De domo sua (Sur sa maison) est une plaidoirie de Cicéron prononcée le 30 septembre 57 devant le collège des pontifes en vue de récupérer son patrimoine après son retour d'exil.
La locutionadverbiale « pro domo », forme abrégée de la locution latine pro domo sua, est une allusion à la plaidoirie.
Cicéron possède une domus située sur le côté nord-ouest du mont Palatin, sur le clivus Victoriae surplombant le Forum Romain[1]. La domus est située entre le Porticus Catuli et la maison de Q. Seius Posthumus. Cicéron l'a achetée en pour 3,5 millions de sesterces à M. Crassus[1]. Pour payer, Cicéron a emprunté 2 millions de sesterces à Publius Cornelius Sulla[1].
En mars 58, Cicéron est condamné à l'exil pour avoir fait exécuter illégalement[2] des citoyens romains complices de la conjuration de Catilina, en décembre 63.
Cette condamnation à l'exil se double d'une confiscation de ses biens, y compris immobiliers, dont sa demeure romaine.
Dès sa condamnation, ses amis et alliés politiques manœuvrent pour faire abolir cette loi d'exil. Ils aboutissent en juillet 57. Dès le 5 août, Cicéron est de retour en Italie (au port de Brindes) et fait une entrée triomphale à Rome le 5 septembre. Le 7 septembre, il reprend son activité politique lors de la séance du Sénat de ce jour consacrée à la crise frumentaire que traverse Rome en cet été.
Parallèlement, il travaille à rétablir son honneur et à récupérer ses biens. C'est dans cette optique qu'il est amené à prononcer les trois discours conservés de cette période: les deux Post Reditum (in Senatu et in Quirites) et notre De domo sua, spécifiquement consacré à la restitution de ses biens[3].
Cicéron possédait à Rome une demeure de prestige sur le Palatin qu'il avait achetée à Crassus en 62 pour 3 500 000 sesterces[4], somme considérable.
Dès la loi d'exil votée, elle est pillée. Clodius, ennemi acharné de Cicéron, instigateur de la loi et chargé de l'administration de ses biens mis sous séquestre, manœuvre pour l'acquérir. Pour éviter toute récupération ultérieure, il fait consacrer le lieu par un prêtre (un pontife) à la déesse Libertas. Le lieu devient sacré[5].
Dans une lettre à Atticus, Cicéron date son discours de la veille des calendes du mois d'octobre (prid. Kal. Oct.)[6], soit le 29 septembre 57[6],[7],[8],[9] du calendrier romain préjulien.
Pour reprendre ce bien, Cicéron doit d'abord obtenir l'annulation de la consécration religieuse de la propriété.
La procédure, que nous qualifierions de droit public aujourd'hui, se déroule devant le collège des pontifes, la plus haute instance religieuse des Romains, puisque c'est un pontife qui a consacré le lieu.
Cela peut nous surprendre aujourd'hui, mais il faut se rappeler que carrière politique et carrière sacerdotale ne faisaient qu'une à Rome. Droit public et droit religieux étaient liés. C'est d'ailleurs ce que souligne avec emphase Cicéron dès l'entame de sa plaidoirie: «Parmi les nombreuses créations et institutions que les dieux ont inspirées à nos ancêtres, pontifes, il n'en est de plus belles que de confier aux mêmes hommes le culte des dieux immortels et les intérêts supérieurs de l'État, afin que les citoyens les plus éminents et les plus illustres assurent le maintien du culte par une bonne gestion de l'État et celui de l'État par une sage exégèse du culte. (§ 1, trad. Wuilleumier)»
Ce discours présente un caractère technique marqué[10], ce qui en fait l'intérêt pour les historiens. Cicéron fait référence à nombre de points du droit public, témoignage de sa connaissance approfondie de ce droit[11]. Cependant, il s'abstient volontairement d'aborder les mystères du droit religieux, par nature non public (§ 39 et 138[12]).
