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Le fusil militaire britannique Martini-Henry (nommé d’après les concepteurs de sa culasse et de son canon) est un fusil se chargeant par la culasse, à un coup, dont la culasse (à fermeture par bloc pivotant) est actionnée par un levier de sous-garde.
Adopté en 1871 par la British Army et objet pendant les trois décennies suivantes de nombreuses variations et adaptations, le Martini-Henry fut l’arme symbolique de l’ère victorienne et de la politique expansionniste de l’Empire britannique (il a d’ailleurs été mentionné souvent par Rudyard Kipling), d’autant que, grâce à sa solidité et sa fiabilité, il resta longtemps en dotation dans les colonies et ex-colonies britanniques.
Alors que le fusil Snider-Enfield était une adaptation d’un fusil antérieur, le fusil Enfield Pattern 1853 à chargement par la gueule, le Martini-Henry qui lui a succédé a été conçu dès l’origine pour le chargement par la culasse. Cependant il faudra attendre le début du XXe siècle pour voir apparaître dans l’armée britannique le fusil à répétition, et même alors le Martini-Henry continuera à coexister avec le fusil Lee-Metford calibre .303 British (à répétition mais à poudre noire) , qui cédera la place avant la Première Guerre mondiale au fusil Lee-Enfield, de même calibre et à poudre sans fumée.
À bloc pivotant, a été conçue par le Suisse Friedrich von Martini. Elle dérive de celle du fusil Peabody (en), inventée en 1862 par Henry O. Peabody, de Boston (Massachusetts). Martini apporta une amélioration à la culasse du Peabody : l’armement du percuteur interne est concomitant du mouvement du levier de sous-garde, alors que le fusil Peabody comporte un chien externe que l'utilisateur de l'arme doit tirer en arrière avant de faire feu[1].
Conçu par l’armurier écossais Alexander Henry (en), il a 33.22 pouces (84 cm) de long. De gros calibre (.45, soit 11,43 mm) , heptagonal et comportant 7 rayures (au pas d’un tour pour 22 pouces , soit 560 mm), il est bien adapté à l'utilisation de la poudre noire.
Est très simple et fiable. Pousser le levier de sous-garde vers le bas ouvre la culasse en faisant pivoter son bloc de fermeture; poser la cartouche pointe en avant dans l’auget et la pousser dans la chambre assure le chargement; relever le levier de sous-garde assure le verrouillage de la chambre et l’armement du chien : arme prête au tir ; après le tir, pousser le levier de sous-garde vers le bas entraîne l’ouverture de la culasse et l’éjection de l’étui vide.
La cadence de tir du M-H, fusil à un coup mais au chargement simple et rapide, est de 10 à 12 coups par minute.
Malgré sa fiabilité, dans des conditions extrêmes d’utilisation (chaleur ambiante torride, poussière, et tir à volonté, comme au Soudan lors de la guerre des Mahdistes ) la culasse à bloc pivotant a pu se bloquer. Un levier de sous-garde plus long fut alors adopté (Martini-Henry Mark IV) ; s’il permettait d’exercer une plus grande force sur le mécanisme, il n’améliorait pas l’esthétique de l’arme, et diminuait la rapidité de tir.
Autre problème : la surchauffe du canon pouvait entraîner pour le tireur des brûlures aux doigts ; un fourrage de cuir ligaturé sur les parties nues du canon y remédiait.
Enfin le recul terrible de l’arme (« it kicked like a mule » : « il ruait comme une mule ») était connu de tous les troupiers, et augmentait encore quand l’arme s’échauffait. Les sergents devaient donc veiller lors du feu à empêcher que les soldats ne tiennent la crosse loin de l’épaule, ce qui diminuait le choc mais faussait complètement le tir (voir infra le chapitre « Le M-H dans l'œuvre de Rudyard Kipling »).
