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plaque funéraire émaillée et armoriée de Geoffroy V d'Anjou De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L'émail Plantagenêt, ou émail de Geoffroy Plantagenêt, est une plaque funéraire en cuivre, gravée et émaillée, à l'effigie de Geoffroy V Plantagenêt, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine et duc de Normandie. Elle est conservée au Musée Jean-Claude-Boulard Carré Plantagenêt, le musée d'archéologie et d'histoire du Mans, dont elle constitue une des pièces les plus importantes.
Date |
vers 1160 |
---|---|
Dimensions (H × L) |
63 × 33 cm |
Localisation |
Cet émail de grandes dimensions (63 × 33 cm), daté des années autour de 1160 selon les études les plus récentes, faisait partie du tombeau de Geoffroy Plantagenêt, érigé dans la cathédrale du Mans, sans doute sous l'influence de sa veuve Mathilde l'Emperesse et qui a été détruit en 1562. Cette plaque émaillée a été fabriquée au cours d'un processus long et minutieux. Elle met en valeur le comte d'Anjou, le présentant par l'image et le texte comme un protecteur de l'Église catholique.
L'identification du personnage représenté est confirmée par la chronique du moine Jean Rapicault, écrite vers 1170. Toutefois, celui-ci commet un anachronisme quand il affirme que, lors de son adoubement en 1127, Geoffroy Plantagenêt reçoit des armoiries de son beau-père Henri Ier. Contrairement à ce qu'on a longtemps affirmé, l'émail Plantagenêt n'est pas la plus ancienne représentation d'armoiries. Certains sceaux sont plus anciens. Par contre, il est la plus ancienne représentation héraldique en couleurs connue.
Les noms donnés à cet objet varient au fil du temps. Le nom d'émail Plantagenêt est utilisé par le Musée Jean-Claude-Boulard Carré Plantagenêt[1]. Les différents auteurs utilisent des intitulés plus longs : émail de Geoffroy Plantagenêt[2], plaque tombale de Geoffroy Plantagenêt ou émail du Mans[3], plaque funéraire de Geoffroy Plantagenêt[4], ou effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt[5].
Cette pièce est un émail de dimensions exceptionnelles[1], le plus grand qui soit conservé[6] : il mesure 63 cm de haut sur 33 cm de large[6],[7] et pèse 33 kg[6]. Il s'agit d'un émail champlevé. La plaque de cuivre est d'abord évidée au burin. Les cavités ainsi formées sont émaillées avec un mélange de quartz, d’un fondant et d’oxydes métalliques, ce qui permet d'obtenir des couleurs. La plaque est ensuite cuite, poncée, polie puis gravée. C'est un long travail, très minutieux[4].
En 1978, cette œuvre d'art a été analysée aux rayons X en laboratoire[8],[9]. Cette analyse a permis à Marie-Madeleine Gauthier de distinguer douze opérations successives :
« 1 – Esquisse gravée, en traits continus ou tirets.
2 – Champlevage.
3 – Émaillage des bleus au cobalt ; des rouges, verts, turquoise, noir ; au cuivre jaune, blanc granité ou nué.
4 – Pose du paillon d'or au fond des alvéoles délimitant visage, chevelure, main peut-être.
5 – Émaillage du visage et de la chevelure sur ce paillon.
6 – Polissage des émaux et des aires de cuivre réservées.
7 – Gravure et ciselure des orfrois[alpha 1].
8 – Gravure du modèle graphique sur les aires destinées au vernis brun : pelage des lionceaux, hachures des broderies losangées.
9 – Onction, au doigt et à la plume, d'huile de lin sur les aires choisies ; assombrissement à la braise et au feu.
10 – Dégagement, par grattage au rasoir, du dessin au préalable gravé dans les plages de vernis brun.
11 – Dorure au mercure de toutes les surfaces de cuivre dénudées.
12 – Corrosion par le temps de zones au vernis brun, sauf sous le dessin doré devenu protecteur »
— Marie-Madeleine Gauthier[10]
Sous les émaux fragiles du visage et de la barbe se trouve une feuille d'or (un paillon) qui permet de protéger les émaux disposés dessus et de donner du rayonnement au visage[11].
L'émail Plantagenêt produit un effet monumental par la verticalité de l'image insérée dans un large chanfrein orné et inscrit[6]. Geoffroy Plantagenêt est représenté sur un fond d'or réticulé de vert avec des fleurons blancs et bleus. L'effigie est encadrée par une architecture en plein cintre avec des coupoles[12], une arcade soutenue par deux colonnes surplombées chacune par une tour. Les couleurs mettent en avant le comte, sur un fond neutre. La représentation est peut-être réaliste en ce qui concerne sa barbe et ses cheveux[4].
