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ouvrage de Friedrich Nietzsche De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Ecce homo, locution latine signifiant littéralement « Voici l'homme », est une autobiographie à la fois parodique et philosophique de Friedrich Nietzsche. C'est aussi le dernier ouvrage original, avant la période de démence de ses dernières années de vie. Rédigé en 1888, il fut publié à titre posthume en 1908.
Titre original |
(la) Ecce Homo |
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Nietzsche écrit Ecce homo à l’automne 1888, au crépuscule de son existence lucide (la folie l’emportera en janvier 1889). Il a alors à son actif de nombreux ouvrages critiques et novateurs, qui sont les fruits d'une décennie de travail. Parmi les plus célèbres, le Gai savoir, Ainsi parlait Zarathoustra, la Généalogie de la morale, Par-delà le bien et mal. Mais toutes ces œuvres n'ont rencontré aucun succès lors de leur parution. Nietzsche a été lu, mais souvent mal compris, mutilé, modifié : « Ceux qui croyaient avoir compris quelque chose à mon propos, c’est qu’ils avaient tant bien que mal fait de moi quelque chose à leur image »[1].
S'il écrit Ecce homo, c'est précisément pour combattre cet état de fait. Cet ouvrage d'auto-présentation a en effet pour but de présenter à la face du monde la véritable nature de Nietzsche, et de donner aux lecteurs le moyen d'interpréter correctement son œuvre. Car ce que Nietzsche craint le plus au monde, c'est d'être mal compris, et d'être confondu avec ses ennemis mortels ; c'est-à-dire : les idéalistes, les nationalistes, les fabricants d'armes, les États [2], les saints, les prophètes, les vertueux, les pacifistes, les visionnaires, les politiques, les épicuriens, les philosophes, les fondateurs de religion, les poètes, les fous, etc.[réf. nécessaire]
Ecce homo, malgré sa brièveté, est donc l'un des livres les plus importants pour comprendre la pensée nietzschéenne dans son originalité. Au cours de ces quelque cent pages, Nietzsche invente un nouveau type d’écriture, tonitruant et virtuose, qui lui permet de réaliser son programme de « philosophie à coups de marteau ». Nulle part — hormis peut-être dans Le Crépuscule des idoles —, Nietzsche n'est aussi clair, dense et brillant.
La tradition philosophique universitaire a longtemps déconsidéré Ecce homo, et l’a rangé d’office dans la catégorie des livres mineurs. L’œuvre posait en effet deux problèmes :
Toutefois, certains affirment que l’originalité et l’étrangeté fondamentale de cette œuvre ne sont pas le résultat d’un manque de rigueur philosophique, ou d’une santé mentale défaillante. Elles constituent peut-être une réponse rigoureuse et inventive à des problèmes philosophiques précis.
Le caractère personnel, autobiographique et non argumentatif d’Ecce homo n’est pas un argument contre sa validité philosophique. En effet, toute l’œuvre nietzschéenne s’était jusque-là élevée contre l’idée d’une parole philosophique désincarnée, qui serait le produit d’un pur sujet pensant, universel et autonome. À cette conception, qui définit presque toutes les orientations philosophiques depuis Platon, Nietzsche avait depuis longtemps répondu que la pensée était corporelle, que toute philosophie n’était qu’une « exégèse du corps »[3].
En écrivant une autobiographie philosophique, Nietzsche ne satisfait pas une fantaisie : il invente une forme d’écriture adéquate à sa conception de la philosophie comme acte corporel. La nature autobiographique d’Ecce homo ne doit alors pas être considérée comme un accident, mais comme une réponse au problème soulevé par la « corporéisation de la philosophie » que Nietzsche avait entrepris dans ses œuvres précédentes. On ne peut parler de ses propres pensées sans exposer le mode d’existence corporel qui les rend possibles, et c’est pourquoi Nietzsche se décrit lui-même.
En conséquence, les longues digressions biologisantes que comporte Ecce Homo – à propos des caractères physiologiques, des régimes alimentaires, etc. – ne sont pas des scories inutiles, mais les étapes essentielles d’un nouveau mode d’écriture. Nietzsche fonde donc une philosophie autobiographique, ou plutôt, une philosophie « autobiologique » : car le « bios » dont il est question dans les pages d’Ecce Homo ne relève pas, comme nous allons le voir, d’un moi personnel et substantiel, mais d’une organisation spécifique de forces impersonnelles.
