Alors la dépravation des gouvernants — du juge, du clergé et des classes plus ou moins aisées — devient si révoltante que l’autre oscillation du pendule commence.
On n’expliquera jamais [le sentiment moral] tant qu’on le croira un privilège de la nature humaine, tant qu’on ne descendra pas jusqu’aux animaux, aux plantes, aux rochers pour le comprendre.
[.] le sentiment de solidarité est le trait prédominant de la vie de tous les animaux qui vivent en sociétés. L’aigle dévore le moineau, le loup dévore les marmottes, mais les aigles et les loups s’aident entre eux pour chasser, et les moineaux et les marmottes se solidarisent si bien contre les animaux de proie que les maladroits seuls se laissent pincer. En toute société animale, la solidarité est une loi (un fait général) de la nature, infiniment plus importante que cette lutte pour l’existence dont les bourgeois nous chantent la vertu sur tous les refrains, afin de mieux nous abrutir.
Sans confiance mutuelle, point de lutte possible; point de courage, point d’initiative, point de solidarité — et point de victoire! C’est la défaite assurée.
L’égalité dans les rapports mutuels et la solidarité qui en résulte nécessairement, — voilà l’arme, la plus puissante du monde animal dans la lutte pour l’existence. Et l’égalité c’est l’équité.
Ah, si l’humanité avait seulement la conscience de ce qu’elle peut, et si cette conscience lui donnait seulement la force de vouloir!
Si elle savait que la couardise de l’esprit est l’écueil sur lequel toutes les révolutions ont échoué jusqu’à ce jour!
La Conquête du pain, Pierre Kropotkine, éd. Tresse & Stock, 1892, chap. L’agriculture,p.293(texte intégral sur Wikisource)
Aussi, lorsque plus tard mon attention fut attirée sur les rapports entre le darwinisme et la sociologie, je ne me trouvai d’accord avec aucun des ouvrages qui furent écrits sur cet important sujet. Tous s’efforçaient de prouver que l’homme, grâce à sa haute intelligence et à ses connaissances, pouvait modérer l’âpreté de la lutte pour la vie entre les hommes; mais ils reconnaissaient aussi que la lutte pour les moyens d’existence de tout animal contre ses congénères, et de tout homme contre tous les autres hommes, était «une loi de la nature». Je ne pouvais accepter cette opinion, parce que j’étais persuadé qu’admettre une impitoyable guerre pour la vie, au sein de chaque espèce, et voir dans cette guerre une condition de progrès, c’était avancer non seulement une affirmation sans preuve, mais n’ayant pas même l’appui de l’observation directe.
L'Entraide, un facteur de l'évolution, Pierre Kropotkine, éd. Hachette, 1906, chap. Introduction,p.ix(texte intégral sur Wikisource)
Dans le monde animal nous avons vu que la grande majorité des espèces vivent en société et qu'elles trouvent dans l'association leurs meilleures armes dans la lutte pour la survie: bien entendu et dans un sens largement darwinien, il ne s'agit pas simplement d'une lutte pour s'assurer des moyens de subsistance, mais d'une lutte contre les conditions naturelles défavorables aux espèces. Les espèces animales au sein desquelles la lutte individuelle a été réduite au minimum et où la pratique de l'aide mutuelle a atteint son plus grand développement sont invariablement plus nombreuses, plus prospères et les plus ouvertes au progrès. La protection mutuelle obtenue dans ce cas, la possibilité d'atteindre un âge d'or et d'accumuler de l'expérience, le plus haut développement intellectuel et l'évolution positive des habitudes sociales, assurent le maintien des espèces, leur extension et leur évolution future. Les espèces asociales, au contraire, sont condamnées à s'éteindre.
L'Entraide, un facteur de l'évolution, Pierre Kropotkine, éd. Hachette, 1906, chap. Conclusion,p.319(texte intégral sur Wikisource)
Dans la pratique de l’entraide, qui remonte jusqu’aux plus lointains débuts de l’évolution, nous trouvons ainsi la source positive et certaine de nos conceptions éthiques; et nous pouvons affirmer que pour le progrès moral de l’homme, le grand facteur fut l’entraide, et non pas la lutte. Et de nos jours encore, c’est dans une plus large extension de l’entraide que nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espèce.
L'Entraide, un facteur de l'évolution, Pierre Kropotkine, éd. Hachette, 1906, chap. Conclusion,p.326(texte intégral sur Wikisource)
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