Loading AI tools
lieu où sont entreposés et exposés des objets collectionnés, avec un certain goût pour l'hétéroclisme et l'inédit De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Les cabinets de curiosités[1] sont des pièces, ou parfois des meubles, où sont entreposées et exposées des « choses rares, nouvelles, singulières », pour reprendre la définition du Littré : on y trouve un mélange hétéroclite comprenant :
L’une de leurs fonctions était de faire découvrir le monde, y compris lointain (dans le temps et l’espace), de mieux le comprendre, ou de confirmer des croyances de l'époque (on pouvait y voir des restes d'animaux mythiques, des cornes de licorne, l’Agneau tartare, mi-animal, mi-végétal, ou des racines de Baara[2]).
L'édition de catalogues qui en faisaient l'inventaire souvent illustré, permettait d'en diffuser le contenu auprès des savants européens[3].
Les cabinets de curiosités marquèrent une étape vers une appréhension plus scientifique du monde. Apparus à la Renaissance en Europe (studiolo en italien, Wunderkammer en allemand), leurs collections, souvent ouvertes à la visite, formèrent par la suite le noyau des musées, muséums et jardins botaniques qui les remplacèrent peu à peu[4]. Ainsi, l’Ashmolean Museum d’Oxford ouvrit en 1683, présentant les collections des cabinets des Tradescant, père et fils, et celles d’Elias Ashmole. Celui-ci établit clairement le lien entre les collections de spécimens et la connaissance scientifique : « Parce que la connaissance de la Nature est très nécessaire à la vie humaine, à la santé et aux conditions qui la permettent, et parce que cette connaissance ne se peut si bien trouver et ne peut être si utilement atteinte sans connaître et approfondir l’histoire naturelle ; et qu’à cette fin il est indispensable d’examiner des spécimens, en particulier ceux qui sont d’une constitution extraordinaire, ou utiles en médecine, ou qui peuvent être mis au service de l’industrie ou du commerce : moi, Elias Ashmole, par passion pour cette branche du Savoir pour laquelle j’ai éprouvé le plus vif plaisir, ce qui reste encore vrai aujourd’hui ; cause pour laquelle j’ai aussi amassé une grande variété de corps composés et de corps simples, et en ai fait don à l’université d’Oxford […] » (Statutes Orders & Rules, for the Ashmolean Museum, in the University of Oxford)[alpha 2]
De même, à Londres, la Royal Society (fondée en 1660) avait commencé à se constituer une collection en achetant le cabinet de « raretés naturelles » de Robert Hubert. C’est en 1669 qu’elle prit la décision de compléter ses collections de manière plus systématique en commençant à réunir un herbier exhaustif des îles britanniques. Au début du XVIIIe siècle, le prince électeur de Saxe Frédéric Auguste I, dit Auguste le Fort, transforma les salles de son trésor, le Grünes Gewölbe, en musée public. Enfin, alors que le jardin botanique de Pise existait déjà depuis 1544, il fut imité à la fin du siècle, puis au début du suivant, au jardin botanique de l'université de Strasbourg, au jardin des plantes de Montpellier, puis au jardin royal des plantes médicinales de Paris.
Ces cabinets pouvaient être prestigieux.
Edmond Bonnaffé note que « En effet, à côté des grandes seigneurs de Paris et des villes principales, adorateurs exclusifs du grand art, se formait une armée d'hommes modestes et clairvoyants qui recueillaient, petit à petit, les miettes de la curiosité. C'étaient des médecins, des chanoines, des apothicaires…[11] » Sans abandonner tout projet d’éblouir le public par le faste des œuvres d’art présentées ou de l’étonner par la présentation d’objets insolites, voire monstrueux, les propriétaires aux moyens plus modestes constituèrent bien souvent des cabinets d’histoire naturelle qui eurent souvent une influence scientifique, en partie grâce à la publication de leurs catalogues illustrés.
Parmi les cabinets contenant des « miettes de curiosités », on peut mentionner :
Mais un autre dira le merveilleux ouvrage
Lequel tu as receu d’Apollon en partage.
Ce grand livre où tu fais à ton divin Ogard
Les faitz de la Nature imiter par son art.
Ou au plus pres du vif il te peint cinq cens plantes,
Que dans ton Bel-esbat nees tu luy presentes.
Les cabinets de curiosités apparus au XVIe siècle évoluent pour devenir, au XVIIIe siècle, des « cabinets d’histoire naturelle » ; ces derniers sont considérés comme les ancêtres des musées d'histoire naturelle modernes[19]. Le cabinet de curiosités présente dans le désordre des pièces des règnes animal, végétal et minéral ; l'objectif est de montrer la diversité du monde. Dans le cabinet d'histoire naturelle, en revanche, les collections sont structurées, et suivent une classification scientifique ; elles se spécialisent aussi ; apparaissent ainsi par exemple des collections de fossiles, d'où sont exclus les spécimens d'espèces de la période historique[19]. Cette évolution est en rapport avec les progrès de la science. Les notions de genre et d'espèce sont mieux définies par Carl von Linné, l'histoire de la Terre et des fossiles fait l'objet de tentatives d'explication rationnelles[19].
