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Un actionnaire activiste est un actionnaire plus actif que les autres, et qui utilise la part du capital qu'il détient dans une société cotée pour y influencer la politique ou la structure de gouvernance de l'entreprise, voire sa production ou ses objectifs.
Il s'agit d'une personne physique ou morale, généralement minoritaire, voire très minoritaire, qui « exige d'une société du changement, en faisant campagne, au-delà du dialogue bilatéral avec l'entreprise, auprès de sa direction, d'autres actionnaires et parfois publiquement »[1]. L'actionnaire activiste cherche à faire coïncider les buts des dirigeants de l'entreprise avec les siens, ou avec ceux de lobbys (financiers, industriels, politiques…) pour lesquels il travaille, ou avec ce qu'il estime être le bien commun et l'intérêt général (actionnariat engagé)[2]. L'activisme actionnarial est une tendance qui semble émerger vers le milieu du XXe siècle[3] et qui n'a cessé de progresser, dont en Europe et moindrement en France.
Selon Forbes (2019), les actionnaires activistes (hors short sellers) affirment généralement jouer un rôle bénéfique de création de valeur, et faire augmenter le cours du titre, en poussant à la performance et au rendement supplémentaire pour les investisseurs[4].
Quand il vise des groupes considérés comme stratégiques pour leur pays hôte, il devient un enjeu plus crucial[5].
Le phénomène semble apparu aux États-Unis au milieu des années 1980 où les actionnaires activistes sont parfois dénommés « sponsors de résolutions »[6] ou « actionnaires dissidents »[7]. Dans ce pays, La SEC a en 1992 modifié la règle sur les « batailles de procurations »[8] en encourageant le consensus entre actionnaires minoritaires qui peuvent alors exposer en 500 mots leurs attentes à la direction. Le phénomène s'est développé avec l'augmentation des cas d'entrisme d'investisseurs institutionnels dans le capital des sociétés cotées[9].
Les observateurs notent depuis la fin du XXe siècle des campagnes plus fréquentes et souvent plus médiatiques[5].
Les études du phénomènes indiquent un phénomène ancien et plutôt anglo-saxon, mais qui s'appuie sur les réseaux sociaux[5] et se déplace vers l'Europe et l'Asie et qui prend de l'ampleur depuis le début du XXIe siècle.
Il n'y a pas de profil unique du « petit actionnaire » minoritaire devenant activiste, mais, selon ses objectifs, la littérature en distingue plusieurs types principaux, très différents voire opposés (« schizophrénie sur l'activisme »)[10] :
- le « fonds mutuel classique » (fonds de pension (ex : CalPERS, leader mondial), fonds d'assurance-vie des compagnies d'assurance ou des banques...). Leur objectif est de gagner de l'argent
- le hedge funds (« fonds d'abritrage », plus spécialisé, investissant des montants plus hauts que « fonds mutuel classique » et dans un moindre nombre d'entreprises, pour peser sur les choix des dirigeants). Ce type de fonds est en forte croissance depuis la fin du XXe siècle - le « fonds socialement responsables », "vertueux", ou fonds mutuel à objectif social ou à vocation militante », qui recherche un certain retour financiers sur investissement, mais sur des principes et critères précis de soutenabilité sociale, environnementale et économique, en refusant par exemple les entreprises d'armement, de tabac, agroindustrielle, pétrolières, ou délocalisant pour les raisons de coût de main-d'œuvre, etc.).
Ils varient grandement selon le type d'actionnaire, avec par exemple :
Deux comportements activistes opposés sont l'« intervention stratégique de confrontation » (allant jusqu'à la déclaration d'une guerre ouverte contre les dirigeants)[15] et le « consensus stratégique en coopération »[16]. Ils ont des effets très différents sur l'image de l'entreprise, sur la prise de risque des gestionnaires et in fine sur la performance d'innovation de l'entreprise. Dans tous les cas, l'activisme actionnarial peut avoir un impact (positif ou négatif) sur le cours des entreprises cotées. Le bilan global de ces effets est encore discuté.
Pour arriver à ses fins, l'activiste actionnarial peut mettre en œuvre des processus d'influence complexe et très varié, qui dépendront notamment de ses objectifs et de la nature et du poids de la « coalition dissidente », allant d'une activité de lobbying plus ou moins appuyée jusqu'aux actions judiciaires systématiques et médiatisées, en passant par les batailles de procurations[17].