Il est debout, vêtu d'un riche costume, tenant dans la main droite une épée levée et sur le bras gauche un bouclier d'azur chargé de lionceaux[13]. Ses vêtements sont un bliaud et une chemise de soie brodés et galonnés, des chaussons et une cape fourrée de vair. Il brandit son épée, la guiche de son bouclier est passée sur l'épaule et il porte une coiffe ou un casque armorié[14]. Les vêtements princiers civils sont ainsi associés à un équipement militaire[15],[16]. L'épée comportait probablement une lame d'or[17],[9]. Sur l'écu, les lionceaux jaunes sont au nombre de six, disposés 3, 2 et 1[18]. Il s'agit donc d'un écu d'azur à six lionceaux d'or[19].
La partie supérieure de la plaque porte une incription latine sur deux lignes[25], la première mesurant 28 cm[7]. L'inscription, en lettres capitales droites de 9 mm de hauteur en moyenne se situe entre deux lignes émaillées. Le texte, qui forme un distique élégiaque avec une erreur de quantité[25], est le suivant :
« Ense tuo princeps predonum turba fugatur
Ecclesiisque quies pace vigente datur[12],[24],[26],[13],[27],[28],[29],[7]. »
Ce qui peut se traduire ainsi :
« Ton épée, prince, a dispersé la multitude des brigands
et la paix rétablie a donné le repos des églises[30]. »
ou :
« Ton épée, prince, disperse la foule des pillards
et ta paix vigilante assure le repos des églises[14]. »
Le comte d'Anjou paraît veiller à la porte d'un édifice dont il est le protecteur et le gardien[14]. Son équipement militaire et cette épitaphe mettent en avant son rôle de protecteur de l'Église[16].
Cette plaque est percée tout autour d'une cinquantaine de trous, ce qui montre qu'elle a été fixée à un tombeau[31],[26]. Dès la collection Gaignières à la fin du XVIIe siècle, la tradition identifie le personnage représenté à Geoffroy V d'Anjou[6], ce qu'on retrouve dans le Musée des monuments français d'Alexandre Lenoir, paru en 1821[32]. Au XIXe siècle, l'érudit Jules Labarte a proposé d'y voir plutôt le fils de Geoffroy, Henri II Plantagenêt, hypothèse combattue par le directeur du musée d'archéologie et d'histoire du Mans à la même époque, Eugène Hucher[33],[34],[35] puis définitivement abandonnée[25].
La chronique rédigée au XIIe siècle par le moine Jean Rapicault, dit Jean de Marmoutier, permet d'identifier le personnage représenté sur cet émail à Geoffroy V d'Anjou[36]. D'après cette chronique, le tombeau de Geoffroy Plantagenêt est érigé dans la cathédrale du Mans sur ordre de l'évêque Guillaume de Passavant[36]. Ce tombeau est détruit par les huguenots en 1562[37],[38],[13] et la plaque émaillée en est séparée selon Eugène Hucher (ce que Jules Labarte conteste : pour lui cette plaque vient d'ailleurs et date de la fin du XIIe siècle)[39],[40]. Ensuite, elle demeure apposée à un pilier de la nef de la cathédrale jusqu'en 1792[12],[37],[13],[29]. Elle disparaît alors et n'est retrouvée qu'en 1816, cachée derrière un meuble, lorsque le département de la Sarthe achète le cabinet d'un collectionneur nommé Louis Maulny[13],[6],[29],[7].
Selon Eugène Hucher, le tombeau de Geoffroy Plantagenêt est construit en 1145, année gravée sur un des piliers du chœur de la cathédrale[41] et l'émail lui-même est fabriqué entre 1145 et 1151, date de la mort de Geoffroy Plantagenêt[41],[13] ou même avant, dès 1140-1144. Il propose que la plaque n'ait pas eu à l'origine une fonction funéraire, mais laudative, une forme de remerciement de la part d'un évêque du Mans, Hugues de Saint-Calais ou Guillaume de Passavant, du vivant même de Geoffroy et qu'elle a ensuite servi pour le tombeau[42]. En fait, on ne peut pas trancher entre ces deux propositions : un gage de reconnaissance fabriqué du vivant de Geoffroy Plantagenêt utilisé ensuite comme effigie funéraire ou un objet fabriqué directement à cette fin[25].
