Kalachnikov
Il y a ceux qui commandent aux mots et ceux qui commandent aux faits : tu dois comprendre qui commande aux faits et faire mine de croire ceux qui commandent aux mots. Mais, au fond de toi, tu dois toujours savoir ce qui est vrai : ceux qui commandent vraiment sont ceux qui commandent aux faits.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Kalachnikov,
Seconde partie,
p.
205
Le meilleur [...] c'est celui qui n'a besoin de personne. Il sait des choses, mais il fait aussi peur. Si tu ne fais peur à personne, si personne ne tremble en te voyant, alors ça veut dire que tu n'es pas vraiment à la hauteur.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Kalachnikov,
Seconde partie,
p.
205
Un camorriste sait qu'il doit prendre soin de ses ennemis loyaux car ils sont bien plus précieux que les ennemis cachés.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Kalachnikov,
Seconde partie,
p.
205
Si on est un raté, un bouffon, un bon à rien, on peut seulement faire le bien, mais c'est du bénévolat, on ne fait pas vraiment le bien. Le bien, c'est ce qu'on fait quand on aurait pu choisir de faire le mal.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Kalachnikov,
Seconde partie,
p.
206
Choisir de sauver la vie à celui qui doit mourir, c’est vouloir partager son sort, car ici la volonté ne fait pas bouger les choses. Aucune décision ne permet de résoudre un problème, aucune prise de conscience, aucune idée ni aucun choix ne peut donner la sensation d’agir de la meilleure des façons. Quoi qu’on fasse, ce sera une erreur, pour une raison ou pour une autre. C’est ça, la vraie solitude.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
2009
(ISBN 9782070379866), chap. Kalachnikov,
Seconde partie,
p.
265
Béton armé
Dans la région de Naples et de Caserte, le simple fait de venir de Casale garantit une sorte d'immunité et signifie qu'on n'est pas seulement soi-même, mais qu'on incarne aussi, d'une certaine façon, la violence des groupes criminels de Caserte. On inspire le respect et une sorte de crainte naturelle.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
224
Même Benito Mussolini tenta d'éliminer ce signe d'appartenance, cette aura criminelle, et fusionna les communes de San Ciprianio d'Aversa et de Casal di Principe sous le nom d'Albanova. Pour inaugurer l'aube d'une nouvelle justice, il envoya également des dizaines de carabiniers chargés de résoudre le problème "par le fer et par le feu". Aujourd'hui, seule la gare décrépite de Casale porte encore le nom d'Albanova.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
224
On a beau avoir donné des coups dans le sac de frappe pendant des heures, soulevé des haltères pendant des après-midi entiers pour se faire des pectoraux, et avalé des paquets de comprimés qui font gonfler les muscles, on ne pèse pas lourd face au bon accent, à la bonne manière de gesticuler, à ce que représentent tous les cadavres recouverts de draps sur le sol.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
224
Parfois une origine, le lieu d'où l'on vient, peut être bien commode, on s'en sert pour impressionner, laisser croire qu'on est partie prenante de cette mythologie et exercer une forme sournoise d'intimidation. (...) Mais il arrive aussi que cette même origine soit un préjudice si grand qu'il est inutile de perdre son temps à expliquer que tout le monde n'est pas affilié, que tout le monde n'est pas criminel, que les camoristes sont une minorité, et on rêve alors de s'enfuir vers un village voisin, plus anonyme, afin de ne plus être associé par les autres avec les criminels (...) On a honte ou on est fier, tout dépend de l'enjeu, du moment, de la situation, c'est comme un vêtement qui déciderait de nous porter plutôt que l'inverse.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
225
Ou bien quand on se dispute, quand on se défie du regard, un instant avant de se battre à coups de poing ou de couteau et qu'on exprime clairement sa vision de l'existence: "Vivre ou mourir, pour moi c'est pareil!"
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
225
Les héroïnomanes étaient considérés comme de véritables vaches à lait, alors que dans les années quatre-vingt, la cocaïne était encore vue comme une drogue élitiste. Mais Antonio Bardellino devina que seule une drogue qui ne détruisait pas à court terme, susceptible de devenir un apéritif bourgeois et non un poison pour épaves, pouvait élargir le marché.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
226
Les preuves sont irréfutables parce qu’elles sont partiales, filmées avec les yeux, dites avec les mots et habitées par les émotions qui ont rebondi sur le métal et le bois des constructions. Je vois, j’entends, j’observe, je parle et de cette façon je témoigne, un vilain mot mais qui a encore un sens quand il murmure « C’est faux » à l’oreille de ceux qui se laissent bercer par la ritournelle du pouvoir. La vérité est partiale, si elle se laissait réduire à une formule indiscutable ce serait de la chimie. Je sais et j’ai les preuves. Et donc je raconte. Cette vérité.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
2009
(ISBN 9782070379866), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
328
Et les entrepreneurs à succès qui viennent de l'aversano, une terre malade de camorra, répondent sans vergogne à ceux qui les interrogent: "j'ai acheté à dix et revendu à trois cents".
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
261
On dit parfois qu'au sud on peut vivre comme au paradis. Il suffit de fixer le ciel et de ne jamais, jamais se risquer à regarder en bas. Mais c'est impossible. A force d'être privé de toute perspective, on n'a même plus d'espace où poser les yeux.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
261
Car il y a toujours un abîme au fond de l'abîme.
Gomorra (2006), Roberto Saviano
(trad. Vincent Raynaud), éd. Gallimard, 2007
(ISBN 9782070782895), chap. Béton armé,
Seconde partie,
p.
261