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Le Siècle de Sartre est un livre de Bernard-Henri Lévy paru aux éditions Grasset en .
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Dans cet essai, Bernard-Henri Lévy se propose de mener une enquête philosophique sur Jean-Paul Sartre, une enquête qui retrace l’itinéraire de la « pensée-Sartre », mais inévitablement, aussi, le parcours de sa vie, en mêlant la biographie et l'analyse de l'œuvre de Sartre.
« J’appartiens à une génération qui fait l’économie de Sartre, car la modernité, pour elle, s’appelait Foucault, Althusser, Lacan – autant d’auteurs qui s’étaient littéralement construits sur l’évitement du massif Sartre, ou à la faveur d’un tir de barrage contre lui. Les gens qui avaient vingt ans à la fin des années 1960 ne lisaient guère Sartre. Ils avaient de lui l’image d’un vieil intellectuel humaniste, enfermé dans une philosophie désuète que la radicalité structuraliste renvoyait aux oubliettes de l’Histoire », écrit Lévy[1].
Mais, en redécouvrant Sartre à la fin des années 1990, Lévy constate que la pensée structurale n’est pas antagoniste de la pensée sartrienne. Au contraire, Sartre conçoit les principaux concepts sur lesquels s’appuie la philosophie française de la seconde moitié du XXe siècle, selon Lévy : « Le thème moderne du sujet, l’image du sujet sans identité, ni stabilité, la grande intuition deleuzienne du sujet éclaté, constitué d’une multitude d’éclats, d'eccéiités, tout cela se trouve dans le fameux article sur l’Intentionnalité[2], puis dans L'Être et le Néant. Quel malentendu ! Quel temps perdu ! Et quelle incroyable injustice faite à un penseur qui avait donc préfiguré l’essentiel de ce que la génération de nos maîtres avait prétendu découvrir[3] ».
Sortir du bergsonisme, ce fut la grande affaire de la philosophie du XXe siècle. Et celle de la littérature : sortir du gidisme, selon Lévy. C’est en ce sens que Sartre est « l’homme-siècle ». Tout le travail de Sartre, comme tout le travail du XXe siècle, « fut de triompher de ce corps-à-corps avec le double corps de Bergson et de Gide[3] ».
L’« homme-siècle », ce fut d’abord Gide, un homme qui condense ou résume son temps, pour Sartre[4].
« Il y a une géographie de la pensée, écrit Sartre. De même qu'un Français, où qu'il aille, ne peut faire un pas à l'étranger sans se rapprocher ou s'éloigner aussi de la France, de même toute démarche de l'esprit nous rapprochait ou nous éloignait aussi de Gide[5]. »
Gide incarne la littérature, pour Sartre[6]. Son influence est considérable sur Sartre, elle l’imprégnera jusqu’à la fin la sa vie, elle apparaît en particulier dans L’Être et le Néant, dans Les Mains sales, dans Les Mouches, selon Lévy[7]. Mais l’influence de Gide exerce une telle pression sur Sartre qu’il lui faut « aller jusqu’au bout de gidisme ; se libérer de la pensée-Gide et en sortir ; chasser le Gide qui, dans sa tête, l’envoûte et l’empêche d’être Sartre[8] ». Mais comment sortir de Gide ?
Sartre trouve d’abord dans la littérature américaine qui lui est contemporaine, dans l’œuvre de John Dos Passos en particulier[9], le prolongement de « la voie gidienne vers la modernité littéraire[8] ».
La « narration éclatée », le montage des séquences de ses romans comme les séquences d’un film, l’apparition d’un « on » anonyme et assourdissant chez Dos Passos, créent un horizon nouveau à Sartre, mais un horizon qui se situe toujours dans le monde de Gide[8].
La découverte de l’œuvre de James Joyce permet à Sartre de s’aventurer plus loin. Le roman devient un « genre total », avec Joyce. « Dialogues, récits fantastiques, réinvention des philosophies du passé, morceaux d’écriture automatique, théâtre, bouts d’essai théâtralisés, méditations inspirées, dissertations lyriques, conversations, réductions phénoménologiques, poèmes : aucun genre ne lui est étranger ; c’est le genre sans genre, c’est le genre avaleur de tous les genres, c’est cet effort titanesque pour dégénérer les genres institués, donc pour dégénérer la conception traditionnelle de l’œuvre et sa nostalgie de la “grande forme” », que Sartre va explorer, pratiquer et épuiser, à partir de Joyce[10] ».
