Une croix peinte (ou crucifix peint ou croce dipinta e sagomata, soit «croix peinte et chantournée») est une icônecruciforme représentant le Christcrucifié.
Les croix peintes comportaient un tabellone à leur origine byzantine et ont obéi, suivant les époques, à diverses conventions (détails de la face, de la posture du corps du Christ) selon l'intention de représenter:
Le Christ comme personnalité divine en Christ triomphant (Christus triumphans), durant tout le Moyen Âge,
E. G. Garrison[1] en distingue cinq sortes, suivant la forme, l'iconographie, l'influence du peintre ou du courant artistique:
La croix simple, issue des plus anciennes pectorales et processionnelles
La croix avec tabellone central (panneau des flancs du Christ) portant les personnages de la Crucifixion, l'Ascension en haut (Ombrie).
La croix avec tabellone central de la Crucifixion, avec bas en forme de calice (Lucques).
La croix avec tabellone central sans les figures en pied de la Crucifixion (Pise).
La croix avec tabellone central décoré de motifs géométriques,
et tabelloni[2] aux extrémités de la potence, avec figures de Marie et de Jean (Giunta Pisano, Assise).
En général (les artistes usant d'un modèle ou d'un autre) les scènes figurées, quand elles existent, sont disposées:
deux le long des flancs du Christ semblables parties visibles d'un panneau unique (le tabellone) derrière le corps du Christ.
deux aux extrémités latérales du patibulum horizontal.
une au sommet, en cimaise au-dessus du titulus avec son inscription INRI limitée ou détaillée.
cette dernière est parfois surmontée en clipeus d'une représentation supplémentaire (ronde).
celle du bas, le soppedaneo, représentant symboliquement l'embase de la croix fiché dans le sol du Golgotha; les représentations plus tardives représenteront le sol plus figurativement par des rochers, la symbolique se trouvant dans la figuration du crâne d'Adam (source originelle du «vrai» bois de la croix)[3].
On verra des cartels de la signature du peintre sur certains panneaux du bas de la croix.
Christus triumphans, Christ triomphant
Christ vivant détaché des souffrances de la Croix (art paléochrétien et préroman):
Tête relevée (quelquefois tournée vers le ciel),
yeux ouverts,
corps droit,
du sang peut s'écouler des plaies.
Ces représentations sont parfois appelées Croix glorieuses, comme celles du plat de reliure en ivoire de Narbonne, dans le trésor de la cathédrale Saint-Just ou du Musée de Cluny.
Sur la porte en bois de l'Église Sainte-Sabine de Rome (Vesiècle), la crucifixion à l'angle supérieur gauche, serait l'exemple le plus ancien d'une telle représentation[4]. Devant une muraille rappelant Jérusalem, un Christ athlétique, vêtu du subligaculum, est entouré des deux larrons au visage imberbe. «Les croix sont étrangement absentes. Le visage du Christ est de type syro-palestinien, barbu, entouré d'une longue chevelure. Les bras ont la position de l'orant… Les paumes des mains tournées vers le spectateur font voir la tête arrondie des clous... Les pieds des trois crucifiés reposent sur l'encadrement du bas et ne sont pas cloués[5]»
À partir du VIesiècle, la croix est régulièrement associée aux représentations du Christ.
Dans la Cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne, primitivement dédiée à saint Genès, une peinture, probablement d'origine orientale, montre un christ imberbe, ceint seulement du subligaculum, pagne d'athlète typique de l'Antiquité romaine. Cette figure du crucifié quasi nu, de type hellénistique, va disparaitre au cours du VIesiècle. Grégoire de Tours raconte en 593 dans son De Gloria Martyrium que le Christ apparut en songe par trois fois à un prêtre nommé Basil, pour en dénoncer la nudité et le menacer de mort s'il ne la couvrait pas.
Dans les représentations postérieures, le Christ est presque toujours vêtu du colombium, tunique sans manches qui disparaît ensuite au profit du périzonium[6].
L'art chrétien en occident jusqu'au début du XIIIesiècle manifeste sa préférence pour cette formule, et le Crucifié vivant continue d'être attesté jusqu'au XVIesiècle[7].
Christ mort (kénose) de la représentation orientale (byzantine) montrant les déformations dues aux sévices infligés:
Face tournée, émaciée saisie par la mort dans une pose sereine,
yeux fermés du masque mortuaire,
affaissement du corps,
plaies saignantes (mains, pieds et flanc).
Exemples typiques
Icônebyzantine en ivoire du milieu du Xesiècle, conservée au Metropolitan Museum de New York. Le Christ est mort mais apparemment paisible. Son corps est représenté faiblement attaché à la croix, ses bras pliés aux coudes et ses jambes tournées, poussant légèrement sa hanche vers l'extérieur. Sa tête tombe en avant contre son épaule gauche[11].
Les icônes conservées au monastère Sainte-Catherine du Sinaï dont la plus célèbre est l'icône B.36, dans laquelle le Christ est représenté mort, mais le corps toujours droit, la tête couronnée d'épines, recouvert du colobium (tunique sans manche). Le style et le schéma iconographique est en faveur d'une réalisation à Jérusalem au XIesiècle[12].
Pour exprimer plus de plasticité (et plus économique que la sculpture[13]), en Italie, la fin de la peinture byzantine, avec ses crucifix à tabellone, s'opère d'abord par des Croce sagomata et dipinta, des crucifix sans relief, silhouettés, chantournés et peints, comme ceux exécutés par Lorenzo Monaco, pour l'hôpital Santa Maria Nuova de Florence (conservés aujourd'hui à la Galleria dell'Accademia de Florence)[14].
La Croce Dipinta de Bernardo Daddi (vers 1330) à la National Gallery of Victoria de Melbourne[15] est peinte des deux côtés. Il s'agit probablement d'une croix de procession. Un côté montre le Crucifié vivant (Christ Triomphant) et l'autre montre le Christ mort.
Bien que le tabellone (terme italien pour «panneau») soit initialement au sens strict le panneau central autour du corps du Christ dans le cas des croix peintes, on utilise également le terme pour les scènes peintes aux extrémités de la croix.
(en) Mary Joan Winn Leith, Allyson Everingham Sheckler, «The Crucifixion Conundrum and the Santa Sabina Doors», Harvard Theological Review, vol.103, no1, , p.67–88 (DOI10.1017/S0017816009990319).
Leclerq, «Croix et Crucifix» in Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie. 3 (1914) 3045-3131.
Pierre Mornand, Le Visage Du Christ. Duccio. Giotto. Torriti. Cimabue. Bellini. Antonello De Messine. Masaccio. Fra Angelico. Memling. Van Der Goes. Van Der Weyden. Metsys. Van Orley. De Gand. Francke. Grunewald. Cranach Le Vieux. Morales. Botticelli. Rubens. Bibliothèque des Arts, 1942
Jacques de Landsberg, Didier Martens, L'Art en croix: le thème de la crucifixion dans l'histoire de l'art, Publié par Renaissance Du Livre, 2001 (ISBN2804604985 et 9782804604981)
Gilles Chazal, La Représentation du visage du Christ. Des origines à Rouault. conférence, 2003
L. Ouspensky, Théologie de l’icône dans l’Église orthodoxe, Cerf, 1982
E. B. Garrison, Studies in the History of Mediaeval Italian Painting, 1953-1962, L'Impronta (ASINB006QOH17Y)
François Boespflug, La Crucifixion dans l’art: Un sujet planétaire, Bayard Editions, , 559p. (ISBN978-2-227-49502-9)