L’école transylvaine est née dans la seconde moitié du XVIIIesiècle — début du XIXesiècle en tant que mouvement littéraire et linguistique en Transylvanie, mais aux XIXeetXXesiècles, ses ramifications s’étendent dans les «principautés danubiennes» de Moldavie et Valachie, qui en s’unissant en 1859 ont formé la Roumanie, indépendante en 1878.
L’endonyme «Roumains» et quelques autres variantes sont attestés par écrit à partir du XVIesiècle[2] mais le sens en était, chez les autres peuples, dilué par synonymie jusqu’à signifier «berger»[3] ou «serf»[4], et ce sont des mots parfois connotés péjorativement comme Olàh («Valaque» en hongrois), «Moldo-Valaques» (en français), Walachen (en allemand) ou Vlachs, Wallachians (en anglais) qui servaient à identifier les Roumains.
Les représentants de l’école transylvaine souhaitent changer la sémantique de ces termes, redorer le nom «Roumains» et le faire reconnaître internationalement comme exonymeidentitaire. Parmi eux on compte Samuil Micu Klein, Ion Budai-Deleanu et Petru Maior(en). Ce sont eux qui ont finalement fixé le terme «langue roumaine» (limba română) dans la littérature roumaine et internationale, soutenus en France par le journal Mercure de France qui, en emploie pour la première fois l’expression «Valachie ou pays Roumain» lorsqu’il présente le texte de la Constitution octroyée par le Prince Constantin Mavrocordato en 1746. En français, le nom «Roumanie» désignant les pays habités par les roumanophones est attesté pour la première fois en 1816 dans un ouvrage publié à Leipzig par l’érudit grec Demetrios Daniel Philippidès, mais c’est dans la seconde moitié du XXesiècle que la langue française adopte le nom de «Roumains» à la place de «Valaques», de «Moldaves» et de «Moldo-Valaques»[5], notamment dans les ouvrages d’Émile Ollivier, d’Edgar Quinet et d’Élisée Reclus[6].
Les transylvainsroumains cherchent à rapprocher les littératures roumaine et occidentale, et à renouer avec les racines latines de la langue roumaine: la presse a d’ailleurs raillé, en Roumanie même, leur «purisme» parfois outrancier, visant à exclure de la langue le lexique slave ou magyar et à «fabriquer» une langue ausbau (littéraire, savante) plus latine que toutes les autres langues romanesabstand (populaires, spontanées), par exemple en remplaçant des termes aussi communs que prieten par amic («ami»), dragoste, iubire par amor («amour»), tineret, tinerețe par junime («jeunesse»), târg par urbe («bourg, ville») ou par piață («marché») ou encore hotar par frontieră. Certains de ces calques ont pris (piață, frontieră), d’autres sont obsolètes et considérés comme «précieux»[7].
Ernest Gellner a écrit que «ce sont les états qui créent les nations»: étant donné que les mots et la conscience d'être «Roumain» ou «Aroumain» n’apparaissent pas avec la Roumanie moderne (ainsi que l’affirment des ouvrages occidentaux, austro-hongrois et soviétiques) mais la précèdent, cet «état» fut l’Empire romain. Les premières attestations écrites des roumanophones se désignant eux-mêmes par le nom de “romain” datent du XVIesiècle, lorsque des humanistes notamment italiens commencent à décrire leurs voyages dans les zones habitées par des «Valaques». Ainsi, Maria Holban (ed.), Mihai Berza (pref.), (ro) Călători străini despre Țările Române [«Récits de voyageurs étrangers au sujet des pays roumains»], Vol. 1, , Editura Științifică, Bucarest 1968, et vol. 2 à 6, Bucarest 1976, citent:
Tranquillo Andronico qui écrit en 1534 que les roumains (Valachi) «s’appellent eux-mêmes romains» (nunc se Romanos vocant in: A. Verress, Acta et Epistolae, I, p.243).
