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style architectural De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le style Beaumanoir désigne une série d'édifices religieux bretons de la période flamboyante, d'une facture originale. Ils sont reconnaissables à leur clocher-mur élancé, accosté d'une tourelle d'escalier, et à leur chevet à trois pans, à hauts gables et à noues multiples. Ils sont construits à la fin du XVe siècle et au XVIe, principalement dans le Bas-Trégor. Le style est imité jusqu'au XIXe siècle.
L'existence d'un atelier ayant répandu le style ne prête pas à discussion. Mais l'attribution de cette paternité à Philippe Beaumanoir et à sa famille est controversée.
On trouve des édifices de ce style de Guimiliau (Léon) à Ploumilliau (Trégor)[1], villes distantes d'une quarantaine de kilomètres : on en trouve surtout dans le Bas-Trégor, parfois dans le Léon, parfois en Cornouaille.
Le style Beaumanoir a recours à des éléments architecturaux connus en d'autres lieux. Son originalité consiste à les associer, et d'une manière systématique[2].
En Bretagne, au XVe siècle, l'orgueilleuse tour couronnée d'une flèche est réservée aux paroisses les plus opulentes. D'autres doivent se contenter d'un clocher-mur très simple dont le clocheton est percé d'une seule baie. Le clocher-mur Beaumanoir représente une solution intermédiaire[3] : une structure suffisamment stable pour offrir une silhouette élancée[4]. Cette formule permet aux paroisses modestes et aux chapelles ne pouvant construire une tour de « posséder un véritable clocher[4] ».
Le pignon est épais. Sa portion centrale est raidie par quatre contreforts de section constante, deux à l'avant, deux à l'arrière. L'ensemble dessine donc une pile dont la section serait un H écrasé. La particularité de cette pile est de s'élever bien plus haut que le faîtage de la nef[5]. Elle supporte une plate-forme de pierre[3]. Les angles de cette plate-forme reposent sur les quatre contreforts, et ses bords sur des assises en encorbellement. Elle est ornée de chimères et d'une balustrade flamboyante. Elle supporte un beffroi très léger, à deux niveaux et à trois baies, couronné d'une flèche[6]. Arcs-boutants du beffroi et petits pinacles de charge reposent sur les piliers d'angle de la balustrade. Une tourelle d'escalier, livrant accès aux cloches, est accostée à l'un des contreforts.
Dans une région où le chevet plat est très en faveur[7], le chevet Beaumanoir est polygonal. Les trois pans sont percés de trois fenêtres permettant d'obtenir un éclairage latéral du chœur[3]. Les trois fenêtres sont surmontées de trois gables[1] arrivant à même hauteur que les pignons des croisillons. La couverture de ce chevet est « à noues multiples[1] » : elle se compose de trois petits toits, séparés par des noues avant de se raccorder en un même point au faîtage du chœur[8]. Les noues dirigent les eaux de pluie vers des gargouilles, qui les évacuent[9]. Chacune de ces gargouilles est soutenue par un pied-droit s'appuyant sur le couronnement d'un contrefort[10],[11]. On trouve cette particularité sur tous les chevets Beaumanoir répertoriés par René Couffon — sauf à Saint-Gildas de Carnoët, où les gargouilles s'appuient directement sur les contreforts[12].
Saint-Nicolas de Plufur, qui est une chapelle, offre la disposition de base du style Beaumanoir : clocher-mur à l'ouest, plan en croix latine, nef à un seul vaisseau, transept (vrai transept dans le cas de Saint-Nicolas[13]), chœur, abside à trois pans.
Les églises tréviales (Notre-Dame de Trédrez, Notre-Dame-de-la-Merci, à Trémel) ont le même plan, avec une nef à deux vaisseaux. Les églises paroissiales ont une nef à trois vaisseaux[11].
Certaines églises ajoutent un porche à deux niveaux (c'est-à-dire surmonté d'une chambre) à l'ouest, un porche à deux niveaux au sud, ainsi que des chapelles privatives ; mais aucune église n'a conservé un tel ensemble d'origine[11].
