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Sous le nom de Libre-Esprit, l'Inquisition désigna un courant de pensée qui depuis le XIIe siècle (et peut-être encore plus tôt) se répand à travers l'Europe. « Libre-Esprit » est une expression qui se réfère à la notion d'un esprit libéré du superflu au point de laisser la place tout entière à Dieu. Les adeptes furent souvent affublés du sobriquet de « turlupins »[1].
Les partisans du Libre-Esprit, Frères et Sœurs du Libre-Esprit, sont parfois nommés amauriciens ou béguards et béguines, ou assimilés à ces mouvements également minoritaires.
C'est à Jean Scot Érigène (IXe siècle) qu'on attribue en général les idées directrices de ce mouvement dont la première condamnation papale remonte à 1204. Les idées de Joachim de Flore circulaient également parmi les Libre-Esprit.
Amaury de Chartres (Amaury de Bène), professeur de théologie à Paris, s'en tire par une simple abjuration et mourut en paix en 1207. Ses partisans, qualifiés d'amauriciens, furent moins heureux : une dizaine d'entre eux finirent sur le bûcher en 1209 et 1211. Ce fut le début d'une persécution de cinq siècles à laquelle échappa cependant la Bruxelloise Heilwige Bloemart (Bloemardine) que sa renommée locale protégeait dans le premier tiers du XIVe siècle. La première mention officielle de ses membres remonte à 1311, dans un bref de Clément V à l'inquisiteur de Spolete. Le concile de Vienne (1311-1312) les déclare hérétiques.
Le seul texte actuellement connu qui est attribué à cette mouvance, le Mirouer des simples âmes anienties, est dû à Marguerite Porete (brûlée vive en place de Grève à Paris, le avec son livre). C'est paradoxalement surtout par les sources inquisitoriales que nous pouvons nous représenter la doctrine des tenants du Libre-Esprit, et cela bien qu'il soit communément admis que le fantasme de l'inquisiteur pouvait orienter les aveux.
Comme beaucoup d'autres mouvements de l'époque (cathares, vaudois, mais aussi Templiers, franciscains, et autres), le Libre-Esprit (les Turlupins) prône un idéal de pauvreté. Mais ici, cette pauvreté laverait l'homme de tout péché et ressusciterait le Christ en lui. Il ne pourrait dès lors mal agir et c'est en écoutant ses désirs qu'il entrerait dans l'ère de « l'Esprit libre » où il pourrait connaître la béatitude dès la vie terrestre. La charité se confond avec l'amour charnel qui se consomme sans restriction au sein de la communauté. Une femme enceinte l'est par l'opération du Saint-Esprit. Les excès en matière morale du Libre-Esprit font en réalité penser à du libertinage, alors qu'il était à l'origine un courant spirituel.
Le « libre esprit » est à distinguer absolument de la libre-pensée ou du communisme marxiste malgré la proximité sémantique : le Libre-Esprit désigne un idéal religieux, la pauvreté en esprit (beati pauperes spiritu), l'esprit devenant vacant ou vide afin de recevoir Dieu. Ceci permet d'entrevoir la création de l'âme par l'Esprit-Saint.
De même, de plus en plus de chercheurs[2] s'entendent pour dire que la béguine Marguerite Porete et le Libre-Esprit sont deux choses différentes. Cela bien que l'Église de l'époque ait constamment fait l'amalgame et bien que Porete ait constamment refusé de condamner ce mouvement (voir les actes du Concile de Vienne, en 1312). Après sa mort, des extraits de son livre furent produits au Concile pour condamner le Libre-Esprit comme mouvement hérétique, alors que l'utilisation des thèses de cette mouvance avait servi, deux ans auparavant, à la faire brûler (voir les Actes du Procès).
Le mouvement béguinal et celui du Libre-Esprit ont influencé la Mystique rhénane et Maître Eckhart [3]. Ce dernier, qui a probablement connu l'œuvre de Marguerite Porete (Miroir des âmes simples anéanties), a fini par être suspecté de partager leurs idées. La condamnation de certaines de ses thèses le par le pape Jean XXII dans la bulle In agro Dominico continue de poser des questions : la proximité des thèses étant évidentes, on peut en déduire, soit que le pape était dans son rôle, puisque sa condamnation s'inscrit en fait dans le droit fil de la répression des Amauriciens commencée en 1210, soit que le cas « Eckhart » révèle a posteriori la fragilité théorique de cette répression.
De nombreux théologiens chrétiens, tels que Jordan von Quedlinburg (de) (1300-1380), et des mystiques, tels que Jean Tauler et Theologia germanica (de) (Der Frankfurter), ont rejeté les enseignements des Frères et Sœurs du Libre Esprit comme non chrétiens.
Les mystiques du Moyen Âge appelés Turlupins sont aujourd'hui un très lointain souvenir dans l'inconscient collectif. Toutefois ils ne sont pas totalement oubliés du parler populaire, où leur rébellion contre l'église établie et leurs façons de vivre (nudité, amour libre, opposition aux pouvoirs ecclésiastiques en place) ont laissé quelques traces.
Georges Brassens dans sa chanson Le Pornographe du phonographe a glissé ces vers :
« À présent que mon gagne pain
C'est d' parler comme un turlupin
Je ne pense plus "merde" pardi
Mais je le dis. »
Jean-Jacques Servan-Schreiber, journaliste, homme de presse et politicien non inféodé aux partis classiques a été traité de « turlupin » par Jacques Chirac lorsqu'il s'opposa aux essais nucléaires de Mururoa, insulte un peu insolite qui obligea les journalistes de l'époque à se documenter, certains d'entre eux préférant y voir une référence à l'acteur comique du XVIIe siècle.
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