La production du jeune Sartre – La Nausée, Les Chemins de la liberté, L'Être et le Néant – emprunte beaucoup à Céline. Influence politique, véhiculée par « l’anarchisme, non de droite, mais de gauche » de Céline[11]. Influence littéraire, véhiculée par « le mélange, encore, de la fiction et de l’essai, de l’autobiographie et de la fable, du réquisitoire frénétique contre la civilisation, l’espèce humaine, le monde et la poésie », selon Lévy[12].
Les écrivains sont des « prédateurs, des accapareurs, des brocanteurs de l’œuvre des autres », pour Lévy : « On prend dans la pensée d’autrui, mort ou vivant, la matière de sa propre pensée, jamais tout à fait finie, toujours en souffrance en soi – c’est la loi de la pensée qui se fait. […] Une pensée qui ne pille plus, ne ment plus, une pensée qui, avec les autres pensées, cesserait de se conduire en pensée-pirate, les prenant de haute lutte et leur inoculant, au passage, le venin de sa propre pensée, serait une pensée sans pensée – pensée morte, pensée figée, fin de la grande pensée des grands vivants. Sartre est ce grand vivant[13]».
Sartre fait la guerre en littérature. Il s’adosse à Céline pour oublier Gide. Il s’appuie sur Chateaubriand et sur Hugo pour se débarrasser, ensuite, de Céline. Cette guerre en pensée constitue, précisément, la vie d’un écrivain. Grand vivant, Sartre est un grand guerrier, pour Lévy[14].
Sartre est né en philosophie dans le siècle de Bergson, comme il est né en littérature dans le siècle de Gide. Bergson ou l'Idéologie française, disait Lévy dans l’un de ses livres précédents. Bergson occupe une place la plus éminente parmi les philosophes de son époque, quand Sartre entre à l’École normale supérieure.
« Au commencement est l’être, écrit Sartre, et c’est sur le fond de cet être, au sein de sa plénitude, que vient se découper le néant[15]. »
Ce postulat, qui fonde sa philosophie dans L'Être et le Néant, est une « pure reprise », observe Lévy[16], des méditations de L'Évolution créatrice de Bergson, notamment sur un néant dont l’idée, selon Bergson, serait « le ressort caché, l’invisible moteur de la pensée philosophique[17] ».
Le procès du langage qui faisait dire à Bergson : « J’aurais voulu des mots à moi : mais ceux dont je dispose ont traîné dans je ne sais combien de conscience ; ils s’arrangent tous seuls dans ma tête en vertu d’habitudes qu’ils ont prises chez les autres[18]», ce sentiment spécialement bergsonien court à travers La Nausée de Sartre : « Oh ! comment pourrais-je fixer ça avec des mots ? » se demande Roquentin, le héros de Sartre. « J’ai senti le mot qui se dégonflait, qui se vidait de son sens, avec une rapidité extraordinaire[19]».
L’« être aliéné », chez Sartre, a moins à voir avec le marxisme, qu’avec l’« être spatialisé, figé, mortifère » du bergsonisme, selon Lévy[16]. L’idée même de la liberté, chez Sartre, porte la trace de Bergson et de son « élan vital ».
Sartre découvre Husserl en philosophie, comme il a découvert Dos Passos en littérature, en s’appuyant sur Husserl pour se libérer de Bergson.
En 1930, Raymond Aron lui conseille la lecture de Théorie de l’intuition dans la phénomélogie de Husserl, un ouvrage d’Emmanuel Levinas[20], l'ouvrage le plus remarquable alors sur la philosophie de Husserl. Sartre se procure l’ouvrage. « Ce fut un choc : le sentinement, soudain, que quelqu’un lui aurait « coupé l’herbe sous le pied »[21]. Sartre se dit : « Ah, mais il a déjà trouvé toutes mes idées[22] ».
