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La colonisation russe de l'Amérique est la période durant laquelle l'Empire russe possédait des territoires en Amérique du Nord, principalement l'Alaska, avant la vente de cette dernière aux États-Unis en 1867 ; les marchands et trappeurs russes, dans le but de trouver des fourrures de loutres de mer, touchèrent également le nord de la Californie, entrant ainsi en compétition avec les Espagnols établis au sud.
Les colonies russes d'Amérique comprenaient :
Avant l'arrivée des Russes, et toujours au XIXe siècle, le territoire des colonies était peuplé par les autochtones d'Alaska, répartis entre les groupes ethno-linguistiques suivants :
Les Russes appelaient « Aléoutes » non seulement les Aléoutes proprement dits, mais aussi les habitants de Kodiak et des environs (Alutiiq et Yupiit). Cette confusion mena quelquefois les premiers ethnographes, travaillant sur les témoignages russes, à confondre us et coutumes des différents groupes ethniques rassemblés sous ce vocable.
C'étaient des sociétés hiérarchisées, de type patriarcal avec des restes de matrilinéarité, un chef à leur tête. Le produit de la chasse ou de la pêche était en général partagé par la communauté.
Après la découverte du nord de l'Alaska par Ivan Fedorov en 1732, puis des îles Aléoutiennes, du sud de l'Alaska et des côtes nord-ouest de l'Amérique du Nord en 1741 durant l'exploration russe menée par Vitus Béring et Alekseï Tchirikov, il s'écoula 50 ans avant la création de la première colonie russe en Alaska en 1784 par Grigori Chelikhov. La Compagnie russe d'Amérique fut fondée en 1799 par Nikolaï Rezanov pour la chasse aux loutres de mer et la vente de leur fourrure. Le but était en effet d'effectuer la traite de fourrures, et des postes de traite ainsi que des comptoirs et des forts se répandirent alors assez vite tout le long de la côte du Pacifique, depuis le nord-ouest de l'Alaska jusqu'au nord de la Californie. Ce commerce des fourrures procura d'abord aux trappeurs russes (промышленники, promychlenniki) de bons profits, mais, très vite, la chasse aux fourrures engendra également une plus grande rareté des mammifères ainsi que la presque disparition des loutres de mer des eaux d'Alaska (ce qui fut une des causes de l'expansion vers le sud des Russes), et donc une perte de profits et de rentabilité.
La Compagnie russe-américaine (selon le terme employé en français par les textes des traités internationaux de l'époque qui traduisaient « Российско-американская компания », PAK) gérera les colonies russes d'Amérique (Alaska et Fort Ross en Californie, auxquelles on adjoindra les Kouriles) sous la tutelle du ministère des Finances jusqu'à la vente de l'Alaska en 1867. À compter de 1818, le directeur général (главный начальник, gouverneur de fait mais titre auquel il n'avait pas droit car dépendant d'une société privée) sera un capitaine de 1er rang (capitaine de vaisseau) nommé pour cinq ans qui seront comptés pour son avancement. Outre leur rôle d'administrateurs des hommes et des biens, les directeurs généraux eurent à gérer les ressources naturelles: face à la raréfaction du gibier à fourrure à la suite de la sur-chasse des premières années, ils prirent des mesures conservatoires telles que limite d'âge du gibier, quotas, voire moratoires dans certaines zones, mesures fortement critiquées par les tenants pétersbourgeois du libéralisme.
