Loading AI tools
programme de l'Organisation des Nations unies qui a pour but de protéger les réfugiés De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR ou HCNUR, en anglais : United Nations High Commissioner for Refugees, UNHCR), aussi connu sous le nom d'Agence des Nations unies pour les réfugiés (en anglais : UN Refugee Agency), basé à Genève, est un programme de l'Organisation des Nations unies. Il a pour but originel de protéger les réfugiés, de trouver des solutions durables pour les aider à reconstruire leur vie et de veiller à l'application de la convention de Genève sur les réfugiés de 1951.
Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés | |
Organe de l'ONU | |
---|---|
Type d'organisation | Programme de l'ONU |
Acronymes | HCR, UNHCR |
Haut commissaire | Filippo Grandi |
sous-Chef | |
Statut | Actif |
Membres | |
Siège | Genève (Suisse) |
Création | |
Site web | www.unhcr.org/fr/ |
Organisation parente | ONU |
modifier |
À la fin 2020, plus de 82,4 millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer. On compte parmi elles presque 26,4 millions de réfugiés, dont plus de la moitié a moins de 18 ans.
Filippo Grandi est devenu haut commissaire du HCR en 2016, à la suite d'António Guterres.
Issu d'une histoire européenne du droit d'asile, le HCR est créé le 14 décembre 1950 par l'Assemblée générale des Nations unies pour venir en aide aux Européens déplacés après la deuxième guerre mondiale. Ce n'est qu'à partir de 1967, sous les effets contraignants des décolonisations, qu'il s'ouvre au reste du monde[réf. nécessaire].
L'histoire du HCR peut évoquer, en amont de sa création, celle du passeport Nansen (1922) ainsi que la création du Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR), lors de la conférence d'Évian de 1938. Les années 1930 voient en effet un afflux important de « populations déplacées », analysées par Hannah Arendt (1951[1]). Les États mettent en place des camps de réfugiés, notamment en France, pour accueillir les réfugiés espagnols (on parlait alors, officiellement, de « camps de concentration », ou d'« internement »)[2].
Mais ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale qu'une institution ad hoc est créée pour les réfugiés, ceci dans le cadre de la guerre froide[2]. En 1946, la première Assemblée générale des Nations unies fit du sort des réfugiés une priorité. Et c'est en 1947 que fut créée l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). L'institution a alors pour objectif d'accueillir les « bons » réfugiés provenant du bloc de l'Est, en leur accordant une « protection » à la fois physique et juridique, fondée sur la tentative d'assurer le respect des droits de l'homme pour les « sans-États »[2]. Le 8 décembre 1949, est tout d'abord créé l'UNRWA en faveur des réfugiés palestiniens, sur un mandat temporaire renouvelable, par la résolution 302 (IV) de l'Assemblée générale des Nations unies, qui gardera sa spécificité et ne fusionnera pas avec le futur UNHCR[3],[4].
À la suite d'une série de tensions internationales, et à l'impossibilité pour l'OIR de prendre en charge les millions de personnes déplacées durant la Seconde Guerre mondiale sur le continent européen, il fut décidé de tirer les conséquences de l'échec de l'OIR et de la remplacer. Et c'est le que fut créé le HCR à la place de l'OIR. Quelques mois plus tard, en vertu d'une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU le 14 décembre 1950, la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ou convention de Genève) fournissait un outil juridique, que le HCR était chargé d'appliquer. Dès sa fondation, le HCR a son siège à Genève ; c'est là que sont conservés les archives de l'association.
Historiquement et juridiquement, le HCR n’est pas d’abord un organisme mais une fonction individuelle, celle de haut commissaire aux réfugiés, exercée auprès et sous l’autorité du secrétaire général des Nations unies[5]. Créé en 1949 pour préparer le texte de la convention de Genève (1951), le haut commissaire est élu par l’Assemblée générale sur proposition du secrétaire général.
Durant les vingt premières années de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, jusqu’à l’adoption du protocole de New York qui en étend au reste du monde le territoire d’application jusque-là restreint à l’Europe pour la prise en charge des déplacements de populations liés à la Seconde Guerre mondiale, les candidats et élus à ce poste sont exclusivement européens : ceci marque profondément la gestation institutionnelle de l’organisation et explique que, à partir des années 1970, la Division des affaires européennes, domaine principal et legs de la configuration antérieure, puisse être considérée au sein du siège international comme un « État dans l’État » où se situe le barycentre des forces financières et politiques qui activent le HCR.
