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classique chinois De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le Dao de jing (chinois simplifié : 道德经 ; chinois traditionnel : 道德經 ; pinyin : ; Wade : Tao⁴te²ching¹ ; EFEO : Tao-tö-king, « livre de la voie et de la vertu »), parfois écrit Tao te king, est un ouvrage classique chinois qui, selon la tradition, fut écrit autour de 600 av. J.-C. par Lao Tseu, le sage fondateur du taoïsme, dont l'existence historique est toutefois incertaine[1],[2]. De nombreux chercheurs modernes penchent pour une pluralité d’auteurs et de sources, une transmission tout d’abord orale et une édition progressive[3],[4]. Les plus anciens fragments connus, découverts à Guodian, remontent à 300 av. J.-C. environ[5] ; les premières versions complètes très semblables au texte actuel, provenant de Mawangdui, datent de la première moitié du IIe siècle av. J.-C.
Le Dao de jing a été classé parmi les textes taoïstes par les érudits[6] de la dynastie Han[n 1] et faisait partie des écrits sacrés des Maîtres célestes, qui divinisaient Lao Tseu. Pourtant, son lectorat n’était pas limité à un courant philosophique. Le fait que le premier à le mentionner et à le commenter soit le légiste Hanfei, et que les textes de Guodian semblent avoir été rassemblés par des confucéens[7] en témoigne.
Le Dao de jing a eu une influence considérable en Extrême-Orient et en Occident à travers ses très nombreuses interprétations et traductions. En 1988, on en recensait 250 versions en langues étrangères[8]. Il n'existe pas de conclusion définitive quant à sa signification réelle. Selon certains, ce serait un recueil d'aphorismes provenant de plusieurs auteurs où on trouve des propositions contradictoires. D'autres au contraire y voient un texte cachant une cohérence profonde sous un style allusif et elliptique. En Chine, le texte a toujours été accompagné d'un commentaire. Par l'interprétation qu'ils suggèrent, ces commentaires ont contribué autant que le texte d'origine au sens de l'ouvrage et à sa place dans la philosophie et la religion.
Le terme Tao (道, dào) signifiant « voie », « chemin », est couramment employé dans son sens figuré de « voie spirituelle ou idéologique », ou « mode d’action » dans les textes de tous les courants, et ce dès l'époque du Lao Tseu légendaire. Néanmoins, le Dao de jing est le seul ouvrage à présenter le Tao pour lui-même.
Tö (德, dé), traduit en général par « vertu », a essentiellement en chinois moderne le sens de « vertu morale », mais a eu autrefois tout comme son équivalent français le sens d'« effet » ou de « pouvoir »[n 2].
Enfin, le Dao de jing est un jīng (經), c'est-à-dire un « classique », titre réservé aux ouvrages importants. La mention Laozi Jing apparait occasionnellement dans des bibliographies de l’époque Han. Le titre Dao de jing aurait été donné par l'empereur Wen des Han selon l’alchimiste Ge Hong, mais une source Tang indique l’empereur Jing, son successeur[10].
Le titre Dao De Jing reflète prosaïquement le fait que le livre comprend deux sections appelées Dao et De : c'est simplement le classique qui traite de ces deux concepts. Les versions du texte retrouvées à Mawangdui, datant d'environ 198 av. J.-C. pour la plus ancienne, placent De avant Dao, au contraire du livre actuel. Certains ont donc proposé de l'appeler désormais De Dao Jing, titre choisi pour une traduction anglaise de la version de Mawangdui[11]. On ignore quand l’ordre actuel a été fixé, mais le terme Daode pour désigner l’ouvrage est attesté dès les Han Occidentaux, et le titre Dedao n’a jamais été en usage[10].
En Chine, il est couramment appelé du nom de son auteur supposé, Lao Tseu (老子). Ses autres noms sont Daode zhenjing (道德真經) ou Authentique classique de la Voie et de la Vertu, Wuqian yan (五千言) ou Cinq mille caractères et Taishang xuanyuan Daodejing (太上玄元道德經) ou Livre de la Voie et de la Vertu du Mystère originel suprême.
