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entreprise privée israélienne De Wikipédia, l'encyclopédie libre
« Team Jorge » est le nom donné à une entreprise fantôme, privée, démasquée en 2022 par un groupe de journalistes d'enquête du consortium Forbidden Stories dans le cadre du projet Story Killers.
Cette officine politique secrète (jusqu'en 2023), créée par Tal Hanan, s'est présentée comme étant principalement constituée d'une équipe d'anciens militaires israéliens, lesquels se sont spécialisés dans le renseignement et l'influence, grâce au dénigrement de personnalités, le sabotage d'élections, la construction de récits inventés, la propagande, la manipulation de l'opinion publique (et en particulier des choix électoraux), « aux dépens de l'information et de la démocratie » selon les journalistes enquêteurs[1].
Pour ce faire, le groupe utilise des logiciels espions et malveillants, ainsi qu'une plateforme logicielle « intelligente » baptisée Advanced Impact Media Solutions, ou Aims, capable de créer, diffuser et gérer de faux profils, de faux comptes en ligne et de fausses informations sur les réseaux sociaux : une « ferme de robots informatiques » et un « catalogue de plus de 30 000 profils automatisés de fausses personnes […] utilisés par Jorge pour poster en rafale des commentaires sur les réseaux sociaux, faire monter une polémique » et notamment pour manipuler les résultats de processus électoraux[2].
Le groupe a été décrit par différents journaux en , après une opération d'infiltration qui a eu lieu à Tel-Aviv en 2022, conduite par des journalistes israéliens et français, dans le cadre du travail d'un consortium de journalistes d'investigation coordonné par Forbidden Stories[3],[4].
Selon les données disponibles, l'organisation « Team Jorge » est active dans l'industrie de la désinformation depuis au moins 2015. Elle se targue d'avoir manipulé trente-trois élections présidentielles dans le monde, dont beaucoup en Afrique, avec vingt-sept cas des résultats positifs pour ses clients[5].
Les journalistes infiltrés se sont fait passer pour des clients potentiels, intermédiaires d'un dirigeant africain désireux de décaler, voire de faire annuler, des élections, et ils ont pu filmer leurs interactions avec Tal Hanan – le chef du groupe « Team Jorge » et ancien agent des forces spéciales israéliennes. Il a lui-même décrit et expliqué une partie du fonctionnement interne de l'organisation[6] et fait une démonstration de l'efficacité de ses outils informatiques en diffusant une fausse information sur la mort d’un émeu nommé « Emmanuel » à l’aide du logiciel Aims. Les 29 et 3 juillet 2022, l’hashtag #RIP_Emmanuel figurait en "tendance twitter" en Slovaquie[7].
« Jorge » est l'un des pseudonymes de Tal Hanan, qui a inspiré le nom de « Team Jorge »[2].
La première activité publiquement documentée du groupe (grâce à plusieurs lanceurs d'alerte) ne date que de 2015 mais, selon Tal Hanan (en 2022), Team Jorge existe depuis plus de deux décennies et offre, moyennant d'importantes rétributions, ses services à des agences de renseignement gouvernementales, des hommes politiques ou responsables de campagnes politiques, et à des entreprises privées qui souhaitent secrètement manipuler l'opinion publique[6]. Et, d'après une brochure intitulée « élections, renseignement et opérations spéciales », envoyée à Cambridge Analytica en 2015, le groupe « Team Jorge », constitué d’ex-spécialistes du Renseignement et des forces spéciales israéliennes, américaines, espagnoles, britanniques ou russes, couplés à des « experts en médias » connaissant « les meilleurs moyens de raconter une histoire, un message ou un scandale, et de créer les effets désirés »[1], serait actif depuis 1999 (année qui — note le consortium — est également celle de la création de « Demoman », l'entreprise officielle dont Tal Hanan est le PDG)[1].
Le groupe s'est adjoint d'autres compétences, comme celle de Roger Francisco Noriega[1], ancien assistant d'élu et ancien diplomate américain (ambassadeur), qui a notamment été secrétaire d'État adjoint aux affaires de l'hémisphère occidental sous le gouvernement de George W. Bush, et qui est ensuite passé dans le privé pour devenir lobbyiste.
Selon les dires et documents collectés par l'enquête journalistique publiée en 2023, la « Team Jorge » a activement conduit des activités de propagande et de désinformation dans plus de trente pays[1], majoritairement pour le compte de sociétés et d'industriels.
Dans une brochure de trois pages donnée à Cambridge Analytica en 2015, Tal Hanan proposait de combiner des approches d'« intelligence stratégique », d'analyse de la « perception publique », de « guerre de l’information », de « sécurité des communications », ainsi qu'un « package spécial Jour J »[1].
L'un des principaux outils de l'organisation (en 2022) est un progiciel baptisé Advanced Impact Media Solutions, ou Aims[2], appuyé sur une intelligence artificielle qui « écrit désormais des posts viraux à la demande », puis les fait circuler sur Facebook, mais également sur Twitter, LinkedIn, Telegram[1], etc.