L'un des premiers critiques fut l’épigrammiste néerlandais Roemer Visscher qui nota au-dessus d'une gravure (la quatrième de l'ouvrage) représentant des coquilles qu'« Il est étrange de voir pour quelles choses un fou dépense son argent[20]. »
Dans Règles pour la direction de l’esprit (1628), parlant des écoles, dont l’enseignement est mal conçu, Descartes énonce la règle IV :
« Les hommes sont poussés par une curiosité si aveugle, que souvent ils dirigent leur esprit dans des voies inconnues, sans aucun espoir fondé, mais seulement pour essayer si ce qu’ils cherchent n’y serait pas ; à peu près comme celui qui, dans l’ardeur insensée de découvrir un trésor, parcourrait perpétuellement tous les lieux pour voir si quelque voyageur n’y en a pas laissé un… »
Il en déduit la nécessité d’une méthode.
Jean de La Bruyère consacre le chapitre ‘De la mode’ dans ses Caractères (1688) aux amateurs de curiosités (amateurs de fleurs qui se pâment devant une tulipe, propriétaires de cabinets de curiosités : il présente la curiosité comme une mode et une passion dévorante, ridicule et vaine, et conclut : « Que deviendront ces modes quand le temps même aura disparu ? La vertu seule, si peu à la mode, va au-delà des temps. »
Dans son Dictionnaire Universel de 1690, Antoine Furetière oppose les curieux et les savants :
« CURIEUX… se dit en bonne part de celui qui a le désir d’apprendre, de voir les bonnes choses, les merveilles de l’art et de la nature. … ‘Curieux’, se dit aussi de celui qui amasse des choses rares, singulières, excellentes, ou qu'il regarde comme telles ; car tous les curieux ne sont pas connaisseurs… »
Il laisse entendre que les curieux pratiquent un amalgame entre sciences réelles et fausses sciences :
« On appelle les Sciences curieuses celles qui sont connues de peu de personnes, qui ont des secrets particuliers, comme la Chimie, une partie de l’optique qui fait voir des choses extraordinaires avec des miroirs et des lunettes ; & plusieurs vaines sciences où l’on pense voir l’avenir, comme l’Astrologie Judiciaire, la Chiromance, la Géomance, et même on y joint la Cabale, la Magie, &c. »
Dans L’Histoire naturelle, premier discours, ‘Théorie de la terre’, 1749, Buffon souligne l’intérêt qu’il y a à réunir des collections d’objets, mais souligne la nécessité d’échapper à l’étonnement et de s’élever du particulier au général :
« … il y a une espèce de force de génie & de courage d’esprit à pouvoir envisager, sans s’étonner, la Nature dans la multitude innombrable de ses productions, & à se croire capable de les comprendre & de les comparer ; il y a une espèce de goût à les aimer, plus grand que le goût qui n’a pour but que des objets particuliers ; & l’on peut dire que l’amour de l’étude de la Nature suppose dans l’esprit deux qualités qui paroissent opposées, les grandes vûes d’un génie ardent qui embrasse tout d’un coup d’œil, & les petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s’attache qu’à un seul point. »
« Le premier obstacle qui se présente dans l’étude de l’Histoire Naturelle, vient de cette grande multitude d’objets ; mais la variété de ces mêmes objets, & la difficulté de rassembler les productions des différens climats, forment un autre obstacle à l’avancement de nos connoissances, qui paroît invincible, & qu’en effet le travail seul ne peut surmonter ; ce n’est qu’à force de temps, de soins, de dépenses, & souvent par des hasards heureux, qu’on peut se procurer des individus bien conservez de chaque espèce d’animaux, de plantes ou de minéraux, & former une collection bien rangée de tous les ouvrages de la Nature. (p. 4-5) »
« Mais lorsqu’on est parvenu à rassembler des échantillons de tout ce qui peuple l’Univers, lorsqu’après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui se trouve répandu avec profusion sur la terre, & qu’on jette pour la première fois les yeux sur ce magasin rempli de choses diverses, nouvelles & étrangères, la première sensation qui en résulte, est un étonnement mêlé d’admiration, & la première réflexion qui suit, est un retour humiliant sur nous-mêmes. On ne s’imagine pas qu’on puisse avec le temps parvenir au point de reconnoître tous ces différens objets, qu’on puisse parvenir non seulement à les reconnoître par la forme, mais encore à sçavoir tout ce qui a rapport à la naissance, la production, l’organisation, les usages, en un mot à l’histoire de chaque chose en particulier : cependant, en se familiarisant avec ces mêmes objets, en les voyant souvent, &, pour ainsi dire, sans dessein, ils forment peu à peu des impressions durables, qui bien tôt se lient dans notre esprit par des rapports fixes & invariables ; & de-là nous nous élevons à des vûes plus générales, par lesquelles nous pouvons embrasser à la fois plusieurs objets différens ; & c’est alors qu’on est en état d’étudier avec ordre, de réfléchir avec fruit, & de se frayer des routes pour arriver à des découvertes utiles. » (p. 5-6) »