Les principaux points juridiques longuement développés concernent les trois arguments majeurs de la plaidoirie:
l'illégalité de l'élection de Clodius au tribunat de la plèbe, du fait de l'illégalité de son adoption[13] (§ 34-42);
la réfutation de la légalité de la lex de exsilio Ciceronis et de celle qui l'avait rendue possible, la lex Clodia de capite civis Romani (§ 34-92);
la nullité de la consécration de sa demeure comme étant injuste et impie[14] (§ 104-141).
La technicité du propos et la rigueur de l'argumentation n'empêchent pas Cicéron de déployer toute la palette de sa maîtrise oratoire[15]: emphase, ironie[16], invective[17] (quand il s'en prend à ses ennemis), voire sensiblerie[18]. On sait par ailleurs[19] que l'importance de l'enjeu le motiva au plus haut degré.
Cicéron gagne la cause. Le collège des pontifes lève la consécration du lieu[20]: «Si celui qui déclarait avoir consacré le terrain n'en avait été nommément chargé ni par un vote des comices ni par un plébiscite, si aucun vote des comices ni plébiscite ne l'y avait invité, il paraissait qu'on pouvait, sans enfreindre une interdiction religieuse, acheter, restituer ce terrain.»[21]
Clodius tente des manœuvres dilatoires mais, , le consul Cn. Cornelius Lentulus Marcellinus fait adopter par le Sénat, à l'unanimité moins une voix, la restitution[22]. Sur avis d'une commission, les consuls fixent les dommages et intérêts à 2 000 000 de sesterces pour cette demeure, en grande partie détruite[23].
Cette plaidoirie ne semble guère avoir eu de retentissement par la suite dans la culture romaine. Peu d'auteurs en font mention ou allusion. On ne trouve que dix-sept gloses dans les ouvrages des neuf grammairiens ou rhéteurs[24].
Cependant, nous savons par une lettre qu'il écrivit à son ami et banquier Atticus que Cicéron en tirait grande fierté et qu'il voulait le proposer comme modèle éducatif[25].
Plusieurs manuscrits nous ont transmis les trois discours de septembre 57. Une analyse fine a permis aux éditeurs de poser que tous proviennent d'un modèle commun. Par élimination des filiations, quatre sont retenus pour les éditions modernes. Le plus ancien (Parisinus 7794 de la Bibliothèque Nationale, IXesiècle) s'avère de loin le plus proche de l'archétype commun. Néanmoins les autres permettent parfois de le corriger ou de le compléter utilement[26].
Ces complices avaient été exécutés en décembre sans jugement, sous l'autorité de Cicéron, consul à ce moment. Or un point essentiel du droit des citoyens romains stipulait que tout accusé ou condamné à une peine capitale avait un droit d'appel devant le peuple (Ius provocationis). Les exécutés de 63 n'avaient évidemment pas pu en jouir, puisqu'il n'y avait pas eu de procès. Même s'il s'était fait couvrir par un vote du sénat, le consul Cicéron portait la pleine responsabilité légale de la décision. Sur ce point de droit, voir P. Grimal, Introduction à son édition de l'In Pisonem (CUF), 1966, p. 9-10.
Pour la chronologie et les enjeux de cette période on se réfèrera à l'article détaillé de Pierre Grimal, «Le contenu historique du Contre Pison», Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 1, 1966, p. 95-107 (lire en ligne) et Grimal 1986, chapitre XI (p. 187-207) et les p. 209-214 du chapitre XII. Pour un résumé, voir P. Wuilleumier 1952, notice.
§ 138: "j'ai dit en commençant que je ne parlerais ni de votre science, ni du rituel, ni des secrets du droit pontifical" On peut cependant envisager qu'il aborda cet aspect dans sa plaidoirie orale devant le collège, passages dont il expurgea la version écrite et publique..
Réfutée par quatre points de droit dont par exemple que l'adoptant (20 ans) était plus jeune que l'adopté!
Clodius était un aristocrate patricien de la plus haute lignée (les Claudii). Or les patriciens étaient exclu du tribunat de la plèbe, réservé aux plébéiens. Pour y accéder, il tenta de se faire adopter par un plébéien. Cicéron s'y opposa farouchement mais ne put empêcher qu'en mars 59 Clodius arrivât à ses fins: il se fit adopter par P. Fonteius. La voie du tribunat s'ouvrait à lui.