On trouve parmi elles :
Il n'y a pas de définition juridique du terme[1].
L'actionnaire activiste peut avoir des objectifs variés. Parfois avec d'autres, il essaye de réorienter la stratégie commerciale ou financière de l'entreprise (dans des directions financières ou non).
Les actionnaires visent souvent à maximiser la rentabilité en demandant par exemple un changement de structures de financement, des licenciements, une réduction des coûts, le versement de dividendes plus élevés, une optimisation fiscale , etc. Ils peuvent avoir des moyens de pression importants, dans le cas de certains hedge funds agressifs par exemple[23],[24].
Les principales motivations non-financières concernent :
L'activisme social[27] est parfois un contre-pouvoir qui limite par exemple les inégalités salariales ; Par exemple, Yves Michaud, actionnaire activiste solitaire a réussi au Canada — après une victoire devant les tribunaux contre plusieurs institutions bancaires canadiennes — à imposer lors des assemblées générales annuelles tenues par la plupart des grandes banques canadiennes, la soumission de propositions de limitation des rémunérations des dirigeants de banques, et à assurer l'indépendance des membres du conseil d'administration[28].
L'activisme actionarial peut contribuer pousser à faire évoluer l'entreprise vers la reconnaissance de l'égalité des chances et des salaires entre hommes et femmes, avec par exemple un effet #MeToo (stratégie de lutte contre le machisme et les agressions sexuelles, quotas de femmes administratrices...)[29],[30].
Inversement, dans certains cas, des lobbys industriels (tabac, amiante, gaz, pétrole, lobby du charbon, nucléaire, chimie, agrochimie, biotechnologies, nanotechnologies, pharmaceutique, etc.) peuvent chercher a entretenir le déni des impacts socio-environnementaux et climatiques de la politique de l'entreprise, ou acquérir un nombre suffisant de voix et d'influence dans le conseil d'administration pour imposer à l'entreprise de ne pas évoluer et de poursuive ce type d'activités même si d'autres actionnaires n'iraient pas dans ce sens.
Du point de vue de l'actionnaire activiste, par rapport à une offre publique d'achat, une stratégie activiste est bien moins onéreuse, puisqu'avec 10 % des voix il peut peser sur la gestion de l'entreprise, et ce, d'autant plus quand le capital flottant est élevé.
Les actionnaires activistes peuvent agir par de nombreux moyens : apports d'arguments, campagnes de lobbying ; storytelling et publicités éventuellement ciblées sur les actionnaires majoritaires, recours à des audits, appel au public et recours aux médias, aux syndicats… ; prise de parole et adoption de résolutions en Assemblée générale, parfois en sollicitant à l'avance les votes des autres actionnaires en faveur ou en défaveur d'un projet ou d'une résolutions[15] ; voire via des négociations directes avec l'équipe de management[1].
Parfois, s'engage une bataille de vote et/ou de procurations (« proxy fight ») où des actionnaires mécontents cherchent à en convaincre d'autres de leur délivrer des pouvoirs pour voter aux assemblées pour peser pour ou contre des résolutions proposées par la direction. Ce "combat" ne vise pas à contrôler la société, mais à acquérir un poids significatif au conseil d'administration et à l'AG, pour influer sur certaines décisions. Ces batailles sont courantes aux États-Unis, et rares en France car la structuration de l'actionnariat des sociétés cotées en Bourse y freine plus facilement les actionnaires minoritaires mais le phénomène semble se développer)[31],[32]. Deux exemples français étudiés par Albouy et Schatt (2004, 2008) sont les batailles de procurations du Groupe André et de la société Eurotunnel où les petits actionnaires ont fini par renverser la majorité au conseil d'administration dans ces deux cas[33],[34].
D'autres procédés tels que cadeaux, faveurs, tromperies, pressions appuyées ou menaces sortent de la légalité et sont susceptibles d'entrainer des poursuites.
Dans les années 2000-2010, deux tendances au moins semblent se dessiner :
En 2012, 24 % des entreprises ciblées par des groupes ou fonds activistes étaient capitalisées à plus d'un milliard de dollars, c'est près de deux fois plus que les 11 % mesurés en 2010[35].