Cette plateforme logicielle évoque l'outil Ripon (mise à disposition d'Aggregate IQ et de Cambridge Analytica, pour les mêmes usages), qui facilite et automatise la création et le contrôle centralisé de milliers de faux profils de réseaux sociaux, notamment sur Facebook.
L’intelligence artificielle incluse dans l'outil peut ainsi, à partir de quelques mots-clés et en quelques secondes, écrire et propulser en ligne des séries massives de posts, des articles, des commentaires ou des tweets. Ces textes peuvent être écrits dans toutes les langues majeures, et — au choix — avec une tonalité « positive », « négative » ou « neutre »[1]. Devant les journalistes infiltrés, les mots-clés « Tchad », « président », « frère » et « Déby », choisis par « Jorge » ont permis, en douze secondes, de générer sur Internet les contenus de dix tweets négatifs sur le pouvoir tchadien : « Trop c’est trop, nous devons mettre fin à l’incompétence et au népotisme du président du Tchad, frère Deby », « Le peuple tchadien a suffisamment souffert sous le règne du président Frère Deby » et, selon l'un des associés de Jorge, « un opérateur peut gérer 300 profils, donc en deux heures, tout le pays parlera du récit [qu’on] veut »[1].
Certains des faux profils créés sont dotés de vrais comptes sur Amazon et Airbnb, ainsi que d'une carte de crédit et de portefeuilles bitcoin, ce qui leur donne plus de crédibilité et augmente leurs capacités de nuisance (pouvant même manipuler le cours des cryptomonnaies)[8] ;
Le groupe « Team Jorge » utilise également des outils et techniques de piratage lui permettant de pénétrer les comptes et boites mail de victimes ou de personnes connexes[6]. Devant les journalistes sous couverture, il a utilisé des documents provenant de TA9 (société-fille de Rayzone) et évoqué la « reconnaissance faciale ». Les auteurs de l'enquête publiée en 2023 notent que, selon le journal israélien Calcalist, Tomás Zerón, qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour torture et disparition forcée, défendu au moyen de l'AIMS, serait réfugié en Israël dans un logement appartenant à David Avital, qui est actionnaire d'une filiale de Rayzone. Son avocate Liora Turlevsky reconnait que M. Zerón est bien en Israël, mais affirme qu'« il n'a jamais vécu dans un appartement appartenant à David Avital »[1].
Jorge dit pouvoir, grâce à une faille de Rayzone, hacker le réseau mobile. Il dit pouvoir aussi accéder à tout ce que l'on peut trouver dans toutes les bases de données ; et pour le démontrer, il a, devant les journalistes infiltrés, très rapidement pris le contrôle de messageries privées Gmail de hauts responsables africains, montrant qu'il avait notamment accès à leur drive et à leur carnet d’adresses. Il a fait de même pour de nombreux comptes Telegram[1].
Parmi les personnes de l'entité ou très proches d'elle rencontrées par les journalistes figurent :
Tal Hanan semble s'être aussi associé à des personnes non-issues des sphères militaires et/ou du renseignement, dont :
En 2022, le groupe peut s'appuyer — selon ses affirmations (invérifiables) — sur un réseau d'une centaine d'employés, via six bureaux à travers le monde, liés au siège basé à Modi'in-Maccabim-Re'ut, une ville à 35 km au sud-est de Tel-Aviv[6]. L'une de ses entreprises (DemoMan) disposait en 2022 de bureaux et représentants en Israël, aux États-Unis, en Suisse, en Espagne, en Croatie, aux Philippines ou en Colombie. L'entreprise affichait encore des adresses au Mexique et en Ukraine, mais celles-ci, selon les dires de Tal Hanan publiés en 2023, ont été fermées, à cause d’un ralentissement des affaires pour la première et de la guerre russo-ukrainienne pour la seconde[1].
Selon Mashy Meidan, partenaire et proche de Hanan, la Team Jorge a « travaillé en Europe, en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine ».
Les activités de l'équipe Jorge ont été révélées après une opération d'infiltration par trois journalistes d'enquête : Gur Megiddo de TheMarker, Frédéric Métézeau de Radio France et Omer Benjakob de Haaretz[4]. Ceux-ci se sont fait passer pour des clients potentiels et ont réussi à filmer des moments passés avec Tal Hanan à Tel Aviv en 2022, durant lesquels ce dernier explique le fonctionnement interne de l'organisation[6].
L'enquête plus large a impliqué des journalistes d'un total de trente médias, coordonnés par Forbidden Stories[6], avec notamment The Guardian, Der Spiegel, Die Zeit, Le Monde, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), El País et d'autres médias et organisations en France, en Allemagne, en Indonésie, en Israël, au Kenya, en Espagne, en Tanzanie et aux États-Unis[5].
