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convoi du 24 janvier 1943 de Compiègne à Auschwitz De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le convoi du , dit « convoi des 31000 », est un convoi de répression et de déportation parti de France en direction d'Auschwitz dans le cadre de l'opération « Nuit et brouillard ». Il est issu d'un convoi qui est d'abord mixte à son départ de Compiègne : 230 femmes et 1 446 hommes sont répartis dans différents wagons à bestiaux, puis le train est séparé en deux à Halle-sur-Saale, les wagons contenant les hommes étant alors dirigés vers le camp d'Oranienbourg-Sachsenhausen tandis que ceux des femmes sont envoyés vers Auschwitz.
Convoi du | ||||||||
Portait de 4 déportées du convoi des 31000 à partir de leur photo prise à leur arrivée au camp d'Auschwitz. De gauche à droite : Simone Sampaix, Fabienne Landy, Yvette Feuillet et Hélène Fournier. | ||||||||
Contexte | Seconde Guerre mondiale | |||||||
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Mode de transport | Ferroviaire | |||||||
Départ | Gare de marchandises de Compiègne France () |
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Arrivée | Oranienbourg-Sachsenhausen (hommes) et Auschwitz (femmes) Pologne occupée par Allemagne nazie () |
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Durée | 3 jours | |||||||
Déportés | Résistants français | |||||||
· Total | 1 676 | |||||||
· Hommes | 1446 | |||||||
· Femmes | 230 | |||||||
Survivants en 1945 | 21% pour les femmes (49) | |||||||
But de la déportation | Kommandos de travail | |||||||
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Il s'agit du seul convoi de résistantes à destination d'Auschwitz. À leur arrivée le , elles reçoivent chacune un matricule compris entre les numéros 31625 et 31854, ce qui donne plus tard son nom au convoi. Là, elles passent deux semaines dans le block de quarantaine avant de rejoindre les autres prisonnières dans le camp. Considérées comme aptes au travail, plusieurs déportées du convoi sont envoyées dans le kommando (camp) Raisko — situé à l'extérieur de l'enceinte d'Auschwitz, il est l'un des moins pénibles du camp — tandis que certaines entrent au revier en tant qu'« infimières » grâce à Danielle Casanova. Pendant toute leur détention, les déportées du convoi du restent solidaires et s'entraident pour survivre. Finalement, en , les cinquante-sept survivantes du groupe encore détenues dans l'enceinte d'Auschwitz sont mises dans un block de quarantaine — où elles n'ont plus à travailler — après que le lieu de leur détention est connu de la Résistance intérieure française et communiqué sur les ondes de Radio Londres. Elles obtiennent également le droit de contacter leurs proches par courrier.
Après un an de ce traitement, les survivantes du groupe sont transférées — à partir de — à Ravensbrück, un camp pour femmes situé au nord de Berlin. Elles y passent près d'un an et, lors de l'avancée des Alliés, sont séparées pour la première fois. Sept d'entre elles sont envoyées dans une usine de missiles à Beendorf (Saxe), tandis que trente-trois autres sont mises dans un convoi de 585 femmes transférées au camp de Mauthausen. Ravensbrück est libéré en , tout comme Mauthausen, et certaines survivantes — les plus maigres et les plus malades — sont prises en charge par les Bus blancs de la Croix-Rouge suédoise. La dernière survivante du convoi à rentrer de déportation est Marie-Jeanne Bauer, qui revient à Paris le , après avoir été libérée d'Auschwitz le précédent.
Sur les 230 femmes parties en de Compiègne, seules 49 femmes sont revenues de déportation, soit un taux de mortalité de 79 %. En 1965, une des survivantes, Charlotte Delbo, publie le premier tome de sa trilogie Auschwitz et après, intitulé Aucun de nous ne reviendra, dans lequel elle raconte ce qu'elle a vécu à Auschwitz sous forme de petites scènes et de poèmes. Les deux tomes suivants, Une connaissance inutile (1970) et Mesure de nos jours (1971), sont construits de la même manière. Toujours en 1965, elle publie également Le Convoi du , une compilation de courtes biographies de chaque membre du convoi.
Selon l'article 10 de la convention d'armistice du 22 juin 1940 : « Le gouvernement français s’engage à n’entreprendre à l’avenir aucune action hostile contre le Reich allemand avec aucune partie des forces armées qui lui restent ni d’aucune autre manière. [...] Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs »[1].
