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concept essentiel de la pensée grecque évoquant la parfaite capacité d'action au moment opportun De Wikipédia, l'encyclopédie libre
En grec ancien, le terme d’arété ou arétè (ἀρετή) se réfère à l'excellence et à la réalisation du plein potentiel, allant au-delà de la simple notion de « mérite » ou « vertu ». Selon l'helléniste Werner Jaeger , son étymologie, qui suggère une « adaptation parfaite », traduit une harmonie entre l'utile, le beau et le plaisant. L'arété dans la culture grecque antique ne se limite pas à une quête personnelle de perfection mais constitue aussi un idéal social profondément enraciné dans la tradition. Cette dimension est illustrée par les Jeux olympiques antiques, évoqués par Hérodote, où la quête de gloire surpassait le désir de richesses matérielles. Ainsi, l'arété représente une aspiration à une forme d'excellence qui intègre harmonieusement les aspects pratiques, esthétiques et agréables de la vie, établissant un pilier fondamental de la culture grecque.
À partir d'une période plus récente, c'est à un modèle intérieur et non plus aux critères de la société, que l'homme est invité à obéir. Mais les doctrines éthiques de Platon et d'Aristote trouvent bien leur origine dans la conception morale des héros et dans l’arété de la Grèce archaïque. Aux IVe et Ve siècles av. J.-C., cette arété n'est plus réservée à une seule classe sociale, mais s'applique aux hommes qui ont développé leurs vertus intérieures, telles que la δικαιοσύνη / dikaiosúnê (justice) et la sophrosynè (maîtrise de soi). Cette dikaiosúnê ou « esprit de justice » devint l’arété par excellence du citoyen parfait aussitôt que les Grecs découvrirent que la loi écrite, le nomos, eut fourni un critère sérieux pour le bien et pour le mal : l'obéissance aux lois de l'État devint la vertu à laquelle toutes les autres furent subordonnées [11]. C'est ce que Platon veut dire quand il déclare que l'héroïsme militaire à la spartiate prôné par Tyrtée doit être relégué à une place secondaire, après l'esprit de justice[12]. Le problème se posa dès lors de savoir si cette arété pouvait s'enseigner, comme le prétendaient les sophistes[13]. Or, le sens du mot arété ne recouvre pas la seule vertu morale mais l’ensemble des qualités qui font l'homme éminent et le rendent efficace et illustre. Platon tenta de produire une philosophie morale qui comprenait ce nouvel usage du mot — c'est ainsi que les philosophes-rois, qui dirigent la cité idéale décrite dans la République, se doivent d'avoir contemplé les Idées avant de prendre en main la direction dans la cité — Les anciens Grecs ont utilisé le terme d’arété dans un sens large, y compris pour désigner la perfection des choses et des animaux : par exemple, l'excellence d'une cheminée qui fonctionne bien, l'excellence d'un taureau comme reproducteur, ou l'excellence d'un homme. Le domaine précis d'application du mot change selon les circonstances, dans la mesure où chaque objet ou être a son propre but, selon une perspective téléologique. Ainsi, l’arété d'un homme est-elle différente de celle d'un cheval[14]. Ceci suppose des degrés d'aptitude différents, auxquels correspondent des arété variables. Cette manière de penser apparaît d'abord chez Platon, notamment dans l'allégorie de la Caverne[15].