Durant les vingt premières années de mise en œuvre de la convention de Genève sur les réfugiés (1951), celle-ci ne s'applique — explicitement selon son article 1 A 2 première version — qu'aux évènements intervenus avant son adoption (1951) : cette clause supprimée en 1971 avait pour effet d'en limiter la portée aux faits survenus durant la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide, ce qui réduisait en pratique la notion de « réfugiés » aux seuls réfugiés européens. Ainsi en France, entre 1951 et 1972, les réfugiés reconnus par l’OFPRA sont à 98 % européens, essentiellement espagnols, russes, arméniens, polonais, hongrois et yougoslaves[6].
Pourtant, les guerres et les persécutions ne manquent pas de se développer sur les autres continents et notamment en Afrique au fur et à mesure que se multiplient les guerres de libération contre les colonisateurs : l'histoire du droit d'asile rencontre ici celle de la décolonisation et celle de la dimension post-coloniale du fait migratoire[7]. La décennie des années 1960 est marquée par les mouvements de décolonisation[8] qui inscrivent sur la scène internationale les pays nouvellement libérés.
En 1964, l’Organisation de l'unité africaine décide de se doter de sa propre convention sur le droit des réfugiés. Le haut commissaire aux réfugiés, voyant son autorité menacée, convoque à Bellagio, en Italie, une conférence d’experts destinés à étendre le champ de la convention de Genève sans passer par une conférence internationale qui pourrait remettre en question les autres termes de la convention. Un protocole additionnel est adopté, dit « protocole de Bellagio » ou « protocole de New York », rédigé en termes minimaux et adopté presque sans débats par l’Assemblée Générale des Nations unies en 1967 : il supprime juridiquement la référence temporelle de l’article 1A2. Or, dès ce moment, la plupart des pays occidentaux, commencent à proclamer la fermeture administrative de leurs frontières[9] et, dans ces pays, les taux de rejet des demandes d'asile s'accroissent de manière exponentielle suivant une évolution à la hausse qu'ils suivront jusqu'aux maxima actuels proches des 100 % en Europe[10].
Certains réfugiés originaires de l'Asie du Sud-Est (boat-people) ou fuyant les dictatures d'Amérique du Sud seront bien accueillis encore dans les années 1970. Mais dès cette époque, les taux de rejet des demandes d'asile d'origines africaines s'envoleront pour atteindre leurs maxima actuels dès le milieu des années 1980[11]. Cette dimension post-coloniale du rejet des exilés est au centre des évolutions ultérieures[12].
Portrait | Identité | Nationalité | Période | |
---|---|---|---|---|
Début | Fin | |||
Gerrit Jan van Heuven Goedhart (en)[13] | Néerlandais | |||
August R. Lindt (en)[14] | Suisse | |||
Felix Schnyder (en)[15] | Suisse | |||
Sadruddin Aga Khan[16] | Suisse Français Britannique Iranien | |||
Poul Hartling[17] | Danois | |||
Jean-Pierre Hocké (en)[18],[19] | Suisse | (démission) | ||
Thorvald Stoltenberg[20] | Norvégien | (démission) | ||
Sadako Ogata[21] | Japonaise Empire du Japon (jusqu'en ) | |||
Ruud Lubbers[22],[23] | Néerlandais | (démission) | ||
António Guterres[24] | Portugais | |||
Filippo Grandi[25] | Italien | En cours |
Contrairement à une idée reçue, le droit d'asile moderne ne découle pas de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés préparée par le HCR mais de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) en ses articles 13 et 14[réf. nécessaire]. Le HCR intervient cependant dans les transcriptions d'une philosophie particulière de l'asile qui s'imposera progressivement comme une évidence : l'asile dérogatoire. La pratique du HCR de reconnaissance prima facie des réfugiés dément pourtant la pertinence de cette philosophie.
Proclamation fondatrice de l'asile, la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) dispose que :
Produit de son contexte historique et de la primauté des intérêts étatiques sur ceux des réfugiés dans la négociation[26], la convention de Genève sur les Réfugiés (1951) ne définit pas le droit d'asile mais seulement le réfugié et en donne une définition restrictive, individuelle, sélective... Une définition « au cas par cas »[27].