En 1941, le chef des forces d'occupation allemandes en France (Militärbefehlshaber in Frankreich) Otto von Stülpnagel applique la mesure Nuit et brouillard (Nacht und Nebel) qui consiste à déporter les « ennemis du Reich » dans les territoires de l'Est pour les isoler du reste du monde, ne leur autorisant aucune communication avec leur famille[b 1]. Pour les Allemands, cette mesure devait effrayer et dissuader les familles de prendre la suite de leurs proches dans les rangs de la Résistance[b 2] comme en témoigne une lettre envoyée par Heinrich Himmler aux membres de la Gestapo[2] :
« Après mûre réflexion, la volonté du Führer est de modifier les mesures à l'encontre de ceux qui se sont rendus coupables de délits contre le Reich ou contre les forces allemandes dans les zones occupées. Notre Führer est d'avis qu'une condamnation au pénitencier ou aux travaux forcés à vie envoie un message de faiblesse. La seule force de dissuasion possible est soit la peine de mort, soit une mesure qui laissera la famille et le reste de la population dans l'incertitude quant au sort réservé au criminel. La déportation vers l'Allemagne remplira cette fonction. »
Au fil des mois, cette pratique est utilisée pour les Français soupçonnés d'espionnage, de trahison, d'aide aux ennemis du Reich ou de possession illégale d'armes, tous passibles de la peine de mort[b 2].
La première femme du convoi à arriver au fort de Romainville est Maria Alonso, une Espagnole de 32 ans qui y est transférée le , arrêtée pour avoir fourni une machine à ronéotyper à des résistants[b 3]. Elle est rapidement désignée cheffe de la section des femmes[b 3]. Marie-Thérèse Fleury, arrêtée en tant que membre d'un mouvement de résistance des PTT, arrive le même jour au fort[a 1]. Dix jours plus tard, ce sont les imprimeuses et techniciennes de l'affaire Tintelin dont Madeleine Doiret, Jacqueline Quatremaire, Lucienne Thevenin, Jeanne Serre et Vittoria Daubeuf[b 4]. Le arrivent les femmes prises lors du coup de filet parisien Politzer-Pican-Dallidet qui comprend Madeleine Dissoubray, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, Charlotte Delbo et Madeleine Passot ainsi qu'une fille de seize ans, Rosa Floch, arrêtée pour avoir écrit « Vive les Anglais » sur le mur de son lycée[b 4].
Les détenues établissent un système de mise en commun des colis de nourritures pour améliorer le sort de chacune[b 5]. La faim étant omniprésente, Danielle Casanova convainc les femmes des autres cellules de crier à leurs fenêtres donnant sur la rue pour obliger le directeur du fort à améliorer leur pitance[b 5]. Germaine Pican et elle sont envoyées au cachot pour cette action mais la soupe devient alors plus consistante[b 6]. Marie Politzer organise des séances de gymnastique et des douches froides chaque matin pour maintenir les femmes en forme[b 7].
Un bulletin d'informations — glanées en écoutant les gardes, les cuisiniers et les nouvelles arrivantes — commence à circuler dans la prison. Écrit au bleu de méthylène sur le papier d'emballage des colis de la Croix-Rouge, il est intitulé Le Patriote de Romainville[b 7]. Selon Madeleine Passot, les internées sont devenues une « équipe » et selon Madeleine Dissoubray, elle n'avait pas à se « faire des amies » car elles étaient toutes très liées[b 8]. Charlotte Delbo met en scène des pièces de théâtre, Cécile Charua devenant la couturière de la troupe[b 9]. Le dimanche après le déjeuner, des « après-midi artistiques » sont organisées auxquelles assistent quelques gardes allemands et les hommes détenus[b 10].
Une des dernières femmes du convoi à rejoindre Romainville est Georgette Rostaing en janvier[b 11], après avoir été arrêtée sur dénonciation le [b 12].
Au soir du , toutes les femmes du fort sont rassemblées et 222 d'entre elles sont appelées[b 13]. On leur annonce qu'elles auront besoin d'une seule petite valise et de vêtements chauds pour leur départ[b 13]. Bien que ne sachant pas leur destination finale, les femmes ne sont pas effrayées car, pour elles, travailler dans une usine en Allemagne ne pouvait pas être pire que les cellules de la Gestapo[b 14]. De plus, s'étant entraidées pendant les longs mois à Romainville, elles étaient devenues amies et avaient dans l'idée de prendre soin les unes des autres où qu'elles aillent[b 15].
