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mode de pensée et d'action débarrassé des postulats religieux, philosophiques, idéologiques ou politiques De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La notion de libre-pensée, apparue pour la première fois dans un discours de Victor Hugo de 1850[N 1], désigne un mode de pensée et d'action débarrassé des postulats religieux, philosophiques, idéologiques ou politiques, mais qui se fierait principalement aux propres expériences existentielles du libre-penseur, à la logique et à la raison (rationalisme, empirisme pour se faire une opinion, doute pour éviter tout dogme).
Dans la pratique, même si tous les libre-penseurs s'affirment rationalistes, leur idéal est difficile à atteindre et la nature contestataire des mouvements libres-penseurs, l'opposition en particulier aux autorités et aux dogmes religieux qui y est centrale, ainsi que les divergences sur les moyens à employer pour parvenir à des sociétés moins inéquitables, ont mené à des scissions entre libres-penseurs athées, agnostiques ou déistes.
Il existe des liens étroits entre la libre-pensée, l'athéisme, le scepticisme, le rationalisme ou encore l'humanisme. Toutefois, la définition précise de la libre-pensée n'a jamais fait l'objet d'un consensus.
Par exemple, en principe, un libre-penseur peut croire en l'existence d'un dieu, si la base de cette conviction est un argument rationnel, plutôt qu'un argument fondé sur une autorité ou une tradition. Toutefois, certains libre-penseurs athées, qui considèrent qu'il n'y a pas d'argument rationnel en faveur de l'existence d'un dieu, auront du mal à accepter que de tels croyants se disent libre-penseurs. Chez certains libres-penseurs (particulièrement en Belgique), cette attitude fait également intervenir la notion de libre examen. La libre-pensée ne peut, selon eux, être seulement une notion d'opposition au dogme ou à des principes mais implique une capacité à examiner avec honnêteté ses propres préjugés et ses stéréotypes par introspection, car, entraînant notre adhésion systématique à une idéologie, ces derniers empêchent chez l'individu, par le conformisme qu'ils induisent, l'expression de la libre pensée[1].
De la Grèce antique à la Chine de la dynastie Song en passant par la Perse médiévale, l'histoire de la libre-pensée trouve sa richesse au travers de diverses époques et civilisations. Un auteur typique de la libre-pensée est François Rabelais. En tant que mouvement culturel, dans le monde francophone la libre-pensée est principalement issue des développements de la Révolution française.
L'année 1600 est souvent considérée comme fondatrice de la libre-pensée moderne. Le , à l'instigation du pape Clément VIII, l'ancien moine dominicain Giordano Bruno est brûlé vif pour hérésie. Par cruauté et afin de le réduire au silence, on lui a cloué la langue... Mais avant et après lui, dans toute l'Europe chrétienne, maints individus meurent sur un bûcher pour avoir soutenu une opinion qui s'oppose au dogme. Citons, entre autres :
Le : apparition de la Société démocratique des libres-penseurs. Elle est présidée par Jules Simon et l'un de ses vice-présidents était Jules Barni. Lors de cette période, apparaissent plusieurs sociétés de libres-penseurs à Paris ou en province :
Si ces sociétés sont « libres-penseuses » par leurs convictions, elles ne pratiquent pas encore les enterrements civils, la dernière a, elle, un comportement typiquement libre-penseur : enterrements civils, baptêmes civils comme ce libre-penseur Boniface qui « baptise au nom de la république démocratique et sociale, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ».
À la suite du coup d'État du 2 décembre 1851, les meilleurs militants de Paris et de la province furent dispersés de par le monde.
Réfugiés en Belgique, à Londres, à Jersey, en Suisse, en Amérique, ils devaient continuer en terre d’exil leur propagande. Ils furent les pionniers des premiers cercles de libre-pensée de Belgique et ailleurs, des adversaires déterminés de l’Église. Église qui donna son soutien au coup d'État et dont Victor Hugo (plus tard président d'honneur de l'Union démocratique de propagande anticléricale et de la société de Libre-Pensée de Besançon) répondra, au Te Deum du , par ces mots :
Les proscrits sont partis, aux flancs du ponton noir,
Pour Alger, pour Cayenne ;
Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir
En Afrique l'hyène.