Mais c'est dans les travaux d'Aristote que le concept d’arété s'est trouvé développé à son maximum. On peut notamment le voir dans l’Éthique à Nicomaque, où il utilise le terme en donnant pour exemples l'entraînement des athlètes ainsi que l'éducation des jeunes enfants. Dans sa description de l'homme fier et magnanime, le μεγαλόψυχος / mégalopsychos[16], Aristote envisage cette grandeur d'âme comme la manifestation suprême de la personnalité morale, en lui donnant pour source l’arété digne de l'honneur : « Car l'honneur est la récompense de l'arété, le tribut payé aux individus pleins de mérite ». La fierté est ainsi l'élément nouveau qui est venu enrichir l’arété[17], mais elle demeure en même temps très difficile à atteindre. Pour atteindre à cette arété parfaite, l'homme fournit un effort qui provient d'un amour de soi ennobli et pleinement justifié, qu'Aristote appelle la φιλαυτία / philautia[18]. Il ne s'agit nullement d'un égoïsme, mais au contraire du noble idéal que tout homme nourrit en son âme, idéal qui l'inspire et qu'il cherche à réaliser au cours de son existence. Ce très haut idéal pousse l'individu vers l’arété intégrale, et lui permet de « prendre possession de la beauté ». Se soumettre totalement à cet idéal très élevé est en effet la marque d'un amour de soi très développé : « Un tel homme choisira de vivre noblement pendant une seule année plutôt que d'en passer plusieurs d'une existence sans histoire ; il accomplira plus volontiers un seul exploit grand et noble plutôt qu'une foule d'actions insignifiantes ». En employant ce terme de « beauté », Aristote songe donc surtout aux actes d'héroïsme moral : l'individu qui est disposé à tout sacrifier, à supporter les épreuves et la mort pour obtenir la récompense suprême d'une gloire impérissable est véritablement un héros. Ce fut précisément le sort et le choix de celui qui fut l’ami et le beau-père d'Aristote, Hermias d'Atarnée ; soumis à la torture, il refusa de révéler aux Perses ce qu'il savait et fut mis en croix. Il préféra courageusement garder le silence pour « ne rien faire qui fût indigne ou contraire à la philosophie »[19]. L'héroïsme moral du philosophe Hermias, par opposition au comportement des Mèdes qui usèrent de trahison, apparut à Aristote comme la marque la plus éminente de la vertu grecque, « qui n'atteint les hauteurs de l'existence qu'en ne craignant pas de la perdre », selon les mots de Werner Jaeger. Cet exemple donne à comprendre l'expression d'Aristote : « prendre possession de la beauté », mobile essentiel de l’arété grecque. Aristote et Callisthène composèrent un hymne à l’arété immortelle d'Hermias :
« Ἀρετὰ πολύμοχθε γένει βροτείῳ, |
« Ô Vertu, objet de tant de peines pour la race des mortels, Toi la plus belle récompense de la vie, Mourir pour ta beauté, Ô vierge, est un sort envié en Hellade. » |
— Aristote, Épigramme votive gravée sur le cénotaphe[Note 1] d’Hermias à Delphes[20].
Il était communément admis que l'esprit, le corps et l'âme devaient tous être développés et entraînés pour permettre à un homme de vivre dans l’arété. Il fallait donc pratiquer la gymnastique pour obtenir et conserver cette qualité. Le but de l'exercice sportif n'était pas de consumer la vie du pratiquant, mais simplement d'exercer suffisamment le corps ; ceci valait aussi pour l'esprit et l'âme, qu'il fallait exercer par d'autres moyens.
Dans la philosophie, l’arété est explicitement liée à la connaissance. En effet, les Romains ont traduit ce mot par le latin virtus, qui en français a donné vertu ; or, les expressions « la vertu c'est la connaissance » ou « l’arété c'est la connaissance » sont utilisables indifféremment.[réf. nécessaire] Dans la Grèce antique, le plus haut potentiel humain est la connaissance (ou la sagesse). Toutes les autres capacités humaines dérivent de celle-là, qui est fondamentale. Si l’arété à son plus haut degré consiste dans la connaissance et dans l'étude, la plus haute connaissance humaine est la connaissance de soi-même. Dans cette optique, l'étude théorétique de la connaissance humaine, qu'Aristote appelle « contemplation », est la plus haute capacité humaine et le moyen d'atteindre le meilleur degré de bonheur[21].
L’arété est occasionnellement personnifiée par une déesse, sœur d'Harmonie et fille de la déesse de la justice Praxidikè.
Arété (la déesse) et sa sœur Harmonie se font appeler les Praxidikai (étymologiquement, « pratiquantes de la justice »). Comme beaucoup de divinités grecques de second rang, cette déesse n'a que très peu, sinon aucun véritable fondement mythologique, et est essentiellement utilisée comme une personnification de la vertu. La seule histoire impliquant Arété provient du sophiste Prodicos, et concerne la jeunesse d'Héraclès : à un carrefour, Arété apparaît à Héraclès sous les traits d'une jeune femme ; elle lui propose la gloire et une vie de lutte contre le mal ; sa contrepartie, Kakia (κακία), déesse du vice, lui offre le plaisir. Héraclès choisit de suivre Arété.
Cette histoire a été reprise par des auteurs chrétiens, tels que Justin de Naplouse, Clément d'Alexandrie et Basile de Césarée. Cependant, Justin et Basile donnent à Arété les traits d'une femme émaciée et peu agréable à voir.
Son équivalent romain est Virtus.
Le concept d’arété constitue une part significative de la paideia, c'est-à-dire de l'éducation des enfants, dont le but est de les mener à l'âge adulte. Cette éducation inclut un entraînement physique, qui consiste essentiellement (mais pas seulement) en de la gymnastique, un entraînement intellectuel (art oratoire, rhétorique, physique) et un entraînement spirituel (musique et éducation morale).
D'Homère à Odysséas Elytis[22], de la langue grecque archaïque jusqu'au grec moderne actuel, la notion d’areté est demeurée vivante :
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