Le , les 230 femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons à bestiaux[a 2] car 1 446 hommes occupent la partie avant du train depuis la veille[b 12]. Elles sont entre soixante et soixante-dix femmes dans ces wagons, hormis le dernier qui renferme les vingt-sept restantes[b 12]. Pour le voyage, on leur donne un petit pain et un morceau de 10 cm de saucisson chacune[a 2]. Dans les wagons pleins, les femmes mettent en place un système de rotation : la moitié d'entre elles s'assoient tandis que les autres peuvent s'allonger et inversement tandis que les valises sont empilées autour des tonneaux pour les besoins pour éviter qu'ils ne se renversent[b 16]. Durant le trajet, à chaque arrêt, elles glissent des notes à travers les portes des wagons pour qu'ils soient postés par ceux qui les ramasseraient[a 3]. Le premier jour, le train s'arrête à Châlons-sur-Marne où un cheminot leur murmure à travers les portes : « Ils sont battus. Ils ont perdu Stalingrad. Vous reviendrez bientôt. Courage, les petites[b 17]. » À Halle, le train est séparé en deux, les wagons des hommes sont dirigés vers Oranienbourg-Sachsenhausen et ceux des femmes vers Auschwitz[a 4]. Lors d'un des arrêts, un garde allemand leur souffle : « Profitez-en. Vous êtes en route vers un camp dont vous ne reviendrez jamais. »[b 18]. À la gare de Breslau, on leur distribue une boisson tiède, leur première nourriture depuis leur départ[a 4]. Elles arrivent à Auschwitz le au matin[a 4].
Michelle Bastien, née le , est transférée à Romainville enceinte. Inscrite sur la liste des futures déportées du convoi des 31000, elle en est rayée grâce à l'action de ses camarades. Elle accouche en et est séparée de sa fille qui est envoyée chez ses grands-parents paternels. En août 1943, Michelle Bastien est déportée vers Ravensbrück mais parvient à survivre[3].
Elles entrent dans le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau le en chantant La Marseillaise[4]. Emmenées dans une baraque, certaines refusent de boire la soupe ressemblant à du gruau, se plaignant de l'odeur que dégagent les bols qu'on vient de leur donner[b 19]. Elles apprendront plus tard que ces bols furent utilisés par les précédentes propriétaires — victimes de la dysenterie — pour se soulager la nuit[b 19]. Ce premier jour, Danielle Casanova se porte volontaire pour devenir la nouvelle dentiste du camp, à la demande des SS[b 20], poste qui va lui permettre de trouver une place pour Maï Politzer et Betty Langlois à l'infirmerie du camp[b 21]. Après son départ, les autres femmes sont obligées de se déshabiller pour remettre tous leurs objets personnels avant d'être conduites dans une seconde pièce où des détenues leur coupent les cheveux « au ras du crâne », leur tondent le pubis[a 5] et désinfectent le corps avec un chiffon imbibé de pétrole[b 20]. Après un bain de vapeur, elles sont tatouées à l'intérieur du bras, les chiffres allant du 31625 au 31854, ce qui donne plus tard le nom « Convoi des 31000 »[4]. Affublées de vêtements de prisonnières soit trop grands, soit trop petits, les 230 membres cousent un F sur un triangle rouge sur leur tenue — F pour Française et le triangle rouge des déportés politiques[b 22].
Peu après, le groupe est envoyé dans le block 14, le block de quarantaine où elles restent deux semaines[a 6]. Exemptées du travail dans les kommandos, elles doivent néanmoins participer aux appels, debout dans la neige durant des heures[b 23]. Madeleine Dissoubray racontera plus tard que, pendant les appels, elles se soutiennent et mettent les plus frigorifiées au milieu pour leur tenir chaud[b 23]. Les premières à mourir sont les femmes les plus âgées comme Marie Grabb (63 ans), une résistante de la région de Tours, qui meurt avant l'appel le premier jour et Léona Bouillard (57 ans), originaire des Ardennes, qui ne se relève pas après être tombée par terre lors du deuxième appel[b 24]. Pendant leur séjour en quarantaine, plusieurs autres femmes meurent : Léa Lambert, Suzanne Costentin — battue à mort par un garde — et Yvonne Cavé qui, devant aller à l'appel après qu'on lui a volé ses chaussures, meurt de ses engelures le soir-même ainsi que les trois femmes soupçonnées d'avoir dénoncé des membres de la Résistance — Antoinette Bibault, Jeanne