En 1532, Francesco della Valle qui, accompagnant le gouverneur Aloisio Gritti à travers la Transylvanie, Valachie et Moldavie note que les «roumains» ont préservé leur nom de «romains» et qu'«ils s’appellent eux-mêmes roumains (Romei) dans leur langue». Il cite même une phrase en roumain: Sti rominest? («sais-tu roumain?», (en roumain: știi românește?)): …si dimandano in lingua loro Romei … se alcuno dimanda se sano parlare in la lingua valacca, dicono a questo in questo modo: Sti Rominest? Che vol dire: Sai tu Romano… in: Cl. Isopescu, (it) «Notizie intorno ai romeni nella letteratura geografica italiana del Cinquecento», in Bulletin de la Section Historique, XVI, 1929, p.1- 90).
Ferrante Capeci qui écrit vers 1575 que les «habitants des provinces valaques de Transsylvanie, Moldavie, Honfro-valaquie et Mésie s’appellent eux-mêmes roumains (romanesci)» (Anzi essi si chiamano romanesci, e vogliono molti che erano mandati quì quei che erano dannati a cavar metalli... in Maria Holban, Op. cit., vol. II, p.158 – 161).
Pierre Lescalopier qui remarque en 1574 que «Tout ce pays la Wallachie et Moldavie et la plupart de la Transilvanie a esté peuplé des colonies romaines du temps de Trajan l’empereur… Ceux du pays se disent vrais successeurs des Romains et nomment leur parler romanechte, c'est-à-dire romain…» (in: «Voyage fait par moy, Pierre Lescalopier l’an 1574 de Venise a Constantinople», fol. 48 in Paul Cernovodeanu, (ro) Studii și materiale de istorie medievală, IV, 1960, p.444).
Le saxon transylvain Johann Lebel qui note en 1542 que «les roumains se désignent eux-mêmes sous le nom de Romuin»: Ex Vlachi Valachi, Romanenses Italiani, /Quorum reliquae Romanensi lingua utuntur… /Solo Romanos nomine, sine re, repraesentantes./Ideirco vulgariter Romuini sunt appelanti (Ioannes Lebelius, «De opido Thalmus», in: Carmen Istoricum, Cibinii, 1779, p.11 – 12).
Le chroniqueur polonais Orichovius (Stanislaw Orzechowski) qui observe en 1554 qu’«en leur langue les roumains s’appellent romin, comme ceux qu’en polonais, nous appelons valaques ainsi que les italiens» (qui eorum lingua Romini ab Romanis, nostra Walachi, ab Italis appellantur in: Stanislaus Orichovius, «Annales polonici ab excessu Sigismundi», in I. Dlugossus, Historiae polonicae libri XII, col 1555).
Le croate Anton Verancsics qui remarque vers 1570 que les roumains vivant en Transylvanie, Moldavie et Valachie se nomment eux-mêmes romains (roumains): …Valacchi, qui se Romanos nominant… et Gens quae ear terras (Transsylvaniam, Moldaviam et Transalpinam) nostra aetate incolit, Valacchi sunt, eaque a Romania ducit originem, tametsi nomine longe alieno (in: «De situ Transsylvaniae, Moldaviae et Transaplinae», in Monumenta Hungariae Historica, Scriptores II, Budapest 1857, p.120).
Le hongrois transylvain Martinus Szent-Ivany qui cite en 1699 les expressions roumaines: Sie noi sentem Rumeni («nous aussi, nous sommes roumains») et Noi sentem di sange Rumena («nous sommes de sang roumain»): Martinus Szent-Ivany, Dissertatio Paralimpomenica rerum memorabilium Hungariae, Tyrnaviae, 1699, p.39.
À la même époque, le chroniqueur moldaveGrigore Ureche (Letopisețul Țării Moldovei, p.133-134) écrit: În Țara Ardealului nu lăcuiesc numai unguri, ce și sași peste seamă de mulți și români peste tot locul… («en Transylvanie il n'y a pas que des Hongrois mais aussi beaucoup de Saxons et partout des Roumains»).
Dans son testament littéraire, le poète valaqueIenăchiță Văcărescu écrit: Urmașilor mei Văcărești!/Las vouă moștenire:/Creșterea limbei românești/Ș-a patriei cinstire (littéralement «A mes descendants Vacaresques/je laisse en héritage/la croissance de la langue roumanesque/et la patrie en hommage»).
