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coalition politique au pouvoir en France entre 1936 et 1938 De Wikipédia, l'encyclopédie libre
En France, le Front populaire est une coalition politique de gauche, formée en vue des élections législatives de 1936 autour du Parti radical, de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et du Parti communiste.
Front populaire | |
Fondation | 14 juillet 1935 |
---|---|
Disparition | Novembre 1938 |
Élections concernées par l'alliance | Élections législatives de 1936 (XVIe législature) |
Organisations politiques concernées | Parti radical Union socialiste républicaine Section française de l'Internationale ouvrière Parti d'unité prolétarienne Parti communiste |
Représentation à l'Assemblée nationale | 386 / 608 |
Idéologie | Socialisme Radicalisme Communisme Antifascisme Pacifisme |
Couleurs | Rouge |
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Ayant remporté une majorité de sièges, elle donne naissance à quatre gouvernements entre et . Le premier est dirigé par le socialiste Léon Blum, les deux suivants par le radical Camille Chautemps et le dernier par Léon Blum à nouveau. Les communistes les soutiennent mais n'y participent pas.
La victoire du Front populaire aux élections est un choc pour une grande partie de la bourgeoisie. À l'inverse, elle suscite en soutien un large mouvement de grève dans les usines en et . Pourtant élu sur un programme modéré, le gouvernement nouvellement formé appuie alors, par la négociation des Accords de Matignon, l'instauration d'importantes réformes sociales, comme la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine ou la création de deux semaines de congés payés.
Après deux ans au pouvoir marqués par de nombreuses dissensions, la coalition éclate devant le refus du Sénat d'accorder à Léon Blum les pleins pouvoirs financiers pour faire face à une crise économique et monétaire. Le radical Édouard Daladier lui succède à la présidence du Conseil en .
Près d'un siècle après sa disparition, le Front populaire reste une des références majeures de la gauche française. La coalition des partis de gauche formée en vue des élections législatives de 2024 y fait directement référence.
C'est en réaction à la journée d'émeutes menée le 6 février 1934 par les ligues d'extrême droite (Action française, Jeunesses patriotes, etc.) et d'autres groupes d'anciens combattants que les partis de gauche décident de s'unir contre « le danger fasciste »[1].
Dès le , un mouvement en faveur d'une unité d'action se dessine lors des manifestations de rue en France[2]. Durant ces manifestations, les cortèges communistes et socialistes défilent ensemble sous la pression des militants de chaque parti. Le même jour, la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) appellent à une journée de grève[3].
Les socialistes et les communistes sont authentiquement convaincus qu'ils viennent de connaître une tentative de coup d'État concerté en vue d'établir un régime autoritaire[4]. Cependant, ils réagissent d'abord en ordre dispersé. À la fois concurrents et adversaires depuis la scission survenue lors du congrès de Tours de la SFIO, qui a vu la formation de la Section française de l'Internationale communiste qui deviendra plus tard le Parti communiste (PC), les deux partis ouvriers peinent à renouer le dialogue. Pour les communistes, qui suivent les orientations de la Troisième Internationale, le capitalisme est entré dans sa « troisième phase » : il va bientôt connaître une période de crise qui le poussera à agresser l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Lorsque ce conflit, qu'ils pensent inévitable, surviendra, les communistes auront pour tâche de lutter énergiquement contre leur bourgeoisie nationale, quel que soit son bord politique (de ce point de vue, les radicaux ou les républicains-socialistes sont assimilés à la droite et taxés de fascistes). Fondamentalement révolutionnaire, le PC considère même que le combat doit s'étendre à la SFIO, coupable de contribuer à faire avorter la Révolution en prônant des politiques réformistes[1]. Cette défiance contre la SFIO remonte également à l'acceptation de l'Union sacrée en 1914 par la SFIO.
Pour sa part, la SFIO se méfie d'un Parti communiste qui, sous couvert de proposer un front unique, chercherait en réalité à attirer vers lui les militants socialistes en les éloignant de leurs dirigeants[5]. Par ailleurs les socialistes, alliés traditionnels des radicaux, sont en froid avec ces derniers. Ces deux partis ont déjà connu ensemble par deux fois l'expérience de la coalition, dans le cadre du Cartel des Gauches, en 1924 et 1932. Des accords de désistements réciproques leur avait alors permis d'investir une majorité absolue de sièges à la Chambre des députés. Or, à chaque fois, socialistes et radicaux finissaient par entrer en conflit sur les questions économiques et sociales : les premiers refusant à terme leur soutien aux gouvernements des seconds, les radicaux finissaient par s'allier à la droite et les socialistes passaient dans l'opposition. Sur la question de la responsabilité de cet échec, les deux partis se renvoient la balle et leurs rapports sont, depuis 1934, bien conflictuels[6]. Concrètement, les socialistes comme les communistes, attaquent violemment les radicaux, ne leur pardonnant pas leur alliance avec la droite dans le gouvernement Doumergue (février-), tandis que les radicaux reprochent aux socialistes de ne pas les avoir efficacement soutenus lors des deux expériences du Cartel, ce qui en fait à leurs yeux des alliés définitivement peu recommandables.
