Lorsque je cite, j'excise, je mutile, je prélève.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
17
Le fragment élu se convertit lui-même en texte, non plus morceau de texte, membre de phrase ou de discours, mais morceau choisi, membre amputé; point encore greffe, mais déjà organe découpé et mis en réserve. Car ma lecture n'est ni monotone ni unifiante; elle fait éclater le texte, elle le démonte, elle l'éparpille. C'est pourquoi, même si je ne souligne quelque phrase ni la déporte dans mon calepin, ma lecture procède déjà d'un acte de citation qui désagrège le texte et détache du contexte.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
17-18
Répétition, mémoire, imitation : une constellation sémantique où il conviendra de cerner la place de la citation.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
18
Toute citation est – au fond ou de surcroît ? – une métaphore.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
19
L'objet assignable que j'expulse du texte afin de le conserver en souvenir d'une passion (celle de la sollicitation), cet objet n'est lui-même qu'un déchet, un rejeton, un leurre, un fétiche et un simulacre qui s'adjoint à mon magasin de couleurs.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
24-25
«
Qu’est-ce que la citation
?
» On pourrait presque trouver chez chaque auteur une réponse. «
La citation, pour moi c’est…
»
: autrement dit, j’investis la citation de telle valeur
; lorsque je cite, je
veux (dire) ceci. Soit une réponse, celle d’
Aulu-Gelle : citer quelqu’un, c’est en faire l’éloge […]. Aux antipodes, celle de
Claude Mauriac : «
La citation, c’est le piège à con.
» Mais qui est le con dans l’histoire
? La personne citée, le destinataire (l’auditeur, le lecteur), à moins que ce soit le citateur.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
49
Il n’y a pas à interroger une citation sur sa
vérité. L’alternative du vrai et du faux ne la concerne pas et le citateur aurait beau jeu de répondre
: c’est écrit. Cela ne veut pas dire
: c’est écrit, c’est donc vrai
; mais
: c’est écrit sans plus. Et cela suffit à déplacer la question de la vérité. D’où le pouvoir extraordinaire de la citation.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
88-89
L'élément formel de la citation, libre de ses fonctions éventuelles, est la répétition des mots d'autrui. Comme telle, elle dépend, selon les catégories platoniciennes, de la mimesis, et ne peut être assimilée qu'au simulacre.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
125
Tandis que l'énonciation est un procès d'appropriation de la langue, la citation est un procès d'appropriation du discours, du Fonds littéraire comme l'appelait
Mallarmé. Or, si la langue est du domaine public et n'appartient à personne, le discours relève de la propriété privée.
La seconde main, ou le travail de la citation, Antoine Compagnon, éd. Seuil, 1979
(ISBN 2020050587), p.
360