Elle était dénommée « Short-Chamber Boxer-Henry .45 caliber » (car un modèle plus long avait été abandonné - son concepteur était le colonel Edward M. Boxer (en) de l’Arsenal royal de Woolwich (Kent) - et son calibre était d’environ 0,45 pouce, soit 11,50 mm). La charge de poudre était composée de 85 grains (5,51 g) de grosse poudre noire Curtis & Harvey No 6, connue par ailleurs pour le fort recul qu’elle engendrait.
La balle était de plomb, à base creuse et nez obtus, pesait 485 grains (29,8 grammes) et était de calibre .458. Comme, afin d'éviter l'emplombage du canon, elle était enveloppée dans une bande de papier ciré, elle avait en fait un calibre de .460. Elle atteignait une vitesse initiale de 1,250 ft/s (380 m/s).
Sur le plan balistique, il s'agissait donc d'un slug (« limace », grosse balle molle et lente) : un gros et lourd projectile à faible vitesse initiale, doté d'une forte puissance d'arrêt mais inadapté (pour la plupart des tireurs) au tir précis à des distances supérieures à 500 yards.
L’étui de la cartouche était original : le colonel Boxer avait eu l’idée, pour faciliter une certaine expansion de l'étui dans la chambre, d’utiliser une bande de papier métallique (de cuivre) moulée sur un mandrin puis soudée sur la base en acier de la cartouche (base identique à celle de la cartouche du fusil Snider). Ces étuis d’aspect « fripé », contrastant avec la surface lisse des étuis de laiton ou de cuivre étiré (voir l’illustration ci-contre) étaient moins chers et étaient d'ailleurs manufacturés dans un orphelinat par des enfants de soldats décédés[2].
Les étuis en feuille de cuivre furent abandonnés après la défaite survenue lors de la bataille d'Isandhlwana contre les Zoulous : la commission d’enquête fit savoir que l’étui trop fragile se fendait ou adhérait à la chambre lorsque le fusil était surchauffé par des tirs répétés. Les étuis en cuivre ou en laiton étiré furent alors adoptés.
Le système Martini Henry a été adopté dans certains pays où le modèle a été décliné en « calibre local », comme en Suisse où de nombreuses carabines de tir de précision ont été fabriquées par divers fabricants. Ces armes sont en général personnalisées : les crosses sont mises à taille, la pente des crosses, des décorations diverses (sculptures, pontet...), un système de visée complètent la mécanique de base.
BSA, célèbre fabricant d'armes britannique, a produit quantité de MH en calibre .22lr tant pour l'instruction que pour la compétition. En effet, le mécanisme facilement démontable, le boîtier solide et l'ergonomie générale permettait aux cadets de tirer avec une arme fiable et très précise. Quant aux sportifs, des détentes réglables, des canon de fort diamètre, des crosses ergonomiques et réglables, et des systèmes de visée très précis et facilement réglables ont permis de fabriquer des armes de tir efficaces et encore très recherchées par les amateurs tant pour leur solidité que pour leur précision légendaire.
Il connut en 30 ans quatre variations et trois changements de calibre. Les Mark I, II et III de calibre .45 se distinguent par des points de détails : sûreté, organes de visée, plaque de couche, levier de sous-garde court ou long, etc.
Le M-H Mark II, qui fut utilisé dans la guerre anglo-zouloue de 1879, comportait un organe de visée gradué jusqu'à 1 800 yards''. Certes le tir de précision à cette distance avec un projectile de presque 12 mm de diamètre lancé avec une faible vitesse initiale sur une trajectoire parabolique était parfaitement illusoire : il fallait viser 2,50 m au-dessus de la cible. Par contre cette hausse permettait d'opérer des feux de salve dissuasifs sur une pièce d'artillerie mal protégée ou des groupes de cavaliers ou de fantassins en formation serrée[3]. Et à faible distance (400 ou 300 yards, voire plus près) la balle de gros calibre du M-H avait des effets dévastateurs, comme l'a objectivé une analyse rédigée par les chirurgiens militaires après les combats contre les Zoulous. Évidemment, dans le cas d'un assaut de masse par des natives nombreux et courageux (mahdistes, Zoulous, Pashtuns...), les troupiers britanniques (comme leurs collègues de l'US Army, qui dans l'Ouest américain étaient d'ailleurs dotés eux aussi de fusils à un coup, de même calibre .45) regrettaient fort de ne pas disposer de fusils à répétition...