Cette convention ne développe qu'un seul des deux articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) se rapportant au sujet : l'article 14 sur le droit d'asile sans l'article 13 sur la liberté de circulation, alors que celle-ci est une condition de possibilité de l'autre (à l'ère des États-nations, il n'y a souvent pas de refuge possible sans franchissement d'une frontière internationale). Cette orientation produit un « droit d'asile dérogatoire » : une philosophie du droit d'asile conçu comme une dérogation à la fermeture des frontières et organisant la sélection des « vrais » réfugiés.
A contrario, une autre philosophie, qui aurait eu pour visée de développer conjointement les deux articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme de 1948 aurait abouti à un « droit d'asile axiologique » favorisant l'ouverture des frontières tout en aidant symboliquement (reconnaissance de la cause, soutien politique…) et matériellement (politiques sociales, aide à l'insertion…) les victimes de persécutions[28].
La doctrine de l'asile dérogatoire, associant le prima de la souveraineté des États et les dispositifs sélectifs de dérogation au principe de fermeture des frontières nationales, fut celle du HCR depuis sa création. Or, il est, dans la deuxième moitié du XXe siècle, le principal « intellectuel organique collectif », du secteur des migrations forcées, du droit d’asile et des réfugiés. Dans la plupart des États du monde dépourvus d'un droit de l'asile national, le HCR est le principal producteur de principes d’application de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés dont le texte originel est sommaire. Le fameux Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié[29] publié par le HCR en 1979 et réédité en 1992 fait office de bréviaire non seulement pour les agents du HCR et les fonctionnaires des États mais également pour les acteurs associatifs. Aujourd’hui le site internet du HCR ajoute une vaste gamme de textes destinés à cadrer les regards portés sur les migrations forcées[30]. Cette fonction de production idéologique est d’autant plus forte qu’elle est une mission officielle de l’organisation et se trouve légitimée aux yeux mêmes des partenaires associatifs et universitaires du HCR qui s’inscrivent en osmose avec lui.
Cette osmose idéologique se décline de plusieurs manières[31] : dans le domaine juridique, le HCR exerce une influence considérable qui marque la plupart des manuels de droit public, des magazines[n 1], des revues « refugee studies »[n 2], des formations juridiques[n 3] et des activités de juristes spécialisés dans le droit d’asile (avocats notamment)[n 4]. Dans le domaine statistique, le HCR se substitue pour les « sans État » à cette fonction essentielle des États comme principaux producteurs de statistiques relatives à la société civile. Il s’agit dans ce cas de statistiques relatives aux réfugiés dans le monde, à leurs origines, leurs déplacements, aux situations d’accueil, etc. Dans le débat public l’activité de communication du HCR en fait l’un des principaux « leaders d’opinion » à l’égard des associations et à l’égard des journalistes. L’osmose idéologique entre le HCR et les milieux universitaires et associatifs facilite ensuite d’autres types d’échanges plus matériels[32] et également la formation d’alliances politiques, implicites ou explicites notamment à l’occasion des luttes politiques qui entourent les réformes législatives dans ce secteur.
Si l’on recherche, pour comparaison, les textes, de toutes catégories ci-dessus évoquées, susceptibles d’alimenter l’autre doctrine, celle du droit d’asile axiologique, ou plus spécifiquement, l’ensemble des textes apportant une élaboration théorique et stratégique de la liberté de circulation internationale, force est de constater que le corpus alors réuni est quantitativement faible, institutionnellement quasi inexistant et politiquement plus que marginal[33].
Dans la plupart des pays suffisamment riches pour financer des instances administratives et juridictionnelles spécialisées dans l'examen des demandes d'asile, par exemple l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) en France, le HCR ne joue plus aujourd'hui qu'un rôle mineur voire inexistant dans la sélection des réfugiés au titre de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Cependant dans les autres pays où il dispose d'une Délégation pour le représenter et où les autorités nationales n'ont pas les moyens d'assurer cet examen, ce sont alors les fonctionnaires ou agents contractuels travaillant au HCR qui procèdent à cette sélection, souvent avec deux instances successives mais internes (première instance et appel). Ces agents internationaux reproduisent alors le mode de pensée correspondant au droit d'asile dérogatoire, basé sur l'article 1 A 2 de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Dans les pays limitrophes de l'Union européenne, sous l'effet des politiques dites d'externalisation de l'asile, les taux de rejet se sont élevés rapidement dans les années 2000, avec pour effet d'avancer le moment et le lieu du rejet de la demande d'asile. La situation du Maroc illustre ce phénomène[34].