Le 6 février 1839 un accord était signé à Hambourg avec la Compagnie de la Baie d'Hudson lui cédant à bail le sud de la Pan-handle (région de l'embouchure de la rivière Stikine dont la majorité du cours est situé en Colombie-Britannique). Bien que les colonies fussent rentables, les coûts de transport terrestre à travers la Sibérie orientale vers Khiatka (au sud d'Irkoutsk, à la frontière de la Chine, leur premier client) étaient exorbitants, le port de Canton ayant été resté fermé aux Russes pendant longtemps. Bien qu'avec la Compagnie de la Baie d'Hudson les colonies russes d'Amérique aient obtenu la neutralité en cas de conflit entre leurs pays respectifs, ces dernières eurent beaucoup à souffrir de la guerre de Crimée, leurs navires étant capturés en haute mer par les Anglais ou les Français. Sous la pression des tenants du libéralisme économique, opposés au monopole de la Compagnie Russo-Américaine et les priorités de l'Empire se tournant vers l'Extrême-Orient (Oblast de l'Amour et de l'Oblast d’Oussouri), le gouvernement, après avoir approché la Compagnie de la Baie d'Hudson, se décida à vendre l'Alaska aux États-Unis à l'aube des années 1860, mais la vente fut reportée à cause de la guerre de Sécession. À l'initiative du Secrétaire d'État William Henry Seward (1801-1872), le Sénat des États-Unis approuva l'achat de l'Alaska à la Russie pour 7 200 000 dollars américains le . Le 9 octobre 1867, le drapeau tricolore frappé de l'aigle bicéphale était descendu et le Stars and Stripes hissé sur le Castle Hill de Sitka.
Dans les médias de la Russie actuelle, suivant ceux de l'ancienne Union soviétique, perdure la croyance, sans fondement juridique, que l'Alaska n'avait pas été vendue mais seulement louée pour un bail de 99 ou 150 ans et devait donc à terme être restituée à la Russie. Le traité de 1867 est cependant très clair sur la cession complète et définitive de la région. Cette spéculation peut sans doute être expliquée par le fait que, peu après la révolution de 1917 en Russie, tous les accords secrets internationaux signés par le Tsar ont été dénoncés par le nouveau gouvernement soviétique.
Une série de pièces commémoratives furent frappées par l’URSS en 1990-1991 à l'occasion du 250e anniversaire de la découverte de l'Amérique russe.
Les explorateurs et les colons russes continuèrent d'établir des postes avancés pour le commerce en Alaska, dans les îles Aléoutiennes et dans ce qui est aujourd'hui la Colombie-Britannique, l'État de Washington, l'Oregon et jusqu'au nord de la Californie.
La présence russe en Californie ne se manifeste au départ que par des explorations puis sous une forme commerciale (1806), les Russes commencent à hiverner à Bodega, à une centaine de kilomètres au nord de San Francisco en 1809 où ils construisent un fort dit « Ross » point le plus au sud de l'Amérique russe en 1812, sur un territoire revendiqué par les espagnols. Néanmoins, les besoins matériels et le manque de force militaire aidant, le gouverneur Arrillaga (1792-1794 et 1800-1814) comme le commandant de San Francisco s’accommodent de leur présence : tout en affirmant avec force l’illégalité de l’établissement russe, ils tolèrent des échanges ponctuels (marchandises russes contre grains californiens)[16].
Une cloche d'une cinquantaine de kilos fut retrouvée enterrée dans un bois près de la Mission San Fernando Rey de España (en) dans la Californie du Sud en 1920. Elle portait l'inscription russe : « En ce mois de janvier de l'année 1796, cette cloche fut apportée de l'île de Kodiak par sa sainteté l'Archimandrite Joseph, durant le séjour d'Alexandre Baranov ». Il est maintenant reconnu que cet objet d'art orthodoxe russe de Kodiak, a réellement fait le trajet vers les missions catholiques espagnoles du sud de la Californie, prouvant l'existence d'une diaspora russe sur l'ensemble de la côte pacifique nord-américaine et de ses contacts avec les Espagnols et les cultures indiennes locales.
À partir des années 1950, au moment du début de guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, par patriotisme, par rejet de l'idéologie communiste, et surtout après 1959, de nombreux descendants de Russes et d'Ukrainiens ne se déclarèrent plus d'origine russe ou slave, dans les recensements, mais Américains ou autres. Aussi, après 1860, de nombreux descendants de colons russes et slaves devinrent protestants ou catholiques. Un faible nombre est resté orthodoxe de nos jours.
