Le duché de Navarre diffère nettement des autres duchés impériaux. Dans la noblesse d'Empire, en effet, le bénéficiaire reçoit un titre qui peut être rendu transmissible par la constitution d'un majorat en terres, immeubles ou en valeurs mobilières. Ici, la patente érige une terre en duché et la concède au bénéficiaire. Le fief ainsi constitué était le seul créé comme tel sur le territoire national, alors que les duchés grands-fiefs de l'Empire étaient systématiquement créés hors des frontières (dans le royaume d'Italie, par exemple). Comme ces derniers, cependant, il était tenu immédiatement de la couronne. Navarre était donc, du point de vue juridique, une création davantage semblable à celles de la noblesse d'Ancien Régime qu'à celles de la noblesse d'Empire.
Autre spécificité, la patente de création imposait au titulaire du fief de posséder un hôtel à Paris, d'une valeur de deux ans de revenus du duché, soit environ cent cinquante mille francs or. En plus des terres constituant le duché à proprement parler, l'impératrice reçut à titre viager la concession des revenus tirés de l'exploitation des forêts adjacentes par l'administration des domaines.
Le duché était créé au profit de l'impératrice mais celle-ci devait désigner son successeur parmi ses petits-fils issus d'Eugène. Il pouvait se transmettre perpétuellement dans l'ensemble de la descendance masculine directe non pas de ce successeur, mais de chacun des fils du prince Eugène. À défaut d'héritiers, les biens constituant le duché revenaient à la couronne[4]. C'est sans doute ce qui explique l'empressement de Napoléon III à décréter l'insuccessibilité du titre en 1858 en prétextant de la clause de naturalité de la loi sur les majorats. Cette loi exigeait en effet des détenteurs de majorats qu'ils prêtassent serment de fidélité au souverain. Le gouvernement arguait qu'un sujet russe, de surcroît successible au trône de ce pays, ne pouvait pas s'acquitter de ce serment. Les trois régimes précédents n'avaient fait aucune difficulté aux princes bavarois et portugais issus d'Eugène, mais la riche dotation du duché était un expédient bienvenu alors que la guerre de Crimée avait laissé de lourdes dettes.
Marie-Anne Adélaïde Lenormand, Mémoires historiques et secrets de l'Impératrice Joséphine: Marie-Rose Tascher de la Pagerie, première épouse de Napoléon Bonaparte, vol.3, L'auteur-éditeur, Dondey-Dupré père et fils, , 2eéd. (lire en ligne);
Ordonnance du roi qui autorise Auguste de Beauharnais à vendre le domaine de Navarre
- — Ordonnance du roi qui autorise le duc de Leuchtenberg, prince d'Eichstatt, à vendre le domaine de Navarre qu'il possède à titre de majorat, et prescrit le remploi du prix de ce domaine.
Louis-Philippe,etc.; — Vu la demande à nous présentée au nom de M.le prince Auguste-Charles-Eugène-Napoléon duc de Leuchtenberg, prince d'Eichstatt, ladite demande tendant à obtenir l'autorisation de vendre les biens composant le domaine de Navarre, tels qu'ils avaient été accordés à l'impératrice Joséphine, aïeule du prince dans la ligne paternelle, suivant lettres patentes d'investiture des et , et tels qu'ils ont été recueillis pur le prince, ainsi qu'il résulte de l'inscription faite en son nom au sceau de France le ; — Vu le procès-verbal de visite et d'estimation commencé le et clos le suivant; — Vu les dispositions des décrets des et , concernant la vente et le remploi des biens affectés aux majorats et dotations; — Vu la loi du , qui a réuni le domaine extraordinaire au domaine de l'État; — Considérant qu'il est également de l'intéret du donataire et de celui de l'Etat d'aliéner les biens qui composent le majorât recueilli par le prince Auguste-Charles-Eugène-Napoléon duc de Leuchtenberg; — Sur le rapport de notre ministre des Finances; — Nous avons ordonné, etc.
Art. 1. Le prince Auguste-Charles-Eugène-Napoléon de Leuchtpnberg est autorisé à vendre les biens composant le domaine de Navarre, que ce prince possède à titre de majorât comme ayant succédé à la dotation de l'Impératrice Joséphine, son aïeule dans la ligne paternelle, et tels que lesdits biens sont désignés dans les lettres d'investiture du 29 juin 1810 et le procès-verbal de mise en possession du .
2. La vente aura lieu avec publicité et concurrence, soit au rabais, soit aux enchères devant le préfet du département de l'Eure et en présence d'un préposé du domaine de l'État et du mandataire du prince.
3. Le prix sera stipulé «payable aux époques» et avec les intérêts fixés par les lois des 10 floréal an X et 5 ventôse an XII. Le principal de ce prix sera versé par les acquéreurs à la caisse des dépôts et consignations, et employé, sous la surveillance de l'administration des domaines, en acquisition de rentes sur l'État, qui seront immobilisées au livre des majorats et dotations, conformément au décret du . Les intérêts de ce même prix seront payés directement par les acquéreurs au donataire ou à son fondé de pouvoirs.
4. Immédiatement après la vente du domaine dont il s'agit, le mandataire du prince sera tenu de se présenter à la commission du sceau, pour y faire opérer, sur les brevets primitifs du majorat, les mentions relatives aux remplacements autorisés en faveur du donataire par la présente ordonnance.
Source
Victor Alexis Désiré Dalloz, Jurisprudence générale: Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine, et de jurisprudence en matière de droit civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public,, vol.30, Bureau de la Jurisprudence Générale, (lire en ligne)
Provision impériale du 11 mars 1810 portant création du duché de Navarre.
Napoléon, etc. Voulant donner à l'impératrice Joséphine un nouveau témoignage de notre affection,
Nous avons résolu d'ériger, comme nous érigeons, par les présentes, en duché, le domaine de Navarre, avec les biens et revenus que nous nous réservons d'y ajouter, pour être ledit duché possédé en toute propriété par l'impératrice Joséphine sa vie durant, et passer après elle, à celui des princes qu'elle aura désigné, dans la descendance masculine, directe et légitime du prince Eugène Napoléon.
Voulons que le duché de Navarre soit possédé comme fief immédiat de notre Couronne par le prince désigné en conséquence de la disposition ci-dessus et transmis à sa descendance directe, naturelle et légitime, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture.
Venant à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, ladite descendance, notre intention est que le duché de Navarre passe héréditairement et par ordre de primogéniture aux autres branches masculines de la descendance du prince Eugène, de manière qu'elles le possèdent successivement, se remplaçant les unes par les autres, jusqu'à extinction de ladite descendance masculine, auquel cas ledit duché fera retour à nous et à nos successeurs.
Les ducs de Navarre seront tenus d'avoir, dans notre bonne ville de Paris, conformément à nos statuts, un palais dont la valeur ne pourra être moindre de deux années de revenu de leur titre.
Ordonnons que les présentes lettres patentes ne seront regardées que comme provisoires, quant à leur forme, chargeons notre cousin, le prince archichancelier de l'Empire, notre procureur général et notre Conseil du Sceau des Titres, de donner à nos intentions le développement nécessaire et de rédiger des lettres patentes définitives dans la forme consacrée par nos statuts impériaux, entendant qu'aussitôt que lesdites lettres patentes auront été revêtues de notre signature, les présentes soient considérées comme non avenues.