Cependant, dans la plupart des régions du monde où ont lieu des exodes, des déplacements massifs de population fuyant une guerre ou une persécution, le HCR accueille les « réfugiés » sans procéder à l'examen individuel des demandes d'asile. Il définit ainsi ce que les spécialistes nomment des « réfugiés prima facie », c'est-à-dire des réfugiés identifiés en fonction d'une philosophie autre que celle du « droit d'asile dérogatoire » et plus proche du « droit d'asile axiologique ». La très grande majorité des réfugiés dans le monde, pris en charge par le HCR, relèvent de cette catégorie non juridique et qui est pourtant largement majoritaire… mais seulement dans les pays pauvres qui accueillent des populations voisines en exodes[35].
Comme autorité légitime, débouché professionnel envié et ressource financière importante, le HCR se trouve dans une position dominante sur le secteur de l’asile et en constitue ainsi la principale instance de gouvernance politique. Cependant, le HCR est aussi puissant, idéologiquement et financièrement, dans son secteur, qu’il est faible sur la scène internationale des États qui le financent.
Cette dépendance politique apparaît lorsque l’on analyse la structure de financement du HCR et son fonctionnement interne. En 2015, le budget du HCR est de 7 milliards de dollars, avec 9 300 employés[36]. En 2009, le budget prévu est 1,275 milliard de dollars américains pour les programmes annuels et un montant additionnel pour des programmes supplémentaires estimé à 535 millions de dollars[37]. Il est principalement fourni par les États de la Triade (États-Unis, Japon, Europe). En 2007, les bailleurs de fonds les plus importants étaient, dans l'ordre[38] : 1) États-Unis ; 2) Commission européenne ; 3) Japon ; 4) Suède ; 5) Royaume-Uni ; 6) Pays-Bas ; 7) Allemagne ; 8) Norvège ; 9) Danemark ; 10) Canada ; 11) Suisse ; 12) Finlande ; 13) Italie ; 14) Australie ; 15) France. Selon le HCR :
« Le budget de l'UNHCR est, dans sa quasi-totalité, financé par des contributions directes et volontaires et de la part des gouvernements, d’institutions non gouvernementales et de particuliers. L’agence perçoit aussi un revenu très limité provenant du budget régulier des Nations unies, utilisé exclusivement pour les dépenses de fonctionnement[39]. »
En effet, le HCR ne dispose pas d’une dotation fixe en provenance de l’ONU, mais de subventions qui lui sont allouées annuellement par des gouvernements nationaux, ceux de pays riches[40], dont il est ainsi politiquement dépendant tant pour ses activités que pour sa propre pérennité et pour celle des emplois de ceux qui travaillent en son sein[41]. Chaque année, les délégués du HCR dans ces pays ont à suivre et à négocier le renouvellement de la subvention allouée par chacun de ces États au siège international du HCR et la réussite ou l’échec dans cette mission cruciale pèse sur la suite de la carrière de chacun de ces Délégués nationaux lorsqu’ils demandent ultérieurement une promotion ou une mutation sur un autre poste.
Les subventions cumulées de contributeurs européens (pays précités et Commission européenne), représentent près de la moitié du budget du HCR[42]. L’Europe forme ainsi une sorte d’actionnaire majoritaire dont la dominance sur le fonctionnement du HCR apparaît notamment dans les nominations de Hauts Commissaires : sur dix Hauts Commissaires nommés depuis 1950, huit sont européens (Pays-Bas, Suisse, Suisse, Danemark, Suisse, Norvège, Pays-Bas, Portugal), un japonais et un autre iranien. Leur nomination donne lieu à un véritable ballet diplomatique de la part des candidats aux postes allant de capitales de grandes puissances en capitales de pays bailleurs de fonds du HCR pour trouver les soutiens nécessaires à cette nomination[43].
Ces hauts commissaires sont généralement d’anciens dirigeants politiques voire des chefs de gouvernement de leur pays et peuvent conserver certains modes de pensée qui furent les leurs dans des fonctions antérieures. Le précédent haut-commissaire, Antonio Guterres, fut ainsi l’un des principaux dirigeants du Parti socialiste portugais et un Premier ministre marquant de l’histoire politique du Portugal. Et son prédécesseur, Ruud Lubbers (haut commissaire de 2001 à 2005) fut-il non pas « un » premier ministre des Pays-Bas mais le chef de gouvernement hollandais qui a effectué le plus long mandat (12 ans) de chef de gouvernement dans ce pays depuis 1945, ce qui fait de lui un acteur central du système politique hollandais.