Ouvriers, paysans qu'on arrache au labour,
Le sombre exil vous fauche !
Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour,
Et regarde à ta gauche :
Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol
Vends ton Dieu, vends ton âme.
Allons, coiffe ta mitre, allons, mets ton licol,
Chante, vieux prêtre infâme !
Mais le décret du , s'ajoutant à la loi du , n'est pas propice à l'apparition de sociétés libres.
Ce n'est qu'au début des années 1860[2] que l'on peut retrouver une activité (et la création de nouvelles sociétés), grâce à la tendance de libéralisation du régime.
Les libres-penseurs de France et des autres pays se rencontrent à la fin de l’Empire à Genève, au Congrès de la Libre Pensée et au Congrès de la Paix. Victor Hugo, Louis Blanc, Georges Clemenceau, Alexandre Ledru-Rollin assistent à ces congrès et collaborent à leurs travaux. En Italie, lors du concile Vatican I en 1870, se tient à Naples un anti-concile international () au cours duquel on développe les principes de la libre-pensée et du rationalisme et on critique ardemment la politique de la Papauté.
Les enterrements civils, sous Napoléon III, sont une occasion de manifestations où se retrouvent ouvriers et étudiants ainsi que les banquets du Vendredi saint qui apparaissent dès 1869.
Les libres-penseurs (parmi eux Louise Michel, la « vierge rouge ») se retrouvent avec les républicains les plus énergiques et les révolutionnaires les plus décidés.
Le décret du prononce à la fois la séparation de l’Église et de l’État, la suppression du budget des cultes ; les biens, dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles ou immeubles, sont déclarés propriétés nationales.
Il existera un Club de la libre-pensée se réunissant dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois. Tavernier sera le candidat de la Libre-pensée aux élections complémentaires dans le XIe arrondissement.
La libre-pensée n'est pas une doctrine mais une méthode, une manière de conduire sa pensée et son action. C'est-à-dire qu'elle ne serait pas une affirmation de la vérité (doctrine) mais une recherche de la vérité, uniquement par la raison et l'expérience. Ceci est une notion présentée par Ferdinand Buisson au Congrès de Rome, 20-21-22 septembre 1904[4],[5].
En revanche, un libre-penseur accepte la méthode scientifique qui apporte des preuves, démontre par la logique et permet la reproductibilité expérimentale des résultats pour obtenir une connaissance qui n'a pas de caractère absolu ou immuable et reste modifiable par l'apport de nouveaux éléments, de nouvelles découvertes. Philosophiquement cela revient à rechercher :
Cette méthode ne nie pas l'intuition, le pressentiment et la notion de foi comme moteurs inventifs des arts, des cultures et des mythes humains, mais les sépare rigoureusement des faits matériels, physiques, chimiques et biologiques, ou encore de la logique mathématique, qui pour leur part sont vérifiables. Cette séparation philosophique basée sur la raison contribue aussi à fonder la notion de laïcité.
Pour le libre-penseur, il n'y a aucune autorité qui puisse s'opposer à la raison. C'est pourquoi il rejette toute croyance imposée et toute autorité imposant :
Deux courants philosophiques divergent parmi les libres-penseurs :
Selon les libres-penseurs, l'organisation sociale doit être soumise aux lois de la raison : en conséquence, une société s'inspirant des principes de la laïcité ne peut assurer la liberté de conscience pour tous (dont celle de croire ou de ne pas croire) qu'en séparant strictement les services publics des organisations à caractère confessionnel et en évitant, dans la loi, toute référence aux codes, dogmes et rituels religieux, tout en laissant aux organisations publiques le choix d'en tenir compte ou non, comme dans le cas des cantines scolaires publiques[N 2].
Ainsi la société doit :
Il n'y a alors pour les églises plus aucune influence dans les affaires publiques, mais il est garanti aux opinions et aux organisations religieuses la même liberté qu'à toutes les opinions et organisations.
Une telle société n'exclurait ou ne négligerait plus aucun citoyen et ne le priverait de la possibilité d'exercer tous ses droits tout en assumant tous ses devoirs.