« Je refuse, écrit Sartre[23], de choisir entre réalisme et solipsisme, matérialisme et idéalisme – je refuse ce face-à-face stérile qui traverse l’histoire de la philosophie et qui est celui des tenants du monde sans conscience ou des fanatiques de la conscience sans monde. Comment croire à la matérialité des choses sans croire que ce que nous en percevons nous est entièrement dicté par elles et n’est que le reflet d’une vérité inscrite dans leur substance ? Comment croire au travail de la conscience sans aller, inversement, jusqu’à dire que c’est lui, ce travail, qui confère aux choses l’essentiel de leur vérité et de leur sens ? »
Voilà, précisément, ce que Sartre découvre dans Husserl, selon Lévy. « D’habitude, on va du sujet à Dieu. On va – et c’est très exactement ce mouvement que l’on appelle « la transcendance » – de l’humain au sur-humain[24]». Dans la phénoménologie husserlienne, « la transcendance demeure, sauf qu’elle débouche sur l’expérience de l’Autre – elle débouche sur la constitution de transcendances concrètes, vivantes, vécues, qui surgissent en tant qu’autres[24] ».
Les phrases comme « la responsabilité du pour soi est accablante[15] », ou comme « l’individu est responsable de tous et de tout[25] », ou comme « il n’y a pas de situation inhumaine[15] », ces phrases sont inintelligibles tant qu’on se situe dans l'univers bergsonien où la transcendance se confond avec une entité abstraite, purement intellectuelle et mortifère. Tout cela tient à Husserl, selon Lévy[26].
Sartre n’est pas, pour autant, un husserlien classique. En découvrant Husserl, Sartre agit toujours en « pirate ». Il s’approprie Husserl pour en faire « l’agent de la subversion anti-bergsonienne », pour Lévy[27].
En 1934, alors qu’il travaille à l’Institut français de Berlin, Sartre se procure Sein und Zeit, (Être et Temps), l'ouvrage de Martin Heidegger, l'élève le plus brillant de Husserl. Là encore, c’est un choc[28].
Bergson, sa critique de la science, de la technicité, de la publicité, sa foi en l'élan vital, ont initié l’existentialisme de Heidegger. Les concepts heideggeriens d’« authenticité » et de « mauvaise foi » sont calqués sur « l’opposition bergsonienne du « temps » (spatialisé, socialisé et, donc, inauthentique) et de la « durée » (pleine, libre, créatrice, inventive, continue et, donc, vraie) », selon Lévy[29]. Ce que Sartre reconnaît en Heidegger, c’est toujours du bergsonisme, mais un bergsonisme subverti par une langue nouvelle en philosophie, une langue que Sartre va subvertir à son tour.
Le Dasein, ce n’est pas le « sujet » chez Heidegger, mais « l’extase du sujet ». Son « ek-sistence ». Heidegger substitue à la question de la vérité du sujet celle de l’écoute de la vérité. Sartre traduit Dasein par « réalité humaine »[30]. Une « réalité humaine » qui lui permet de réintroduire une forme d’humanisme dans sa lecture de Heidegger qui entreprend, pourtant, une critique radicale de l’humanisme. « Nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes », disait Sartre à Heidegger. Mais Heidegger répondait : « Nous sommes sur un plan où il y a principalement l’Être »[31]. Seulement, l’humanisme de Sartre est un « humanisme de l’autre homme », un « humanisme de l’écoute ».
L’intuition, tellement sartrienne, que le destin d’un homme se joue partir, non de son passé, mais de son futur ; la définition du sujet (l’être du pour soi) comme être « qui n’est pas encore là »[32]; l’idée, en d’autres termes, que l’être c’est le temps, situe Sartre dans un univers qui lui est propre.
Le temps nourrissait le futur, il lui insufflait son énergie et son sens, chez Bergson. Au contraire, chez Sartre, c’est « le futur qui prêtre sa force au passé[33]», selon Lévy : c’est le futur qui précède le passé, dans l’ordre de l’être[34].
Sartre n'emprunte pas moins cette idée à Heidegger[35]. Mais cette idée ne sert qu’à sortir du « prisme bergsonien ». Pour le reste, Sartre n’est pas heidegerrien, ne serait-ce que parce qu’il est obsédé par le « mystère de la liberté » et par « le moment du choix, de la libre décision qui engage une morale et toute une vie[36].
Le jeune Sartre, celui de La Nausée et de L'Être et le Néant, a horreur de tout ce qui peut ressembler à une communauté[37]. La société de son temps lui donne, précisément, la « nausée »[38]. Le jeune Sartre assimile le « groupe en fusion » à une meute[39]. Le modèle de la meute, le régime même de la foule ameutée, c’est le lynchage antisémite, pour Sartre[40].