Entre 1880 et 1890, les avantages des petits calibres étaient devenus évidents, et le M-H reçut un nouveau canon, de calibre .402 (10,21 mm). Mais à cette époque, en particulier après le siège du Malakand (juillet-) les avantages du calibre .303 British utilisé par le nouveau fusil Lee-Metford à répétition étaient apparus encore plus évidents : les Pashtouns du fakir Saidullah avaient dû abandonner le siège, laissant plus de 2 000 morts sur le terrain, contre 206 morts du côté britannique[4].
Aussi 60 000 Martini neufs de calibre .402 furent-ils recanonnés dans l’ancien calibre .45 [5] et dénommés Martini-Henry Mark IV (A ou B selon qu'ils avaient le long levier de sous-garde, ou le court) avant d'être envoyés aux colonies pour dotation des troupes indigènes.
Au début de la guerre des Boers, le Martini-Henry calibre .45 fut largement surclassé par les fusils Mauser calibre 7 mm des Boers : le gros calibre britannique était inadapté au tir à longue distance sur des cibles mouvantes et des tireurs camouflés dans un environnement désertique qu'ils connaissaient bien. Le Lee-Metford à répétition, calibre .303, vint alors à point pour lutter contre le Mauser.
Apparus à partir de 1877, étaient de plusieurs types : Cavalry Carbine, Garrison Artillery Carbine, Artillery Carbine (Mark I, Mark II, et Mark III), etc. Ces armes courtes, au canon long de plus ou moins 21,35 pouces (52 cm) selon les modèles, tiraient une cartouche moins puissante que celle du fusil (balle plus légère, de 415 grains, propulsée par une charge de poudre plus faible, de 75 grains) signalée par une marque verte. Les cartouches pour fusil, qui pouvaient être tirées aussi dans les mousquetons Martini-Henry (mais au prix d’un recul punitif) étaient marquées en rouge.
Il y eut aussi des M-H courts de petit calibre, destinés à l’entraînement au tir dans les écoles de cadets.
Les cartouches de calibre « civil » .577/450 Martini-Henry (étui de Snider .577 chargé d'une balle de calibre .45) encore appelées 11,43x60R en Europe continentale, ont été fabriquées jusque dans les années 1950 par la firme Kynoch (en)[6]. Avec des balles spéciales blindées ou semi-blindées et une charge adéquate de poudre noire (puis de poudre sans fumée), le M-H était absolument capable de stopper à brève distance la charge d'un gros animal, surtout s'il était rendu furieux par une blessure (voir les citations de Kipling dans le chapitre « Le Martini-Henry dans la culture britannique », et l'encart ci-contre sur les lion de Tsavo mangeurs d'hommes).
Par ailleurs le mécanisme Martini, après recanonnage, a servi à fabriquer des fusils de chasse calibre 12 lisse classique à un coup pour usages difficiles. La firme Greener vendit ainsi longtemps un fusil de chasse calibre 12 à un coup « indestructible » dérivé du M-H [7],[8].
Les antique guns shops afghans revendent deux types de fusils M-H : soit des armes transformées en « objet d'art oriental » (mais qui sont souvent des M-H originaux) par raccourcissement et sculpture des parties en bois, et ciselures et ornementations diverses des parties métalliques – et des copies assez fidèles du fusil de guerre M-H, dont l'utilisation par le collectionneur-tireur est dangereuse. De nombreux ouvrages et sites web décrivent les critères permettant de distinguer les copies des M-H originaux. Le simple examen (sans démontage) des marques gravées sur le boîtier de culasse permet déjà d'éliminer de nombreuses copies lorsque le « N » majuscule de « Enfield » est inversé, ou qu'aux initiales couronnées « V.R. » (Victoria Regina) est ajoutée une date postérieure à 1901 : Victoria du Royaume-Uni est décédée en 1901[13].