La tradition attribue le Dao de jing à Lao Tseu — première attribution semble-t-il dans le Hanfeizi — mais l'identité réelle de l'auteur reste discutée. L'autre texte fondateur du taoïsme, le Tchouang-tseu, mentionne Lao Dan ou Lao Tseu comme un critique des confucéens et des mohistes et lui attribue des propositions parfois similaires à des phrases du Dao de jing, mais parfois sans rapport avec l’ouvrage ; aucune mention n’est faite d’un livre à lui attribué. Dans le Livre des rites attribué par la tradition à Confucius, on mentionne aussi brièvement un certain Lao Dan, un sage spécialiste des rites de deuil qu’il va consulter. Mencius ne parle pas de lui. L’historien Sima Qian rédige sa première notice biographique dans le Shiji quatre à cinq siècles après l’époque supposée de sa vie, mais reconnait que « Notre génération ne connait pas la vérité en la matière[12]. » ; il mentionne d’ailleurs deux autres candidats possibles. Les légendes le concernant ont été écrites à partir des Han, soit au plus tôt plusieurs siècles après l'époque à laquelle il aurait vécu. Des spécialistes modernes envisagent donc que le Lao Tseu de la tradition pourrait être un personnage composite issu de la synthèse de différentes sources[1],[13]. Par ailleurs, l’hypothèse de multiples auteurs ou éditeurs est souvent posée[3],[14].
Il n’est pas encore possible de dater précisément l’ouvrage[15]. On peut toutefois considérer que le texte actuel était presque établi au début du IIe siècle av. J.-C. car les deux versions datant des Han Occidentaux découverts à Mawangdui présentent assez peu de différence avec lui. Le texte le plus ancien connu remonte à 300 av. J.-C. Il s’agit de trois versions fragmentaires (~40 % du total du texte actuel) découvertes à Guodian, copiées sur ou dictées par des sources différentes[16]. L’ordre est différent de celui des versions ultérieures, plusieurs chapitres sont absents et certains des chapitres identifiés sont incomplets. Qu’elles constituent des brouillons du Dao de jing actuel ou des extraits puisés à la même source, elles évoquent un processus long de formation du texte par agrégation et édition plutôt qu’une rédaction clairement datée[15].
Selon la tradition chinoise, Lao Tseu, lassé des dissensions politiques, décida de partir monté sur un buffle. Arrivé à une passe marquant la limite ouest du territoire des Zhou, généralement identifiée à la passe Hangu (函谷關) de l’État de Qin, actuel district de Lingbao au Henan, il fut sollicité par le gardien Yin Xi de laisser une trace de son enseignement et rédigea le Dao de jing avant de disparaître.
L'ensemble compte un peu plus de cinq mille caractères (jusque 5500 environ), d'où l'un de ses noms. Des considérations numérologiques ont pu jouer, car Cheng Xuanying, taoïste du VIIe siècle, prétend que la version d’origine fut délibérément raccourcie par l'alchimiste Ge Xuan pour qu'elle compte exactement cinq mille caractères. Plusieurs exemplaires de 4999 caractères ont été découverts à Dunhuang[17].
Il est divisé en deux parties, Tao 道 « voie » et Tö 德 « vertu ». La version habituelle est composée de quatre-vingt-un courts chapitres, les trente-sept premiers constituant la section Tao et les derniers la section De, mais dans les versions intégrales les plus anciennes (Mawangdui, IIe siècle av. J.-C.), la section De est placée devant la section Tao, et la séparation en chapitres est absente dans un texte et peut être suggérée par des points dans l'autre. Les trois textes les plus anciens connus (Guodian, IIIe siècle av. J.-C.), ne semblent pas porter de marque de séparation. Ils sont de toute façon fragmentaires, et l’ordre des chapitres qui ont pu être identifiés diffère de celui de tous les autres textes.
Le nombre actuel de quatre-vingt-un, carré de neuf, pourrait avoir été choisi pour des raisons symboliques, car neuf a une valeur particulière dans le taoïsme. Ce découpage apparait clairement dans la version Heshanggong (Han Occidentaux) et devient standard sous les Tang[3]. Il semble avoir été réalisé a posteriori, et dans certains cas, de manière manifestement erronée[n 3]. L'existence d’exemplaires découpés en soixante-quatre, soixante-six, soixante-huit ou soixante-douze chapitres est mentionnée dans certains textes[18],[3], mais aucun ne nous est parvenu.
Le texte est écrit en chinois classique littéraire, d'une manière souvent rythmée, voire rimée. Le rythme est facilement perceptible à l'œil dans la simple répétition des caractères :
Il est encore plus marqué par les jeux sur des alternances et oppositions de termes (无 / 無, , « vide (inexistant) ou vacuité » / 有, , « avoir (exister) » ; 天地, , « monde ou univers » / 万物 / 萬物, , « chaque chose sur terre »…).
Les chapitres commencent souvent par un petit poème qui paraît complet mais énigmatique, suivi d'une transition (comme ici 故, , « raison ou cause », c'est pourquoi), suivi de ce qui pourrait être un commentaire, ou un autre poème éclairant le premier. Ce peut être un style de rédaction, ou l'indice d'un commentaire très primitif qui se serait incorporé au texte canonique.
