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poète français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
René Char, né le à L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) et mort le à Paris 5e, est un poète et résistant français.
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René Émile Char est le benjamin des quatre enfants issus des secondes noces, en 1888, de Joseph Emile Magne Char (1863-1918), négociant né à L’Isle-sur-la-Sorgue, et de Marie-Thérèse Armande Rouget (1869-1951), sœur de sa première épouse, Julia Rouget, morte en 1886 de tuberculose un an après leur mariage. À la naissance de René Char, ses sœurs, Julia (1889-1965) et Émilienne (1900-1978), ont dix-huit et sept ans, son frère Albert en a quatorze.
Son grand-père paternel, Magne Albert Char, dit Charlemagne, enfant naturel et abandonné né en 1826 à Avignon, placé dans une ferme du Thor puis plâtrier à L’Isle-sur-la-Sorgue, avait épousé en 1858 Joséphine Élisabeth Arnaud, fille de meunier. Son grand-père maternel, Joseph Marius Rouget, maçon, avait en 1864 épousé Joséphine Thérèse Chevalier, née en 1842 à Cavaillon.
Son père Joseph Émile Magne Char, qui a abrégé son nom, est maire de L’Isle-sur-la-Sorgue à partir de 1905 et devient en 1907 administrateur délégué des plâtrières de Vaucluse. René Char passe son enfance aux « Névons », vaste demeure familiale dont la construction au milieu d'un parc venait d'être achevée à sa naissance, et où logent également ses grands-parents Rouget. Il bénéficie de l'affection de son père, et il est attaché à sa grand-mère maternelle, à sa sœur Julia, à sa marraine Louise Roze et sa sœur Adèle, qui habitent une vaste maison au centre de la ville, mais subit le rejet hostile de sa mère, catholique pratiquante opposée aux idées politiques de son mari, et de son frère. La famille passe l'été dans une autre de ses propriétés, La Parellie, entre L'Isle et La Roque-sur-Pernes.
En 1913, René Char entre à l'école. Après la mort de son père, le , d'un cancer du poumon, les conditions matérielles d’existence de la famille deviennent précaires. René Char se lie vers 1921 avec Louis Curel, cantonnier, admirateur de la Commune de Paris et membre du Parti communiste, qu'il dépeindra sous le nom d'Auguste Abondance dans Le Soleil des eaux, son fils Francis, élagueur, Jean-Pancrace Nougier, dit l'Armurier (il répare les vieux fusils), qu'il évoquera dans Le Poème pulvérisé et qui sera lui aussi l'un des personnages du Soleil des eaux, les pêcheurs de la Sorgue et quelques vagabonds au parler poétique qu'il nommera plus tard les Transparents.
Bâti comme un colosse (1,92 m) et impulsif, il joue passionnément au rugby, qu'il pratique avec son ami Jean Garcin. Interne à partir de 1918 au lycée Mistral d’Avignon, il décide en 1923 de le quitter, après une dispute avec l'un de ses professeurs qui se moque de ses premiers vers. Il fait en 1924 un voyage en Tunisie, où son père avait créé une petite plâtrerie, puis en 1925 suit les cours de l'École de commerce de Marseille, qui ne l'intéressent pas davantage. Il lit Plutarque, François Villon, Racine, les romantiques allemands, Alfred de Vigny, Gérard de Nerval et Charles Baudelaire, mais aussi vraisemblablement Rimbaud, Mallarmé et Lautréamont, peut-être des poèmes d'Éluard.
Après avoir travaillé à Cavaillon dans une maison d'expédition de fruits et légumes, il effectue en 1927 son service militaire dans l'artillerie à Nîmes, affecté à la bibliothèque des officiers. Il écrit alors une première critique, d'un roman d'André de Richaud, pour la revue parisienne Le Rouge et le Noir, à laquelle il collabore jusqu'en 1929. En 1928 est publié aux éditions de la revue, grâce à l'aide financière de sa grand-mère, qui meurt en décembre 1926, son premier recueil, dont il détruira la plus grande partie des 153 exemplaires, Les Cloches sur le cœur, rassemblant des poèmes écrits entre 1922 et 1926. Il publie également en revues un texte sur la ville d'Uzès en 1928 dans La Cigale uzégeoise, et en 1929 un poème ancien dans Le Feu d'Aix-en-Provence[4].