Il montre qu’il est indispensable d’adopter une bonne méthode dont les défauts éventuels seraient limités par « La description exacte & l’histoire fidèle de chaque chose [qui] est, comme nous l’avons dit, le seul but qu’on doive se proposer d’abord. (p. 29) :
« … l’inconvénient est de … vouloir soûmettre à des loix arbitraires les loix de la Nature, de vouloir la diviser dans des points où elle est indivisible, & de vouloir mesurer ses forces par notre foible imagination. Un autre inconvénient qui n’est pas moins grand, & qui est le contraire du premier, c’est de s’assujétir à des méthodes trop particulières, de vouloir juger du tout par une seule partie, de réduire la Nature à de petits systèmes qui lui sont étrangers, & de ses ouvrages immenses en former arbitrairement autant d’assemblages détachez ; enfin de rendre, en multipliant les noms & les représentations, la langue de la science plus difficile que la Science elle-même. »
« … Cependant on a dit, & on dit tous les jours des choses aussi peu fondées, & on bâtit des systèmes sur des faits incertains, dont l’examen n’a jamais été fait, & qui ne servent qu’à montrer le penchant qu’ont les hommes à vouloir trouver de la ressemblance dans les objets les plus différens, de la régularité où il ne règne que de la variété, & de l’ordre dans les choses qu’ils n’aperçoivent que confusément. » (p. 9-10) »
Il se moque ainsi de telle méthode imposant d'« aller le microscope à la main, pour reconnoître un arbre ou une plante ; la grandeur, la figure, le port extérieur, les feuilles, toutes les parties apparentes ne servent plus à rien, il n’y a que les étamines, & si l’on ne peut pas voir les étamines, on ne sçait rien, on n’a rien vû. Ce grand arbre que vous apercevez, n’est peut-être qu’une pimprenelle… » (p. 19) Il conclut en soulignant la complémentarité de l’approche méthodique et de la description simple et sans apprêt des objets d’étude :
« Il résulte de tout ce que nous venons d’exposer, qu’il y a dans l’étude de l’Histoire Naturelle deux écueils également dangereux, le premier, de n’avoir aucune méthode, & le second, de vouloir tout rapporter à un système particulier. … la plupart de ceux qui, sans aucune étude précédente de l’Histoire Naturelle, veulent avoir des cabinets de ce genre, sont de ces personnes aisées, peu occupées, qui cherchent à s’amuser, & regardent comme un mérite d’être mises au rang des curieux ; ces gens-là commencent par acheter, sans choix, tout ce qui leur frappe les yeux ; ils ont l’air de desirer avec passion les choses qu’on leur dit être rares & extraordinaires, il les estiment au prix qu’ils les ont acquises, ils arrangent le tout avec complaisance, ou l’entassent avec confusion, & finissent bien tôt par se dégoûter : d’autres au contraire, & ce sont les plus sçavans, après s’être remplis la tête de noms, de phrases, de méthodes particulières, viennent à en adopter quelqu’une, ou s’occupent à en faire une nouvelle, & travaillant ainsi toute leur vie sur une même ligne & dans une fausse direction, & voulant tout ramener à leur point de vûe particulier, ils se rétrécissent l’esprit, cessent de voir les objets tels qu’ils sont, & finissent par embarrasser la science & la charger du poids étranger de toutes leurs idées. On ne doit donc pas regarder les méthodes que les Auteurs nous ont données sur l’Histoire Naturelle en général, ou sur quelques-unes de ses parties, comme les fondemens de la science, & on ne doit s’en servir que comme de signes dont on est convenu pour s’entendre. (p. 22-23))… C’est ici le principal but qu’on doive se proposer : on peut se servir d’une méthode déjà faite comme d’une commodité pour étudier, on doit la regarder comme une facilité pour s’entendre ; mais le seul & vrai moyen d’avancer la science, est de travailler à la description & à l’histoire des différentes choses qui en font l’objet. » (p. 24-25) »
Le Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle[21], appliquée aux arts, à l'agriculture, à l'économie rurale et domestique, à la médecine, etc. Par une société de naturalistes et d'agriculteurs, Volume 7, 1817 (deuxième édition) fut publié par Jean-François Deterville[alpha 5].
