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Les événements de Vitoria de 1976 (Sucesos de Vitoria en espagnol) ou massacre de Gasteiz[1] (Gasteizko sarraskia en basque) désignent l'assassinat de cinq grévistes et la blessure de plus d'une centaine d'autres par la Police Armée (es) le dans l'église de Saint-François-d'Assise, dans le quartier de Zaramaga de Vitoria-Gasteiz au Pays basque, pendant la Transition démocratique espagnole[2],[3],[4],[5].
Pendant le mois de , près de six mille travailleurs de Vitoria entament une grève pour obtenir des augmentations de salaires et meilleures conditions de travail. Le 3 mars, une troisième journée de grève générale mobilise près de dix huit mille travailleurs. Plusieurs manifestations sont organisées à Vitoria et une assemblée générale se tient en l'église Saint-François-d'Assise de Vitoria-Gasteiz où se réunissent près de cinq mille personnes[6],[7].
La police prend la décision d'expulser les grévistes du bâtiment et lance des gaz lacrymogènes dans l'enceinte, créant un mouvement de panique. Les personnes sortant par l'avant de l'église sont visées par des tirs de mitraillettes et de pistolets qui provoquent la mort de cinq personnes[8],[9],[10] :
Vingt autres grévistes sont blessés gravement et une centaine d'autres souffrent de blessures légères[15].
La lecture des événements varie selon les protagonistes : pour le Gouvernement civil d'Alava, les manifestants avaient fait montre d'un comportement violent, contraignant les forces de l'ordre à faire usage de leurs armes face à la "dureté des attaques"[16]. Selon le ministre de l'Intérieur Manuel Fraga, la ville faisait l'objet d'une occupation comparable à celle de "Petrograd en 1917 [...] d'inspiration comprise entre les soviets de 1917 et le 68 parisien"[17]. Pour une partie de l'opposition cherchant à se démarquer de toute forme de violence, l'attitude d'une minorité des manifestants a participé à faire dégénérer l'affrontement avec la police : "la violence employée par les grévistes s'explique par le défaut de politisation de l'ouvrier alavais qui s'est laissé dirigé par un groupe extrémiste". Les mouvements sociaux sont alors fréquemment le théâtre d'affrontements violents avec les forces de l'ordre, plusieurs organisations en appelant notamment à la lutte armée et à une "guerre ouverte, de mouvement"[18]. Le mouvement de grève initié en janvier se propage ainsi rapidement, entretenant une "dynamique révolutionnaire" via des assemblées quotidiennes bien qu'illégales[19].
Selon Sophie Baby, le drame trouve cependant ses explications principales dans les défaillances du système policier du début de la Transition démocratique[20] : appliquant la politique répressive héritée du franquisme, celui-ci est incapable de répondre à des protestations sociales et politiques démocratiques, participant ainsi à une escalade dans les affrontements, la répression des mouvements syndicaux justifiant l'élargissement de conflits du travail à des enjeux politiques et institutionnels. Les autorités locales ont ainsi été sourdes aux revendications portées lors des grèves de janvier 1976 aux Forges d'Alava, qui se sont étendues à plusieurs autres secteurs économiques et ont progressivement incorporées des exigences de démocratisation du système politique. Le ministre des Relations Syndicales Rodolfo Martín Villa indique lui-même que "l'autorité gouvernementale s'est retranchée dans une attitude d'inhibition totale" qui ne pouvait qu'engendrer une aggravation du conflit[21]. Manuel Fraga, ministre de l'Intérieur, défend quant à lui une présence "forte et inflexible" de l'Etat pour contenir les contestations sociales et politiques. Il aurait ainsi déclaré le lendemain des événements : "la rue est à moi"[22].
Le jour de la manifestation, la Préfecture donne l'ordre d'évacuer l'église par la force malgré les craintes exprimées par les policiers présents sur place, comme l'indiquent les échanges radios rendus publics[23]. Les événements illustrent le poids de l'héritage de l'idéologie franquiste et les aspirations populaires à un régime démocratique selon Sophie Baby : "politique de répression des libertés, imprévision et incompréhension de la réalité des enjeux sociaux, formation rudimentaire et déficiente des agents, expérience strictement militaire des officiers, insuffisance des techniques, tendance non réfrénée à l'usage des armes à feu sont autant de facteurs inhérents à l'appareil répressif du régime franquiste qui sont à l'origine de la violence des comportements policiers face aux troubles de l'ordre public"[24].