Selon la banque Lazard qui publie périodiquement une étude sur l'activisme actionnarial, le nombre d'activiste et de campagnes activistes est en augmentation, et elles gagnent aussi en envergure ; en 2018 un nombre record de campagnes a été recensé dans le monde avec 226 sociétés ciblées (contre 188 en 2017). Le nombre d'activistes croît dans le monde : 131 "investisseurs actifs" en 2018, dont 40 pour la première fois[36].
Les États-Unis sont particulièrement concernés : 922 entreprises ont été publiquement l'objet de demandes par des activistes en 2018, contre 856 en 2017 et 607 en 2013. Sur ces 922 entreprises, 53 % (491 entreprises), sont situées aux États-Unis[37].
Le succès de l'activisme actionnarial augmente aussi : En 2018, 161 sièges dans les conseils d'administration avaient été obtenus par des activistes ; c'est 56 % de plus qu'en 2017[36].
Une affaire particulièrement médiatisée en Europe en 2018 a été celle du fonds Elliott Management chez Telecom Italia, un groupe privé de télécommunications italien. Vivendi était premier actionnaire avec 24 % des parts lorsque le fonds Elliott Management a annoncé en avoir acquis 5 % des parts, puis 9 %. Critique de la stratégie suivie par Telecom Italia[38], le fonds a affiché sa volonté de faire entrer au conseil d'administration des administrateurs indépendants. Il a réussi à faire élire 10 administrateurs sur les 15 que compte le conseil d'administration, avec 49,84 % des voix, contre 47,18 % pour la liste présentée par Vivendi.
Les activistes ou fonds activistes sont de plus en plus souvent soutenus les investisseurs « traditionnels » (sociétés de gestion d'actif, autrefois plutôt « passifs » mais s'impliquant de plus intimement dans la gestion des entreprises dont ils sont actionnaires) Ainsi, la Caisse des dépôts italienne a soutenu les activiste dans le dossier Elliott Management/Telecom Italia. Ainsi, note l'étude Lazard, les 6 premiers mois de 2019[39] 107 nouvelles campagnes activistes ont été comptabilisée, visant 99 entreprises ; le fonds Elliott Management étant celui qui a le plus mobilisé le volume en termes de capital (3,4 milliards de dollars).
En 2019 Weinstein et ses collègues estiment que le marché des États-Unis devient moins intéressant pour les activistes qui se tournent alors vers l'Asie[40] (Japon en particulier, devenu selon l'étude Lazard, pour les 6 premiers mois de 2019, la première 'cible' des activistes après les États-Unis.
Dès 2009, Michel Albouy et Alain Schatt, professeurs de finance, signalent « un réveil des actionnaires minoritaires et un engagement plus important de leur part »[15] ; l'Europe (au Royaume-Uni surtout) voit aussi la pression de l'activisme actionnariat augmenter[41] via les fusions-acquisitions en 2019, poursuivant la tendance de 2018, marquée par 58 campagnes en Europe (23 % du total des campagnes dans le monde)[36]. Pernod-Ricard, ThyssenKrupp et Telecom Italia ont par exemple été concernés.
La direction générale du Trésor souligne[42] par ailleurs que l'environnement européen est particulièrement propice à la conduite de campagnes activistes. Plusieurs facteurs sont mis en avant : l'ouverture capitalistique des marchés européens, l'endettement important de certaines entreprises et une valorisation relativement faible comparée aux entreprises américaines. Aucun changement législatif n'explique ce tournant dans le nombre de campagnes activistes en Europe. Les actionnaires activistes utilisent des pouvoirs déjà existants : le droit à l'information et le droit de déposer des résolutions et de voter en assemblée générale. Celle-ci devient le « lieu d'expression et d'exercice de la démocratie actionnariale », et le « lieu privilégié de cristallisation de cette nouvelle relation [entre les activistes et l'entreprise], avec un recours aux outils mis à disposition des actionnaires par la loi »[11].
Une étude (, intitulée Dancing with activists)[43] conclut que, toutes choses égales par ailleurs, dans les contextes (campagnes) où un fonds activiste est en capacité d'obtenir des sièges au conseil d'administration, un nombre croissant d'entreprises ainsi ciblées passent un accord avec le fonds activiste, en évitant un vote en assemblée générale mais permettant dans la majorité des cas, aux activistes d'obtenir la nomination au conseil d'administration des personnes de leur choix. Selon les auteurs, si les changements opérationnels n'interviennent pas immédiatement après l'accord, ils ont généralement lieu dans les mois qui suivent. Le marché réagirait donc dans ces cas positivement à ces campagnes, et non au détriment des autres actionnaires. Ceci évite un proxy fight parfois très coûteux pour le fonds[44].