En conclusion, la libre-pensée est, par principe et par intention, laïque, démocratique et sociale, même si tous les libres-penseurs n'accordent pas au terme « démocratique » le même sens, puisque selon les plus « matérialistes » la souveraineté populaire ne peut s'exercer qu'en commun et de manière participative, tandis que selon les plus « humanistes » seul l'exercice individuel et de manière représentative peut limiter les dérives populistes ou clientélistes et préserver les libertés personnelles. Cependant, tous les libres-penseurs s'accordent pour rejeter, au nom de la dignité humaine, le pouvoir de l'autorité religieuse en matière civile, le pouvoir de l'autorité civile en matière religieuse, le pouvoir régalien en matière politique et la primauté du capital sur le social en matière économique. Ils s'accordent aussi sur la nécessité d'émanciper l'esprit humain pour mettre fin aux aliénations, au fatalisme, aux intolérances, aux discriminations, aux identités communautaristes qui se substituent à l'identité humaine de chacun, et pour pouvoir mettre en place, que ce soit par la révolution ou par la réforme progressive mais socialement progressiste, de nouvelles structures sociales, économiques et politiques, qui restent leur objectif commun[7].
Le premier mouvement se réclamant de la libre-pensée apparaît aux États-Unis en 1827 lorsqu'est créée la « Free Press Association » pour défendre George Houston, éditeur du The Correspondant, un journal qui critique la Bible alors qu'il est encore possible d'être condamné par les tribunaux pour le crime de blasphème. Houston a aidé à la création d'une communauté owéniste à Haverstraw (État de New York) en 1826-1827. La publication éphémère de The Correspondant est suivie par la création du Free Inquirer, l'organe officiel de la communauté oweniste New Harmony (Indiana) publié à New York par Fanny Wright et Robert Dale Owen entre 1828 et 1832. Pendant ce temps, Robert Dale Owen cherche à introduire le concept de scepticisme, issu du courant libre-penseur dans le Parti ouvrier socialiste d'Amérique. En 1836, il crée la « United States Moral and Philosophical Society for the General Diffusion of Useful Knowledge » (La Société philosophique et morale des États-Unis pour la diffusion du savoir utile). Cette société publie The Beacon, édité par Gilbert Vale[8].
Venus d'Allemagne après la révolution de Mars, des immigrants anticléricaux et libres-penseurs ont trouvé refuge aux États-Unis dans l'espoir de trouver un endroit où ils seraient en mesure de vivre selon leurs principes et sans interférence des autorités gouvernementales et ecclésiastiques. Ces libres-penseurs appellent leurs communautés Freie Gemeinde (libre-communauté) et la première d'entre elles est fondée en 1850 à Saint-Louis (Missouri)[9]. D'autres communautés sont constituées en Pennsylvanie, en Californie, en Illinois, au Wisconsin[10],[9], au Texas, dans l'État de New York, dans la capitale Washington et à plusieurs autres endroits.
La fin du XIXe siècle voit le déclin de ces sociétés qui disparaissent une à une au début du XXe siècle.
En 1873, le libre-penseur D. M. Bennett (en) fonde et édite le Truth Seeker, un périodique radical faisant la promotion de la libre-pensée et d'autres idées réformistes.
Les athées américains (American Atheists) forment une des premières associations en Amérique du Nord militant pour la stricte séparation des Églises et de l'État. Elle est fondée en 1963 par Madalyn Murray O'Hair et appuie ses revendications sur les principes de la Déclaration d'Indépendance et sur la Constitution. Elle engage de nombreux procès contre les institutions publiques qui violent les principes de la laïcité. Environ 2 200 membres participent régulièrement à la convention nationale de l'association et aux nombreuses réunions régionales. Ellen Johnson en est la présidente depuis 1995. Le siège de l'association se trouve dans le New Jersey à Cranford.
Le , au cours de la marche des athées américains sur Washington DC (Godless Americans March on Washington en anglais), Ellen Johnson annonce la création du Comité d'action politique des athées américains (Godless Americans Political Action Committee, GAMPAC), afin de faire pression sur les candidats aux élections. Il est officiellement lancé le et a soutenu le candidat catholique John Kerry aux présidentielles de 2004.
