Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permet à l'Homme, contrairement aux autres espèces animales, d'ajouter de l'information, de transformer le monde qui l'entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d'évitement de l'aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par de drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientifique. Imaginaire dont l'antagonisme fonctionnel avec les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients [Cerveau système 1], est sans doute à l'origine du phénomène de
conscience.
L'
Amour. Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout, on valide tout, parce que l'on ne cherche jamais à savoir ce qu'il contient. [.] Il couvre d'un voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. C'est un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l’œil, sans discussion, par tous les hommes. Celui qui oserait le mettre à nu, [.], n'est pas considéré comme lucide, mais comme cynique. Il donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout l'inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, c'est-à-dire maintiennent leurs structures hiérarchiques, les règles de la dominance, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorées. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques.
Le
racisme est une théorie biologiquement sans fondement au stade où est parvenue l'espèce humaine, mais dont on comprend la généralisation par la nécessité, à tous les niveaux d'organisation, de la défense des structures périmées.
Ne sachant pas qu'il existe dans un milieu différent de lui, [l'enfant] va mémoriser [...] l'odeur de la mère, la voix de la mère, la chaleur, le visage de la mère. Il s'agit sans doute là d'un processus analogue à celui de "l'empreinte" décrit par
K. Lorenz chez ses oies. En résumé, des réflexes conditionnés établissent des rapports entre une récompense, l'assouvissement d'un besoin fondamental et les stimuli sensoriels d'origine externe qui les accompagnent. Lorsque vers le huitième ou dixième mois, son action progressive sur le milieu lui fera prendre conscience de son existence distincte du milieu qui l'entoure, il va découvrir sa mère, source de toute récompense [...]. Cet objet gratifiant n'appartient pas qu'à lui seul, mais au père, aux frères et aux soeurs. [L'enfant] comprendra d'un seul coup qu'il peut perdre en partie sa gratification et découvrira l'œdipe, la jalousie et l'amour malheureux.
Être heureux, c'est à la fois être capable de désirer, capable d'éprouver du plaisir à la satisfaction du désir et du bien-être lorsqu'il est satisfait, en attendant le retour du désir pour recommencer.
Il faudrait pouvoir faire participer chaque individu à l'évolution générale du monde, au lieu de manipuler pour lui les mass media en le sécurisant, en lui laissant croire que l'on s'occupe de lui, qu'il n'a pas à s'inquiéter, que ceux qui savent veillent. Or, ceux qui savent savent sans doute beaucoup de choses dans un domaine particulier et rien dans les autres. Et même lorsqu'ils sont poly-techniciens il leur manque la connaissance des sciences dites humaines, qui commence à la molécule pour se terminer à celle de l'organisation des sociétés humaines sur la planète. [...]
En résumé, je suis tenté de dire que la rôle de l'homme sur la planète est uniquement politique. Son rôle est de chercher à établir des structures sociales, des rapports interindividuels et entre les groupes, qui permettent la survie de l'espèce sur son vaisseau cosmique. Le travail ne peut être un but en soi. Il ne peut servir de critère de référence pour institutionnaliser les rapports sociaux. Dès qu'il en est ainsi, le groupe ou l'ensemble humain qui le prend pour finalité oublie dans l'effort vers une productivité croissante de biens marchands le but essentiel de son existence, à savoir les relations entre les éléments individuels qui le constituent. Ils abandonnent la loi fondamentale qui domine l'existence des organismes vivants, l'évolution contrôlée de leur structure, et la production devient au contraire le moyen d'immobiliser à jamais la structure hiérarchique de dominance qui fut à son origine.
Éloge de la fuite ; Le travail (1976),
Henri Laborit, éd. Édition Robert Laffont, Gallimard, collection Folio essais, 1985
(ISBN 2-07-032283-1), p.