Ce Sartre-là défend la liberté du sujet, et donc de l’individu, contre toutes les tyrannies, sociales ou intellectuelles. C’est ce Sartre-là qui affirme : « nous sommes une liberté qui choisit, mais nous ne choisissons pas d'être libres : nous sommes condamnés à la liberté[41]».
Mais, parallèlement, apparaît un second Sartre, un « autre Sartre ». Ce Sartre-là surgit dans sa vie et dans son œuvre en 1940, durant la débâcle, quand il est fait prisonnier, remarque Lévy. « Sartre découvre au Stalag le bonheur, l’ivresse, la jouissance de la fusion communautaire[3]». Ce n’est pas une rupture psychologique en Sartre, c’est une rupture métaphysique, selon Lévy : « Quelle est l’idée ? Que l’individu ne vaut rien. Que la seule loi qui vaille est la loi du réel et des choses. Qu’il y a un « propre » de l’homme, et que ce « propre » consiste à se fondre dans un groupe, une communauté, une collectivité historiale[3] ».
C’est trop lourd d’être un individu, et trop difficile, semble dire le second Sartre. En revanche, c’est merveilleux d’abolir sa volonté personnelle, de renoncer à la propre singularité et de la sacrifier au groupe en fusion. Surgit alors le « Sartre totalitaire », le compagnon de route des communistes, puis des maoïstes[3]. C'est ce Sartre-là qui écrit : « En le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds[42].».
Des phrases d’une extrême violence verbale. Un discours résolument terroriste : « Dans un pays révolutionnaire où la bourgeoisie aurait été chassée du pouvoir, écrit Sartre, les bourgeois qui fomenteraient une émeute ou un complot mériteraient la peine de mort. Non que j'aurais la moindre colère contre eux. Il est naturel que les réactionnaires agissent dans leur propre intérêt. Mais un régime révolutionnaire doit se débarrasser d'un certain nombre d'individus qui le menacent, et je ne vois pas là d'autre moyen que la mort. On peut toujours sortir d'une prison. Les révolutionnaires de 1793 n'ont probablement pas assez tué et ainsi inconsciemment servi un retour à l'ordre[43]».
Voilà un « Sartre dément, inquiétant, qui inspirera, au choix, effroi, stupeur, ou dégoût », pour Lévy[44]». Un Sartre qui témoigne du « naufrage de l’idée révolutionnaire[45]». L’enjeu, c’est la « liquidation de cet individualisme dont il était, avant cela, l’intraitable théoricien[46]».
Sartre appartient à la catégorie des philosophes que Lévy appellent les « juifs de Hegel », des philosophes qui ont pensé : « Non, Hegel ne peut pas avoir le dernier mot ; il ne peut pas être dit que l’Histoire et la philosophie sont achevées. » Rosenzweig, Adorno, Bataille, se rangent également dans la même catégorie, mais le plus brillant de ces « juifs de Hegel », ce fut Sartre, le premier Sartre, le Sartre de L'Être et le Néant, pour Lévy. « Le problème, c’est que Sartre échoue. Il tente le coup et il échoue. C’est alors qu’il écrit son autre grand livre de philosophie, aussi triste que L’Être et le Néant était allègre, aussi mélancolique que l’autre était emporté, euphorique : La Critique de la raison dialectique[3] ».
Toute l’aventure philosophique de Sartre tient à ces deux livres, pour Lévy : dans L’Être et le Néant, le premier Sartre, anti-totalitaire, se mesure à Hegel ; dans La Critique de la raison dialectique, le second Sartre, totalitaire, reconnaît son propre échec face à Hegel.
Et, pourtant, dans Qu'est-ce que la littérature ?, le premier Sartre ressurgit sous le second Sartre, comme en se bousculant lui-même, pour revenir à sa position anti-totalitaire initiale.
Sartre affirme deux choses essentielles dans Qu'est-ce que la littérature ?, remarque Lévy[3] : « Primo : les écrivains doivent écrire sur leur époque et pour elle ; ils doivent prendre à bras le corps l’époque où il leur est donné de vivre, et tant pis pour les théoriciens d’un art désincarné, abstrait[47]. Secundo, la littérature, ça se consomme tout de suite, dans l’instant – et tant pis pour ceux qui se nourrissent encore du mirage d’une hypothétique immortalité des textes [48] »
Les Sartre ne se succèdent pas. Ils cohabitent. Ils se superposent « comme des foyers d’émission, différents mais contemporains[3] ».