Les vues des États riches bailleurs de fonds s’expriment dans le Comité exécutif du HCR qui réunit les États. L’influence politique des États paraît fortement indexée au montant des donations qu’ils apportent, donnant ainsi aux principaux bailleurs de fonds une parole plus forte que celle des autres, et imposant aux personnels du HCR d’entendre les sensibilités qui s’y expriment au risque, a contrario, de perdre leurs soutiens financiers. François Crépeau[44] souligne l’apparition, dans ce cadre, dès la fin des années 1980, de rhétoriques amalgamant réfugiés, demandeurs d’asile et migrants économiques, restreignant les libertés de déplacement et de choix de destination des exilés, justifiant les mesures répressives des pays finançant le HCR.
Dans cette vaste organisation qu’est le HCR, le rôle personnel du haut commissaire est primordial aussi sous deux aspects : il détient de facto un quasi-monopole de prise de parole officielle et marque ainsi fortement la communication publique de l’organisation ; en outre, son pouvoir de nomination aux postes supérieurs lui assure un pouvoir important sur les cadres supérieurs[38]. Les possibilités de sanction implicite des attitudes politiques au sein de l’organisation sont considérables, notamment par la gestion des carrières qui crée des risques autant que des opportunités de se retrouver dans un pays très éloigné géographiquement ou socialement difficile à vivre.
Cependant le HCR comme toute organisation est maillé de réseaux d’amitiés politiques ou personnelles et connaît des luttes d’influences entre ces réseaux. Ces concurrences internes sont sous-tendues notamment par une bipolarité politique de l’organisation entre la volonté des États financeurs du HCR et l’intérêt des exilés sollicitant une protection. Deux camps s’affrontent de manière feutrée au sein du HCR. Ce clivage est ancien ; dans le langage interne, cette divergence de sensibilité, est évoquée en qualifiant quelqu’un de « plutôt orienté protection » par opposition à « plutôt orienté donateurs »[38].
Dans la deuxième période de son histoire (1967-2009), la doctrine du HCR se retourne passant de la défense du « droit de partir » à celle du « droit de rester »[38]. Le HCR développe le concept de demande d’asile « manifestement infondée » et d’externalisation de l’asile ainsi que celles justifiant les programmes de « retours volontaires »[45] qui sont souvent, de fait[46], des retours forcés[47]. Cette évolution, observe Anne Hammerstad[48], est bien accueillie par les États financeurs qui augmentent massivement le budget du HCR précisément durant cette période. La même relation s’observe en ce qui concerne le conflit bosniaque pour lequel la préoccupation constante du HCR, selon François Crépeau, a été d’éviter un afflux de réfugiés vers les pays de l’Union européenne[49]. De même, Michael Barutciski, auteur d’une thèse sur le HCR[50], observe que l’extension récente du mandat du HCR à la prise en charge des « déplacés internes » est compatible avec les politiques occidentales de fermeture des frontières et de rejet des exilés, l'argument de l'exil interne servant fréquemment à rejeter les demandes d'asile exprimées dans un pays étranger[51].
Les fonctionnaires du HCR comme les juristes qui les relaient, parlent de la protection des réfugiés, des activités opérationnelles et de la coopération avec les partenaires[52]. La première fonction consiste à examiner les demandes d'asile pour sélectionner les réfugiés au titre de la convention de Genève ; la seconde à financer des interventions humanitaires internationales qui prennent le plus souvent la forme des camps de réfugiés, la troisième à trouver à tout moment les moyens financiers de ces activités récurrentes ou ponctuelles se passe par une communication humanitaire à destination tant du grand public que des gouvernements bailleurs de fonds[53].
L’activité de sélection des exilés tendant à départir le vrai du faux réfugié sur la base d’une définition très particulière, à la fois individualiste et restrictive, qui en fut donnée par la convention de Genève de 1951, a toujours constitué l’une des activités centrales du HCR : ce que l’on appelle dans l’organisation la fonction de « protection », quand bien même son exercice conduit, sous le poids des contraintes politiques multiples qui s’exercent sur et dans le HCR, à ne protéger qu’une proportion décroissante et maintenant infime des exilés[54]. Elle porte non seulement sur l'accès de certains exilés au statut de réfugiés mais également sur les bénéficiaires ou victimes de rapatriements forcés[55].