106,107
Quand les sociétés fourniront à chaque individu, dès le plus jeune âge, puis toute sa vie durant, autant d'informations sur ce qu'il est, sur les mécanismes qui lui permettent de penser, de désirer, de se souvenir, d'être joyeux ou triste, calme ou angoissé, furieux ou débonnaire, sur les mécanismes qui lui permettent de vivre en résumé, de vivre avec les autres, quand elles lui donneront autant d'informations sur cet animal curieux qu'est l'Homme, qu'elles s'efforcent depuis toujours de lui en donner sur la façon la plus efficace de produire des marchandises, la vie quotidienne de cet individu risquera d'être transformée.
Comme rien ne peut l'intéresser plus intensément que lui-même, quand il s'apercevra que l'introspection lui a caché l'essentiel et déformé le reste, que les choses se contentent d'être et que c'est nous, pour notre intérêt personnel ou celui du groupe auquel nous appartenons, qui leur attribuons une « valeur », sa vie quotidienne sera transfigurée.
Éloge de la fuite ; La vie quotidienne (1976),
Henri Laborit, éd. Édition Robert Laffont, Gallimard, collection Folio essais, 1985
(ISBN 2-07-032283-1), p.
124
C'est une banalité de dire que c'est en définitive un choix de civilisation devant lequel se trouve aujourd'hui placée l'espèce humaine. Il semble curieux de me voir ici parler de choix. En réalité, il est certain qu'il ne s'agira pas de choix. Il s'agira, compte tenu d'un accès à la connaissance, d'une certaine conscience diffuse de ce vers quoi nous mènent nos comportements anciens, de la compréhension tardive des mécanismes qui les gouvernent, d'une nouvelle pression de nécessité à laquelle nous devrons obéir si l'espèce doit survivre. Il ne s'agit même pas de savoir s'il est bel et bon que l'espèce survive, nous ne savons même pas si elle survivra. Mais il paraît certain que si elle doit survivre, sa survie implique une transformation profonde du comportement humain. Et cette transformation n'est possible que si l'ensemble des hommes prend connaissance des mécanismes qui les font penser, juger et agir.
Si certains seulement sont informés, ils se heurteront toujours au mur compact du désir de dominance de ceux qui ne le sont pas et ils ne devront leur salut individuel et leur tranquillité pendant leur éphémère passage dans le monde des vivants, qu'à la fuite, loin des compétitions hiérarchiques et des dominances, à moins qu'ils ne soient, malgré eux, entraînés dans les tueries intraspécifiques que ces dernières ne cessent de faire naître à travers le monde.
C'est un lieu commun que de dire que la Science a tué la Foi, qu'elle a tué les anciens Dieux. Il est exact de dire qu'elle a remplacé la Foi dans la thérapeutique de l'angoisse. L'homme attend d'elle qu'elle le rende immortel, dans ce monde et non dans l'autre. Mais la déception est proche car la Science vit dans le siècle et si elle résout certains problèmes matériels de l'Homme, elle n'apporte pas de solution à sa destinée. [.] Elle ne donne pas de "sens à la vie". Elle se contente de l'organiser. Ou, si elle lui donne un sens, c'est de n'en avoir aucun, d'être un processus hasardeux et hautement improbable.
Beaucoup de chrétiens aujourd'hui se rallient à la doctrine marxiste. [Car] depuis les temps anciens [.], l'établissement ecclésiastique a signé des concordats successifs avec le pouvoir lorsqu'il n'a pas pu l'exercer lui-même. Il s'est rallié aux dominants de toutes les époques, alors que le Christ s'est promené à travers le monde en ralliant autour de lui les faibles et les dominés.
[.] l'angoisse est née de l'impossibilité d'agir. Tant que mes jambes me permettent de fuir, tant que mes bras me permettent de combattre, tant que l'expérience que j'ai du monde me permet de savoir ce que je peux craindre ou désirer, nulle crainte : je puis agir. Mais lorsque le monde des hommes me contraint à observer ses lois, lorsque mon désir brise son front contre le mode des interdits, lorsque mes mains et mes jambes se trouvent emprisonnées dans les fers implacables des préjugés et des cultures, alors je frissonne, je gémis et je pleure. [.] Je m'enferme au faîte de mon clocher où, la tête dans les nuages, je fabrique l'art, la science et la folie