Selon Jules Labarte, il n'y a aucune raison de supposer que le tombeau a été érigé du vivant de Geoffroy Plantagenêt, qui est mort subitement dans la force de l'âge[43]. De même, Robert Viel pense que ce tombeau est postérieur à 1151, puisque c'est l'année de la mort du comte[27]. Installer ainsi un tombeau du comte dans la cathédrale du Mans est une innovation radicale[44]. Même si, selon Jean Rapicault, l'évêque du Mans Guillaume de Passavant en est le commanditaire, l'émail Plantagenêt fait probablement partie, selon Marie-Madeleine Gauthier et Laurent Hablot, d'une commande directe ou indirecte de la veuve de Geoffroy Plantagenêt, Mathilde l'Emperesse, pour le tombeau de son époux[44],[14]. Elle a pu se souvenir du tombeau de son premier mari, l'empereur germanique Henri V, dans la cathédrale de Spire[45].
L'émail Plantagenêt rappelle les émaux du Limousin[27],[4] et semble en provenir[46], mais on distingue aussi des influences de la région Rhin-Meuse[27]. Il pourrait avoir été fabriqué par des artistes locaux[47],[27],[4] parce que ses motifs ressemblent à ceux de la peinture sur verre pratiquée à cette époque au Mans[47]. Marie-Madeleine Gauthier rapproche le décor de l'émail Plantagenêt de la page de dédicace d'un manuscrit enluminé de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien conservé au Mans[48].
Marie-Madeleine Gauthier distingue trois influences régionales dans les ornements de l'émail Plantagenêt : aquitaine pour le rinceau, anglo-normande ou du nord pour le bandeau externe du chanfrein et angevine, moins visible. Elle en conclut à une réalisation locale, au Mans, par exemple par une association entre un artiste venu de la région mosane travailler à Saint-Denis, chantier terminé en 1146, puis parti d'abord à Angers puis au Mans et des artistes venus d'Aquitaine après le mariage d'Henri II Plantagenêt et d'Aliénor, en 1152[49]. Ainsi, elle imagine que l'émail Plantagenêt a pu être fabriqué par un artiste mosan venu à Angers (en passant par Saint-Denis) passer du vernis brun sur le tombeau de l'évêque Ulger vers 1150 et qui a pu travailler au Mans sous la direction d'un dessinateur anglo-normand, le champlevage et l'émaillage ayant pu être réalisés par un Aquitain. Ce travail est réalisé entre 1158 et 1167[50]. À sa suite, Michel Pastoureau puis Laurent Hablot adoptent une datation aux environs de 1160/1165[19],[51],[14],[16].
Dans sa chronique, Jean Rapicault décrit les armoiries reçues par Geoffroy Plantagenêt, parlant d'un bouclier où sont figurés des lionceaux d'or[52]. Depuis une étude publiée par Louis Bouly de Lesdain en 1897, on a souvent considéré que ce sont les plus anciennes armoiries connues et qu'elles auraient été accordées à Geoffroy Plantagenêt lors de son adoubement en 1127 par son beau-père le roi d'Angleterre Henri Ier. C'est donc l'événement qui a été souvent retenu dans la première moitié du XXe siècle pour dater la naissance des armoiries[18],[53],[54],[55].
Michel Pastoureau a montré qu'il n'en est rien. En effet, l'émail représentant Geoffroy Plantagenêt semble avoir été réalisé vers 1160-1165 et le récit de son adoubement, qui mentionne le bouclier aux six lionceaux, a été écrit vers 1170-1175, tandis que son seul sceau conservé, qui date de 1149, n'a pas d'armoiries. Entretemps, les sceaux héraldiques naissent et se répandent[56],[19],[51]. Il est donc probable que Jean Rapicault a projeté en 1127 une représentation typique de son époque, les années 1170, et il a pu connaître l'émail Plantagenêt déjà réalisé[57].
Toutefois, il s'agit bien d'une représentation héraldique, puisqu'y apparaissent des armoiries qui seront transmises aux rois d'Angleterre[3],[58],[14],[16]. Les armoiries représentées renvoient aux ducs de Normandie, en particulier au beau-père et adoubeur de Geoffroy, Henri Ier, plutôt qu'aux comtes d'Anjou[59]. L'émail Plantagenêt est, selon l'expression de Laurent Hablot, le « plus ancien témoignage de représentation héraldique en couleurs connu »[16].
En 2016, l'émail Plantagenêt est prêté par le musée Jean-Claude-Boulard Carré Plantagenêt au musée du Louvre puis au museum of Modern Art de New York pour des expositions. En 2020, il est exposé au musée du Louvre Abou Dabi[60],[61].
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