Enfin dans son Istoria faptelor lui Mavroghene-Vodă și a răzmeriței din timpul lui pe la 1790 («Histoire des faits du voïvode Mavrogénos et de la rébellion de son temps autour de 1790»), Pitar Hristache versifie: Încep după-a mea ideie/Cu vreo câteva condeie/Povestea mavroghenească/De la Țara Românească («Je commence selon mon idée/avec quelques plumiers/l'histoire Mavrogénie/de la Valachie»).
Du VIesiècle au début du Xesiècle, la future Transylvanie est une mosaïque de «canesats» locaux slaves et roumains, appelés «Sklavinies» ou «Valachies», placés sous les dominations successives, mais plutôt nominales des Avars et des Bulgares. «Canesatus» dans les chroniques traduit le mot slave knyaz: «prince». Ces petits duchés, dirigés par des nobles roumainss, tirent leurs ressources du pastoralisme, du commerce du bois, du sel et de l'or des Carpates, comme en témoignent les objets et les monnaies trouvées dans les tombes. L'habitat est dispersé, mais en cas d'invasion, les habitants mettent leurs biens à l'abri dans leurs «posadas» (mot roumain d'origine slave désignant d'étroits passages fortifiés par des palissades en bois entourant des clairières cachées au cœur des forêts), grimpent sur les hauteurs et de là, harcèlent et bombardent les envahisseurs de flèches, rochers et billes de bois: cf.: Thurocz, Chronica Hungarorum, 1486, cité in A. Drăgoescu (éd.) Transilvania, istoria României, 2 vol., Cluj, 1997-99.
En Transylvanie, gouvernée par la noblesse hongroise, les Roumains, jusqu’en 1366, étaient représentés à la Diète à égalité avec les aristocrates magyars, les Saxons et les Sicules (Universis nobilibus, Saxonibus, Syculis et Olachis), formant un tiers état (congregatio generalis) régi par le jus valachicum (en roumain λеџѣ стръмошѩскѣ – legea strămoșescă soit «droit ancestral», en français «droit valaque»). Mais en 1366, par l'édit de Turda, le roi Louis Ier de Hongrie redéfinit l'accessibilité à la congregatio generalis et à la Diète, désormais conditionnée par l'appartenance à l'Église catholique. Bien que l'édit ne le mentionne pas ouvertement, cela en exclut les orthodoxes, c'est-à-dire la majorité des Transylvains. La noblesse roumaine doit se convertir (et se magyariser) ou s'exiler (en Moldavie et Valachie), ce qui place les «Valaques» orthodoxes en situation de servage: ils se joignent aux jacqueries de Bobâlna en 1437. La répression exercée par les ordres privilégiés aboutit en 1438 à la constitution de l’Unio Trium Nationum, qui fige la société transylvaine dans un ordre social foncièrement inégalitaire que la jacquerie de Gheorghe Doja/Dózsa György en 1514 ne parvient pas à ébranler, et qui perdurera jusqu’au XVIIIesiècle et à la Révolution transylvaine de 1784. Dans cet ordre social, seuls les catholiques (Hongrois, Sicules et Saxons) sont reconnus comme «nations» par l’Unio Trium Nationum. Les localités transylvaines acquièrent alors leur typologie topographique encore bien visible aujourd’hui: forteresse ou église catholique fortifiée, entourée de grosses maisons bourgeoises en pierre, hongroises ou saxonnes, protégées par un rempart, lui-même entouré d’une multitude de maisonnettes en bois, pisé et chaume des «Valaques» désormais asservis qui, en cas d’invasion, n’étaient plus admis à l’intérieur du rempart: cf.: Alexandru Avram, Mircea Babeş, Lucian Badea, Mircea Petrescu-Dîmboviţa et Alexandru Vulpe (dir.), Istoria românilor: moştenirea timpurilor îndepărtate («Histoire des Roumains: l'héritage des temps anciens») vol. 1, éd. Enciclopedică, Bucarest 2001, (ISBN973-45-0382-0)).