Les termes utilisés sont souvent très polysémiques, et de catégorie grammaticale rarement fixée (indifféremment noms communs, verbes ou adjectifs). Les phrases ne comportent que très rarement des mots vides qui imposeraient une solution grammaticale plutôt qu'une autre. Suivant la structure grammaticale retenue, les interprétations peuvent donc être extrêmement variables.
Le texte a pu subir des modifications. Ainsi, malgré une nette ressemblance entre la version la plus ancienne connue (les fragments de Guodian) et la version actuelle, on a identifié un vers du chapitre 19 dont le sens a été sensiblement altéré : l'actuel « Élaguez la bienveillance (仁, ), jetez la droiture (义 / 義, ) », attaque contre les vertus confucéennes, devient à Guodian : « Élaguez le faux-semblant, jetez l'artifice ». Gao Zheng, chercheur de l'Académie chinoise des sciences sociales, pense même que cette version fait partie du corpus utilisé par les membres d'une école confucianiste résidant à Jixia, école Si-Meng (思孟学派, , lignée confucianiste se réclamant de Zi Si et de Mencius). Ce serait l'indication que le lectorat du Livre de la voie et de la vertu n'était pas limité à une école.
Comme l'énonce un passage du chapitre 70 : « Mes paroles sont faciles à comprendre [...] pourtant personne au monde ne les comprend ».
Il est écrit en langue classique, difficile à saisir pour les Chinois d'aujourd'hui. Outre les problèmes d'absence de ponctuation et de polysémie des caractères dont le sens peut changer au fil du temps, les écrits anciens s'adressent à un public très limité de contemporains qui ont lu et appris par cœur les mêmes textes et partagent les mêmes connaissances référentielles. Ils sont capables de restituer le sens exact d'un texte elliptique, aptitude que les lecteurs des époques ultérieures ont perdu.
Le style poétique de l'ouvrage avec phrases couplées, dans lequel la rime ou l'assonance ont dû jouer un rôle, doit être pris en compte dans l'analyse des mots employés. La polysémie et l'incertitude grammaticale sont réduites par la versification, qui impose aux vers à la fois une structure grammaticale identique, et une symétrie dans les alternances sémantiques. Dans certains passages, cette contrainte formelle permet même d'identifier des modifications du texte, ou des erreurs dans le découpage des chapitres.
Les aphorismes du Dao de jing peuvent faire l’objet de diverses interprétations. On y trouve aussi bien des conseils aux gouvernants que des principes de perfectionnement individuel et des passages naturalistes ou cosmologiques.
Quelques thèmes :
L’origine de tous les éléments et êtres de l’univers se trouve dans le Tao qui est intangible, permanent et ineffable.
La vertu (Tö 德), effet du Tao.
Rôle essentiel du vide (wu 無), par exemple l’intérieur du vase qui lui permet de remplir sa fonction.
Valeur de la mise en retrait de soi, de la passivité et de la quiescence, par lesquelles on exerce une puissance naturelle. Critique de la force et de l’affirmation : le nouveau-né faible incarne la souplesse et la vie contrairement au cadavre, solide parce que rigide ; la richesse appelle le crime ; définir certaines choses comme belles en définit inévitablement d’autres comme laides ; l’action appelle la réaction ; le « non-agir » (wuwei 無為) est un mode idéal de gouvernement ; le gouvernant accompli considère le peuple comme le Ciel considère la création, avec détachement.
Valeur de la régression, tout retourne au Tao pour se ressourcer. L’état de la société était meilleur avant la civilisation. Il faut donc considérer, au-delà du mental, la possibilité qu'une force parallèle et intemporelle guide la forme.
Thème de la « femelle mystérieuse » (xuanpin 玄牝), esprit de la vallée.
Par l'interprétation qu'ils suggèrent, les commentaires ont contribué autant que le texte d'origine au sens de l'ouvrage et à sa place dans la philosophie et la religion. Le Dao de jing a fait l'objet en Chine de quelque sept cents commentaires et de nombreuses interprétations différentes[20] : philosophiques, politiques, religieuses dont bouddhiste, artistiques, médicales, en matière de stratégie militaire, d'arts martiaux ou de pratiques sexuelles. On en dénombrait déjà une trentaine quand l'empereur Tang Xuanzong ordonna en 731 que tous les fonctionnaires en aient une copie, et le mit au programme des examens impériaux. Sous les Yuan, Du Daojian (杜道堅) (1237-1318) a fait remarquer que le Dao « semble être compris différemment par chaque dynastie ». Son extraordinaire souplesse d'interprétabilité serait d’ailleurs une des raisons de son succès[3].