C'est évidemment à Clodius que Cicéron s'en prend avec le plus de véhémence: § 5: funesta rei publicae pestis, fléau funeste à la république; § 48: omnium non bipedum solum sed etiam quadipedum impurissimo, le plus impur non seulement des bipèdes mais encore des quadrupèdes; etc.
Correspondance, Ad Att., IV, 2, 2: «... si jamais nous avons valu quelque chose comme orateur (...), cette fois, à coup sûr, l'amertume et l'importance des intérêts en cause nous ont donné de la vigueur. Aussi notre discours ne peut-il être refusé à la jeunesse; je te l'enverrai bientôt, que tu le veuilles ou non.» Atticus mettait ses copistes à disposition de Cicéron et, peut-être, lui servait d'éditeur.
Sur la tradition manuscrite, on consultera P. Wuilleumier 1952, notice p. 28-37. On y trouve le stemma et une liste de variantes et de bonnes leçons des manuscrits secondaires. T. Malowski dans son édition Teubner de 1981 affine encore ce modèle (compte rendu en ligne).
[Bats 2016] M. Bats, «La publicatio bonorum dans le De Domo sua de Cicéron», MÉFRA, vol.128, fasc. 2: «Allevamento transumante e agricoltura. – Varia», , p.2depart., art.no2 (DOI10.4000/mefra.3653, résumé, lire en ligne).
[Cerutti 1997] (en) S. M.Cerutti, «The location of the houses of Cicero and Clodius and the Porticus Catuli on the Palatine Hill in Rome» [«La localisation des maisons de Cicéron et de Clodius et du Porticus Catuli sur le mont Palatin à Rome»], Am. J. Philol., vol.118, no3, , art.no4, p.417-426 (DOI10.1353/ajp.1997.0038, JSTOR1561882).
[Flamment 2008] É. Flamment, «La représentation du voyage d'exil au IIe–Iersiècles avant Jésus-Christ: au miroir du voyage officiel», dans Ph. Blaudeau (éd.), Exil et relégation: les tribulations du sage et du saint durant l'Antiquité romaine et chrétienne (Ier–IVesiècles apr. J.-C.) (actes du colloque organisé par le Centre Jean-Charles Picard, et tenu à l'université de Paris-XII – Val-de-Marne les et ), Paris, de Boccard, coll.«De l'archéologie à l'histoire», , 1reéd., 1 vol., 380, 16 × 24 cm (ISBN978-2-7018-0238-1, EAN9782701802381, OCLC496756621, BNF41280076, SUDOC125369824, présentation en ligne, lire en ligne), chap.1er, p.17-46.
[Formatier 2011] M. Formarier, «Rythme et pathos dans le De Domo Sua de Cicéron», Vita Latina, nos183-184, , p.2epart., art.no3, p.54-64 (lire en ligne).
[Haury 1955] A. Haury, L'ironie et l'humour chez Cicéron (thèse de doctorat ès lettre, soutenue à la Faculté des lettres de l'université de Paris en ), Leyde, Brill, , 1reéd., 1 vol., XII-328, 16 × 24 cm (OCLC300012913, BNF32227274, SUDOC012059323, lire en ligne).
[Salamon 2015] G. Salamon, «Lettres et discours de Cicéron: regards croisés sur les années -», Interférences, no8: «L'exil au miroir de la Correspondance de Cicéron», (DOI10.4000/interferences.5496, résumé, lire en ligne).
[Scheidegger-Lämmle 2017] (en) C. Scheidegger-Lämmle, «On Cicero's de Domo: a survey of recent work» [«Sur le de Domo de Cicéron: une étude des travaux récents»], Ciceroniana online, vol.1, no1, , p.1repart., art.no7, p.147-156 (DOI10.13135/2532-5353/2192, résumé, lire en ligne).
Liens externes
[SIAC] «De domo sua», sur le site officiel de la Société internationale des amis de Cicéron (SIAC).