Parmi les fonds d'investissement connus pour leur politique activiste, on peut citer :
Les détracteurs des « fonds activistes » mettent en doute l'idée que l'activisme soit bon pour les entreprises ou le marché.
Certaines études concluent que l'activisme actionnarial médiatique n'a « aucun impact sur la performance du marché » et d'autres qu'il « joue un rôle approprié et efficace dans la création de valeur ». Par opposition à l'activisme affiché et médiatisé, il existe « un activisme privé » plus discret , qui se pratique "en coulisses" (et dont les conséquences sont donc encore mal évalué par la Recherche) et qui pourrait être la forme la meilleure et la moins coûteuse d'activisme[45].
selon Bouaziz & al. (2020), quand l'objectif des activistes est la manipulation des bénéfices (aussi dénommée gestion des profits) et des résultats (généralement opportuniste et égoïste), elle peut conduire à des pratiques frauduleuses, et a un impact négatif sur la performance du marché ; la performance de l'entreprise diminue chaque fois que les managers s'engagent dans cette direction[45] ; de plus l'activisme actionnarial est généralement inefficace vis à vis des choix comptables et en matière de gestion des résultats, probablement en raison d'un « manque de compétence de suivi » faisant que les actionnaires activistes peinent à définir et mettre en œuvre des stratégies à travers leurs propositions[45].
Selon une étude (2018) basée sur 182 entreprises chinoises, l'intervention stratégique réduit la prise de risque des managers et la performance d'innovation de l'entreprise. Inversement, le consensus stratégique encourage la prise de risque des managers et l'innovation dans l'entreprise[16].
Les détracteurs des « fonds activistes » alertent aussi sur le court-termisme des stratégies agressives de groupes « activistes », et sur le fait que les "attaques" lancées par ces fonds peuvent fragiliser des entreprises déjà vulnérables et parfois les conduire à la faillite avec conséquences sociales que l'on sait. Certains de ces actionnaires qui utilisent cyniquement leurs droits de vote pour spéculer à la baisse en aggravant les difficultés qu'ils affirment vouloir résoudre.
En 2018, Agnès Touraine (présidente de l'Institut Français des Administrateurs) interrogée par l'« AGEFI Quotidien » expliquait que « ces activistes, qui ont pour objectif de déstabiliser l'entreprise – d'ailleurs on parle d'« attaque » – nous inquiètent »[46]. De plus ces fonds promettent souvent des taux de retour "déraisonnables" à leurs investisseurs et selon elle « si 75% des campagnes activistes débutent de manière collaborative et amicale, 60% finissent en conflit. Rien de surprenant puisque ces fonds promettent en moyenne 20 à 25% de rendement à leurs actionnaires, un taux de retour déraisonnable pour une entreprise »[46].
L'activisme actionnarial qui était typique des contextes anglo-saxons, commence à s'étendre en France, avec par exemple pour 2018 quatre entreprises touchée par une guerre médiatisée entre des actionnaires minoritaires et la direction : Casino, Pernod Ricard, Safran et Scor[47]. En 1992 s'est constituée une association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) et dans certains cas une association spécifique a été créée (ex AEE : Association pour l'Action Eurotunnel crée en 1991 ; et ADACTE : Association de Défense des Actionnaires d'Eurotunnel).
En 2019, la Commission des finances de l'Assemblée nationale estime que cette pratique va se développer en France et s'inquiète de certaines méthodes d'actionnaires activistes, toxiques pour les entreprises ; son rapport () liste 13 recommandations pour augmenter la transparence des marchés et limiter certaines pratiques (vente à découvert notamment)[47], pour autant les deux auteurs du rapport estiment que pour défendre l'attractivité de la place financière de Paris, après le Brexit, il ne faut pas légiférer dans ce domaine. Selon l'avocat Frédéric Peltier dans une tribune au Monde, ce n'est pas l'activisme actionnarial (qui n'est pas actuellement répréhensible) qu'il faut stigmatiser mais la spéculation financière.
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