En 1965, Yan Lingfeng a publié l’intégralité des commentaires chinois[17] .
Le plus ancien commentaire se trouve dans le livre de Hanfei, un légiste intéressé par son aspect politique. Les plus influents sont ceux de Heshanggong, puis de Wang Bi à partir des Song. Parmi les commentaires notables on peut encore citer le Xiang'er et ceux de Yan Zun (巖尊) et Fu Yi (傅奕).
Il n'existe pas encore de conclusion définitive quant à sa signification réelle ni l'objectif de son ou de ses auteur(s). Selon certains, ce serait un recueil d'aphorismes provenant de plusieurs auteurs ou compilateurs, sans réelle cohérence d'ensemble ; on y trouve d'ailleurs des propositions contradictoires. D'autres au contraire y voient un texte cachant une cohérence profonde sous un style allusif et elliptique. En tout état de cause, l'interpréter comme un ouvrage cohérent de bout en bout est plus intéressant pour le lecteur, c'est donc cette position qu'ont adoptée commentateurs et traducteurs.
Sous les Yuan, Du Daojian (杜道堅) (1237-1318) a fait remarquer que le Dao « semble être compris différemment par chaque dynastie ». Le Daodejing connaissait en effet dès les Tang[24] des applications dans des domaines variés, comme la stratégie militaire[25]. Il a fait l'objet d'interprétations en matière de philosophie, de religion, d'art, de médecine, d'arts martiaux, de pratiques sexuelles etc.
En attendant de nouvelles découvertes archéologiques ou philologiques qui lèveraient enfin le doute sur son sens d'origine, on se contentera de constater son extraordinaire souplesse d'interprétabilité, une des raisons de son succès.
Cette diversité se retrouve dans les traductions étrangères, au sein desquelles on distingue quelques grandes directions :
Les différentes traductions peuvent donc s'écarter sensiblement l'une de l'autre. Il peut d'ailleurs être intéressant d'en lire deux ou trois, et de profiter de l'incertitude qui règne encore dans le monde académique quant au sens profond du texte pour choisir celle qu'on préfère.
Il existe un certain nombre de traductions et d'éditions en français, aux contenus très divers, répertoriées dans le tableau ci-dessous :
Titre | Traducteur | Editeur | Date de parution | Présence du Pin Yin | Présence des idéogrammes |
---|---|---|---|---|---|
Le Livre de la voie et de la vertu | Stanislas Julien | Imprimerie nationale | 1842 | Non | Non |
Tao-Tei-King | Léon Wieger | Rugged Publishing | 1913 | Non | Non |
La voie et sa vertu | François Houang et Pierre Leyris | Seuil | 1979 | Non | Oui |
Philosophes taoïstes : Lao zi, Zhuang zi, Lie zi | Benedykt Grynpas et Liou Kia-hway | Gallimard - Pléiade | 1980 | Non | Non |
Tao te king | Ma Kou | Albin Michel | 1984 | Non | Non |
Tao Tö King Le Livre de la Voie et de la Vertu | J.J.L. Duyvendak | Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien Maisonneuve | 1987 | Non | Oui, traditionnel et simplifié |
Lao Tseu Tao Te King | Claude Larre | Desclée de Brouwer | 1994 | Non | Oui, traditionnel |
Le Véritable Tao Te King | Eulalie Steens | Éditions du Rocher | 2002 | Non | Non |
Livre de la Voie et de la Vertu | Henning Strom | You Feng | 2004 | Oui | Oui, traditionnel |
Les Deux arbres de la Voie : Le Livre de Lao-Tseu / Les Entretiens de Confucius | Jean Lévi | Les Belles Lettres | 2018 | Non | Oui, traditionnel |
Lao Zi Dao De Jing | Amaël Ferrando | Edoya Editions | 2023 | Oui | Oui, simplifié |
Les traductions proposées par les auteurs peuvent être bien différentes. À titre d'exemple, pour le début du premier texte :
« 道可道非常道 » (prononcé Dào kě dào fēicháng dào en pinyin) est traduit par :
Les paroles de la chanson The Inner Light, du groupe britannique The Beatles, sont basées sur ces textes[26].
À la fin du XXe siècle, des livres tels que The Tao of Physics et The Tao of Pooh, ainsi qu'une version taïwanaise en bande dessinée s'inspirent de l'œuvre.
Dans le tome 15 de Largo Winch, Les Trois Yeux des gardiens du tao, le Dao de jing prend une place importante au sein du récit.
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