Pourtant, le déclenchera une dynamique qui l'emportera peu à peu sur les querelles d'appareil[7]. Au lendemain de cette journée, plusieurs comités antifascistes se forment, comprenant des socialistes, des radicaux et des représentants de divers groupes de gauche, mais jamais de communistes. Les clivages idéologiques persistent. Le , le PC et la CGTU organisent un grand rassemblement[8] place de la République, contre le fascisme et les ambiguïtés du gouvernement. De son côté, la SFIO préfère relayer par une manifestation l'appel de la CGT à la grève générale pour le . Le PC décide de se joindre à la manifestation, espérant toujours attirer à lui les militants socialistes en plaçant des orateurs tout le long du cortège. C'est pourtant l'inverse qui se produit : « les militants communistes se joignent au cortège socialiste, abandonnant estrades et orateurs communistes, et c'est aux cris de « Unité ! Unité ! » que les militants des deux partis défilent de concert »[9].
Ce sont donc les militants ordinaires, contre la volonté des états-majors hormis Jacques Doriot, qui font du une manifestation unitaire, et préparent ainsi les esprits à l'idée du Rassemblement populaire. Épisode symptomatique d'une union antifasciste bien plus précoce à la base qu'à la tête de deux partis dont les dirigeants se haïssent[réf. nécessaire].
L'évolution vers l'unité n'est pas évidente, la direction du PC étant dans un premier temps hostile à tout rapprochement avec la SFIO, conformément à la tactique « classe contre classe » élaborée à la fin des années 1920 par la Troisième Internationale. Pourtant, le à Ivry, Maurice Thorez opère un virage en appelant à l'unité d'action avec les socialistes[10].
Les explications de cette spectaculaire évolution[11] sont diverses et, pour certaines, sujettes à caution[12]. Il est certain que c'est avec l'accord de l'Internationale, dirigée depuis Moscou, que Thorez opère ce changement de stratégie, la question restant en suspens de savoir si les communistes français l'avaient préalablement sollicitée ou si l'initiative en revenait exclusivement au Komintern. Des raisons intérieures ont certainement joué, outre la volonté unitaire de la base : la tactique « classe contre classe » avait montré ses limites en isolant le parti et en provoquant un net recul du PC aux élections de 1932. Mais c'est également parce que Joseph Staline réévalue le danger fasciste[13], considéré jusqu'ici comme une évolution de la démocratie bourgeoise. Face à l'installation d'Adolf Hitler au pouvoir le PC adopte une attitude résolument unitaire.
Il ouvre ainsi la voie à la formation d'un « Front populaire » (l'expression est attribuée à Eugen Fried, représentant de l'Internationale communiste en France), avec comme première étape la signature entre les deux partis marxistes d'un « pacte d’unité d’action antifasciste » le [14], où ils s'engagent à joindre leurs forces dans la lutte contre le fascisme et le gouvernement d'Union nationale de Gaston Doumergue.
Mais Thorez ne souhaite pas en rester là et déborde une SFIO qui, stupéfaite, l'entend à Nantes le [15] suggérer « l'alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière » et la constitution d'un rassemblement non seulement ouvrier mais « populaire », ce qui constitue clairement un appel du pied au Parti radical, représentant des classes moyennes. De fait, Thorez considère que les résultats des élections cantonales d', où l'extrême-droite progresse en attirant à elle d'anciens électeurs radicaux, « attestent de la « course de vitesse » engagée entre les fascistes et les partis ouvriers pour la conquête des classes moyennes »[16], touchées par le chômage et désorientées politiquement. En intégrant les radicaux à la logique d'union à gauche, Thorez espère créer cette dynamique. Ces derniers, très méfiants vis-à-vis des communistes, refusent d'abord cette proposition d'alliance, position logique dans la mesure où ils participent aux gouvernements d'Union nationale : le Parti radical semble pencher à droite.
Pourtant, en [17], la pression de l'aile gauche du Parti radical, notamment des « Jeunes Turcs » et d'Édouard Daladier (qui cherche à retrouver un espace politique après son échec à la suite du ), amène Édouard Herriot à accepter le rapprochement avec la SFIO et le PC. De fait, de nombreux éléments, outre la volonté de la plupart des militants de base de renouer avec la tradition d'un ancrage à gauche du parti, suggèrent le ralliement au Rassemblement populaire. En effet, le Parti radical, bien qu'allié de la droite dans les gouvernements de trêve, subit de la part de ses partenaires des critiques souvent violentes, allant de l'incompétence à la corruption, alors même que la politique de droite menée par ces gouvernements met mal à l'aise un nombre de plus en plus important de militants.
Dans le même temps, les communistes couvrent d'éloges le Parti radical, héritier selon eux de la Révolution française et représentant d'une classe moyenne désormais solidaire du prolétariat[18]. Le dernier verrou tombe lorsque l'Union soviétique se rapproche de la France à la suite de la visite de Pierre Laval à Moscou en . Le PC peut désormais voter les budgets militaires et laisse libre cours à un discours patriotique[19] qui tranche avec ses positions antérieures et ne peut que satisfaire les radicaux.
Comme les élections municipales de mai 1935 se caractérisent par un nouveau recul du Parti radical, sauf là où il s'était allié avec la SFIO, Herriot n'a plus de réel argument pour poursuivre la politique d'alliance avec la droite, et le comité exécutif du parti, « emporté par la mystique unitaire antifasciste »[20], décide le de participer à la grande manifestation unitaire prévue pour le .
Le choix de la date, à la fois fête révolutionnaire et fête nationale, et du lieu (la manifestation suit le même parcours que celle du ) est significatif. Surtout, pour la première fois, militants et chefs radicaux (notamment Daladier), socialistes et communistes défilent de concert aux côtés d'autres petits partis, syndicats et associations (CGT, CGTU, CVIA, Ligue des droits de l'homme…), dans une manifestation de près de 500 000 personnes[21] et « dans l'euphorie d'une unité retrouvée de la gauche »[22]. La solennité du moment est renforcée par la rédaction d'un serment, écrit par Jean Guéhenno, André Chamson, et Jacques Kayser[23], prêté par tous les manifestants, qui réaffirme l'importance de la mobilisation antifasciste et dégage des objectifs pour améliorer la situation du pays[24].