Hervé et Lucienne Ferre — qui avaient été ostracisées par les autres déportées françaises à leur arrivée à Auschwitz[b 24]. Le a lieu la « course ». Après avoir passé la journée debout dans la neige, les 15 000 femmes du camp sont forcées de courir devant les médecins et les gardes qui font une « sélection », sortant des rangs les plus faibles, ce que certains considèrent comme un acte de représailles des SS après la victoire des Soviétiques à Stalingrad[b 25]. Ce jour-là, 14 d'entre elles sont prises, dont Mme Van Der Lee, Sophie Brabander, Yvonne B., Sophie Gigand — dont la fille Andrée est morte dans les premiers jours au camp — et Aminthe Guillon[b 25]. Alice Viterbo, envoyée au block 25, après être tombée dans la neige à cause de sa jambe de bois, meurt plusieurs semaines plus tard : en effet, les autres déportées l'ont régulièrement vu demander de la nourriture à travers les barreaux du block puis un jour, il n'est resté que la jambe de bois dans la neige[b 25]. Deux jours après la « course », le 12 février, les femmes du convoi sont envoyées au block 26[a 7]. Le lendemain, après deux heures de marche dans la neige, elles sont chargées de déblayer un champ à la pelle, qui fait partie du projet d'agrandissement de Birkenau[b 26]. Pour toute nourriture, elles reçoivent un demi-litre de café noir le matin, de l'eau épaissie en guise de soupe le midi et 300 g de pain le soir, parfois agrémenté de margarine, de confiture, de saucisse ou de fromage[b 26]. À la même époque meurent Berthe Lapeyrade, qui refuse de se relever après être tombée dans un marécage et est battue à mort, Alice Varailhon, abattue par un garde, et Annette Epaud, envoyée au block 25 puis à la chambre à gaz pour avoir donné de l'eau à une détenue qui en réclamait[b 27].
Au printemps 1943, une épidémie de typhus — propagée par des prisonniers arrivés de Lublin en avril 1941 — ravage le camp. Les Françaises commencent à tomber malades et à mourir les unes après les autres. D'abord Raymonde Sergent en mars, puis Maï Politzer — qui meurt en quelques jours —, Rosa Floch, la plus jeune du convoi et puis une nuit, Andrée Tamisé, déjà affaiblie par la dysenterie et que sa sœur porte à l'extérieur du block le lendemain matin et enfin, Claudine Guérin, qui perd l'esprit à cause de la fièvre[b 28]. Le , elles ne sont plus que soixante-dix[a 7]. Le , c'est Danielle Casanova qui tombe malade et, malgré le vaccin inoculé par les médecins SS, succombe à la maladie 9 jours plus tard[5].
Pour les survivantes, la raison pour laquelle elles ont survécu est leur esprit de groupe et la conscience que leur sort dépendait les unes des autres. Cécile Charua racontera : « On ne se posait pas la question de savoir qui on aimait et qui on n'aimait pas, ce n'était pas tant de l'amitié que de la solidarité. On faisait juste en sorte de ne laisser personne seul. ». Comme lorsqu'elles ont aidé Charlotte Delbo, malade du typhus, à s'orienter lorsqu'elle a provisoirement perdu la vue ou lorsqu'elles ont caché Aimée Doridat, en béquilles après avoir été amputée, lors des sélections[b 29]. Elles partagent aussi leur nourriture : lorsque Germaine Pican trouve un corbeau mort dans les marais où elle travaille, chacune peut en avoir une bouchée[b 30].
Peu après leur arrivée, cinq femmes — Madeleine Dechavassine, Marie-Élisa Nordmann-Cohen, Hélène Solomon-Langevin, Laure Gatet et Alice Loeb — sont désignées pour aller travailler dans le kommando Raisko dirigé par l'Obersturmbannführer Joachim Caesar[b 31]. Celui-ci est chargé de la production de kok-saghiz, un pissenlit contenant du latex dans sa racine, utilisé pour créer du caoutchouc[a 8]. Alice Loeb et Laure Gatet meurent avant la création du kommando[a 8]. Celles qui y sont s'efforcent de faire admettre leurs camarades car c'est l'un des kommandos les moins dangereux de Birkenau[a 9]. Situé à l'extérieur du camp et composé d'une ancienne école entourée de champs et de serres, il est dirigé par un SS ayant peur de la contagion et qui autorise les femmes à être propres et en bonne santé[b 31]. Tandis que les plus qualifiées en chimie sont assignées au laboratoire pour faire des expériences, les autres travaillent dans les champs, s'occupent des plants ou assistent les chimistes[b 32].