René Couffon établit une liste d'églises et de chapelles du style. Il écarte trois édifices disparus :
Il retient dix édifices subsistant[16].
Ces dix édifices conservent au moins une des deux caractéristiques principales du style : le clocher-mur élancé ou le chevet à noues multiples.
Édifice | Clocher-mur | Chevet | Observations |
---|---|---|---|
Chapelle Saint-Nicolas de Plufur | × | × | prototype du style, édifice le mieux conservé |
Église Notre-Dame de Trédrez | × | × | |
Église Notre-Dame-de-la-Merci, à Trémel | × | × | |
Église Saint-Yves de Plougonven | × | chevet plat reconstitué, une chapelle a un chevet Beaumanoir reconstitué | |
Église Saint-Milliau de Ploumilliau | × | ||
Église Saint-Miliau de Guimiliau | × | ||
Église Saint-Ténénan de Guerlesquin | × | chevet à noues multiples du XIXe siècle | |
Église Saint-Judoce de Lohuec | × | clocher-mur écarté par Christian Millet | |
Église Saint-Dogmaël de Ploulec'h | × | ||
Chapelle Saint-Gildas de Carnoët | × | chevet écarté par Millet |
La chapelle Saint-Nicolas de Plufur, dans le Trégor, est datée de 1499. Elle est, selon de nombreux auteurs[11] dont René Couffon et André Mussat, le prototype du style Beaumanoir[1]. André Mussat y voit en outre la plus belle réalisation dans ce style[1]. Pour Christian Millet, elle est « une des œuvres majeures de cette période[17] ». Difficile d'accès, elle n'a subi ni remaniements ni ajouts ni destructions. Son extérieur est quasiment intact[18]. La balustrade de la plate-forme, disparue, doit être remontée[1].
L'église Notre-Dame (anciennement Saint-Laurent) de Trédrez, dans le Trégor, est datée de 1500. Elle est agrandie à plusieurs reprises[19]. Le clocher-mur est semblable à celui de Saint-Nicolas de Plufur. La flèche est détruite par la foudre en 1881, mais restaurée à l'identique. Le chevet est le même que celui de Saint-Nicolas de Plufur, mais plus richement décoré[20].
L'église tréviale Notre-Dame-de-la-Merci, à Trémel[21], se trouve dans le Trégor. L'ornementation est encore plus sobre qu'à Saint-Nicolas de Plufur. Incendiée par les ligueurs en 1590, elle est reconstruite à partir de 1598[20] (le porche sud est reconstruit cette année-là[11]). Il reste de l'église primitive le clocher-mur et le chevet, qui offrent tous deux de grandes ressemblances avec ceux de Saint-Nicolas de Plufur et de Notre-Dame de Trédrez[20]. La nef et la petite chapelle sud sont également de style Beaumanoir, tandis que la grande chapelle sud, par ses remplages et ses crossettes, s'en écarte[17].
L'église Saint-Yves de Plougonven se trouve dans le Trégor. Le porche ouest, à deux niveaux, est construit en 1481. « Au moins une partie du pignon adjacent[22] » est construite vers la même époque. Deux chapelles des bas-côtés sont construites en 1507[22]. En 1511, Philippe Beaumanoir dresse un devis[23]. L'église est terminée en 1523[22]. Le porche sud comporte également un étage[24]. L'édifice compte un grand nombre de chimères, presque toutes différentes[25]. Le chevet de l'église est plat. En revanche, la chapelle privative du croisillon nord est pourvue d'un chevet à noues multiples[24]. L'église est presque entièrement détruite en 1929. Le clocher-mur reste debout. L'édifice est reconstitué très exactement[22].
L'église Saint-Milliau de Ploumilliau est dans le Trégor. Sa flèche culmine à 32 mètres[26]. Sa partie orientale est incendiée en 1589, pendant les guerres de la Ligue. Il ne reste de l'édifice Beaumanoir que le clocher-mur et les trois premières travées[3]. La ressemblance avec la partie ouest de Saint-Yves de Plougonven est frappante : même pignon ouest, même clocher-mur Beaumanoir, précédé d'un porche à deux niveaux ; même porche sud, également à deux niveaux[24]. Le chevet à pans est remplacé au XVIIe siècle par un chevet plat[3]. Le faux transept est du XIXe siècle[26].