La tranquille mobilisation d'un peuple de gauche qui revendique son histoire, y compris nationale (Jeanne d'Arc, La Marseillaise, le Soldat inconnu[25]) apparaît irrésistible, et c'est tout naturellement que le comité d'organisation de cette manifestation, dirigé par le président de la Ligue des droits de l'homme Victor Basch, est prolongé en un comité national pour le rassemblement populaire, chargé d'élaborer un programme commun et des accords de désistement dans la perspective des élections du printemps 1936.
Le programme du Front populaire, censé se structurer autour de son slogan électoral « Pain, Paix, Liberté », est plus concrètement organisé en deux rubriques.
Dans le domaine politique, les revendications sont classiques : défense de la démocratie (désarmement et dissolution des ligues, obligation pour les organes de presse de publier leur bilan financier pour permettre à leurs lecteurs de connaître l'identité de ceux qui les financent, promotion des droits syndicaux et de l'école laïque) et de la paix (désarmement relatif, promotion de la sécurité collective et de la négociation dans le cadre de la Société des Nations). En dehors de la volonté de nationaliser les industries pour soustraire la politique extérieure de la France à l'influence des marchands de canon, « cette plateforme somme toute modérée témoigne davantage de préoccupations électorales que d'une claire perception de la situation internationale : ni la question coloniale, ni les dangers extérieurs, ni la situation en Europe ne semblent préoccuper ses signataires »[26], et l'antifascisme reste essentiellement à destination interne, contrairement aux souhaits du PC, plus belliciste et prêt à internationaliser la lutte contre le fascisme[27]. Ces ambiguïtés en matière de politique extérieure pèseront lourd dans les difficultés ultérieures du gouvernement de Front populaire.
Les mesures préconisées par le Front populaire en matière économique sont plus importantes, bien que tout autant marquées du sceau du compromis. En dehors de la volonté de réformer la Banque de France, « il s'agit, à l'instar de Roosevelt aux États-Unis, de conduire, comme on le dira plus tard, une politique de relance par la consommation, dont on espère la reprise de la production, la réduction de la thésaurisation et le retour de la croissance »[28] : « réduction de la journée de travail », « plan de grand travaux d'utilité publique », création d'un « fonds national de chômage » et d'un régime de retraite pour les vieux travailleurs. À cela s'ajoute en matière agricole la mise en place d'un Office national des céréales destiné à régulariser le marché et lutter contre les spéculateurs.
En fait, même sur le plan économique, ce programme modéré du « plus petit dénominateur commun » reste modeste et se contente de prévoir la « réalisation des tâches immédiates » pour résoudre la crise et apporter « une solution aux injustices sociales les plus criantes […], sans toucher aux structures de la société »[29], comme le souhaiteraient les socialistes. De ce point de vue, il est nettement plus proche des vues du Parti radical[30] que de celui de la SFIO, plus étatiste quand les radicaux restent fondamentalement des libéraux[31]. Cela n'a pas été sans créer des tensions entre le Parti radical et les socialistes, mais ces derniers ont dû s'incliner compte tenu de la farouche volonté du PC de faire preuve de modération pour assurer le ralliement des classes moyennes au Front populaire[32], en acceptant par exemple le fait de rayer du programme final la mention « Réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire. » ainsi que le plafond des 40h par semaine[33]. Il ne constitue d'ailleurs qu'une base de désistement pour le second tour, chaque parti défendant au premier tour son propre programme, dont la compatibilité avec le programme de Front populaire n'est pas toujours évidente. Ici comme en politique étrangère, les divergences entre alliés, les ambiguïtés sont nombreuses, même si dans un premier temps l'enthousiasme des militants peut les maintenir sous cloche.
Profitant de son unité (les désistements entre le premier et le second tour furent quasi-systématiques et de ce fait, les reports de voix, notamment communistes, meilleurs qu'en 1928 et 1932), de la crise économique et de l'absence d'une politique alternative à droite (où l'argument de campagne principal se limita à l'anticommunisme), le Front populaire remporte une nette victoire aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, rassemblant environ 57 % des suffrages exprimés au premier tour et envoyant, au terme du second, un total de 386 députés sur 608 siéger à la Chambre des députés, dont 147 pour la SFIO.
Le caractère spectaculaire — y compris à l'époque — de ce succès électoral ne doit pas laisser penser que l'opinion française aurait alors nettement glissé à gauche. Comme le souligne l'historien Eric Hobsbawm, le triomphe du Front populaire « résulte de l'augmentation d'à peine 1 % des suffrages obtenus par les radicaux, les socialistes et les communistes en 1932 », déjà favorable à la gauche il est vrai, et le succès du Front populaire met surtout « dramatiquement en relief les coûts de la désunion passée »[34].
Malgré cette relative stabilité du corps électoral de gauche, les évolutions de la part de chacun des trois partenaires du Front populaire permettent d'éclairer l'évolution de l'opinion de gauche. « Le parti communiste pouvait légitimement apparaître comme le grand vainqueur de la consultation : avec 1 500 000 voix, il doublait ses suffrages de 1932 »[35]. L'essentiel de ces gains sont réalisés aux dépens des socialistes, qui compensent leur perte dans le milieu ouvrier en mordant sur l'électorat rural du Parti radical.