Au début de l'été, Marie-Claude Vaillant-Couturier apprend au détour d'une conversation espionnée que les Françaises devraient être transférées à Ravensbrück. En effet, fin avril, Emmanuel Fleury, l'époux de Marie-Thérèse Fleury, avait reçu par des contacts de la Résistance l'avis de décès de sa femme envoyé par l'infirmerie d'Auschwitz aux parents de celle-ci[b 33]. Le télégramme avait alors été communiqué à la Résistance française à Londres et diffusé dans l'émission Radio Londres sur la BBC[b 33]. À la même période, les familles des déportées envoient des lettres à la Croix-Rouge française et au gouvernement pour demander des nouvelles de leurs proches à la suite de plusieurs autres avis de décès parvenus en France dont 19 rien que pour la région de la Gironde[b 33]. Le , un tract du Front National repris dans l'émission de Radio Londres de Fernand Grenier évoque le transfert à Auschwitz des prisonnières communistes auparavant détenues au fort de Romainville et les conditions de détention de ces femmes[4]. Lorsqu'ils découvrent qu'il n'y a qu'un robinet pour 5 000 femmes, ils pensent à une erreur et donnent l'information d'un robinet pour 500 femmes[b 33]. Sûrement à la faveur de ces événements — bien qu'aucun document n'ait été retrouvé pour l'attester —, les Françaises reçoivent l'autorisation d'écrire une lettre à leur famille[4], en allemand obligatoirement et avec l'interdiction de parler de leurs conditions de détention[b 34]. Elles découvrent aussi que les trente-sept d'entre elles toujours à Birkenau — les autres étant à Raisko — vont être mises dans le block de quarantaine[b 34] mais il est trop tard pour Marie Alizon, Viva Nenni et France Rondeaux qui meurent toutes les trois du typhus peu avant[b 35]. Pour les survivantes, sans ce transfert, aucune n'aurait survécu[b 35].
Elles commencent alors à écrire leurs lettres, en utilisant des codes pour ne pas être comprises des Allemands sous peine d'être sanctionnées comme Yvonne Noutari, envoyée en commando disciplinaire pour avoir écrit « les beaux jours refleuriront » — suggérant la fin du cauchemar nazi — dans une de ses lettres[b 36]. Elles sont également autorisées à recevoir des colis de nourriture qu'elles partagent entre elles[b 36]. Pendant six mois, les femmes de Birkenau restent en quarantaine tandis que les autres travaillent à Raisko[b 37]. Un dimanche, le groupe organise une représentation du Malade imaginaire de Molière grâce à Claudette Bloch — qui connaît tous les vers par cœur —, Charlotte Delbo qui s'occupe de la mise en scène et Cécile Charua des costumes[b 37]. La situation change totalement au début de l'année 1944.
Début 1944, un garde SS annonce que les Françaises qui se trouvent à Raisko doivent rentrer à Auschwitz. Inquiètes, les femmes prennent chacune un petit sac en tissu et font le chemin jusqu'au camp en chantant La Marseillaise[b 38]. Le , dix femmes du kommando Raisko sont transférées à Ravensbrück mais deux sont finalement retenues car elles ont de la fièvre[a 10]. Durant le trajet, le train fait une escale à Berlin où les prisonnières sont autorisées à aller aux toilettes avant de monter dans un second train, rempli de civils et d'officiers de la Gestapo[b 39]. À leur arrivée, après une douche et un examen gynécologique, elles reçoivent de nouvelles tenues, des vêtements pris dans les bagages des déportées et peinturlurés d'une grande croix blanche sur l'avant et l'arrière[b 40]. Dans le camp, les plus nombreuses sont les Polonaises qui ont récupéré les meilleurs postes[b 41]. Les nouvelles arrivées sont envoyées coudre des uniformes militaires allemands ; si l'objectif journalier n'est pas atteint, elles sont battues par une des gardes[b 42]. Le groupe, dont les membres sont toujours conscientes que l'union leur permettra de survivre, reçoit un coup terrible lorsque Marie-Jeanne Pennec est transférée, seule, en Tchécoslovaquie[b 43].
