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affaire judiciaire française De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L'affaire Fañch est une affaire judiciaire opposant de 2017 à 2019 un couple de Quimpérois à l'État français et la controverse qu'elle a déclenchée, au sujet de l'enregistrement officiel du prénom traditionnel breton Fañch. Une deuxième affaire Fañch s'est produite à la suite du même refus d'état civil du n avec tilde pour un bébé né le [1].
En 2017, les parents se voient refuser l'enregistrement du tilde au ñ du prénom de leur nouveau-né qu’ils souhaitent prénommer Fañch, « ñ » ne faisant pas partie des lettres accompagnées d’un signe diacritique ou des ligatures connues de la langue française selon une circulaire ministérielle du . Les parents considèrent que ce refus va à l'encontre du Code civil, qui dispose que « les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère » (article 57, alinéa 2) et intentent un procès à l'État dans le but de contraindre le service de l'état civil de Quimper à enregistrer le prénom de leur enfant avec l'orthographe Fañch (avec tilde) et non Fanch (sans tilde).
Après un premier jugement défavorable du tribunal de grande instance de Quimper, la cour d'appel de Rennes valide par un arrêt du l'utilisation du tilde sur le prénom Fañch avec signe diacritique au motif qu'il ne porte pas atteinte au principe de rédaction des actes publics en français ni à l'article 2 de la constitution[2]. Le , la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général en raison d’une erreur de procédure, et autorise donc définitivement l’enfant à garder le tilde sur son prénom[3].
En 2017, le service de l'état civil de la mairie de Quimper refuse d'abord que l'enfant porte ce prénom[4] avant de revenir sur sa décision[5].
Le cependant, les parents de Fañch sont convoqués au tribunal de grande instance de Quimper pour une « demande de rectificatif d’un acte d’état-civil, ou des jugements déclaratifs ou supplétifs d’acte de l’état-civil »[6].
Dans son délibéré envoyé à la famille le , le tribunal de grande instance de Quimper ordonne la rectification du prénom enregistré à l'état civil[6],[7], considérant qu'admettre le tilde reviendrait « à rompre la volonté de notre État de droit de maintenir l'unité du pays et l'égalité sans distinction d'origine »[8].
La cour d'appel de Rennes considérant que "l'usage du tilde n'est pas inconnu de la langue française"[9] donne satisfaction au couple en acceptant ce prénom, déjà utilisé par le passé et présent sur certains documents d'identité[10],[11]. Mais le parquet général dépose un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour le , « compte tenu des éventuelles répercussions nationales de l’arrêt »[12].
Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation le [13], mettant donc un terme à l’affaire en autorisant l’enfant à conserver la graphie de son prénom incluant la lettre diacritée ñ[14]. L’arrêt du pourvoi repose sur « une erreur de procédure » d’après l’avocat de la famille[15], et ne contient donc pas de considération de fond sur les arguments retenus par la cour d’appel de Rennes[16].
À la suite du rejet du pourvoi en cassation, plusieurs initiatives sont prises pour consolider cet état du droit. Le gouvernement annonce en préparer un décret en Conseil d’État[17] visant à permettre l’intégration de ces signes diacritiques[18]. Une loi relative à la promotion des langues régionales est adoptée en avril 2021, sur proposition du député Paul Molac[19] ; elle autorise notamment l'inscription dans les actes d'état civil de tous les signes diacritiques en langue régionale[20],[21]. Néanmoins, à la suite d'un recours déposé par des députés de la majorité présidentielle[22] auprès du Conseil constitutionnel[23], celui-ci censure en mai 2021 deux articles de la loi, dont celui qui "prévoit que les signes diacritiques des langues régionales sont autorisés dans les actes de l'état civil", estimant qu'il contrevient à l'article 2 de la Constitution[24].
En s'appuyant sur la jurisprudence de l'enfant né à Quimper, le maire de Lorient a inscrit, le 22 juin 2023, un Fañch sur son registre d'état civil[25]. En septembre, le procureur a fait rectifier l'acte de naissance de l'enfant et ses parents ont annoncé se pourvoir en justice[26].
En juillet 2023, un enfant Fañch est né à Angers. À la suite d'un recours du procureur, ses parents sont convoqués par le Juge aux affaires familiales en février 2024, pour modifier le prénom de l'enfant[27].
Fañch est un prénom breton masculin, hypocoristique de Frañsez, équivalent breton du prénom français François. Ôter le tilde du prénom Fañch changerait la prononciation du prénom, formant un autre prénom que n'ont pas choisi les parents[7], car le digramme añ correspond à [ɑ̃ː] ou [ã] en breton alors que an en breton se prononce [ɑ̃n][28], selon l'orthographe du breton proposée par Émile Ernault (1852-1938).
Les textes juridiques sur lesquels les parents s'appuient sont:
Le principal obstacle à l'enregistrement à l'état civil du prénom avec tilde est la circulaire ministérielle du , établissant une liste limitative de lettres diacritées pouvant être utilisés dans l'état civil, dans laquelle ne figure pas le tilde : « les voyelles et consonnes accompagnées d’un signe diacritique connues de la langue française sont : à - â - ä - é - è - ê - ë - ï - î - ô -ö - ù - û - ü - ÿ - ç »[34].
L'instruction générale relative à l'état civil prescrit depuis 1987 que : « Les signes diacritiques utilisés dans notre langue sont : les points, accents et cédilles. […] On ne doit pas retenir d'autres signes qui font partie de certains alphabets romains mais qui n’ont pas d'équivalent en français (tel que le « tilde » espagnol) » (article 106)[35].