Le 5 mars, environ 70 000 travailleurs assistent aux funérailles des ouvriers tués. Le 8 mars, des manifestations réunissant environ 600 000 personnes dans plusieurs villes réclament la dissolution du corps de la police armée et la tenue d'un procès contre les responsables de la répression du 3 mars, dont notamment le ministre de l'Intérieur Manuel Fraga[25],[15], le ministre des Relations Syndicales Rodolfo Martín Villa et le ministre de la Planification du développement Alfonso Osorio. Il s'agit alors de la plus grande grève générale de l'après-guerre[26]. Deux personnes sont tuées par la police lors de ces protestations : Juan Gabriel Rodrigo Knafo à Tarragone et Vicente Antón Ferrero à Basauri[27].
Le 3 mars 1977, la manifestation en hommage aux victimes est interdite et dispersée par les forces de l'ordre, qui s'opposent à toute cérémonie de commémoration[28].
Ces incidents participent à l'accélération de l'action de l'opposition démocratique et de leur unité d'action. La Junte Démocratique et la Plateforme de Convergence démocratique (es) sont fondues dans la Coordination Démocratique (es) ou Platajunta le . Cette nouvelle assemblée exerce une plus grande pression politique sur le gouvernement, exigeant une amnistie des opposants au franquisme, liberté syndicale et la mise en place d'un régime parlementaire démocratique[29].
Bien que n'étant pas directement concernés par la loi d'amnistie espagnole de 1977 (qui couvre la période de la dictature franquiste jusqu'en 1975)[30],[31], les événements n'ont jamais fait l'objet d'une enquête ou d'un procès pour établir les responsabilités du massacre. S'inscrivant dans la dynamique menée par les mouvements de "récupération de la mémoire historique" qui luttent pour conserver la trace des crimes franquistes[32],[33] autour notamment de l'exhumation de fosses communes[34], l’association des victimes du massacre du 3 mars 1976 s'est ainsi attachée à conserver le souvenir de l'événement et à obtenir la tenue d'un procès, se heurtant aux difficultés de mettre en lumière la face sombre d'une Transition démocratique "mythifiée" par la jeune démocratie espagnole[35],[36],[37],[38]. Elle a sollicité le gouvernement d'Euskadi pour appuyer les démarches judiciaires : après l'investiture à la tête du gouvernement espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero, le groupe du Parti nationaliste basque (PNV) a ainsi formulé le une question au Sénat dans laquelle il souhaitait clarifier les événements de Vitoria-Gasteiz[39]. L'association a également sollicité le Parlement européen en 2006[40] et l'ONU en 2019[41].
En 2004, un rapport est produit à la demande de l'association et du gouvernement basque par des chercheurs de l'Institut Valentin de Foronda de l'université du Pays Basque. Il est remis au Parlement basque le 25 juin 2008[19].
La mémoire de l'événement a également été entretenue par les syndicats et partis de gauche[42],[43]. Un rassemblement est organisé chaque année dans le quartier Zaramaga à Vitoria[44] et un mémorial a été installé à proximité de l'église de Saint-François d'Assise.
En juin 2021, le Centre-mémorial en l’hommage des victimes du terrorisme (es) a été inauguré à Vitoria-Gasteiz par le roi d’Espagne Felipe VI et le chef du gouvernement Pedro Sánchez[45],[46]. Ce musée est dédié à la mémoire des 1 453 victimes du terrorisme comptabilisées depuis 1960 en Espagne, parmi lesquelles n'ont pas été intégrées celles des événements de Vitoria. En réaction, l'association des victimes du massacre du 3 mars 1976 a lancé la campagne "memoria osoa : memoria integral, para construir convivencia"[47] et a publié une tribune publiée dans la presse condamnant l'approche du musée qui "répond à une nécessité stratégique qui impose un récit officiel sur la vérité et la violence. Ce récit officiel est fondé sur des intérêts politiques et idéologiques spécifiques [...] Nous ne pouvons qu’exprimer notre rejet absolu d’un mémorial dont le fondement repose sur l’utilisation de la souffrance d’une partie des victimes, afin d’approfondir le discours qui nie l’existence de milliers de victimes causées par la violence et le terrorisme d’État"[48]. Elle revendique la reconnaissance par les autorités espagnoles d'un usage massif de la terreur contre les mobilisations sociales, y compris pendant la Transition démocratique[49].
Les événements ont inspiré de nombreux hommages artistiques :
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