Après la venue d'une commission internationale à Auschwitz, on propose au groupe de Françaises encore sur place d'aller travailler en Allemagne mais elles refusent, craignant un piège. Elles sont alors envoyées dans une baraque près de la ligne de chemin de fer pour y coudre des croix sur les vêtements civils donnés aux nouvelles arrivantes[b 39]. Pendant ce printemps et cet été là, seules cinq femmes meurent dont Sylviane Coupet, 17 ans[b 39]. Le , celles qui étaient en quarantaine depuis l'année précédente à Auschwitz arrivent aussi à Ravensbrück, sauf Marie-Jeanne Bauer et Marcelle Mourot qui sont alors au revier[a 10]. Le 16, les dernières membres du kommando de Raisko sont transférées[a 11]. Classées Nacht und Nebel, elles ne peuvent pas envoyer de lettres, ni aller travailler dans des kommandos extérieurs au camp[a 11]. Parmi elles, Marie-Élisa Nordmann, Marie-Claude Vaillant-Couturier et Adélaïde Hautval sont mises dans le block 32 qui rassemble les prisonnières les plus « secrètes » et où se trouvent déjà Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion et Anise Postel-Vinay[b 44]. Ce block accueille aussi des détenues, majoritairement polonaises, qui ont survécu aux expérimentations du médecin Karl Gebhardt et dont les autres femmes prennent soin[b 44].
Au bout de quelques semaines, ce que les femmes craignaient le plus se produit : elles vont être séparées. Un groupe, composé de Cécile Charua, Poupette Alizon, Carmen, Lulu Thévenin et Gilberte Tamisé, est mis dans un convoi en direction de Beendorf (Basse-Saxe), une usine fabriquant des missiles V1 et V2 située dans une ancienne mine de sel à 600 m de profondeur[b 45]. Là-bas, elles mettent en place de petits actes de sabotage : ne pas assez serrer les vis, faire des trous trop gros, mettre du sel dans la graisse ou encore, faire tomber les pièces les plus fragiles pour les briser[b 45]. Peu après leur départ, Hélène Solomon est envoyée, seule, en tant qu'infirmière dans une usine Bosch pour y fabriquer des masques à gaz près de Berlin[b 46]. En apprenant son transfert, elle pleure[b 46].
En raison de l'afflux de plus en plus massif de déportées provenant des camps situés plus à l'Est au fur et à mesure de l'avancée de l'Armée rouge, Ravensbrück est de plus en plus surpeuplé. Pour y faire face, le Jugendlager — un ancien camp annexe reconverti — est ouvert pour servir de mouroir aux femmes trop faibles pour travailler[b 47]. Adélaïde Hautval et d'autres médecins-prisonniers sont chargées d'établir la liste des femmes qui doivent y être envoyées mais elles finissent par tenter de sauver leurs patientes[b 47]. Lorsque Hélène Bolleau se casse la jambe, Adélaïde Hautval lui fabrique une attelle avec des morceaux de bois maintenus par des bandages en papier et ses amies la cachent dans l'espace en dessous des chevrons dans leur baraque pour qu'elle ne soit pas découverte[b 48]. Aimée Doridat y est envoyée mais est finalement ramenée à Ravensbrück par une kapo compatissante et elle est cachée par ses amies lors des sélections suivantes[b 47]. À la même période, Germaine Tillion et Marie-Claude Vaillant-Couturier — utilisant du papier volé dans son usine de textile par Anise Postel-Vinay — commencent à prendre des notes sur le camp et leur détention dans une écriture si petite qu'elle est presque illisible à l’œil nu[b 48].
Le , 585 femmes dont 33 Françaises sont mises dans un convoi à destination de Mauthausen, une ancienne forteresse médiévale reconvertie en camp en 1938 et située près de Linz (Autriche). Elles y arrivent le 7 après avoir marché sur les derniers kilomètres et sans avoir mangé de tout le trajet[b 49]. Sur place, elles sont envoyées à la douche où leurs parties génitales sont désinfectées à la brosse[b 50]. Marie-Élisa Nordmann est affectée comme infirmière au revier[b 50]. Employées à déblayer les voies de la gare d'Amstetten, trois d'entre elles — Charlotte Decock, Olga Melin et Yvonne Noutari — meurent lors d'un bombardement le [a 11]. Le , les trente Françaises survivantes de Mauthausen sont convoquées et apprennent que la Croix-Rouge est arrivée pour les évacuer[b 51]. Elles découvriront des années plus tard qu'Hitler avait ordonné de les tuer mais qu'à cause des lignes de téléphones coupées, le message n'avait pu être transmis aux gardes[b 51].
Le , l'Armée rouge entre dans le camp d'Auschwitz et libère les prisonniers abandonnés par les gardes. Parmi eux se trouve Marie-Jeanne Bauer, la dernière Française du convoi du qui soit encore là. Quelques jours après la libération, elle se fait tirer dessus par un soldat soviétique ivre[6] mais la balle ne fait que lui frôler l'aorte avant de ressortir par son omoplate et elle survit[b 52]. Première libérée, elle est la dernière à rentrer en France, le [a 12].
