Nasr Eddin Hodja, parfois orthographié Nasreddin ou Nasreddine (en turc ottoman: نصر الدين خواجه, en arabe: نصرالدین جحا, en persan: خواجه نصرالدین), est un personnage mythique de la culture musulmane, philosophe d'origine turque. «Hodja» est une transcription phonétique du turc «hoca» qui signifie «maître». Si l'existence historique d'un Nasr Eddin Hodja est incertaine, la tradition lui attribue des données biographiques précises. Il serait né en 1208 à Sivrihisar (dans le village d'Hortu) et mort en 1284 à Akşehir[1],[2],[3].
Ouléma ingénu et faux-naïf prodiguant des enseignements tantôt absurdes tantôt ingénieux, sa renommée va des Balkans à la Mongolie. Ses aventures sont célébrées dans des dizaines de langues, à commencer par le turc, et d'autres, comme le serbo-croate, le macédonien, le persan, l'arabe, le grec, le russe.
Son personnage s'est fondu dans celui de Joha (au Maghreb) Jha, Djha ou Djouha (Algérie) Djeha. Le personnage de Joha (en Égypte il s'appelle Goha, en Turquie il s'appelle Nasrettin Hoca (prononcé /ˈhod͡ʒa/) préexistait à celui de Nasr Eddin Hodja sans que l'on puisse clairement déterminer l'origine de ce personnage du monde musulman[4],[5].
En Afghanistan, en Iran et en Azerbaïdjan, il s'appelle Mollah Nasreddin et en Asie centraleAppendi (du turcefendi: monsieur). Ses aventures sont partout et toujours les mêmes. Ses histoires, courtes, sont morales, bouffonnes, absurdes ou parfois coquines[6]. Une partie importante d'entre elles a la qualité d'histoire enseignement[7].
Nasr Eddin vit en général à Akşehir[5] (Turquie), dans le village de Hortu où il est né et a un cénotaphe. Il est le fils de l'imam Abdullah Efendi et de Sıdıka Hanım[2]. Ses histoires ont parfois pour protagonistes le terrible conquérant Tamerlan (Timour Lang), pour qui il joue le rôle de bouffon insolent bien que la situation soit anachronique. D'autres histoires mettent en scène son âne et sa première femme Khadidja; il exerce parfois la fonction de Cadi voire d'enseignant dans une médersa.
Il aurait vécu au XIIIesiècle à Koufa, un village d'Irak. Deux de ses tombes existeraient: l'une dans un village d'Anatolie et l'autre en Algérie[8].
Les histoires de Nasr Eddin ont généralement la même structure, en trois parties:
«D'abord, exposition très brève d'une situation initiale, presque toujours solidement plantée dans la réalité la plus quotidienne, parfois la plus triviale; puis confrontation du Hodja avec un ou plusieurs interlocuteurs, qui aboutit à une situation de conflit ou, à tout le moins, de déséquilibre (même quand cet adversaire n'est autre que lui-même!); enfin, résolution ou chute, inattendue, voire franchement sidérante, et qui se résume aux paroles que le Hodja lance à ses contradicteurs médusés. Ce sont elles qui portent toute l'histoire, qui en font la drôlerie et la saveur.»[12]
Exemple 1
Voici une histoire de Nasr Eddin Hodja:
Les habitants d'Akşehir ont besoin d'un sage pour leur apprendre le monde. Ils vont chercher Nasr Eddin et l'amènent en place publique.
«Que voulez-vous que je vous apprenne que vous ne savez pas?
─ Tout!
─ Je n'ai rien à faire avec de tels ignorants.»
Et Nasr Eddin s'en va. Les dignitaires réfléchissent et demandent aux habitants de répondre au grand sage, mais cette fois sans le froisser. Ceux-ci vont à nouveau rechercher Nasr Eddin qui demande:
«Que voulez-vous que je vous apprenne que vous ne savez pas?
─ Rien!
─ Alors si vous savez tout, je m'en vais.»
