Don Juan (1819-1824)
Chant V, 16 :
- Hélas, soupira Juan, mon récit serait triste
Et bien long, de surcroît.
- Oh ! Si vous dites vrai,
Vous avez bien raison de tenir votre langue ;
Un récit triste et long attriste doublement
Don Juan (1824), Lord Byron, éd. Gallimard, 2006, p. 275
Chant XII, 1 :
Tout Moyen Âge est un âge de barbarie,
Mais le plus barbare est l'Âge Moyen de l'homme ;
C'est... vraiment je ne saurais dire ce que c'est,
C'est quand on vacille entre sagesse et folie,
Quand on ne sait pas trop ce que l'on voudrait être.
Cette période est comme une page imprimée,
Lettres noires sur papier jauni, et tout gris
Sont nos cheveux ; l'on n'est plus ce qu'on fut jadis.
Don Juan (1824), Lord Byron, éd. Gallimard, 2006, p. 538
Chant XVII, 11 :
Je suis tempéré, sans aucun tempérament ;
Je suis modeste, mais j'ai un certain aplomb ;
Je suis changeant, pourtant je suis "Idem semper" ;
Patient, mais je ne suis pas des plus endurants ;
Joyeux, mais quelquefois, j'ai tendance à gémir ;
Doux, mais je suis parfois un "Hercules furens" ;
J'en viens donc à penser que dans la même peau
Coexistent deux ou trois ego différents.
Don Juan (1824), Lord Byron, éd. Gallimard, 2006, p. 722
Lettres et Journaux intimes
Lettre à Hodgson :
A mon retour, j'ai le projet de briser avec toutes mes relations dissolues, de renoncer à la boisson et au commerce de la chair, pour m'adonner à la politique et respecter l'étiquette.
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 108
À propos d'Eustathios, jeune amant grec :
Nos adieux furent infiniment pathétiques, avec un nombre de baisers qui eut été suffisant pour tout un pensionnat, et des étreintes capables, en Angleterre, de discréditer la population de tout un comté ; sans parler des larmes (pas les miennes) et d'une foule d'expressions de tenerezza (tendresse). Tout cela, outre la canicule, m'a complètement épuisé.
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 113
Note, été 1811 : (Raisons) en faveur d'un changement dans ma manière de vivre :
1- A 23 ans le meilleur de la vie est passé et les amertumes augmentent
2- J'ai vu les hommes dans divers pays et je les trouve partout également méprisables, la balance penchant plutôt en faveur des Turcs.
3- Je suis écœuré jusqu'au fond de l'âme ( « Ni vierge ni jouvenceau ne me donnent plus de plaisir » Horace)
4- Un homme infirme d'une jambe est dans un état d'infériorité corporelle qui augmente avec les années et rendra sa vieillesse plus irritable et intolérable. J'ajouterai que dans une vie future j'espère avoir en compensation au moins deux jambes, sinon quatre.
5- Je deviens égoïste et misanthrope
6- Mes affaires, dans mon pays comme à l'étranger, ne sont guère réjouissantes.
7- J'ai épuisé tous mes appétits et la plupart de mes sujets de vanité - oui, même ma vanité d'auteur.
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 127-128
Lettre à Dallas du 3 septembre 1811 : Je ne veux pas entendre parler de votre immortalité ; nous sommes déjà assez malheureux dans cette vie pour ne pas en envisager une autre.
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 138
Journal du 14 novembre 1813 : On dit que « la vertu est à elle-même sa propre récompense », elle mérite sûrement d'être bien rétribuée pour les ennuis qu'elle procure.
Lettres et journaux intimes, Lord Byron, éd. Albin Michel, 1987, p. 104
Journal du 27 novembre 1813 : Si je suis un imbécile, du moins suis-je un imbécile qui doute ; et je n'envie à personne la certitude d'une sagesse pleine de suffisance.
Lettres et journaux intimes, Lord Byron, éd. Albin Michel, 1987, p. 111
Journal pour Augusta, le 29 septembre 1816 : …et ni la musique du berger—ni le fracas de l'avalanche— ni le torrent— la montagne— le glacier— la forêt—ou le nuage— n'a pu, un seul instant— alléger le poids qui pèse sur mon cœur— ni ne m'a permis de perdre ma misérable identité dans la majesté, la puissance & la gloire—de tout ce que j'avais autour—au dessus—& au dessous de moi.
Lettres et journaux intimes, Lord Byron, éd. Albin Michel, 1987, p. 161
Lettre du 25 novembre 1816, à propos de sa nouvelle maîtresse : Son grand mérite est d'avoir découvert le mien ; rien n'est plus agréable que le discernement.
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 344
Lettre à Hobhouse du 20 juin 1817, à propos de son buste sculpté où Hobhouse voulait mettre une couronne : Je ne veux pas que l'on orne ma tête comme on garnit de houx un pâté de Noël, ou comme une tête de morue avec du fenouil ou je ne sais quelle herbe dont on l'entoure. Je m'étonne que vous ayez voulu faire de moi un tel saltimbanque
Byron, portrait d'un homme libre, Leslie Marchand, éd. Autrement, 1999, p. 353
Lettre à John Murray (son éditeur) du 6 avril 1819, à propos de Don Juan qu'il veut censurer : Ils ont fait de moi sans que je l'ai cherché une sorte d'idole populaire — ils ont — sans autre raison ni explication que le caprice de leur bon plaisir — renversé la statue de son piédestal — la chute ne l'a pas brisée —et ils voudraient paraient-il, l'y replacer —mais il n'en sera rien.
