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La sélection de groupe est une généralisation de la théorie de l'évolution par voie de sélection naturelle de Darwin, selon laquelle un groupe d'organismes qui coopèrent fonctionne mieux, à terme, qu'un groupe dont les membres sont en compétition. La théorie de Darwin constitue un cas particulier de la sélection de groupe où la pression de sélection ne s'applique qu'aux individus. Dans la sélection de groupe, certains traits phénotypiques diminuant la survie et la reproduction des individus peuvent cependant être sélectionnés s'ils augmentent par ailleurs la stabilité et la survie à long terme du groupe ou de l'espèce.
Proposée par Darwin, cette théorie, dans sa version actuelle, est popularisée en 1962 par l'écologue écossais Vero Copner Wynne-Edwards et développée en 1970 par le biologiste américain George Price.
Dans La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe[2] au chap.5 portant sur le développement des facultés intellectuelles et morales, Darwin remarque qu'à l'intérieur de leur propre tribu, les personnes moralement honnêtes n'ont pas nécessairement d'avantage sélectif face aux personnes moins honnêtes, mais que les tribus constituées de membres moralement honnêtes possèdent un avantage évident sur les autres tribus. Il conclut par : «… et ceci serait une sélection naturelle.»
Il faut près d'un siècle pour obtenir une version mathématique formalisée de ce théorème.
La sélection de groupe est utilisée comme explication de l’adaptation en particulier par V.C. Wynne-Edwards[3],[4]. Elle est cependant vivement critiquée, pendant plusieurs décennies, en particulier par George C. Williams[5],[6], John Maynard Smith[7] et C.M. Perrins. La communauté scientifique adopte massivement la position de Williams : des caractéristiques pour le bien du groupe peuvent être sélectionnées si la pression de sélection envers le groupe domine la pression de sélection individuelle, mais en pratique, « les adaptations liées au groupe n'existent pas » .
La redécouverte de cette théorie accompagne les nombreuses études portant sur les relations entre symbiotes et leurs hôtes. Ainsi, selon Marc-André Selosse, si l'explication de la sélection de groupe n'a pas convaincu sur le plan théorique, plusieurs mécanismes semblent pouvoir sélectionner l'entraide entre espèces (association à coût nul, sanction des tricheurs, transmission verticale (en) alors que la transmission horizontale ouvre la voie à de possibles conflits entre partenaires et à la sélection de tricheurs)[8].
Soit une population de individus dans laquelle une caractéristique particulière varie. Ces individus peuvent être groupés par la valeur de la caractéristique que chacun affiche. Dans ce cas, il existe au plus groupes de valeurs distinctes de cette caractéristique et au minimum un groupe d'une seule valeur de la caractéristique considérée. Indexons chaque groupe par , le nombre d'individus dans chaque groupe par et la valeur de la caractéristique partagée par tous les membres du groupe par . Maintenant posons qu'à toute valeur de la caractéristique est associée une valeur sélective de telle que est le nombre de descendants du groupe à la prochaine génération.
Puisque tous les descendants du groupe possèdent un parent pouvant provenir d'un autre groupe, la valeur moyenne de la caractéristique des descendants () peut être différente. Notons le changement de la valeur moyenne de la caractéristique du groupe par défini par :
Maintenant posons comme la valeur moyenne de la caractéristique dans la population et cette même valeur à la génération suivante. Définissons le changement dans la valeur moyenne de la caractéristique par :
Notons que ce n'est pas la valeur moyenne de . Aussi, posons comme la valeur sélective moyenne de la population. L'équation de Price permet de relier fonctionnellement ces variables de la façon suivante :
Les fonctions et sont respectivement l'espérance mathématique et la covariance de la théorie des probabilités. En supposant que est non nul, il est souvent pratique de l'écrire sous la forme suivante :
Le premier terme de l’équation de Price peut être interprété comme la pression de sélection «intergroupes» et le second comme la pression de sélection «intragroupe». De façon simplifiée, il peut être pratique de considérer la sélection intergroupes comme équivalente à la sélection de groupe et la sélection intragroupe à la sélection individuelle. Par contre, certains mécanismes comme l'altruisme réciproque ou la sélection de parentèle affectant la composante intragroupe peuvent être perçus comme de la sélection de groupe alors que la séparation géographique des groupes, affectant la composante intergroupes peut être interprétée comme de la sélection de parentèle. Considérer la sélection de parentèle comme un cas particulier de l'équation de Price appliqué à l'altruisme est l'approche mathématique la plus juste.
Dans le cas particulier où (la valeur sélective est la caractéristique) l'équation de Price est strictement équivalente au théorème fondamental de la sélection naturelle de Fisher.