Au camp d'Oranienbourg, les détenues subissent une marche de la mort qui dure douze jours jusqu'à ce que les SS finissent par les abandonner. Avec d'autres Françaises, elles quittent la colonne et rencontrent des soldats français qui s'occupent d'elles et les emmènent en charrette jusqu'à un campement américain. Elles sont ensuite transportées en camion jusqu'à Lille où la Croix-Rouge française les attend. Hélène Solomon pèse trente-cinq kilos[b 51].
Les cinq de Beendorf sont, elles, transférées en train vers le camp de Neuengamme le , avec 5 000 autres prisonniers. Le voyage dure 12 jours, entrecoupé par des arrêts liés aux bombardements alliés. Les prisonniers sont si serrés dans les wagons qu'ils ne peuvent s'asseoir, s'allonger et se mettre debout qu'à tour de rôle[b 51]. Arrivés sur place, les SS et leurs prisonniers découvrent que le camp a été abandonné le matin même[b 53]. Elles sont rejointes là par Mado Doiret qui a passé les derniers mois dans une usine Siemens[b 53]. Finalement, elles sont acheminées en train avec les autres déportés vers un camp près de Hambourg. Là, elles sont chargées de creuser des tombes mais quelques jours plus tard, les gardes leur annoncent qu'elles vont être remises à la Croix-Rouge[b 53]. Transportées en train vers Copenhague (Danemark), les six femmes reçoivent du pain blanc, du beurre, du fromage, de la confiture et du chocolat. Sur place, leurs vêtements sont brûlés et leur peau désinfectée avant que leur soient attribués de nouveaux vêtements[b 53]. Les six femmes sont ensuite envoyées à Malmö (Suède) pour se rétablir[a 12].
Pendant ce temps, des négociations étaient en cours entre le comte Bernadotte, président de la Croix-Rouge suédoise, Norbert Masur, représentant du Congrès juif mondial et Heinrich Himmler pour la prise en charge des prisonnières de Ravensbrück par la Croix-Rouge[b 54]. Début avril, le premier groupe de malades est évacué du camp[b 54]. Le finalement, les 488 Françaises, 231 Belges et 34 Hollandaises sont libérées par la Croix-Rouge et évacuées[b 55]. Les dernières femmes sont libérées par l'Armée rouge le 30 avril[b 56]. Simone Loche est évacuée par la Croix-Rouge après avoir été opérée par un médecin russe et passe plusieurs mois en rééducation dans un hôpital de Créteil[b 57]. Adelaïde Hautval et Marie-Claude Vaillant-Couturier décident, elles, de rester sur place pour s'occuper des malades et n'acceptent d'être rapatriées que lorsque leur dernière patiente a quitté le camp[b 58].
Des 230 du départ, seules 49 ont survécu[7], soit un taux de décès de l'ordre de 79 %. Sur les 20 Tourangelles déportées, Hélène Fournier est la seule survivante. Ce pourcentage de survivantes par rapport aux autres convois peut s'expliquer par les incohérences de la politique du camp, par les personnalités connues qui se trouvaient dans le groupe[8] et par la grande solidarité qui les liaient toutes[9]. Les survivantes se donnent pour mission de témoigner sur le sort de leurs compagnes et doivent parfois annoncer la nouvelle du décès aux familles[9].
Betty Langlois témoigne lors du procès de Fernand David, responsable des Brigades spéciales à Paris qui avaient envoyé plusieurs membres du convoi en déportation. Ce dernier fut condamné à être fusillé après dix-sept minutes de délibération ainsi que Lucien Rottée, ancien membre des Renseignements généraux[b 59]. Poinsot, directeur des Renseignements généraux en Charente et en Gironde et responsable de l'arrestation d'Aminthe et Yvette Guillon notamment, est fusillé à Riom le tandis que Ferdinand Vincent, un ancien informateur ayant dénoncé Annette Epaud est passé au peloton d’exécution en 1949[b 59]. Marie-Claude Vaillant-Couturier témoigne le lors du procès de Nuremberg[10]. Adélaïde Hautval reçoit le titre de Juste parmi les nations en 1965[11] pour avoir tenté de sauver ses patientes dans les revier des différents camps où elle fut internée[12]. Annette Epaud reçut également le titre de Juste parmi les nations à titre posthume en 1998 pour avoir donné de l'eau aux femmes agonisantes dans le block 25 d'Auschwitz — dont de nombreuses femmes juives —, acte qui lui valut d'être envoyée à la chambre à gaz quelques jours plus tard[13].