De fait, les radicaux (1 400 000 voix), compromis par leur participation aux gouvernements de droite et par leur soutien à la politique de déflation, mais également du fait de la bipolarisation du scrutin, perdent 350 000 voix. Cependant, le caractère stratégique de leur place dans la coalition gouvernementale ne doit pas être négligé. Si les radicaux ont perdu de leur superbe, ce sont leurs 106 députés qui permettent au gouvernement d'exister, dans la mesure où aux 219 députés socialistes et communistes correspondent les 219 députés de la droite. De ce fait, les radicaux affaiblis jouent néanmoins un rôle pivot. Il suffit qu'ils fassent le choix de basculer vers la droite comme en 1926 ou 1934, et le gouvernement de Front populaire disparaîtrait. Paradoxalement, bien que « battus par les électeurs le 26 avril, les radicaux se trouvent en position d'arbitres, en mesure de faire ou défaire les majorités, et leur puissance parlementaire fait d'eux, au moment même où leur parti commence son déclin, les maitres réels du jeu politique français »[36].
Bien que la progression du PC dans son électorat traditionnel soit réelle, la SFIO conserve un électorat stable de près de 2 millions de voix. Premier parti de France, il apparaît dès lors naturel que le chef du nouveau gouvernement soit issu de ses rangs. Léon Blum s'efforce cependant de rester pragmatique : il distingue l'exercice de la conquête du pouvoir. Les Français n'ayant pas donné de majorité aux « prolétariens » (SFIO et PC seuls), il en déduit qu'il est impossible, dans l'état actuel des choses, de transformer les structures sociales de la France pour aller dans le sens d'une société socialiste[37]. Il plaide donc en faveur de l'application la plus stricte du programme du Front populaire : le 31 mai, il déclare devant le Conseil national de la SFIO, que « non seulement le Parti socialiste n'a pas la majorité, mais les partis prolétariens ne l'ont pas davantage. Il n'y a pas de majorité socialiste ; il n'y a pas de majorité prolétarienne. Il y a la majorité du Front populaire dont le programme du Front populaire est le lieu géométrique. Notre mandat, notre devoir, c'est d'accomplir et d'exécuter ce programme. Il s'ensuit que nous agirons à l'intérieur du régime actuel, de ce même régime dont nous avons montré les contradictions et les iniquités tout au long de notre campagne électorale »[38]. L'expérience ne sera donc pas socialiste, mais se limitera à une nouvelle forme de réformisme social. Blum voit également un deuxième avantage à prendre la tête du gouvernement : en « occupant » le pouvoir, les socialistes peuvent directement empêcher les fascistes de s'y installer[37].
De fait, cette majorité parlementaire inédite investit le premier gouvernement à dominante socialiste de la IIIe République, et Léon Blum est nommé président du Conseil par le président de la République Albert Lebrun, le 4 juin 1936. Contrairement à la tradition de la Troisième République, Blum décide de ne se charger « d'aucune responsabilité particulière pour se consacrer tout entier à la direction du gouvernement », dans le but de renforcer la présidence du Conseil : « À ses yeux, le chef du gouvernement ne devait pas se limiter à coordonner l'action des ministres, mais devait véritablement diriger, à la manière du Premier ministre britannique »[39]. Blum dispose effectivement d'une réelle autorité sur le gouvernement qu'il préside.
Léon Blum ne se contente pas de redéfinir le rôle dévolu au président du Conseil : il innove également en créant de nouveaux postes ministériels et en attribuant ces ministères à de nouvelles personnalités (Composition du premier gouvernement), même si certains barons du radicalisme tiennent leur place, comme Camille Chautemps, Yvon Delbos (ministre des Affaires étrangères) ou Édouard Daladier, vice-président du Conseil, ministre de la Défense nationale et de fait numéro deux du gouvernement.
L'équipe réunie par Blum compte de nombreux ministres néophytes[40] parmi lesquels les socialistes Vincent Auriol aux Finances et Georges Monnet à l'Agriculture, ainsi que le jeune (36 ans) Léo Lagrange, nommé sous-secrétaire d'État aux Sports et aux Loisirs, et aussitôt tourné en dérision par la droite et l'extrême-droite comme titulaire du « ministère de la paresse »[41]. Il recrute aussi dans le vivier des Jeunes Turcs, « cette nouvelle génération d'élus radicaux non-conformistes et ancrés à gauche »[42], à des postes qu'il juge importants : l'Éducation nationale pour Jean Zay (32 ans), l'Air pour Pierre Cot. En outre, Blum est le premier à faire appel à des femmes (Suzanne Lacore, Irène Joliot-Curie et Cécile Brunschvicg)[43] pour occuper des secrétariats d'État, alors que celles-ci n'ont toujours pas le droit de vote[44].
Le gouvernement est globalement dominé par les socialistes (20 ministres et secrétaires d'État, contre 13 radicaux), les communistes choisissant de le soutenir de l'extérieur. En effet, tout en assurant Blum de son total soutien, le PC préfère ne pas donner prise aux craintes d'une révolution alimentées dans les classes moyennes par l'opposition, qui « agitait sans cesse l'épouvantail de « l'homme au couteau entre les dents » et prédisait la violence bolchévique à brève échéance »[45]. Cette position a en outre l'avantage de ne pas trop le compromettre avec un pouvoir resté bourgeois et de préserver le cas échéant son image au sein des masses, où son influence grandit[46].