Au début de l'année 1929, René Char fonde à L'Isle-sur-la-Sorgue, aidé financièrement par le directeur de la maison d'expédition de Cavaillon où il avait travaillé, la revue Méridiens avec André Cayatte, rencontré lors de son service militaire. Elle connaîtra trois numéros de mai à décembre. Dans le deuxième il publie une lettre inédite du maire de Charenton sur la mort de Sade, trouvée dans la bibliothèque des sœurs Roze (où il découvrira également treize lettres inédites de Sade), ainsi qu'une nouvelle largement autobiographique, Acquis par la conscience. En septembre, il envoie l'un des vingt-six exemplaires hors commerce de son second recueil, Arsenal, publié en août à Nîmes, à Paul Eluard, qui vient lui rendre visite à l'automne à L’Isle-sur-la-Sorgue, où il passe trois semaines. À la fin novembre, René Char arrive à Paris, rencontre Louis Aragon, André Breton, René Crevel et leurs amis, adhère au groupe surréaliste au moment où Robert Desnos, Jacques Prévert et Raymond Queneau le quittent, et publie en décembre Profession de foi du sujet dans le douzième numéro de La Révolution surréaliste. Durant quatre ans il va collaborer aux activités du mouvement, dont il est en 1931 et 1932 le trésorier.
Le les surréalistes saccagent à Paris le bar « Maldoror », lors d'une bagarre au cours de laquelle Char est blessé d'un coup de couteau dans l'aine. Il partage alors avec Éluard une vie libre et fastueuse, et c'est ensemble qu'ils rencontrent en « Nush » (Maria Benz), figurante sans travail et sans toit, qui vient habiter avec eux et épousera Eluard en 1934. Tandis qu'il lit les philosophes présocratiques et les grands alchimistes, Char publie une deuxième édition remaniée d'Arsenal, puis en avril 1930 à Nîmes Le Tombeau des secrets, douze photographies, dont un collage de Breton et d'Eluard, légendées par des poèmes. Paraît simultanément, imprimé à Nîmes Ralentir travaux (d'après un panneau rencontré sur la route de Caumont-sur-Durance), poèmes écrits entre le 25 et le 30 mars en collaboration par Breton, Char et Eluard à Avignon et dans le Vaucluse et L'action de la justice est éteinte en .
Aragon, Breton, Char et Eluard fondent en la revue Le Surréalisme au service de la révolution. Char revient régulièrement en Provence, durant l'été près de Cannes, et avec Nush et Éluard s'embarque à Marseille, faisant escale à Barcelone pour séjourner à Cadaqués chez Salvador Dalí et Gala[5]. Ses poèmes d'Artine paraissent en novembre aux Éditions surréalistes, chez José Corti, avec une gravure de Dalí. En février 1931, Eluard lui rend à nouveau visite à L'Isle avec Jean et Valentine Hugo. Ils visitent les villages de Ménerbes, Gordes, Lacoste et Saumane[réf. nécessaire]. Char signe en 1931 les tracts surréalistes concernant le film L'Âge d'or (réalisé par Dalí et Luis Buñuel). Il s'associe aux surréalistes parisiens (Aragon, Breton, Eluard, ...) pour dénoncer l’Exposition coloniale de 1931 décrite comme un « carnaval de squelettes ». Ils réclament également « l’évacuation immédiate des colonies » et la tenue d'un procès sur les crimes commis[6].
L'héritage qu'il a reçu de son père dilapidé, Char loge en 1932 Rue Becquerel, dans un appartement aménagé par Eluard pour Gala. Pendant l'été il voyage en Espagne avec Francis Curel, puis rencontre sur la plage de Juan-les-Pins Georgette Goldstein. Ils s'épousent à Paris en octobre 1932, Eluard étant l'un des témoins. En , Char séjourne à Berlin avec Eluard et signe un tract antifasciste. De juin à le couple s'installe à Saumane. Durant l'hiver Char revient à L'Isle, loue au début de 1934 un appartement à Paris, Rue de la Convention, séjourne en février au Cannet, rentre à L'Isle en avril, puis surveille à Paris, avec Georgette, l'édition chez José Corti du Marteau sans maître, d'abord refusé par Gallimard et illustré d'une gravure donnée par Vassili Kandinsky. Au mariage d'Eluard, et de Nush, le , il est son témoin avec Breton.