Ces deux sources appliquent les textes suivants :
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) comporte une requête similaire (no 27977/04) déclarée irrecevable à l'unanimité le [41]. En effet, la Cour a considéré que le refus des autorités françaises d'enregistrer un prénom avec une orthographe catalane (Martí avec accent aigu sur le « i ») ne constituait ni une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit des parents à une vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme), ni une discrimination en raison de leur appartenance à une minorité nationale (article 14), ni une atteinte au droit des parents à un procès équitable (article 6) : « la justification avancée par le Gouvernement [français], à savoir l'unité linguistique dans les relations avec l'administration et les services publics, s'impose [...] et s'avère objective et raisonnable »[41].
Bernez Rouz, président du Conseil culturel de Bretagne (CCB), publie une notice historique sur les usages ancien de ce tilde dans la langue française où il défend que ce signe était couramment utilisé dans la langue française :
« Les scribes médiévaux utilisaient couramment un signe ayant la forme d'un trait horizontal, recourbé ou non à ses extrémités et qui était placé au-dessus d'un mot pour indiquer son abréviation. Ils appelaient ce signe le titulus. Cette abréviation paléographique a été appelée titre ou tiltre en français médiéval et tilde en langue castillane : « Tiltre, signifie tantost vne ligne qu'on met sur des lettres pour suppléer l'abbreuiation des lettres totales d'vn mot que l'Espagnol appelle Tilde, le tirant du Latin Titulus, ainsi que nous. » écrit Jean Nicot en 1606 dans son Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne. […] Il serait sans doute simple de modifier la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l'état civil. »
L'usage décrit ci-dessus est bien celui d'une abréviation médiévale, et non d'un signe diacritique (qui sert à distinguer). « Pour les copistes, c'était surtout un gain de temps, pour les imprimeurs, cet artifice permettait plus de souplesse dans la mise en page, en particulier pour la justification des paragraphes. Ces abréviations, très courantes dans les textes imprimés jusqu'au milieu du XVIe siècle, ont disparu progressivement ». Dans l'affaire Fañch, le ~ est un diacritique dans la mesure où il modifie la valeur phonétique.
Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique à l'université Rennes 2 et spécialiste des discriminations linguistiques, publie un article sur son blogue critiquant l'argumentation du ministère public qu'il qualifie de « jugement entre idéologie, préjugés et ignorance »[43]. Il estime que « L'idée même d'écrire un prénom en français n'a guère de sens »[44].
L'AFP note la difficulté de changer la circulaire : « Dans les années 2000, les parents de Martí (prénom catalan avec un accent aigu sur le i) avaient essuyé revers sur revers, jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme. »[8] D'autres procès sont en cours pour les refus de signes diacritiques absents de la circulaire de 2014, comme par exemple l'apostrophe dans le prénom Derc’hen[45], finalement accepté par le parquet de Rennes le [46] au motif qu'« il en résulte que la circulaire du ne statuant pas expressément sur l'utilisation de l'apostrophe et s'agissant en outre d'un signe orthographique d'utilisation courante, il peut être considéré que son emploi n'est pas formellement interdit »[46].
En , 21 députés bretons de La République en marche ont écrit à Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, afin de lui demander de modifier la circulaire du relative à l’état civil et d'autoriser les signes diacritiques contenus dans les prénoms en langues régionales[47].
Symboliquement, le musicien Alan Stivell utilise le tilde dans le titre de son album Human~Kelt et commente cette affaire en : « Le diable est dans le détail comme on dit. Tout le ressenti de la Bretagne contre Paris se résume à ce Tildé. Pourquoi Paris se prend pour Louis XIV, décide et commande au nom des bretons ? »[48].
La famille de l'enfant reçoit de nombreux soutiens en Bretagne, notamment de l'association Skoazell Vreizh (Secours breton) qui l'aide financièrement[14].
En , Bernez Rouz, président du Conseil culturel de Bretagne, publie un résumé de l’affaire sous le titre Fañch, le prénom breton qui fait trembler la République[49]. Il cite notamment le Grand Larousse de la Langue Française de 1989[50] : « La lettre consonne n ou m notant la nasalité d’une voyelle a été très tôt remplacée dans les manuscrits par une – barre de nasalité – que maintient l’emploi du tilde dans les alphabets phonétiques modernes. Cette barre, irrégulièrement usitée, était encore courante au XVIe siècle et se rencontre dans des textes imprimés jusqu’à la fin du XVIIe siècle (Quinte-Curce de Vaugelas, 1653 ; Grammaire de Chiflet, 1664). La possibilité de confusion avec les accents ainsi que les flottements de la dénasalisation expliquent l’abandon de ce signe diacritique ». Celui-ci est remis à l'honneur par les écrivains romantiques, et les mots señor, señora, señorita, doña, cañon sont acceptés dans les dictionnaires français de la fin du XIXe siècle[51] mais aussi du XXe et XXIe siècles comme dans Le Petit Robert[52], Le Petit Larousse[53] ou le Trésor de la langue française informatisé[54].
A l'occasion de la naissance de l'enfant, Mark Kerrain a composé en 2018 une Gwerz Fañchig Kemper, publiée dans son recueil Gwerz Fañch [55], puis republiée dans l'ouvrage de Bernez Rouz, Fañch, le prénom breton qui fait trembler la République en 2020. En 2023, à la suite de la naissance d'un autre Fañch à Lorient, il a composé une autre chanson intitulée Son Fañchig an Oriant, où le tilde est tout simplement présenté comme une arme de destruction massive.
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