Et Nasr Eddin s'en va, énervé. Les dignitaires réfléchissent de nouveau et demandent cette fois-ci au peuple un peu plus de compréhension avec une telle sagesse. Ils vont retrouver Nasr Eddin et le ramènent en ville.
«Que voulez-vous que je vous apprenne que vous ne savez pas?»
Une moitié crie:
«Rien!»
Et l'autre moitié:
«Tout!»
Alors Nasr Eddin excédé, dit:
«Hé bien, que ceux qui savent apprennent à ceux qui ne savent pas.
Exemple 2
Un certain ascète, ayant entendu parler de Nasr Eddin Hodja, s'en vint de son lointain pays pour le rencontrer. Il lui conta avec quelle ferveur il s'efforçait depuis tant d'années de percer les secrets de la nature. Depuis quelque temps, il lui arrivait d'entrer en communication avec les oiseaux et même les poissons.
«Et bien moi, l'interrompit Nasr Eddin Hodja, un jour un poisson m'a sauvé la vie». - Remarquable, s'exclama l'ascète, ébahi par cette révélation. Jamais vraiment, je ne pensais possible une telle communion avec la nature. En tout cas, c'est une confirmation de la Doctrine. Mais maintenant que nous connaissons mieux, peut-être pourrais-tu me faire partager ton expérience?
Je ne suis pas si sûr que tu puisses comprendre, lui répondit Nasr Eddin Hodja l'air songeur. Mais l'autre le harcela, le supplia, s'agenouillant à ses pieds dans la poussière. «Maître, lui dit-il, je suis prêt pour cela à tous les sacrifices».
À la fin, Nasr Eddin Hodja n'en pouvant plus le mit en garde contre les conséquences de la révélation qu'il allait lui faire: «Es-tu prêt à entendre ce que je vais te dire? Enfin, tu l'auras voulu. Eh bien, un jour que j'étais sur le point de mourir de faim, un poisson assurément m'a sauvé la vie. Il a mordu à l'hameçon alors que je pêchais sans succès depuis des lustres et j'ai eu de quoi me nourrir pendant plusieurs jours».
Interprétation
Les histoires de Nasr Eddin Hodja peuvent être appréciées pour l'absurdité amusante que révèlent la plupart des situations. Elles peuvent aussi être interprétées comme des contes moraux ou des histoires présentant un contenu spirituel. Ainsi, Idries Shah a compilé des recueils d'histoires de Nasr Eddin Hodja pouvant être lues sur un plan spirituel, suivant la tradition soufie[13].
Le personnage de Nasr Eddin Hodja se retrouve dans plusieurs pays, sous différentes appellations.
Formes les plus courantes
Nasrettin Hoca (forme internationale turque)
Molla Nasreddin (forme internationale romanisation caucasiennes, autres langues)
Apandi (forme internationale romanisation turkmène)
John R. Perry, Cultural currents in the Turco-Persian world, in New Perspectives on Safavid Iran: Majmu`ah-i Safaviyyah in Honour of Roger Savory, Taylor & Francis, (ISBN978-1-136-99194-3), p.92.