Char se détache à partir de du groupe surréaliste : « Le surréalisme est mort du sectarisme imbécile de ses adeptes », écrit-il dans une lettre à Antonin Artaud. Il demeure principalement à L'Isle l'année suivante mais va en février retrouver en Suisse Éluard et Crevel, au sanatorium de Davos. En avril il accueille Tzara et sa femme Greta Knutson à L'Isle, et les rejoint avec Éluard à Nice en septembre. Dans une lettre ouverte à Péret, il confirme le :
« J'ai repris ma liberté voici treize mois, sans éprouver en revanche le besoin de cracher sur ce qui durant cinq ans avait été pour moi tout au monde[7]. »
Renonçant à son appartement parisien en , il s'installe avec Georgette à L'Isle et est nommé en avril administrateur délégué de la société des Plâtrières du Vaucluse qu'avait dirigée son père, fonction qu'une septicémie le contraint rapidement à ne pas assumer et à laquelle il renoncera en . Pendant sa convalescence, qui dure plus d'un an, il lit dans la bibliothèque des sœurs Roze des ouvrages de D'Alembert, D'Holbach, Helvétius. Éluard et Man Ray viennent à L'Isle aider Char pour la préparation de Dépendance de l'adieu - avec un dessin de Picasso, qu'Éluard lui avait fait rencontrer - publié en mai par GLM à 70 exemplaires. À la fin du mois d'août, Char s'installe pour quelques semaines à Céreste, où il se lie avec maître Roux et ses quatre fils, puis séjourne au Cannet. En décembre GLM édite, avec l'aide financière d'Éluard, Moulin premier, à 120 exemplaires [8]. Éluard et Nush lui rendent visite au Cannet en janvier 1937. En août Char reçoit avec Georgette à Céreste le couple de surréalistes belges Louis Scutenaire et Irène Hamoir, dont il s'éprend[9] et qu'il va rejoindre en septembre à La Haye où elle travaille à la Cour internationale de justice, liaison rapidement interrompue par son mari. À la fin de l'année il s'installe à nouveau avec Georgette à Paris, rue des Artistes. Placard pour un chemin des écoliers, édité en décembre, est dédié aux enfants victimes de la guerre d'Espagne. À travers sa correspondance avec Gilbert Lely, rencontré en 1934, naît une amitié qui se renforce l'année suivante lors de leurs promenades à Paris au square Saint-Lambert, puis traversera les années de guerre. Dès février 1938 Char propose à Christian Zervos ses premiers écrits sur les peintres, Corot et Courbet. Cette même année, il s'éprend d'une passion amoureuse, qui durera jusqu'en 1944, pour Greta Knutson, peintre d'origine suédoise, de huit ans son aînée, séparée depuis l'année précédente de son mari Tristan Tzara, passe avec elle le mois d'août dans le Luberon à Maubec, où il commence d'écrire les poèmes, imprégnés de sa présence, du Visage nuptial. Avec Greta Knutson il découvre le romantisme allemand, et particulièrement Hölderlin, ainsi que la philosophie de Heidegger. En septembre il est mobilisé à Paris pour une dizaine de jours, puis en 1939 à Nîmes comme simple soldat[10].
Pendant l’Occupation, René Char, sous le nom de « Capitaine Alexandre »[11], participe, les armes à la main, à la Résistance, « école de douleur et d’espérance ». Il commande la section atterrissage parachutage de la zone Durance. Son QG est installé à Céreste (Basses-Alpes).
« Les Feuillets d’Hypnos sont calculés pour restituer l'image d'une certaine activité, d'une certaine conception de la Résistance et, d'abord, d'un certain individu avec sa multiplicité interne, ses alternances et aussi sa différence, qu'il est moins disposé que jamais à oublier […] L'apparence fragmentaire du récit montre l'allergie de René à toute rhétorique, à ces transitions, introductions et explications qui sont le tissu intercalaire de tout corps de récit normalement constitué ; ne subsistent, séparées, que les parties vives, ce qui donne aux Feuillets un faux air de recueil d'aphorismes ou de journal intime, alors que la composition d'ensemble et même les annotations sont très calculées […] L'ensemble demeure une des images les moins convenues et les plus approfondies de ce que fut la résistance européenne au nazisme. »
— Paul Veyne, René Char en ses poèmes
À ce recueil capital, il convient d'adjoindre les Billets à Francis Curel, datés des années 1941 à 1948 et recueillis dans Recherche de la base et du sommet. Compléments indispensables à la lecture des Feuillets d'Hypnos, ces documents éclairent de l'intérieur cette expérience fondatrice que fut pour Char celle de la Résistance : refus de publier durant l'Occupation, dénonciation du nazisme et de la collaboration française, interrogations aiguës et douloureuses sur son action et ses missions, prise de distance sitôt la guerre terminée.
« Dissident dans l’âme et homme de principes, Char finit par devenir un rebelle chez les rebelles, puis un rebelle chez les subordonnés lors de sa seconde expérience de l’armée. Il est la figure de l’insurgé, qui lutte contre les dogmatismes, les formatages, ou la passivité face à l’atroce. L’occupation lui offre cruellement la possibilité de devenir concrètement ce qu’il a toujours été : un résistant »[12].