L'église Saint-Miliau de Guimiliau est dans le Léon. Seul son clocher-mur est Beaumanoir. Il présente quelques différences avec les autres clochers-murs : le pignon n'est pas percé d'une fenêtre, les contreforts sont décorés de cordons[27]. Le reste de l'église, dit Christian Millet, paraît de structure ancienne, et « habillé au goût du jour » au XVIIe siècle[28].
L'église Saint-Ténénan de Guerlesquin est dans le Trégor[3]. Il ne subsiste de l'édifice ancien que le clocher-mur Beaumanoir[27]. Les contreforts sont ornés de cordons, comme à Guimiliau[27], mais ici le pignon est percé d'une fenêtre[27]. Cette fenêtre, déplore René Couffon, est « surmontée d'une très profonde voussure avec gable qui prend appui sur les contreforts et alourdit très sensiblement le monument[27] ». Christian Millet avance une explication : le clocher-mur s'est peut-être greffé sur une façade antérieure, d'une tout autre conception[29]. Le reste de l'église actuelle est du XIXe siècle[27] (y compris le chevet à noues multiples[29]).
L'église Saint-Judoce de Lohuec se trouve dans le Trégor. Incendiée, elle est reconstruite de 1803 à 1805. Il ne subsiste de l'édifice ancien que le clocher-mur. Des modifications lui ont été apportées : le beffroi et une partie de la balustrade ont été refaits, les gargouilles ont été remplacées par des tubes de canon[27]. René Couffon le juge cependant « tout semblable[27] » aux précédents. Pour des raisons de conception et de décoration, Christian Millet retire le label Beaumanoir à ce clocher-mur[30].
L'église Saint-Dogmaël (ou Saint-Pierre-et-Saint-Paul[31]) de Ploulec'h, dans le Trégor, a été souvent remaniée. Il ne subsiste de l'édifice originel que la chapelle sud (1532[32]) et le chevet[16]. Christian Millet pense que le chevet est une œuvre tardive de l'« atelier », et une copie de celui de Notre-Dame de Trédrez : « Les proportions sont plus lourdes, le dessin des remplages des baies et les gargouilles plus frustes[32]. »
La chapelle Saint-Gildas de Carnoët[25] se trouve en Cornouaille. L'édifice est du début du XVIe siècle, à l'exception du clocher-mur qui est du XVIIIe. Pour René Couffon, le chevet « est exactement semblable » aux précédents « et sans nul doute du même atelier[16] ». Christian Millet est d'un avis contraire. Il retire le label Beaumanoir à ce chevet, car les gargouilles, au lieu d'être soutenues par un pied-droit reposant sur le couronnement du contrefort, s'appuient ici directement sur le contrefort[11].
Les archives mentionnent la famille Beaumanoir entre 1463 et 1561[1]. Ce sont des constructeurs originaires de Plougonven, paroisse du Trégor située dans l'actuel Finistère[3]. Ils s'établissent à Morlaix dans la deuxième moitié du XVe siècle. Ils sont pour la plupart des tailleurs de pierre. Transmettant en famille leur savoir-faire, ils garantissent une continuité dans les longs chantiers[1]. Ils bâtissent principalement des édifices religieux. Le plus ancien membre connu de la famille, Jehan, travaille pour l'ancienne église Saint-Melaine (dite aussi Notre-Dame) de Morlaix, vers 1465[3].
De 1487 à 1496, Étienne Beaumanoir, maître picoteur (tailleur de pierre) à Morlaix[21], est maître d'œuvre de la chapelle Saint-Jagut de Plestin-les-Grèves[33]. Il ne s'agit pas ici de « style Beaumanoir » : le pignon est sans contreforts, le clocheton a une seule baie[25], etc.
En 1490, Beaumanoir le Vieil, Étienne et Beaumanoir le Jeune travaillent à la reconstruction de l'église Saint-Melaine de Morlaix[34].