Avant la formation du nouveau gouvernement, des grèves éclatent dans des usines d’aviation du Havre. Le 11 mai, 600 ouvriers et 250 employés des usines Breguet arrêtent le travail pour demander la réintégration de deux militants licenciés pour avoir fait grève le 1er mai. L’usine est occupée et les tentatives de la police de déloger les grévistes échouent, les dockers se solidarisant des grévistes[47]. En deux jours, ces derniers obtiennent satisfaction. Le 13 mai, c'est au tour des usines Latécoère, à Toulouse, puis le 14 à celles de Bloch, à Courbevoie, d'être occupées. Le mouvement se répand comme une trainée de poudre, atteignant rapidement les entreprises voisines[38]. Des femmes se mobilisent et certaines mènent les grèves (Martha Desrumaux, Madeleine Colliette, Suzanne Gallois…), en particulier dans les usines textiles ou alimentaires[48].
Le 24 mai le rassemblement en souvenir de la Semaine sanglante qui signe la fin de la Commune de Paris rassemble 600 000 participants, brandissant des drapeaux rouges et entonnant des chants révolutionnaires. Le lendemain, de nombreuses grèves débutent en région parisienne, qui obtiennent généralement rapidement satisfaction. Le 28, les 30 000 ouvriers de Renault à Billancourt entrent dans la grève[49]. Un compromis est trouvé avec la CGT, mais la lame de fond continue, et à partir du 2 juin des corporations entières entrent en grève : la chimie, l’alimentation, le textile, l’ameublement, le pétrole, la métallurgie, quelques mines, etc. À partir du 5, les vendeurs de journaux, les tenanciers de kiosques, les employés des salles de spectacles, les commis, les garçons de café, les coiffeurs, des ouvriers agricoles, etc., font grève, souvent pour la première fois[50].
Pour la première fois également les entreprises sont occupées par les grévistes, qui organisent des comités de grève. Se trouve remis en cause le principe de la propriété privée des moyens de production[38]. Des bals sont donnés dans les usines ou les grands magasins, des compagnies de théâtre (comme le groupe Octobre de Jacques Prévert) jouent des pièces. On compte 12 000 grèves, dont 9 000 avec occupation, entraînant environ 2 millions de grévistes. Malgré les paroles rassurantes de Léon Blum, le climat qui règne alors en France a des connotations clairement révolutionnaires. Peu ou pas encadré par des organisations politiques ou syndicales, le mouvement trouve des causes multiples et fortement localisées, mais a aussi un côté festif. Comme l'a écrit la philosophe Simone Weil dans la revue La Révolution prolétarienne, ce sont de véritables « grèves de la joie » : on fête la victoire électorale de la gauche, la dignité ouvrière retrouvée après une longue période de compression[51]. L'aile gauche de la SFIO soutient pleinement la grève générale : dans un article publié dans Le Populaire le 27 mai, Marceau Pivert presse Léon Blum de s'appuyer sur ces mouvements sociaux pour envisager une vraie conquête du pouvoir, clamant que « tout est possible ».
C'est bien l'opinion du président du Conseil, le radical Albert Sarraut, qui invite Blum à prendre immédiatement sa place pour résoudre la situation. Mais celui-ci refuse, soucieux de respecter scrupuleusement le calendrier fixant l'expiration du mandat de la Chambre élue en 1932 au mois de juin[51]. Le patronat hésite à employer la force pour évacuer les usines et préfère la négociation. Le gouvernement Blum, enfin formé le 4 juin, cherche tout de suite à faire cesser le mouvement de grève : Léon Blum rencontre une délégation du patronat composée de René-Paul Duchemin, Pierre-Ernest Dalbouze, Pierre Richemond et Alfred Lambert-Ribot[52]. Les accords Matignon sont signés dans la nuit du 7 au 8 en échange de l’évacuation des usines. Mais la reprise n’est pas immédiate, et bien des délégués des usines en grève souhaitent continuer le mouvement. À partir du 11 juin, le PC conseille l’arrêt des grèves, Maurice Thorez déclarant qu'« il faut savoir arrêter une grève dès que satisfaction a été obtenue »[53]. Le mouvement gréviste reflue peu à peu à Paris, mais continue à se développer en province.
Le succès électoral a donc éveillé chez l'ensemble des travailleurs un immense espoir. Ainsi, un mouvement de grève et d'occupation d'usines se mit en place, gagnant toute la France. Près de deux millions de travailleurs débrayèrent, paralysant le pays. À l'image des électriciens et des gaziers[54], la plupart des différentes catégories professionnelles ont pris part à ce mouvement largement dominés par les métallurgistes. Les patrons, craignant au plus haut point une révolution bolchevique, s'empressèrent de négocier sous l'égide du gouvernement dans le but d'obtenir la reprise du travail.
Ainsi, le , les accords Matignon furent signés par la CGT et le patronat, à l'initiative du gouvernement. Ces accords mettaient en place, entre autres, le droit syndical, et prévoyaient une hausse des salaires de plus de 7 à 15 % selon les branches professionnelles, soit environ 12 % en moyenne sur toute la France. Quelques jours plus tard, bien que ces mesures ne figurent pas dans le programme du Front populaire, par deux lois votées par le Parlement, les premiers congés payés (2 semaines) furent instaurés, et la semaine de travail passa de 48 à 40 heures. Pour les ouvriers et employés partant en vacances, Léo Lagrange créa des billets de train avec 40 % de réduction, qui existent toujours. Ces accords n'empêchèrent pas les grèves et les occupations de se poursuivre, parfois jusqu'en juillet 1936.