La Médaille de la Résistance lui a été attribuée le 6 septembre 1945[13].
Enfin, c'est en , à Paris, que René Char et Yves Battistini se rencontrent. Entre eux, « c’est le début en amitié d’une longue conversation souveraine » avec la philosophie grecque et la poésie.
L'après-guerre laisse Char profondément pessimiste quant à la situation politique française et internationale jusqu'à la fin de sa vie, comme en témoignent À une sérénité crispée et L’Âge cassant. Sous ce rapport, ses vues très lucides sont proches de celles d'Albert Camus dans L'Homme révolté, avec qui il entretient une indéfectible amitié.
Dans le cadre d'une exposition d'art moderne qu'ils organisent dans la grande chapelle du Palais des papes d'Avignon, Christian Zervos et René Char demandent à Jean Vilar, acteur, metteur en scène et directeur de théâtre, une représentation de Meurtre dans la cathédrale, qu'il a créé en 1945.
Après avoir refusé, Vilar leur propose en 1947 trois créations : La Tragédie du roi Richard II, de Shakespeare, une pièce méconnue en France, La Terrasse de midi, de Maurice Clavel, auteur alors encore inconnu, et L'Histoire de Tobie et de Sara, de Paul Claudel[14]. C'est la naissance du Festival d'Avignon.
Le , il divorce de Georgette Goldstein[15].
De 1957 à 1987, René Char vit une immense passion amoureuse avec l'anthropologue Tina Jolas (1929-1999).
Durant les années 1950 et 1960, en dépit de brèves et malheureuses expériences dans le domaine théâtral et cinématographique, Char atteint sa pleine maturité poétique. Les plaquettes se succèdent : Les Matinaux, La Bibliothèque est en Feu, Lettera amorosa, Retour Amont (repris en volumes dans La Parole en Archipel et Le Nu perdu). Il éprouve également le besoin de rendre hommage aux poètes et aux peintres qui l'ont accompagné et nourri, ceux qu'il nomme ses « grands astreignants » et ses « alliés substantiels » (Recherche de la base et du sommet).
Malgré son refus de toute forme de littérature engagée, René Char participe activement en 1966 aux manifestations contre l'installation des missiles à tête nucléaire sur le plateau d'Albion.
Outre la publication de quelques recueils d'importance, tels La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, Aromates Chasseurs et Chants de la Balandrane, les deux dernières décennies voient la consécration officielle de la figure solitaire de René Char, symbolisée par la publication d'un Cahier de l'Herne en 1971 et celle de ses Œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, en 1983.
Il est membre de la Légion d'honneur[16].
En octobre 1987, il épouse Marie-Claude de Saint-Seine (1943-), éditrice.
Il meurt d'une crise cardiaque, le dans le 5e arrondissement de Paris[17]. Il est inhumé au cimetière communal de L'Isle-sur-la-Sorgue, dans le caveau familial[18].
L’hôtel Campredon ou « maison René Char » à L’Isle-sur-la-Sorgue propose au public, à partir de 1982[19], une collection de manuscrits, dessins, peintures et objets d’art ayant appartenu à René Char jusqu'en [20],[21]. Depuis lors, cette situation pose avec acuité la question de la pérennité de l'œuvre du poète dans la ville et la recherche d'une nouvelle géographie de la mémoire[22].
Une partie des archives et manuscrits de l'auteur est conservé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet grâce à de multiples donations dont celle de Marie-Claude Char.
La place René-Char (Paris) est baptisée en son honneur.
La Bibliothèque des Lettres et Sciences humaines et sociales de l'Ecole Normale Supérieure a proposé en 2022 une exposition, Commune présence, sur le thème de la visite au poète : étaient présentés des ouvrages dédicacés à la Bibliothèque des Lettres et à Paul Veyne, des éditions originales, des archives photographiques et des extraits de correspondance datés des vingt dernières années de la vie de René Char. En effet, de nombreux jeunes chercheurs ou futurs écrivains, normaliens ou non, se sont rendus à L'Isle-sur-la-Sorgue pour rencontrer René Char et ont été durablement marqués par cette rencontre : de Paul Veyne à Bertrand Marchal et Danièle Leclair, sans oublier Jean-Claude Mathieu, de Paul Celan à Claude Esteban, Dominique Fourcade ou Florence Delay, entre autres[23].