Lettres et journaux intimes, Lord Byron, éd. Albin Michel, 1987, p. 223
Lettre à Douglas Kinnaird, le 24 avril 1819, à propos de Theresa Guiccioli : Elle est belle comme l'aurore — et ardente comme le midi — nous n'avons eu que dix jours — pour régler nos petites affaires du commencement à la fin en passant par le milieu. & nous les avons réglées ; — j'ai fait mon devoir — et l'union a été consommée comme il se devait.
Lettres et journaux intimes, Lord Byron, éd. Albin Michel, 1987, p. 227
« Je ne suis pas fatigué de l'Italie, mais ici un homme doit être un sigisbée, et un chanteur de duos, et un connaisseur d'opéras — ou rien. J'ai fait quelques progrès dans tous ces arts, mais je ne puis dire que je ne sente pas la dégradation. Plutôt être un planteur maladroit, un colon sans expérience, — plutôt être un chasseur, ou n'importe quoi, que le porteur d'éventail d'une femme... J'aime les femmes — Dieu le sait — mais plus le système qu'elles ont établi ici s'empare de moi, plus il me semble mauvais, surtout après la Turquie ; ici la polygamie est tout à l'avantage des femmes. J'ai été un coureur d'intrigues, un mari, un miroir à putains, et maintenant je suis un cavalier servant — par tous les saints! c'est une étrange sensation... Non, je veux un pays, et un home, et — si possible — un pays libre. Je n'ai pas encore trente-deux ans. Je puis encore être un citoyen convenable, fonder une maison, une famille, aussi bonne — ou meilleure — que la première... Mais il n'y a pas de liberté en Europe — cela est certain ; c'est une partie usée de notre globe. »
- Byron sur ses projets de voyages, cité par le biographe André Maurois
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Chevalier servant,
p.
358
Je sais que deux et deux font quatre - et je serais heureux de le démontrer si je le pouvais, écrivait-il. Mais il me faut avouer que si par un processus quelconque je pouvais convertir deux et deux en cinq, cela me donnerait un plaisir bien plus grand.
Tes traits ressemblent-ils à ceux de ta mère, ma belle enfant ?
Ada ! Fille unique de ma maison et de mon cœur !
La dernière fois que j’ai vu le bleu de tes yeux, ils m’ont souri,
Et nous nous sommes quittés.
Je voudrait que vous puissiez obtenir de lady B. quelques détails du caractère d’Ada […] J’espère que les dieux l’ont faite tout sauf poétique - il suffit qu’il y ait un fou dans la famille.
Oh, ma pauvre chère enfant ! Ma chère Ada ! Mon Dieu, si j’avais pu la voir ! Donnez lui ma bénédiction.
Byron, élevé en calviniste, croit à la prédestination et, se constatant diabolique, attend l'enfer. Quand il dort, abrité par les rideaux rouges d'une courtine, il rêve des flammes éternelles. Les cauchemars de Hugo sont apocalyptiques, ceux de Byron sont sataniques. Mais à l'état de veille, c'est Byron qui, des deux, a le plus de bon sens.
Garçon privé de père, il avait appris très jeune à mépriser toute autorité. Son esprit ne reconnaissait pas le devoir d'obéir à des êtres dont il avait découvert les faiblesses ; son orgueil lui défendait de plier par prudence, à défaut de respect.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Harrow-sur-la-colline,
p.
60
La cave était bonne et les filles de service pourvoyaient aux autres plaisirs de la bande. Byron était assez fier de cette petite troupe de jolies servantes recrutées dans les villages voisins. Ces mœurs faciles lui semblaient féodales, idylliques, et d'ailleurs flatteuses. L'abbaye, dans la légende locale, devenait le repaire d'un nouveau Mauvais Lord.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Crâne d'ivoire poli,
p.
120
De Lisbonne à Séville, [Hobhouse et Byron] voyagèrent à cheval. La route était bordée de croix ; chacune rappelait un meurtre. Ils rencontrèrent un prisonnier et des espions qu'on emmenait à Séville pour y être pendus. Il y avait dans le spectacle de ce monde où la mort et l'amour étaient à chaque pas quelque chose d'animal et de franc qui allait au cœur de Byron.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Premier pèlerinage de Childe Harold,
p.
124
L'attitude était agréable ; il payait d'une assez dure solitude le droit de mépriser les hommes et les femmes, mais ce mépris avait des charmes. Il était Lord Byron, baron Byron de Rochdale, Timon de Newstead, misanthrope. Depuis la mort de son Terre-Neuve, il n'aimait personne que le souvenir de celui-ci, un daim apprivoisé et trois tortues grecques.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Timon de Newstead,
p.