Le général Frederic Augustus Thesiger, 2e baron Chelmsford, provoqua la guerre anglo-zouloue en envahissant le Zoulouland en 1879. Il fut d'abord battu par les Zoulous le lors de la bataille d'Isandhlwana (désastre que la victorieuse résistance des Britanniques lors de la bataille de Rorke's Drift eut de la peine à atténuer) puis, après plusieurs affrontements sanglants, vainqueur lors de la bataille d'Ulundi ().
Ils ont d'abord la mauvaise surprise de constater que les Afghans sont organisés et armés comme eux : « la partie basse de la vallée apparaissait remplie par une armée en position : de vrais régiments vêtus de vestes rouges et qui tiraient – c'était absolument indubitable – des balles de Martini-Henry : elles criblaient le terrain, une centaine de yards devant la compagnie de tête. Le régiment devait traverser ce terrain couvert de petits cratères ; il ouvrit le bal par une profonde révérence générale sous les « pruneaux » qui sifflaient, et se plia en deux avec un ensemble parfait ... ».
La démoralisation des troupiers augmente alors : « Où étaient les autres régiments, et comment se faisait-il que ces « nègres » avaient des Martini ? ». Sans en avoir reçu l'ordre, 900 Britanniques se mettent à avancer en tirailleurs au lieu de rester groupés en bon ordre et, « pour être rassurés par le bruit », tirent à l'aveuglette sans assurer leur tir en direction des Afghans. « Cinq volées plongent les rangs dans un banc de fumée impénétrable, et leurs balles commencent à atterrir 20 ou 30 yards devant les tireurs : le poids de la baïonnette attire le fusil en bas et à droite, les bras sont fatigués de tenir le Martini qui se cabre et rue... ... » En haut et à gauche ! » crie un capitaine à s'en casser la voix, « Pas bon ! Cessez-le-feu, et laissez la fumée s'en aller » »... Les officiers parviennent enfin à faire stopper le tir. « Un vent léger chasse la fumée et montre que l'ennemi est toujours en position et apparemment intact. Un quart de tonne de plomb a été enterrée à 200 yards devant eux, comme l'atteste la terre labourée ».
Un groupe de ghazis afghans se lance sur les Britanniques, et un officier inexpérimenté donne l'ordre de les attendre, baïonnette au canon, alors que « n'importe qui connaissant un peu le problème aurait pu dire au régiment « Devant-Derrière » qu'il n'y a qu'une seule façon de traiter une charge de ghazis : par des volées à longue distance... ». Heurtés de plein fouet et massacrés par les guerriers afghans fanatiques, les Britanniques lâchent pied et fuient.
Mais deux jeunes tambours se sacrifient en allant sonner la charge face à l'ennemi. Poussés à coup de plat d'épée par leurs officiers, les fantassins anglais reviennent au combat. Fous de rage, avides de venger leur humiliation, et de plus aidés par les Gurkhas et les Highlanders, ils repoussent les Afghans « avec les deux extrémités de leurs fusils. Les « Devant-Derrière » attendent que chacune de leurs balles puisse traverser 5 ou 6 hommes, et la 1re ligne afghane cède sous la volée... ...Ils bloquent une masse d'hommes entre leurs baïonnettes et un mur de pierre, et l'éclair de leurs fusils illumine les manteaux fourrés de l'ennemi ».
En fait, lors de la bataille de Maiwand (), qui inspira cette nouvelle à Kipling, le sursaut de masse des Anglais n'eut pas lieu, seuls quelques groupes de soldats anglais du 66e régiment d'infanterie résistèrent jusqu'à la mort, et la victoire afghane fut totale…
Le Martini-Henry est nettement visible dans les films :
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