L’activité de gestion de camps humanitaires, bien que plus récente dans l’histoire de l’organisation, est devenue le second métier du HCR qui sait installer en urgence un dispositif d’accueil face à un afflux de réfugiés mais aussi le gérer durablement en coordonnant les tâches des associations dépendantes de ses financements. Il sait gouverner ce monde à part et marginal des exilés pour les maintenir durablement dans les zones plus ou moins confinées dans lesquels les États souhaitent les voir assignés[56]. Cette spécialisation professionnelle explique peut-être la facilité du HCR à passer de la problématique des camps de réfugiés à celle des « camps d'étrangers »[57], notamment dans le cadre des politiques d'externalisation de l'asile[58].
Le HCR travaille avec sept « ambassadeurs et ambassadrices de bonne volonté », qui mettent leur notoriété, leur temps et leur talent au service des réfugiés : il s'agit de la chanteuse Barbara Hendricks (nommée en 1987), de l'acteur égyptien Adel Imam (2000), de l'actrice Angelina Jolie (2001), du couturier italien Giorgio Armani (2002), du chanteur français Julien Clerc (2003), du chanteur grec Georges Dalaras (2006) et de l'acteur uruguayen Osvaldo Laport (2006).
Depuis 2001, l'actrice américaine Angelina Jolie a parcouru le monde au nom du HCR pour tendre la main aux réfugiés. Aux côtés des équipes du HCR sur le terrain, elle est allée à la rencontre des réfugiés dans plus d'une vingtaine de pays.
Par ailleurs, le HCR a également encadré des expositions artistiques dans la démarche de partager l’approche humaine et emphatique de son action comme avec les œuvres de l’artiste Yvelyne Wood, articulées autour de la mémoire des guerres.
Le HCR décerne chaque année le Nansen Refugee Award (anciennement connu sous le nom de médaille Nansen), à une personnalité ou une organisation s'étant distinguée au service de la cause des réfugiés.
Le HCR a reçu deux prix Nobel de la paix en 1954 et 1981.
La politique d'assistance du HCR se doubla toutefois d'une politique de contrôle des migrants[59]. Ce second volet, plus officieux, de la politique du HCR, a pris une importance croissante à partir des années 1990[60], le HCR participant ainsi à l'élaboration de la politique de l'immigration de l'Union européenne (UE), qu'elle accompagne de façon complexe et ambiguë[38]. Ainsi, le HCR augmente notablement sa présence au Maroc en 2004, année du programme de La Haye, qui institutionnalise dans l'UE les politiques d'« externalisation de l'asile » initiées à la fin des années 1990[38],[61].
De même, en 2002, après une rencontre du haut commissaire Ruud Lubbers avec le ministre britannique de l'Intérieur David Blunkett, le HCR se portait candidat pour examiner les dossiers des quelque 1 500 réfugiés du camp de Sangatte (majoritairement des Afghans et des Kurdes) et départager ceux à qui il accorderait le statut de réfugié (estimant leur nombre à « quelques centaines »), et ceux qui, déboutés, devraient être renvoyés dans leur pays[62].
Véritable « gouvernement humanitaire »[38],[2], le HCR, qui est en partenariat avec 500 ONG, qu'elle contribue à financer[63], a ainsi une mission ambiguë. L'agence intergouvernementale elle-même est divisée entre ceux qui sont plutôt « orienté vers la protection » des réfugiés et ceux qui sont plutôt « du côté des donateurs »[38].
Dans ce cadre, le rôle du haut commissaire, souvent une personnalité politique nationale importante, a ainsi une importance centrale, celui-ci étant doté d'un pouvoir de nomination et de mutation des hauts fonctionnaires de l'agence. Ruud Lubbers, haut commissaire de 2001 à 2005, et préalablement Premier ministre des Pays-Bas à trois reprises (de 1982 à 1994), a ainsi joué un rôle non négligeable dans la politique du HCR à l'aube du XXIe siècle[38]. Son successeur, António Guterres, était lui aussi Premier ministre (portugais) de 1995 à 2002.