Dans le second Sartre, le Sartre totalitaire qui ne rêve que de groupes en fusion et de justice populaire, il y a tout à coup des éclairs de liberté, des moments d’individualisme absolu, ou bien des moments où il n’y a plus que de la littérature. Et puis, à l’inverse, dans le premier Sartre, dans les moments où il est ce pur écrivain, ivre de sa propre singularité, il y a, soudain, comme des prémonitions brèves du Sartre totalitaire. Deux Sartre, donc. Trois, même, car un « autre Sartre » apparaît à la fin de sa vie. Mais ces trois Sartre sont indissociable, imbriqués dans les uns dans les autres[3].
Sartre a vécu une sorte de crise d’adolescence, quand il s’est intéressé aux maoïstes dans le sillage de Mai 68. Une crise qui inaugure sa rencontre avec Benny Lévy, alias Pierre Victor, le chef d’un groupe de militants maoïstes, la Gauche prolétarienne. Après la dissolution du groupe en 1973, quand il renonce à s’engager dans le terrorisme, Benny Lévy devient le secrétaire de Sartre.
Entre 1978 et 1980, Benny Lévy fait découvrir à Sartre l’œuvre d’Emmanuel Levinas : « Benny Levy lui en parlait lors de longues après-midi de lecture à haute voix. Il lui lisait Difficile liberté[3]». Un moment décisif, tant pour l’un que pour l’autre, selon Bernard-Henri Lévy.
Des entretiens de Sartre et de Benny Lévy sur Levinas et sur le judaïsme résulte un texte intitulé L’Espoir maintenant, publié d'abord par extraits dans Le Nouvel Observateur, sous la forme d'un dialogue. Dans ce texte, Sartre déclare :
« Il faut essayer d’expliquer pourquoi le monde de maintenant qui est horrible n’est qu’un moment dans le long développement historique, que l’espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections, et comment je ressens encore l’espoir comme ma conception de l’avenir[49]. »
Un texte dont Lévy souligne l’importance dans l'itinéraire philosophique de Sartre : « C’est une libération. Un moment de lucidité formidable, de maturité. La grande tristesse de ce texte, c’est que Sartre meurt juste après alors que c’est un jeune Sartre qui recommence[3] ».
L’Espoir maintenant provoque un scandale. Benny Levy est accusé par l'entourage de Sartre d'avoir abusé de son état de faiblesse (Sartre est presque aveugle) pour lui imposer sa pensée. Olivier Todd parle d'un « détournement de vieillard[50] ». Simone de Beauvoir reproche à Benny Lévy d’avoir contraint Sartre à des déclarations démentes[51]. John Gerassi, l’un des biographes de Sartre, dénonce la « manipulation diabolique » de Benny Lévy, « un petit chef de guerre fanatique », « un juif égyptien », devenu « rabbin et talmudiste »[52].
Toutefois, Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur, témoigne que Sartre est parfaitement conscient de ce qu'il fait en publiant L’Espoir maintenant. Il a fallu que Sartre appelle Jean Daniel pour que ce dernier décide de le publier. Daniel lui a demandé : « Vous avez le texte près de vous ? – Je l'ai en tête », a répondu Sartre. Et, en effet, « il le connaissait par cœur », assure Daniel[53]. Bernard-Henri Lévy remarque :
« On a parlé d’aliénation et même de sénilité, parce qu’évidemment l’auteur de L’Être et le Néant, de La Critique de la raison dialectique, venant dire : le peuple métaphysique par excellence, c’est le peuple juif ; […] un Sartre qui dit que c’est l’existence du peuple juif, sa survie à travers les âges qui lui fait comprendre que le culte de l’Histoire est une infamie et que Hegel s’est finalement trompé, un Sartre qui dit qu’il retrouve le sens de la réciprocité qui n’a rien à voir avec le groupe en fusion ou la chaleur de la meute, et un Sartre qui trouve ce goût de la réciprocité dans les rapports très curieux qui unissent le Dieu juif et son peuple. Tout cela, évidemment, surprend[3] ».
