlife Service. La chasse et la pêche restent possibles dans ces zones sauf décision contraire du propriétaire ou du plan de gestion établi avec le propriétaire. Ces aires sont reconnues de catégorie IV par la Commission mondiale des aires protégées de l'UICN.
Quelques États américains offrent des crédits d'impôt sur le revenu à ceux qui décident ou acceptent de doter leur patrimoine foncier de servitudes de conservation. Et au Nouveau-Mexique, dans le Colorado, en Caroline du Sud et en Virginie, ces crédits d'impôts sont transférables. Dans ces cas, un propriétaire foncier (éleveur, agriculteur ou propriétaire forestier par exemple) qui a asservi son terrain à une servitude environnementale dont la valeur dépasse les impôts sur le revenu que le propriétaire pourrait payer, peut transférer (vendre) toute portion inutilisée de son crédit d'impôt à un autre contribuable.
Ceci peut aider des propriétaires riches en terre, mais pauvres en argent (ceux qui autrement devraient vendre une partie de leurs terres pour payer leurs impôts) à continuer à développement la valeur qualitative de leur patrimoine foncier, sans augmenter quantitativement ce patrimoine, tout en en protégeant la valeur écologique pour les générations futures.
Au Nouveau-Mexique, le crédit d'impôt effectif depuis le , s'applique rétroactivement aux servitudes de conservation effectuées depuis le 1er janvier, 2004[11].
Pour les propriétaires qui laisseront des successions importantes à leur décès, et pour leurs ayants droit, l'impact financier le plus important et intéressant d'une servitude environnementale est une réduction significative de l'impôt sur les successions.
L'impôt sur les successions, s'il est considéré comme l'un des plus "égalitaires" dans une démocratie a - quand il s'applique au foncier - pour inconvénient ou effet pervers qu'il est difficile au fur et à mesure qu'un patrimoine se transmet d'une génération à l'autre de le conserver intact ; soit en raison d'une valeur imposable élevée, soit en raison de l'augmentation de la valeur de la terre (parce que valorisée par le propriétaire, ou par exemple parce que soumis à une demande croissante comme par avec les terrains de bords de mer, ou inclus dans le phénomène de périurbanisation dans de nombreux pays). De nombreux terrains de grande valeur écologique sont ainsi sont parcellisés ou vendus en parcelles constructibles, chassables ou cultivables pour que leur nouveau propriétaire puisse immédiatement payer les taxes ou impôts prévus par la loi du pays. La fragmentation et dispersion du patrimoine, ou le changement d'affectation peut ne pas correspondre à la volonté du propriétaire ou d'ailleurs de ses héritiers. Dans ces cas, une servitude environnementale peut souvent fournir une aide importante via trois effets importants:
En 1974, le comté de Suffolk, dans l'État de New-York a promulgué le premier programme PACE (aussi connu sous l'acronyme PDR pour « purchase of development right », expression signifiant « achat de droits de développement » en traduction littérale). Le King County de l'État de Washington et le Maryland, le Massachusetts, le Connecticut ont ensuite fait de même. En 2003, un programme PACE fonctionnait dans 23 États des États-Unis, avec 19 programmes couvrant tout un État et 45 qui étaient des programmes plus locaux. Ce programme a pu s'élargir grâce à des fonds (du FRPP fédéral, FLP, et GRP) appuyant localement les initiatives publiques ou privées d'acquisition de servitudes[12].
En France, au début des années 2000 seule la Réserve naturelle volontaire (devenue Réserve naturelle régionale) permettait à un propriétaire de prévoir une protection à moyen et long terme. Cet outil contraignant est toutefois lourd à mettre en œuvre et à financer, et n'est mobilisable que pour des terrains présentant des enjeux patrimoniaux élevés pour des périodes de 5 ans tacitement renouvelables.
Pour ce qui concerne la trame verte et bleue nationale retenue comme l'une des priorités du Grenelle de l'environnement, et plus particulièrement pour protéger ou restaurer des espaces de connectivité écologique, une « auto-servitude » du type « conservancy easements », qui aurait pu être « exclusivement ciblée vers les modalités de préservation et de gestion rendant fonctionnel l’espace de connectivité écologique » a fait partie des propositions étudiées par le COMOP (Comité opérationnel) Trame verte et bleue. Le premier projet de loi, faute de temps et de consensus des groupes de travail n'a pas retenue cette idée (mais " Une majorité de membres du COMOP a toutefois estimé "qu’un tel outil constituerait également un outil intéressant (parmi d’autres possibles) de valorisation du service environnemental rendu par les espaces figurant dans la trame verte et bleue, et sans doute au-delà" [13].
Le COMOP Trame verte et bleue" rappelle aussi que si un tel outil devait se développer en France, il faudrait alors l'articuler avec le statut français du fermage.
Trois hypothèses ont été pré-étudiées par le COMOP (à assortir d'avantages fiscaux, et à expertiser en détail)
Le COMOP ajoute qu'un tel outil :
Finalement la loi sur la biodiversité a récemment introduit la possibilité d'instaurer contractuellement des « obligations réelles environnementales » (ORE) permettant à un propriétaire de décider que des mesures favorables à la biodiversité soient mises en place sur son terrain ; mesures qui perdureront en cas de changement de propriétaire, mais uniquement durant la durée du contrat (que le nouveau propriétaire peut éventuellement décider de renouveler). Le premier cas a été signée le par le Conservatoire d'espaces naturels de Savoie et la commune de Yenne, valide pour 30 ans, avec le parrainage de l'Agence française pour la biodiversité[14]
L'article 33 du projet de loi dispose ainsi qu'est inséré, après l’article L. 132-2 du code de l’environnement, un article L. 132-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-3. – Il est permis aux propriétaires de biens immobiliers de contracter avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires successifs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de services écosystémiques dans un espace naturel, agricole ou forestier.
« La durée de l’obligation et les possibilités de résiliation doivent figurer dans le contrat conclus entre les parties.
« Le propriétaire ne peut, à peine de nullité absolue, accepter de telles obligations réelles environnementales qu’avec l’accord préalable et écrit du preneur.»
Conformément au III de l’article 72 de la loi n° 2016-1087 du , à partir du , les communes peuvent, sur délibération du conseil municipal, exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, les propriétaires ayant conclu une obligation réelle environnementale[15]. D'une certaine façon, cette disposition de la loi Biodiversité ouvre une modalité de compensation fiscale pour les servitudes environnementales volontaires à la française. La différence réside dans le caractère temporaire de la démarche, alors que dans le droit anglosaxon, il s'agit d'une servitude perpétuelle.
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