L’article « conchyliologie » de l’édition de 1817, apparemment confié à Jean-Baptiste Lamarck, est une profonde révision de l'article de la première édition[22], écrit par un autre auteur qui ne faisait aucune référence aux propriétaires de cabinets. Lamarck en parle assez longuement, mêlant louanges et, surtout, réprobation. Il note que c’est grâce aux collectionneurs que les scientifiques ont pu voir beaucoup de coquilles, et même des spécimens rares :
« … les coquilles sont devenues un objet de commerce, et un sujet de spéculation pour les négocians voyageurs ; le prix extrêmement élevé par les amateurs, de celles qui sont très-rares, soit par leur espèce, soit dans leur volume et la vivacité de leurs couleurs, y ayant donné lieu. En cela, les naturalistes y ont beaucoup gagné ; car ils en ont eu l'occasion d'en observer un grand nombre, dont, sans cette cause, ils eussent probablement ignoré l'existence. » (p. 414) »
Toutefois, les cabinets avaient pour objet « l'amusement des personnes oisives » (p. 413) qui « se born[aient] à rassembler et placer avec symétrie dans des armoires, des coquilles choisies d'après leur éclat et leur beauté » (p. 414), et non le progrès de la science : « A la vérité, pendant long-temps, la conchyliologie n'a été qu'un vain objet d'amusement, qu'un sujet d'ostentation et même de luxe ; en sorte que les collections dont elle étoit le but, ne produisoient guère dans l'esprit des propriétaires ou de ceux qui les considéroient, qu'une stérile admiration, soit de la multiplicité et de la singularité des formes des coquilles, soit de la variété presque infinie, et de la vivacité de leurs couleurs. » (p. 413) Le contenu des collections était aussi impropre à favoriser la science : le choix des spécimens était guidé par leur esthétique ou leur originalité :
« Autrefois, pour former ces collections, on ne donnoit d'attention qu'aux coquilles d'un beau volume, d'une forme élégante ou piquante par sa singularité ; on choisissoit surtout celles qui sont ornées des couleurs les plus éclatantes. (…) Quant aux coquilles petites et sans éclat, on les négligeoit, on les rejetoit avec mépris, et l'on ne daignoit pas leur donner place parmi les autres… (p. 414) »
Autre inconvénient : les coquilles étaient souvent dénaturées, « mutilées par l'art » :
« Le plus souvent, pour mettre à découvert la belle nacre dont la plupart des coquilles sont formées, on les mutiloit, on les limoit, on les usoit, enfin on les polissoit après en avoir fait disparoître les stries, les écailles, les tubercules, les pointes, et tout ce qui pouvoit servir à les caractériser spécialement. » (p. 414) »
Lamarck note plus bas que cet inconvénient majeur a désormais disparu, et que les collections se font plus scientifiques :
« Depuis quelques années, les choses ont beaucoup changé à cet égard. On s'est enfin aperçu que l'étude bien entendue des coquilles pouvoit avoir un but utile, et devoit contribuer réellement aux progrès de l'histoire naturelle ; on a senti qu'une collection suivie de ces objets, dans un état convenable, pouvoit favoriser singulièrement cette étude. Dès lors, (…) on a entrepris de former des suites complètes de tout ce que la nature nous offre en ce genre, estimant également les objets, indépendamment de leur taille et des couleurs plus ou moins brillantes dont ils peuvent être ornés. » (p. 414) »
Les collections des amateurs de curiosités ont donc, malgré leur défauts, été utiles à la science, et été modifiées par les exigences scientifiques.
On peut mentionner notamment Michel Foucault dans Les Mots et les Choses, 1966 ; Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris-Venise, XVIe – XVIIIe siècle, Gallimard, Paris 1987 ; et Antoine Schnapper : compte-rendu par Olivier Bonfait dans « XVIIe siècle : bulletin de la Société d'étude du XVIIe siècle », octobre 1989 (sur Gallica).
Le musée du Louvre possède un tableau d’Anne Vallayer-Coster, Panaches de mer, lithophytes et coquilles (1769), et plusieurs d'Alexandre Isidore Leroy de Barde, représentant peut-être le cabinet dont il était propriétaire. Frans Francken II a représenté à plusieurs reprises des cabinets de curiosités.
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Every time you click a link to Wikipedia, Wiktionary or Wikiquote in your browser's search results, it will show the modern Wikiwand interface.
Wikiwand extension is a five stars, simple, with minimum permission required to keep your browsing private, safe and transparent.