Outre le fait que les colonies russes d'Amérique utilisaient le calendrier julien, la ligne de changement de date n'avait pas encore été fixée, les Russes traversant le détroit de Béring restaient au même jour qu'Irkoutsk et Okhotsk. Au XIXe siècle, s'il y avait douze jours d'écart entre Paris et Saint-Pétersbourg, il n'y en avait que onze entre Fort Ross et la mission espagnole de San Francisco :
Comme s'en plaint George Simpson[17], un navire britannique arrivant à Novo-Arkhangelsk (Sitka) un samedi ne peut décharger sa cargaison, aucune aide ne pouvant lui être apportée de la terre car c'est dimanche. Le lendemain, lundi à Novo-Arkhangelsk, c'est son équipage qui refuse de travailler car c'est dimanche.
Les Français n'eurent pratiquement aucune relation avec les colonies russes d'Amérique, à l'exception de :
Bien que n'ayant aucune frontière commune avec les tout nouveaux États-Unis d'Amérique, les colonies russes ont eu vite affaire avec les « Bostoniens »[20] venus chasser la loutre de mer dans les eaux dépendant de la colonie et commercer avec les populations locales, leur proposant, entre autres, alcool et armes à feu, et ceci au grand dam des Russes. Certains historiens, surtout soviétiques, suggérèrent que l'attaque et la destruction de la redoute Mikhaïlovskyi en juin 1802 aurait été fomentée par les Bostoniens. Il est indéniable que deux Bostoniens aient participé à cet assaut, mais seulement à titre privé : aucune source, y compris tlingit, ne suggère un complot des États-Unis[21]. Au contraire, les relations entre la Compagnie Russo-Américaine et les États-Unis ont été excellentes.
Les conflits avec les populations autochtones n'eurent pratiquement lieu qu'au moment des premiers contacts. Les premiers survinrent dès les années 1760, quand les Aléoutes résistèrent aux Russes qui essayaient d'occuper les îles Aléoutiennes. Après la fondation de la première colonie permanente d'Alaska, ce fut au tour des Na-Dénés Eyaks (en) et Tlingits de détruire les postes de Yakutat et de la redoute Mikhaïlovskiï (au Nord de Sitka), reprochant à la Compagnie russe d'Amérique et aux colonisateurs d'avoir empiété sur leur territoire. De 1802 à 1804, l'implantation russe en territoire tlingit fut tellement menacée que son existence devint très précaire. Mais le conflit, commencé en 1799, se termina finalement par la défaite des Tlingits en 1804 face à la marine et à une force d'expédition russe à la bataille de Sitka. Par la suite, il n'y eut plus de conflit majeur entre Russes et populations autochtones. Les seules victimes que les Russes eurent à déplorer ne furent que des victimes collatérales de conflits locaux, comme cela fut le cas lors de l'attaque athabasque de Nulato (1851) ou la guerre entre les kwan tlingits de Sitka et de Stikine (1852).
Le maxima des populations des colonies russes tourna autour de 40 000 personnes mais la quasi-totalité d'entre elles étaient des autochtones. L'organisation socio-ethnique des colonies peut se résumer en quatre catégories :
Si les « Aléoutes » ont été très tôt christianisés (les premiers ont été baptisés par les prommychlénniks et certains ont dû attendre quelques décennies avant de se voir confirmés par un prêtre de passage), les Tlingits ont été beaucoup plus rétifs. L'activité du clergé russe orthodoxe n'ayant pas diminué au lendemain de la vente de l'Alaska, ce n'est que dans les années 1880 que beaucoup se convertirent à l'orthodoxie. Le Diocèse orthodoxe d'Alaska a conservé les traces de ses activités depuis les premiers missionnaires russes. Les saints Germain d'Alaska, Innocent de Moscou et Pierre l'Aléoute ont contribué à la création d'une forte communauté orthodoxe en Alaska.
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