En 1881, Ludwig Büchner fonde à Francfort la Ligue allemande des libres-penseurs (Deutscher Freidenkerbund), permettant aux athées de ce pays de se déclarer publiquement pour la première fois.
Le terme free-thinker apparaît à la fin du XVIIe siècle en Angleterre pour qualifier ceux qui s'opposaient à l'Église institutionnelle (anglicane) et la croyance dans une lecture littérale de la Bible. Ces gens croyaient que la compréhension du monde et de l'univers pouvait être atteinte par l'observation de la nature. Cette position a été documentée pour la première fois en 1697 par William Molyneux dans une lettre célèbre à John Locke et d'une façon encore plus marquée en 1713 quand Anthony Collins écrit son Discourse of Free-thinking qui connut un grand succès.
1863 : fondation à Bruxelles de La Libre-Pensée, association pour l’émancipation des consciences par l’instruction et l’organisation des enterrements civils.
Il existe une laïcité philosophique en Belgique qui est sans équivalent dans le monde. Ce sont particulièrement les tenants de cette philosophie qui prônent le libre examen, soit le rejet de l'argument d'autorité quel que soit le sujet, la mise en question permanente des idées, la réflexion critique, la recherche active de l’émancipation de l’être humain à l’égard de toutes formes de conditionnement, d’assujettissement et de discrimination. Mais la mise en question des valeurs n'est pas qu'une affaire de rejet automatique, ce qui les distingue de beaucoup d'autres libres-penseurs. Il s'agit plutôt de trouver, au travers de leur propre réflexion, des valeurs véritables et constructives à opposer aux croyances et conditionnements[11]. L'enseignement dispensé à l'Université libre de Bruxelles est basé sur la libre pensée et le libre examen, l'université ayant été fondée en 1835 en réaction à l'emprise de l'église catholique. Et c'est en suite logique que, dès 1836, le Bruxellois Charles Buls se voue à la défense et à la promotion de l'enseignement laïc pour tous, ce qui finira par la création, en 1864, de la Ligue de l'enseignement belge, la première au monde, association vouée à la défense et à la promotion de l'enseignement pour tous dans l'esprit de la libre-pensée. Sur la pelouse centrale de l'avenue Roosevelt se dresse, devant l'université, la silhouette allégorique en bronze d'un homme idéalisé dressant un flambeau représentant la liberté de pensée, statue dédiée au martyr espagnol de la laïcité Francisco Ferrer[non neutre][réf. nécessaire].
Une montée de la libre-pensée en France est apparue à la fin des années 1860. Les adhérents de cette association s'attaquent aux dogmes de l'Église, privilégiant les cérémonies républicaines tels que le baptême et l'enterrement civil, et ils organisent surtout de grands banquets fraternels le Vendredi dit saint où, au milieu des débats d'idées, ils consomment de la viande en réaction contre la pratique chrétienne du jeûne.
Plusieurs associations se réclament de la libre-pensée, parmi lesquelles la Fédération nationale de la libre pensée, la plus ancienne association de France[12], et l'Association des libres-penseurs de France, à dominante humaniste et agnostique : celle-ci a été constituée en 1995 en raison de différends idéologiques avec la nouvelle (depuis 1992) majorité matérialiste et athée de la Fédération nationale, différends portant notamment sur l'existence d'un "entrisme" "trotsko-lambertiste" à la Libre-Pensée[13]. Aujourd'hui, les deux associations s'opposent sur leur appréciation des relations entre islam et laïcité : la FNLP s'oppose aux législations sur le port du voile et aux restrictions légales imposées au culte musulman, tandis que l'ADLPF dénonce un "entrisme islamiste dans la société et l'éducation"[14] et voit dans la FNLP une organisation "trotskyste islamo-compatible"[15] tandis qu'en 2015, la FNLP jugeait : "l'ADLPF ne représente rien (...) [et] est dans l'incapacité la plus totale de faire quoi ce que soit par elle-même"[16].
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