Maurice Blanchot, dans La Part du feu, observait que « l'une des grandeurs de René Char, celle par laquelle il n'a pas d'égal en ce temps, c'est que sa poésie est révélation de la poésie, poésie de la poésie. » Ainsi, dans toute l'œuvre de Char, « l'expression poétique est la poésie mise en face d'elle-même et rendue visible, dans son essence, à travers les mots qui la recherchent. » Il est hautement significatif que Char ait recueilli et publié une anthologie plusieurs fois augmentée de tout ce qui a trait explicitement dans son œuvre à la parole poétique : Sur la poésie. Sur le plan formel, sa poésie trouve son expression privilégiée dans l'aphorisme, le vers aphoristique, le fragment, le poème en prose (ce que Char nomme sa parole en archipel), si tant est que ces catégories littéraires soient pertinentes.
Dans L'Entretien infini, Blanchot se penche longuement sur cette question :
« La parole de fragment n'est jamais écrite en vue de l'unité, même le serait-elle. Elle n'est pas écrite en raison ni en vue de l'unité. Prise en elle-même, en effet, elle apparaît dans sa brisure, avec ses arêtes tranchantes, comme un bloc auquel rien ne semble pouvoir s'agréger. Morceau de météore, détaché d'un ciel inconnu, et impossible à rattacher à rien qui puisse se connaître. Ainsi dit-on de René Char qu'il emploie la « forme aphoristique ». Étrange malentendu. L'aphorisme est fermé et borné : l'horizontal de tout horizon. Or, ce qui est important, important et exaltant, dans la suite de « phrases » presque séparées que tant de ses poèmes nous proposent - textes sans prétexte, sans contexte -, c'est que, interrompues par un blanc, isolées et dissociées au point que l'on ne peut passer de l'une à l'autre ou seulement par un saut et en prenant conscience d'un difficile intervalle, elles portent cependant, dans leur pluralité, le sens d'un arrangement qu'elles confient à un avenir de parole […] Qu'on entende que le poète ne joue nullement avec le désordre, car l'incohérence ne sait que trop bien composer, fût-ce à rebours. Ici, il y a la ferme alliance d'une rigueur et d'un neutre. Les « phrases » de René Char, îles de sens, sont, plutôt que coordonnées, posées les unes auprès des autres : d'une puissante stabilité, comme les grandes pierres des temples égyptiens qui tiennent debout sans lien, d'une compacité extrême et toutefois capables d'une dérive infinie, délivrant une possibilité fugace, destinant le plus lourd au plus léger, le plus abrupt au plus tendre, comme le plus abstrait au plus vivace (la jeunesse du visage matinal). »
Dans sa préface à l'édition allemande des Poésies de Char, parue en 1959[24], Albert Camus écrit :
« Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant et Fureur et Mystère pour ce que la poésie française nous a donné de plus surprenant depuis Les Illuminations et Alcools […] La nouveauté de Char est éclatante, en effet. Il est sans doute passé par le surréalisme, mais il s'y est prêté plutôt que donné, le temps d'apercevoir que son pas était mieux assuré quand il marchait seul. Dès la parution de Seuls demeurent, une poignée de poèmes suffirent en tout cas à faire lever sur notre poésie un vent libre et vierge. Après tant d'années où nos poètes, voués d'abord à la fabrication de « bibelots d'inanité », n'avaient lâché le luth que pour emboucher le clairon, la poésie devenait bûcher salubre. […] L'homme et l'artiste, qui marchent du même pas, se sont trempés hier dans la lutte contre le totalitarisme hitlérien, aujourd'hui dans la dénonciation des nihilismes contraires et complices qui déchirent notre monde. […] Poète de la révolte et de la liberté, il n'a jamais accepté la complaisance, ni confondu, selon son expression, la révolte avec l'humeur […] Sans l'avoir voulu, et seulement pour n'avoir rien refusé de son temps, Char fait plus alors que nous exprimer : il est aussi le poète de nos lendemains. Il rassemble, quoique solitaire, et à l'admiration qu'il suscite se mêle cette grande chaleur fraternelle où les hommes portent leurs meilleurs fruits. Soyons-en sûrs, c'est à des œuvres comme celle-ci que nous pourrons désormais demander recours et clairvoyance. »
René Char appartient à ces écrivains qui ont puisé certaines forces créatrices dans la peinture[25], il se passionne pour l'œuvre de Georges de La Tour. Il consacre à certains tableaux des textes poétiques dans Fureur et Mystère et Le Nu perdu où le lien entre stylistique et œuvre picturale est exacerbé.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Recueils publiés dans la collection "Poésie Gallimard" :
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