Philippe Beaumanoir, maître picoteur à Morlaix[21], travaille en 1499 sur la chapelle Saint-Nicolas de Plufur, le prototype du style. On a de lui un devis daté de 1511 pour l'église Saint-Yves de Plougonven[3] (achevée en 1523). De 1511 à 1516, il établit les plans et dirige la construction de la tour de Saint-Melaine[35].
Saint-Jagut de Plestin-les-Grèves et Saint-Melaine n'ont ni clocher-mur à contreforts ni chevet à noues multiples. En revanche, Saint-Nicolas de Plufur et Saint-Yves de Plougonven sont au nombre des œuvres retenues par René Couffon. Celui-ci voit dans Philippe le concepteur des deux édifices[36]. Il en déduit que les dix œuvres peuvent lui être attribuées : « L'on est donc tenté de conclure que c'est à ce bon architecte qu'il convient d'attribuer la conception nouvelle de ces édifices dont il assuma l'exécution avec son atelier[37]. » Il situe l'activité de l'atelier de 1488 à 1530 environ[37]. En 1938, Couffon fait donc entrer les notions de « style Beaumanoir » et d'« atelier Beaumanoir » dans l'histoire de l'art de Basse-Bretagne[38].
Soixante ans plus tard, Christian Millet juge « indéniable » l'existence d'un atelier ayant répandu un style particulier dans la région de Morlaix[29]. En revanche, il doute que cet atelier ait été formé de la famille Beaumanoir.
René Couffon établit une liste d'une quarantaine d'édifices qui, de 1552 à 1891, utilisent « rigoureusement » la solution technique du clocher-mur Beaumanoir, tout en sacrifiant à la mode décorative de l'époque de construction[46]. Il donne comme les plus typiques de cette tendance :
Couffon signale par ailleurs trois clochers-murs s'inspirant du style Beaumanoir sur le plan décoratif, sans en respecter le principe constructif :
Enfin, il parle d'une « réminiscence lourde » à propos du clocher-mur (1819) de l'église Saint-Yves de Minihy-Tréguier[53].
Les chevets d'inspiration Beaumanoir connaissent eux aussi une grande faveur. René Couffon en cite une trentaine, construits de 1506 à 1865, comme par exemple celui (1677) de l'ossuaire de Saint-Thégonnec, dû à l'architecte Jean Le Bescont[54]. Si l'on trouve des clochers-murs d'inspiration Beaumanoir jusqu'au Trieux[55], le chevet à noues multiples quant à lui reste ignoré dans le Grand-Trégor. Il rencontre en revanche beaucoup de succès dans le sud du Léon, au nord-ouest de la Cornouaille et aux alentours de Baud[56].
René Couffon établit sa liste de dix édifices Beaumanoir en ne tenant compte que de la présence du clocher-mur ou du chevet à noues multiples. Christian Millet fait intervenir un nouvel élément, qu'il juge important dans la production de l'atelier : le décor. Dans la grande majorité des œuvres de la liste Couffon, l'ornementation est de style flamboyant : contreforts, balustrade à mouchettes du clocher, chimères, larmiers, crochets, fleurons, remplages des baies… Pour Millet, tous ces éléments « participent à la définition de l'atelier » au même titre que le clocher-mur ou le chevet à noues multiples[11]>. Pour cette raison, il écarte de la liste de Couffon le clocher-mur de Saint-Judoce de Lohuec[30] et le chevet de Saint-Gildas de Carnoët[11].
Il garde les huit autres édifices de Couffon. Il en ajoute 17 nouveaux. Il ajoute d'abord l'église Saint-Melaine de Morlaix, en raison de l'intervention attestée de membres de la famille Beaumanoir (sur la nef, le chœur et la tour). Il ajoute ensuite douze édifices présentant des éléments majeurs du style Beaumanoir (clocher-mur, chevet ou ornements) :
Enfin, Millet ajoute quatre édifices où des éléments de style Beaumanoir ont été intégrés à l'occasion de remaniements :
En tout, dans sa liste des édifices de l'« atelier », Millet réunit donc 25 chantiers[59].
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