Si la sélection de parentèle permet d'expliquer comment les groupes familiaux apparaissent, elle permet difficilement d'expliquer la formation des groupes multifamiliaux et encore moins les groupes de membres anonymes. Le problème réside dans le fait que dans l'équation d'Hamilton, l'altruisme est directement relié à la distance génétique ; sans apparentement, point d'altruisme. George Price a eu l'idée de réutiliser la notion d'altruisme de l'équation d'Hamilton et de l'appliquer à sa généralisation du théorème fondamental de la sélection naturelle de Fisher. Son modèle est le suivant :
avec :
Après dérivation en utilisant l'équation de Price (en posant les coefficients a et b plus grands que zéro), nous obtenons :
avec :
Ce résultat signifie que pour que l'altruisme persiste dans une population, il faut absolument que celle-ci soit uniforme (variance de zéro). Dans le cas contraire, l'évolution va converger vers le plus bas niveau d'altruisme.
Par conséquent, si nous arrêtions ici le raisonnement, nous pourrions conclure que l'altruisme ne peut exister dans la nature et ceci même dans une population hautement apparentée, même pour des clones. Jamais aucun comportement altruiste ne pourrait émerger, ne serait-ce que l'instinct de troupeau.
Maintenant supposons que la population est divisée en un ensemble de groupes indexés par i et que chaque groupe est composé d'individus indexés par j. Chaque individu est donc identifié par deux indices, i et j. En reprenant le modèle de Price nous obtenons :
avec :
Après dérivation en utilisant l'équation de Price complète (en posant les coefficients a et b plus grands que zéro), nous obtenons :
Ici, le premier terme indique l'avantage sélectif des groupes à avoir des membres altruistes, le second la perte de l'avantage sélectif individuel des membres du groupe conséquence de leurs altruismes.
En considérant que l'altruisme est non uniforme dans le groupe et que le second terme est négatif, le premier terme devient :
Ici, contrairement au modèle sans division en groupes, la variance propulse la croissance de l'altruisme tant que le gain en altruisme envers le groupe compense les pertes individuelles. Par conséquent, la composante intergroupes est plus importante si la disparité génétique entre les groupes est élevée ; cette conséquence est comparable à la sélection de parentèle et celle-ci peut donc être considérée comme un théorème de la sélection de groupe de Price.
En posant l'évolution de l'altruisme moyen stabilisée soit = 0, nous obtenons :
En posant l'évolution de l'altruisme moyen de chaque groupe stabilisée soit = 0, nous obtenons :
Par conséquent, le mécanisme d'évolution se stabilise si tous les membres du groupe possèdent le même niveau d'altruisme (variance nulle) ou que le gain en altruisme envers le groupe compense parfaitement les pertes individuelles (a = b). Si au lieu de l'altruisme nous avions étudié la malveillance entre les membres des différents groupes, nous serions arrivé à une conclusion semblable : le mécanisme d'évolution se stabilise si tous les membres du groupe possèdent le même niveau de malveillance envers les membres des autres groupes ou que le gain en malveillance envers les autres groupes compense parfaitement les pertes individuelles.
L’équation de Price ébranla profondément la foi d’Hamilton en son propre modèle de la sélection de parentèle, celui-ci n’étant plus nécessaire pour expliquer l’apparition de la socialisation. De nos jours, on considère généralement que les deux mécanismes sont impliqués à des niveaux distincts de l’apparition des comportements sociaux.
L’équation de Price permet de prédire l’existence de beaucoup de phénomènes naturels dont l’origine était jusqu’alors mal comprise. Il s’agit de la première théorie de la sélection de groupe permettant de tirer des conclusions scientifiquement intéressantes :
L’équation de Price permet également de reconsidérer complètement le rôle de la compétition intraspécifique dans le phénomène de socialisation. Il se dégage que seule la compétition intergroupe permet aux individus de développer des comportements altruistes au sein des groupes et ceci de l’organisme pluricellulaire aux supra-colonies d’hyménoptères. La confirmation la plus remarquable de ceci est le modèle du darwinisme cellulaire qui explique la formation des organismes pluricellulaires par la compétition intercellulaire et inter-tissulaire. Même dans une colonie de clones la compétition entre les individus (cellules) n’est freinée que par la compétition intergroupe (tissus) elle-même freinée que par la compétition interindividuelle (organismes) qui elle-même n’est freinée que par la compétition intergroupe (groupes).
Mais le plus remarquable est que la théorie de Price ne tient aucunement compte de la nature du mécanisme de réplication du comportement altruiste ou malveillant. La seule hypothèse primaire est que la transmission se fasse des parents aux enfants. Il en est de même de la transmission génétique mais également de la transmission des valeurs familiales. Par conséquent, que la transmission comportementale se fasse génétiquement ou par valeurs familiales (mécanismes de transmission culturelle limitée) les comportements sélectionnés sont soumis aux mêmes contraintes évolutives ce qui devrait aboutir à des résultats similaires.
Il existe de nombreuses stratégies coopératives liées aux bénéfices de la vie en groupe[9] : réduction des risques liés à la prédation, exploitation collective des ressources du milieu (habitat, nourriture), déplacements collectifs synchronisés qui permettent de réduire les dépenses énergétiques individuelles (bancs de poissons et vol en formation des oiseaux qui réduit les forces de frottement avec le milieu extérieur et diminue le coût énergétique associé à la nage[10] ou au vol[11]).
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