Le 29 juillet fut votée la retraite des mineurs et, le 28 août, une loi sur les allocations chômage. Une politique de nationalisations fut mise sur pied, dans l'industrie aéronautique, d'armement (7 août), puis dans les chemins de fer (naissance de la SNCF en 1937). La Banque de France ne fut pas nationalisée, mais la tutelle de l'État s'accrut et le droit de vote s'étendit à tous les actionnaires (il était jusqu'alors réservé aux 200 plus gros).
Le 28 août fut adopté un budget de 20 milliards de francs pour de grands travaux. Le gouvernement signe le 1er octobre un accord monétaire avec la Grande-Bretagne et les États-Unis pour fixer la valeur du franc dans une fourchette de 43 à 49 milligrammes d'or contre 65,5 milligrammes auparavant[55].
Un Office national interprofessionnel du blé (actuel Office national interprofessionnel des grandes cultures) fut chargé de soutenir les prix payés aux agriculteurs, très durement touchés par la crise. Georges Monnet, ministre de l'Agriculture, ne réussit pas à faire adopter la création d'autres offices pour les autres productions, devant les réticences du Sénat, mais l'Onib servit de modèle aux structures créées après la Libération, voire à celles mises en place par la Politique agricole commune (PAC). La politique d'électrification des communes rurales, très énergique dans les années 1920 sous Henri Queuille, fut reprise.
En matière coloniale, les réalisations furent plus difficiles en raison du profond conservatisme des colons, très puissants, et du dynamisme de certains mouvements politiques locaux (principalement en Algérie), qui préfèrent souvent l'indépendance à l'égalité des droits. Ainsi, le projet Blum-Viollette étendant la nationalité française à certains Algériens est-il bloqué par le Sénat, comme le projet d'accorder l'indépendance aux mandats du Liban et de la Syrie. En Tunisie, les colons les plus influents « tinrent l'avènement du Front populaire pour une catastrophe cosmique et [le sous-secrétaire d'État] Pierre Viénot pour l'Antéchrist […] » (Charles-André Julien, dans Léon Blum, chef de gouvernement) : ils déployèrent donc tous leurs efforts pour saboter la politique menée.
Alors qu'elle avait soutenu le Front populaire[56], l'Étoile nord-africaine de Messali Hadj est dissoute le en application du « décret Régnier » qui réprimait les manifestations contre la souveraineté française en Algérie, marquant ainsi la fin de toute évolution de la politique coloniale sous le Front populaire[57].
Avatar tardif du projet Blum-Viollette, le Code de l'indigénat est vidé de sa substance, puis complètement abrogé par la loi du 7 avril 1946, par Marius Moutet, qui s'efforce d'améliorer le sort des colonisés et de les associer à l'administration de leurs territoires[réf. nécessaire]. La nomination d'une personne noire, Félix Éboué, comme gouverneur de la Guadeloupe, puis du Tchad, est une petite révolution.
Sur le territoire métropolitain, le décret de 1935 contraignant les étrangers à résider dans le département où ils avaient obtenu leur carte d'identité est annulé : le décret du 14 octobre 1936 permet le libre déplacement sur le territoire[58].
Une partie du programme du Front populaire touchait l'éducation et loisirs. La scolarité obligatoire fut portée dès 1936 à quatorze ans, les passerelles entre l'enseignement primaire et les lycées furent multipliées — dans le prolongement de l'œuvre entreprise par Édouard Herriot quelques années plus tôt — les collections des grands musées furent enrichies et leurs tarifs réduits pour les gens modestes. Le CNRS est une création du Front populaire. L'ENA fut créé en 1945 par Michel Debré sur un projet de Jean Zay, projet qui n'avait pas pu voir le jour à cause de la guerre.
« Notre but simple et humain, est de permettre aux masses de la jeunesse française de trouver dans la pratique des sports, la joie et la santé et de construire une organisation des loisirs telle que les travailleurs puissent trouver une détente et une récompense à leur dur labeur. » (Léo Lagrange, sous-secrétaire d'État à la jeunesse et aux loisirs, lors d'un discours radiodiffusé, le 10 juin 1936). Des centaines de piscines et de stades publics sont construits à son initiative[59].
Le ministre Jean Zay est également porteur d'un projet de loi abolissant la propriété littéraire et artistique, faisant du droit d'auteur un droit inaliénable, et du contrat d'édition non pas un contrat de cession des droits, mais un contrat de concession temporaire à l'étendue extrêmement limitée[60]. L'opposition des éditeurs (Bernard Grasset) et de la droite conservatrice (René Dommange) ralentit l'adoption du texte, qui ne sera jamais voté, la guerre interrompant les débats sur le sujet.
Le contexte international fut également une cause des difficultés du Front populaire. En juillet 1936 la guerre civile en Espagne vient d'éclater. Le Front populaire se divise sur le projet de soutien militaire de la France aux républicains espagnols opposés aux franquistes. Sous la pression du gouvernement conservateur britannique de Stanley Baldwin[61] et des radicaux, Léon Blum décide la « non-intervention », à un moment où la société française est, à la suite de la Grande Guerre, profondément pacifiste. Cette non-intervention satisfaisait Hitler dont le but est d'isoler la France pour mieux la briser (« Car il faut qu'on se rende enfin clairement compte de ce fait : l'ennemi mortel, l'ennemi impitoyable du peuple allemand est et reste la France. Peu importe qui a gouverné et qui gouvernera la France ; que ce soient les Bourbons ou les Jacobins, les Napoléons ou les démocrates bourgeois, les républicains cléricaux ou les bolchéviks rouges »[62] ou encore « Une deuxième guerre viendra. Il faut, auparavant, isoler si bien la France que cette seconde guerre ne soit plus une lutte de l'Allemagne contre le monde entier, mais une défense de l'Allemagne contre la France qui trouble le monde et la paix »[63]).