L’aspect autobiographique et non-argumentatif d’Ecce homo ne suffit pas à l’exclure de la philosophie, au contraire ; l’œuvre est adéquate à la conception nietzschéenne d’une philosophie corporelle et affective. Nous allons maintenant voir que, de leurs côtés, les caractères contradictoires ou fantaisistes et le manque de sérieux ne permettent pas de classer Ecce Homo dans la littérature pathologique.
Ecce homo est en effet un livre dans lequel certains commentateurs on cru discerner de la folie, mais cette folie sert un dessein d’ordre critique et parodique. On voit en effet qu’au sein de l’œuvre, les énoncés tapageurs et grandiloquents (« Pourquoi je suis un destin », « Je ne suis pas un être humain, je suis de la dynamite ») côtoient les aveux d’histrionisme (« Peut-être suis-je un pitre »). Faisant coexister le grotesque et la grandeur, Nietzsche lance autant de moqueries parodiques à l’encontre de l’arrogance des autobiographies traditionnelles.
Mais cette entreprise parodique n’est pas stérile. Elle permet de miner la croyance au « moi » par l’exhibition des contradictions et des multiplicités internes à l’individu. En fait, en s’attaquant à l’autobiographie, Nietzsche vise beaucoup plus loin ; ce qu’il veut mettre à bas, c’est le fait de se considérer soi-même comme un « moi ». Ce qu’il veut détruire, c’est le type de rapport à soi inventé par la morale chrétienne il y a 2000 ans : l'intériorité responsabilisante et culpabilisante.
Le titre, Ecce homo, prend alors son sens. L'expression signifie en effet « Voici l'homme » en latin ; c'est la phrase attribuée à Ponce Pilate lorsqu'il présente Jésus à la foule après son arrestation. L’utiliser comme titre d’une autobiographie qui prétend bouleverser les canons de la présentation de soi – et déclarer la guerre au christianisme, à la métaphysique, ainsi qu'à la morale traditionnelle – dote donc l’ouvrage d’une lourde charge provocatrice et parodique.
Usant de ces procédés parodiques et d’une grande aisance stylistique, Nietzsche peut donc produire une subversion radicale de ce mode de rapport à soi moral (celui qui mène chacun d’entre nous à se considérer intérieurement comme un individu responsable, et donc potentiellement coupable). En effet, Ecce homo ne met plus en scène un « moi » personnel, substantiel et responsable. Nietzsche s’y vit au contraire comme un destin, un évènement. Il n’est plus que l’affirmation irresponsable et impersonnelle d’un certain mode d’existence, symbolisé par la figure dionysiaque[4]. Ce qui est en jeu, ce n’est plus « Monsieur Nietzsche » mais Dionysos comme désir de vivre, affirmation inconditionnelle de la vie[5].
Chapitre VI :
« Le ressentiment doit pour le malade être essentiellement tabou, c'est sa maladie elle-même : c'est aussi malheureusement son penchant le plus naturel Bouddha l'avait compris, le grand physiologiste. Sa « religion » – qu'on ferait mieux d'appeler hygiène pour ne pas la confondre avec une chose aussi pitoyable que le christianisme – faisait dépendre son efficacité de la défaite du ressentiment : libérer l'âme du ressentiment c'est le premier pas vers la guérison. « Ce n'est pas l'inimitié qui mettra fin à l'inimitié, c'est l'amitié qui mettra fin à l'inimitié »[6] : voilà la première leçon du Bouddha ; ce n'est pas le langage de la morale, c'est celui de la physiologie. »
Dans ce texte, plusieurs points se dégagent :
Nietzsche écrivit Ecce homo immédiatement après le Cas Wagner, le Crépuscule des idoles, les Dithyrambes à Dionysos et l’Antéchrist. Commencé le , jour de son quarante-quatrième anniversaire, Ecce homo fut achevé, à peine trois semaines plus tard, le .
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