L'importance de cette fonction du HCR, qui possède le pouvoir d'attribuer, ou non, aux migrants et aux populations déplacées, le titre et la carte de réfugié du HCR, explique l'émergence de manifestations des « déboutés » du droit d'asile visant directement cette institution. Ainsi, au Caire (Égypte), lorsque le HCR demande aux autorités égyptiennes d'intervenir pour disperser des manifestants soudanais devant le bureau du HCR, qui n'avaient pas obtenu la carte de réfugié. Cette intervention de la police (6 000 hommes) se solda, le , par la mort d'entre 27 personnes (dont cinq enfants ; chiffres officiels du Caire) et 150 personnes (selon les représentants des réfugiés)[2]. 635 autres migrants soudanais étaient placés le même jour dans des centres de rétention, et menacés d'expulsion[64].
De même, à Kaboul (Afghanistan), dix grévistes de la faim demandaient au HCR, en octobre 2005, leur régularisation par l'agence onusienne; celle-ci fut partiellement obtenue après la médiatisation de leur lutte[2]. Deux mois plus tard, deux d'entre eux tentent de s'immoler devant le siège de l'ONU après que le HCR a cessé son aide et refusé leur resettlement (installation dans un pays tiers)[2].
De même, en juin 2003, en Guinée, une manifestation de réfugiés du Sierra Leone, visant le HCR, revendique d'être reconnu et aidé par le Haut Commissariat[2]. Celui-ci répond en exigeant le « transfert » (ses propres mots[2]) des réfugiés vers des camps à 600 km, refusant de prendre en compte tout réfugié n'obtempérant pas à cet ordre, qui deviendrait alors une cible légitime des forces de l'ordre guinéennes[2].
L’externalisation de l’asile, est une expression d’usage courant parmi les spécialistes désignant une idée et les politiques publiques correspondantes : accorder l’asile aux exilés, mais loin et dans des endroits, camps d’internement ou des zones géographiques de concentration, qu’ils ne pourront pas quitter aisément pour tenter de rejoindre l’Europe[65]. L’idée de « traiter » les demandes d’asile au plus loin de l’Europe, dans la région d’origine des exilés, n’est pas nouvelle[66]. Elle apparaît dans les travaux de la Commission européenne dès la fin de l’année 2000[67] mais dans des termes encore vagues. La conceptualisation en a été réalisée par le HCR après l’arrivée du Haut-Commissaire Ruud Lubbers : le haut commissaire devant un conseil informel « Justices et affaires intérieures » de l’Union européenne à Copenhague prononce un discours séminal qui conceptualise « la dimension externe des politiques européennes de l’asile » et remet en cause la convention de Genève sur les réfugiés de 1951 dont la mise en œuvre a été confiée au HCR cinquante ans plus tôt. Tout en rappelant son rôle de « gardien de la Convention de 1951 sur les réfugiés », il la remet explicitement en question, en affirmant « qu’elle ne suffit plus » et en souhaitant une autre approche qu’il nomme « Convention Plus »[68],[69].
En 2003, le HCR publie sa « Proposition d'une triple approche », qui se décline selon trois axes[38] :
Lorsque le débat sur l'externalisation de l'asile ralentit, c’est encore le HCR qui, en janvier 2004, relance publiquement le débat. Dans une déclaration devant le Conseil JAI (Dublin 22.01.2004), Ruud Lubbers fait état de ses craintes face à un risque d’engorgement des procédures d’asile dans les nouveaux pays rejoignant l’Union européenne du fait de l’application de la convention de Dublin qui autorise le renvoi des demandeurs vers le premier pays d’entrée. Pour éviter cet engorgement, il propose non pas une modification de la convention de Dublin dans un sens plus favorable aux demandeurs d’asile mais la création de « centres de réception européens », la mise en place d'un mécanisme de « partage du fardeau », l'établissement d'un système collectif de renvoi rapide des personnes et des avancées en direction d’un système centralisé de traitement des demandes d’asile dans les « centres européens »[70].
Le HCR gère depuis 2007 un site Internet (Refworld) qui diffuse de la documentation (émise par divers organismes nationaux ou internationaux, gouvernementaux ou non gouvernementaux) relatives aux questions géopolitiques et juridiques utiles dans les procédures d'asile. Cette documentation était auparavant diffusée, depuis les années 1990, sur CD-ROM et sur DVD[71],[72].
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Every time you click a link to Wikipedia, Wiktionary or Wikiquote in your browser's search results, it will show the modern Wikiwand interface.
Wikiwand extension is a five stars, simple, with minimum permission required to keep your browsing private, safe and transparent.