Léon Blum souhaite intervenir aux côtés des républicains espagnols mais les radicaux et la droite y sont opposés. Blum sait que s'il tente d'intervenir, son gouvernement sera renversé au profit d'une alliance entre les radicaux et les partis de droite. C'est d'ailleurs une telle alliance qui constituera le troisième gouvernement d'Édouard Daladier (12 avril 1938-11 mai 1939). La mort dans l'âme, Blum se résigne à la non-intervention mais fait en sorte que les autorités françaises ferment les yeux sur le trafic d'armes s'exerçant au profit des républicains espagnols à la frontière entre la France et l'Espagne.
Conscient des menaces sur la paix, le gouvernement de Front populaire entame le réarmement de la France et tente de rattraper le retard provoqué par la politique de réduction des dépenses publiques, y compris en matière militaire, réalisée par Pierre Laval en 1935. La nationalisation partielle des industries d'armement et la politique énergique des nouveaux responsables relancent le potentiel français d'armement : la politique du Front populaire permet une réorganisation de la production dans un sens de massification, qui ne subit pas plusieurs des inconvénients de l'industrie privée tels que les problèmes de trésorerie et l'incertitude des commandes. Ce n'est toutefois que dans un second temps, après la chute du Front populaire, que la production d'armement démarre réellement, lorsque les capitaux reviennent et que le conflit social est tranché au profit du patronat avec notamment la baisse du coût du travail[64].
Les rapports avec l'Italie sont beaucoup plus difficiles qu'avec l'Allemagne[précision nécessaire], en raison de la politique agressive de Mussolini qui envahit l'Éthiopie, seul État africain encore indépendant, dont la chute entraîne le discrédit de la Société des Nations. La clémence française envers l'Italie s'explique par le fait que, jusqu'en 1938, l'Italie est plus proche de la France et du Royaume-Uni que de l'Allemagne. Surtout, Mussolini refuse encore que l'Autriche soit rattachée à l'Allemagne et apparaît donc comme un potentiel allié de circonstance qu'il faut ménager.
Mais les difficultés du Front populaire ne furent pas pour autant effacées. En effet, la France était dans une grave crise économique depuis 1931, et la politique économique du Front populaire ne parvint pas à relancer la production, ni la consommation[réf. nécessaire] ; le chômage en revanche se réduisit[65]. Ainsi, la hausse des prix annula vite celle des salaires prévue par les accords Matignon. Ce fut une des causes de la chute du Front populaire, très vivement critiqué par une partie de la presse dès l'automne 1936.
La priorité accordée à l’alliance britannique conduit le Front populaire à renoncer au contrôle des capitaux, condition pourtant nécessaire à une forte dévaluation. Un expert influent, Emmanuel Monick, présente à Léon Blum l’arbitrage qui lui échoit en ces termes : « De deux choses l’une. Ou bien vous instaurez le contrôle des changes, vous imposez un dirigisme strict, vous mettez la France en autarcie — et alors vous êtes obligé d’instituer un régime autoritaire qui risque de glisser vers le totalitarisme. Ou bien vous ouvrez les frontières, vous maintenez un régime de liberté des changes, et vous devez alors vous appuyer sur Londres et Washington pour opérer un ajustement des monnaies en même temps qu’une coalition des régimes démocratiques. »
Sur le plan intérieur, le gouvernement Blum parvint à résoudre la crise sociale. Mais dès l'été 1937, il dut faire face à diverses difficultés économiques qui le poussèrent à dévaluer le franc dès le 17 septembre. Cette situation transforma l'inquiétude de la droite en opposition résolue. Le 24 février 1937, il décide également une pause dans les réformes. Des réformes importantes comme celles des retraites sont alors abandonnées[66]. La pause ne rencontre guère la réussite, puisqu'elle déçoit l'aile gauche de la SFIO et le PC sans apaiser l'opposition de droite, qui la considère comme un aveu de faiblesse du gouvernement.
Par ailleurs, les attaques calomnieuses de l'extrême droite affaiblirent plusieurs personnalités du Front populaire, à commencer par Blum lui-même : son arrivée au pouvoir déclencha en effet une vague d'antisémitisme d'une très grande ampleur, visant à remettre en cause sa crédibilité et sa loyauté aux intérêts de la France. De même, une campagne médiatique agressivement diffamatoire menée notamment par L'Action française et par Gringoire[67] déstabilisa Roger Salengro, ministre SFIO de l'Intérieur et l'un des principaux artisans des accords Matignon. Accusé, sans aucun fondement[68], à partir du 14 juillet 1936, d'avoir été déserteur durant la Première Guerre mondiale, il fut rapidement innocenté, mais ne supporta pas de voir son honneur de patriote sali et se suicida le 17 novembre 1936[69].
Dans la presse française se formèrent de fait deux camps bien distincts, d'une part les partisans du Front populaire (L'Humanité, Le Populaire, L'Œuvre, Vendredi, Marianne), d'autre part les opposants (L'Action française, L'Ami du peuple, Le Jour, Candide, Gringoire, Je suis partout, L'Écho de Paris, Le Temps). Entre ces deux positions, très peu de journaux ou d'hebdomadaires jouèrent la carte de la neutralité. La presse allant dans le sens du Front populaire était largement plus faible que la presse d'opposition et l'une comme l'autre contribuèrent à l'échec du gouvernement du Front populaire. C'est dans la presse étrangère, notamment anglo-saxonne, que parurent les analyses les plus objectives[réf. souhaitée].