Kamel Zouaoui, Nasredine le hodja: les pas sages d'un fou, Paris, Tangerines nights, 2017 (ISBN979-1-09-327513-0)
Recueils de contes
Absurdités et paradoxes de Nasr Eddin Hodja / recueillis, traduits et présentés par Jean-Louis Maunoury, Paris: Phébus, collection Domaine turc, 2006, 190 p.(ISBN2-7529-0221-2)
Les Aventures de l'incomparable Mollâ Nasroddine, bouffon de la Perse / trad. du persan et présenté par Didier Leroy; avec 21 ill. de Andrzej Coryell. Paris: Souffles, 1989, 190 p.(ISBN2-87658-039-X)
Les Aventures de l'incomparable Nasr Eddin Hodja / recueillies et présentées par Jean-Louis Maunoury, Paris: J'ai lu, 2008, 345 p. (J'ai lu. Aventure secrète; 8791). (ISBN978-2-290-01146-1)
Les Contes de Nasreddin Hodja = Nasreddin Hoca'nın fıkraları: recueil bilingue français-turc / [édité et traduit par ] Ali Ekber Başaran; dessins d'Émilie Frigeni. Nancy: À ta Turquie, 2005, 76 p. (ISBN2-9507197-9-1)
Divines insanités de Nasr Eddin Hodja (vol. 3) / textes recueillis et présentés par Jean-Louis Maunoury. Paris: Phébus, 1998, 197 p. (Domaine turc). (ISBN2-85940-527-5)
Les Exploits de l'incomparable mulla Nasrudin (The Exploits of the incomparable mulla Nasrudin) / [raconté par] Idries Shah; dessins par Richard Williams; [trad. par Jean Néaumet]. 2e éd. Paris: le Courrier du livre, 1985, 156 p. (Mulla Nasrudin; 1). (ISBN2-7029-0161-1)
Idries Shah. Les Exploits de l'incomparable Mulla Nasrudin. Paris: Courrier du livre, 2004, 159 p. (coll. "Soufisme vivant"). (ISBN2-7029-0503-X)
Le Livre de Goha le simple / Albert Adès et Albert Josipovici; préf. de Octave Mirbeau. Paris: Calmann-Lévy, 1919, VII-390 p. Rééd. Paris: H. Jonquières, 1924, IV-310 p. Paris: Éd. du Compas, 1947, 197 p. Paris: Calmann-Lévy, 1953, 255 p. (Collection pourpre). Paris: Club des libraires de France, 1959, 411 p. (Fiction; 80).
Les Contes de Goha / Elian J. Finbert. Paris-Neuchâtel: Victor Attinger, 1929, 157 p.
Bande dessinée
Pénélope Paicheler. Les Fabuleuses aventures de Nasr Eddin Hodja. Mouthiers-sur-Boême: Éd. de l'An 2, 2006, 62 p. (coll. ChromoZone). (ISBN2-84856-058-4) (bande dessinée adaptée du recueil de Jean-Louis Maunoury)
Éditions pour la jeunesse
Recueils de contes
Les sages inepties de Nasr Eddin Hodja, recueillies et présentées par Jean-Louis Maunoury, Paris: Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, 2017, 197 p. (ISBN978-2-226-32703-1)
L'Ombre du palmier: et autres histoires de Goha en Égypte / Lisa Bresner; ill. de Sébastien Mourrain. Arles: Actes Sud junior, 2001, 63 p. (Les grands livres) (ISBN2-7427-3468-6)
Jihad Darwiche; David Beauchard (ill.), Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage (vol. 1). Paris: Albin Michel jeunesse, 2000, 187 p. (coll. Sagesses et malices). (ISBN978-2-226-11203-3)
Jihad Darwiche; Pierre-Olivier Leclecq. (ill.), Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage (vol. 2). Paris: Albin Michel jeunesse, 2003, 148 p. (coll. Sagesses et malices). (ISBN978-2-226-14027-2)
Jihad Darwiche; David Beauchard (ill.), Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage (vol. 3). Paris: Albin Michel jeunesse, 2007, 160 p. (coll. Sagesses et malices). (ISBN978-2-226-17770-4)
Nasdine Hodja: paru en épisodes de bande dessinée dans Vaillant, puis Pif Gadget, Nasdine Hodja est une sorte de Robin des Bois oriental, un redresseur de torts jeune et sportif, physiquement assez différent de la représentation conventionnelle de Nasreddine le Hodja habituellement décrit comme un homme mûr, voire un vieillard bedonnant monté sur un âne. Le seul trait commun entre le Nasdine Hodja de la BD (parue dans une maison d'édition proche du Parti Communiste Français) et son lointain inspirateur est son mépris des riches et des puissants et sa propension à lutter contre eux avec l'arme du rire et du ridicule.