Tal Hanan a participé à des réunions impliquant Cambridge Analytica dès 2014[9].
Cambridge Analytica (qui s'est auto-dissoute) avait été créée en 2013 par Alexander Nix et Steve Bannon comme émanation de SCL (Strategic Communication Laboratories), et était principalement financée par la famille du milliardaire américain conservateur Robert Mercer[10],[11]. Sa vocation était de secrètement contrôler et fausser les résultats de campagnes électorales (ou référendums) par diverses techniques d'influence et de dénigrement (ex : référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne[12]), notamment au moyen du profilage psychologique de millions d'individus et de la construction de messages ciblés et de fake news par une plateforme logicielle dénommée Ripon, intégrant une intelligence artificielle, mise au point par la société-sœur de Cambridge Analytica (créée en même temps qu'elle, mais au Canada), AggregateIQ, une société fermée après les révélations faites dans le cadre du scandale Facebook-Cambridge Analytica/AIQ, mais qui semble avoir été reprise par la société Emerdata Limited (basée dans les mêmes bureaux et ayant en majorité les mêmes directeurs)[13],[14],[15],[16].
Les enquêtes qui ont suivi le scandale Facebook-Cambridge Analytica/AIQ ont révélé un partenariat avec des « hackers israéliens » appartenant à un groupe désigné par Alexander Nix dans un mail interne de Cambridge Analytica, comme « Israeli back ops ». Ce groupe, dirigé par une personne se faisant appeler « Jorge », et l'identité réelle de ce Jorge sont restés inconnus du public jusqu'en . Il est alors apparu que « Jorge » est l'un des pseudonymes utilisés par Tal Hanan[2].
Des courriels divulgués à The Guardian ont montré ou confirmé que la « Team Jorge » a travaillé pour Cambridge Analytica en 2015 et 2017, au moins pour discréditer des campagnes politiques en Afrique et en Amérique du Sud[17].
Ces deux organisations ont notamment collaboré pour manipuler l'élection nigériane de 2015[6], pour faire réélire Goodluck Jonathan en discréditant Muhammadu Buhari, mais cette fois sans succès[18].
Selon les informations disponibles, cette officine a secrètement été payée pour :
Peu de données sont disponibles sur le chiffre d'affaires, les dépenses et bénéfices de la « Team Jorge », mais on sait que Tal Hanan demandait en 2015 à Cambridge Analytica 160 000 dollars pour huit semaines de « recherche et préparation » puis 40 000 dollars de frais de déplacement, alors qu'en 2022 il se montrait beaucoup plus exigeant avec les reporters sous couverture : six millions d’euros pour une campagne dans un pays africain[1].
Une première réaction a éclaté en France début 2023, à la suite d’informations révélées par Frédéric Métézeau (Radio France) et le journal Le Monde.
Selon ces informations, « Team Jorge » avait créé de fausses informations (brèves orientées, « fournies clé en main » par un intermédiaire et concernant (pour les premiers cas repérés) des oligarques russes, le Qatar, le Soudan, le Cameroun ou encore le Sahara occidental[19]. Ces brèves, dans ce cas, étaient confiées à Rachid M'Barki, présentateur à la chaine de télévision BFM TV par un intermédiaire, peut-être pour le compte de gouvernements étrangers. M'Barki les a diffusées sans l'approbation de sa rédaction. M'Barki a été suspendu dès janvier 2023 alors que BFM TV ouvrait une enquête interne[25]. À titre d'exemple, le contenu d'une de ces brèves était :
CheckNews a montré que l'intermédiaire qui fournissait le thème, les images voire le texte à la virgule (pour plusieurs sujets) diffusés par BFM TV était le lobbyiste Jean-Pierre Duthion, mis en cause un an plus tôt pour avoir fait porter par un député, lors d’une réunion de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la promotion d’un projet de cryptomonnaie particulièrement douteux[26].
Un membre de la « Team Jorge » avait suggéré aux journalistes infiltrés que l'officine était à l'origine d'un reportage de BFM TV relatif aux effets des sanctions contre des oligarques russes sur l'industrie des yachts de luxe à Monaco[27]. On y prétendait, sans fondement, que 10 000 emplois étaient menacés[28]. C'était l'un des nombreux reportages diffusés tard dans la nuit par M'Barki à l'insu de l'équipe éditoriale, que la « Team Jorge » pouvait ensuite exploiter en reprenant l'information sur les réseaux sociaux par les bots de l'équipe[28].
Le 16 février, le Parti du Congrès indien a demandé une enquête sur la possible implication ou ingérence électorale de l'équipe Jorge dans les élections indiennes. Le porte-parole du Congrès Pawan Khera et l'ancien journaliste et maintenant chef des médias sociaux du Congrès Supriya Shrinate ont lié les révélations sur une éventuelle ingérence en Inde à un schéma plus large de désinformation en ligne et de dommages aux processus démocratiques et électoraux du pays[29].
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