Dans les années 1960 et 1970, Charlotte Delbo se tournera vers l'écriture et écrira sa trilogie intitulée Auschwitz et après — Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile et Mesure de nos jours — dans laquelle elle raconte, à travers de courtes scènes, des poèmes, des impressions, ce qu'elle a vécu pendant ses deux ans de déportation[14]. En 1965, elle publie également Le Convoi du 23 janvier, une compilation de courtes biographies des 230 femmes déportées avec elle[15].
Beaucoup de survivantes ont subi des conséquences de leurs années de détention, des problèmes de santé (arthrite, séquelles du typhus), d'épuisement chronique ou encore de dépression[b 60].
La dernière survivante, Christiane (Cécile) Charua, est morte fin à l'âge de 101 ans[16].
Le convoi des 31000 comprend 230 femmes, majoritairement arrêtées pour actes de résistance[7]. C'est le seul convoi transportant uniquement des femmes de la Résistance dans le cadre de l'opération « Nuit et brouillard ». 85 % des femmes sont résistantes et, pour moitié, des résistantes communistes (sur 230, 119 sont communistes)[b 61]. Douze sont membres d'un réseau de passeurs de la ligne de démarcation, trente-sept viennent de l'affaire Pican-Dallidet-Politzer, dix-sept font partie du réseau Tintelin et quarante viennent de Charente, Charente-Maritime ou de Gironde, tandis qu'une vingtaine d'entre elles n'ont rien à voir avec la Résistance[b 61]. Parmi elles, trois sont des délatrices, accusées d'avoir vendu des Juifs ou des résistants aux Allemands[b 62]. Pour soixante-six d'entre elles, leur époux a été tué par les nazis, fusillé ou est mort en déportation[a 13]. Quatre-vingt-dix-neuf de ces femmes ont, en tout, cent-soixante-sept enfants, dont le plus jeune a à peine quelques mois[b 61] et seulement seize d'entre elles sont revenues[b 63]. Deux-cent-vingt-deux viennent du fort de Romainville, six de la prison de Fresnes et les deux dernières du dépôt[a 3].
Parmi elles, cinquante-quatre ont plus de 44 ans (aucune survivante), vingt-et-une ont entre 40 et 44 ans (six survivantes), trente-huit ont entre 35 et 40 ans (huit survivantes), soixante-six ont entre 25 et 35 ans (dix-sept survivantes) et cinquante ont entre 17 et 25 ans (dix-huit survivantes)[a 14]. Concernant leur lieu d'origine, cent-six viennent d'Île-de-France, quatre-vingt-cinq viennent de villes de plus de 10 000 habitants, trente-deux de villes de moins de 10 000 habitants ou de villages, et pour six d'entre elles, l'information est inconnue[a 14]. Neuf d'entre elles ne sont pas françaises[b 61].
Concernant leurs origines professionnelles, il y a quatre chimistes (dont Marie-Élisa Nordmann-Cohen), trois médecins (Maï Politzer, Danielle Casanova et Adélaïde Hautval), vingt-et-une couturières, quarante-deux femmes au foyer, une chanteuse et quelques étudiantes[b 61].
En , alors que les informations sur le sort des Françaises commencent à circuler dans les cercles résistants, Louis Aragon écrit un poème sur elles, commençant par : « Je vous salue, Maries des France aux cent visages ». Inspiré de l'Ave Maria, il entonne une litanie inspirée des prénoms des déportées[151].
Peu après son retour, Charlotte Delbo écrit le manuscrit de Auschwitz et après qu'elle soumet à un éditeur seulement 20 ans plus tard. Le premier volume sort en 1965. La même année, elle publie Le Convoi du , compilant les biographies des 230 femmes du convoi[9].
Le , pour souligner le 60e anniversaire du convoi, une plaque commémorative est apposée sur le mur du fort de Romainville, à droite du portail d'accès[152].
En 2008, la biographe Caroline Moorehead (en) décide de prendre contact avec les survivantes du convoi (il en reste alors sept) pour écrire leur histoire. Elle rencontre Betty Langlois, Cécile Charua, Madeleine Dissoubray et Poupette Alizon (dont la sœur est morte dans les camps)[7].
Un festival de théâtre amateur rend hommage en 2013 au convoi des 31000 à travers une pièce de Gérard Thévenin[153]. En 2019, une pièce intitulée Convoy 31000 est mise en scène par Tina Taylor au Theatre Lunatico à Berkeley[154].
Un documentaire sur l'histoire du convoi est diffusé en sur la chaîne Toute l'Histoire[155].
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