Le 21 juin 1937, le premier gouvernement Blum présenta sa démission. Le radical Camille Chautemps prit sa succession. Il reprit, à un rythme ralenti, les réformes du Front populaire, créant, notamment, la SNCF. L'aggravation de la situation économique (creusement du déficit budgétaire) poussa Chautemps à réclamer les pleins pouvoirs, ce qui lui fut refusé le 9 mars 1938, en partie à cause des votes socialistes[réf. nécessaire]. Son ministère prit fin à la suite de ce refus.
Ensuite, en mars-avril 1938, après avoir été rappelé le 13 mars par le président de la République Albert Lebrun, Léon Blum forma un éphémère gouvernement, puis démissionna, n'arrivant pas à obtenir les pleins pouvoirs financiers auprès du Sénat, dans le but d'appliquer de grandes réformes financières pour sortir la France du marasme économique. Le radical Édouard Daladier le remplaça, décidé à « remettre la France au travail » et revint sur plusieurs réformes du Front populaire. La fin de « la semaine des deux dimanches », soit le retour aux 48 heures, généra une forte opposition populaire et syndicale, avec grèves et manifestations. La répression qui s’ensuivit, avec licenciements massifs et nombreuses arrestations, marqua la fin du Front populaire, et affaiblit considérablement les effectifs du parti communiste[réf. souhaitée].
Le bilan du Front populaire est « contrasté »[70]. Il introduit de nombreuses réformes historiques, notamment en matière économique et sociale : les congés payés, la réduction du temps de travail avec la semaine de quarante heures et l'établissement des conventions collectives.
La question de l'héritage du Front populaire, de l'état dans lequel il laissa la France en 1938, suscita bien des passions. Ainsi, le régime de Vichy lui attribua pour partie la responsabilité de la défaite française face à l'Allemagne nazie, ce que tous les historiens ne font pas[71]. On retient de cette période ces grèves joyeuses et les premiers congés payés qui permirent à des travailleurs de partir en vacances souvent pour la première fois (Léon Blum parle d'« embellie dans les vies difficiles »).
Pour la gauche française le front populaire reste durablement un exemple à suivre et à revendiquer, accusant régulièrement la droite de chercher à détruire les acquis du front populaire.
En 1984, le démographe Alfred Sauvy considérait ce passage aux 40 heures comme une décision « bloquant une économie en pleine reprise qui est l'acte le plus dommageable commis depuis la révocation de l'édit de Nantes », une erreur si immense « que nous n'osons pas encore la reconnaître, tant il est malséant de s’en prendre à un progrès social »[72]. Dans le même sens, on trouve les critiques de Raymond Aron et Robert Marjolin : le premier regrette, comme Alfred Sauvy, la supposée ignorance économique de la classe politique[réf. nécessaire], tandis que le second insiste sur le caractère néfaste de l'abaissement de la production industrielle de la France au pire moment.
Pour les élections législatives françaises de 2024, les différents partis de gauche et d’extrême gauche (écologistes, socialistes, LFI, communistes, « nouveau parti anticapitaliste ») et syndicats de gauche annoncent le 13 juin la création d'un Nouveau Front populaire afin de présenter un front uni dans un contexte de dissolution surprise, lié à un score historiquement haut de l'extrême droite, et une campagne éclair[73],[74].
Les références au front populaire de 1936-1938 sont contradictoires dans le débat politique[75],[76]. Des observateurs classés à droite soulignent le contexte jugé différent entre 1936 et 2024[77] Plusieurs critiques reprochent au Nouveau front populaire de ne pas être à la hauteur de cette référence historique, voire de trahir la mémoire de Léon Blum[78]. L'attitude et certaines positions jugées radicales de LFI sont très souvent pointées du doigt pour justifier ces critiques. Notamment parce que Léon Blum, en tant que juif, a subi l'antisémitisme, et que les positions de LFI depuis le 7 octobre 2023 ont parfois été pointées du doigt par des médias classés à droite pour une forme d'ambiguïté avec l'antisémitisme[79]. Ainsi, le 13 juin, le président Macron déclare : « S’il y en a un qui doit se retourner dans sa tombe aujourd’hui, c’est Léon Blum »[80]. Le Point titre le 16 juin : « une imposture politico-idéologique et une insulte à la mémoire de Léon Blum »[79].
Milo Lévy-Bruhl, président de la Société des amis de Léon Blum déclare « Oui, c’est difficile et presque irrespectueux de faire parler un mort, donc ce que je vous dis est à prendre avec beaucoup de pincettes. Toute la vie et l’action de Léon Blum inclinent à penser que, même si l’extrême-droite d’aujourd’hui n’est pas la même que celle qu’il a connue, sa plus grande crainte resterait de la voir arriver au pouvoir »[80]. Dans le même ordre d'idées, l'arrière petit fils de Léon Blum rappelle que le Front Populaire est : « l’expression électorale, puis gouvernementale, en 1936, du Rassemblement Populaire créé en 1934, après les émeutes de février, pour faire face, justement à la menace fasciste ». Il ajoute que Léon Blum avait été « attaqué au moins aussi violemment par le PC que Raphaël Glucksmann par certains militants de La France insoumise »[78].
Plusieurs films, dont certains contemporains du mouvement, ont évoqué le Front populaire :
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