Mais il ne s’agit nullement d’une conversion religieuse, pour Lévy. Au contraire, Sartre va jusqu’au bout de la logique athée, en contestant la vision hégélienne de l’histoire dans ce texte[54]. Sartre retient l’espoir, mais l’espoir va bien au-delà de la religion, pour Sartre[55].
L’auteur du Siècle de Sartre n’est qu’un « pontife de carnaval », pour Hervé Darbro, dans L'Action française : « C’est, à croire la presse, l’événement philosophique de l’année. Pensez donc ! Sartre, éclipsé depuis deux décennies par d’autres modes, revient de faire la une de tous les gratte-papiers de France et de Navarre. Et l’artisan principal de cet événement aussi inattendu que bouleversant ? BHL bien sûr[56]».
« Le cirque BHL est monté pour finir là : dans un tombeau de papier signé Lévy », écrit Philippe Lançon dans Libération. Il reconnaît que Le Siècle de Sartre est « un livre touchant, débordant », mais en se demandant « Est-ce Sartre ou « BHL » tel qu’il se rêve et vit ? Même Dieu l’ignore. On dit pourtant que le Très-Haut a rencontré Lévy et l’appelle « Bernard », comme ses amis ; qu’ils déjeunent chez Lipp et draguent des filles ensemble. On dit que « Bernard » ne supporterait pas que Dieu en dise trop, ou trop peu, sur lui. Mais on dit tellement de choses[57]».
Toutefois, les commentaires négatifs sont proportionnellement moins nombreux que les commentaires positifs dans la presse, lors de la sortie du livre en 2000. Le Siècle de Sartre est bien accueilli, dans l’ensemble, par les critiques et le public[réf. souhaitée].
« Il fallait qu'un grand livre couronne les vingt ans de la mort de Sartre. Il y en eut de bons, de très bons même, en ce début d'année, mais sans doute celui de Bernard-Henri Lévy l'emporte-t-il par une sorte de grâce qui l'habite tout entier au point de pousser la défense de l'auteur des Mots un peu loin, un peu trop loin... On peut ne pas être d'accord sur tout avec BHL, ne pas le suivre dans un plaidoyer qui exonère son personnage de quelques erreurs trop lourdes pour gagner la conviction du lecteur, mais on peut difficilement être insensible au souffle de cette écriture passionnée, à l'intelligence de cette enquête philosophique », écrit Daniel Bermond dans L’Express[58].
« Avec ce gros livre, Bernard-Henri Lévy écrit sa propre aventure de la liberté. C’est aujourd’hui qu’il est jeune, bien plus qu’il y a dix ans », écrit Josyane Savigneau, dans Le Monde. « Parier sur Sartre, ce serait comme un souffle de jeunesse, « royal cadeau à ceux qui entendent bien entrer dans une France qui aura, en effet, tourné la page de Maurras, Barrès, Péguy, Vichy, et le reste ». Est-ce possible ? Lévy semble le croire et on a envie de le suivre. Envie d’abord de lire et relire Sartre, non comme un document historique, non pour clore « son » siècle, mais pour inventer, avec joie, le suivant[59]».
« Le mérite personnel n’est pas mince de la part de ce camusien notoire [Bernard-Henri Lévy], traité naguère d’agent de la CIA par le « clan » [sartrien], de sauver l’écrivain de ses ennemis et de ses veuves. De lui rendre ses droits à la complexité », pour Bertrand Poirot-Delpech, dans Le Monde[60].
« Passionnante enquête philosophique », pour Gilles Anquetil dans Le Nouvel Observateur[61].
« Un livre qui parle de nous à tous les âges, un livre d’histoire et d’idées, de chair et de fureur », pour Catherine Clément dans L'Événement du jeudi[62].
« L’essai de Bernard-Henri Lévy est extraordinairement intelligent, plaisant, euphorisant. », selon Jean-Jacques Brochier, dans Le Magazine littéraire[63].
« D’une parfaite visibilité, révélant un esprit informé, érudit même, mais se gardant de tout pédantisme, nuancé, honnête dans l’examen de ces « pour » et de ces « contres » qui respectent le lecteur, sans que l’auteur cherche à dissimuler sa sympathie pour le modèle. Un beau travail, comme on dit », reconnaît Maurice Nadeau, dans La Quinzaine littéraire[64].
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