153
Souvent il parlait de vendre Newstead et d'aller vivre dans l'île de Naxos ; il adopterait les coutumes et les mœurs des Orientaux et passerait sa vie à étudier leurs poèmes. Le froid de cet hiver anglais l'attristait, et aussi l'atmosphère spirituelle du pays. C'était un temps de politique autoritaire. La guerre atteignait peu les classes dirigeantes. Leur vie était facile, la chasse au renard, l'amour, le Parlement occupaient leurs riches loisirs.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis,
p.
159
Un soir, Londres avait été pour lui un désert peuplé de trois ou quatre amis ; le lendemain, c'était une ville des Mille et Une Nuits, toute semée de palais illuminés qui s'ouvraient au plus illustre des jeunes Anglais.
Une grande société mondaine (c'est-à-dire, comme disait Byron, les quatre mille personnes qui sont debout quand tout le monde est couché) est toujours sujette à de rapides mouvements d'admiration et de dégoût ; parmi ces hommes et ces femmes qui se voient chaque jour, chaque soir, une gloire nouvelle fait son chemin avec une foudroyante vitesse.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis,
p.
162
Dans les dîners de Mayfair le murmure des conversations ne semblait plus être qu'un long « Byr'n, Byr'n » toujours répété. Chaque saison avait alors son lion politique, militaire ou littéraire. Byron fut le lion sans rival des soirées de 1812.
Il connut « cette mer étincelante de pierreries, de plumes, de perles et de soie ». Les femmes imaginaient avec émotion la grande abbaye, les passions criminelles, et ce cœur de marbre de Childe Harold, refusé, donc convoité. Tout de suite elles l'assiégèrent, foule charmante.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis,
p.
164
Pour Byron, le Créateur existait, mais la Création était mauvaise. Caïn avait raison de se plaindre du Dieu des Juifs, Prométhée de maudire Jupiter, et lui, George Gordon Byron, victime innocente de la fatalité de son sang, il appartenait, lui aussi, à la race des grands révoltés.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Cortège d'un cœur sanglant,
p.
300
Une œuvre naît toujours d'un choc qui fertilise un terrain favorable. Le terrain, chez Byron, était prêt ; c'était cette masse brûlante de sentiments inexprimés, horreur, amour, désir, regrets, lave qui une fois encore menaçait de tout engloutir. Du choc produit par la lecture de Faust et par les paysages des Alpes, sortit un grand poème dramatique : Manfred.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Avalanches,
p.
312
Tout surpris de glisser parmi des palais roses, Hanson et son fils arrivèrent en gondole, chargés de liasses de documents, de brosses à dents et de poudre rouge. Ils montèrent les marches du Palazzo Mocenigo entre des chiens, des oiseaux, un renard, un loup en cage, puis, par un escalier de marbre, furent conduits à l'appartement de Byron.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Palazzo mocenigo,
p.
349
Depuis quelques instants, un terrible orage s'était abattu sur Missolonghi. La nuit tombait ; éclairs et coups de tonnerre se succédaient dans l'obscurité. La brève lueur des éclairs dessinait au loin, sur la lagune, la silhouette sombre des îles. La pluie, balayée par le vent, battait les vitres des maisons. Les soldats et les bergers qui s'y étaient réfugiés ignoraient encore la funèbre nouvelle, mais il croyaient, comme leurs ancêtres, que des prodiges accompagnaient la mort d'un héros et, remarquant la violence inouïe du tonnerre, se disaient entre eux « Byron est mort ».
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll.
«
Les Cahiers Rouges
»,
2006
(ISBN 2-246-14564-3), Hamlet et Don Quichotte,
p.
449
Bibliographie et filmographie sont là pour témoigner combien Byron a constamment été — et reste donc — une valeur sûre de la production d'ouvrages et de documents audiovisuels au niveau planétaire. Mais, à force de s'intéresser à tel épisode italien ou à tel aspect de l'histoire gréco-turque, de sublimer le don Juan, de magnifier le héros de la liberté ou de sataniser le poète de "Childe Harold", à force donc de "romaniser" à l'envi Byron, ces cinq lettres censées faire du chiffre, on a fini par en oublier un aspect essentiel : la racine éminemment écossaise du personnage. (...) C'est a priori, mais a priori seulement que Byron paraît anglais. En réalité, ce poète est écossais. Le distinguo ne relève pas du tout — tant s'en faut — de la nuance.
Certes, son nom et son ascendance font de Byron un aristocrate. Mot dont le poids est sans aucun doute plus lourd d'implications que dans le cas de Barbey d'Aurevilly et qu'il est probablement plus que difficile de mesurer dans toute sa spécificité pour qui a toujours vécu sous des plafonds situés à la hauteur normative de 2,50 mètres du sol et n'a jamais eu, ne serait-ce que le souvenir, de personnel de maison...
Carré d'Art, Jean-Pierre Thiollet, éd. Anagramme, 2008
(ISBN 978-2-35035-189-6), Byron
: Scotland Yards,
p.
35
Je suis bon nageur, sans prétendre égaler
Byron et
Edgar Poe, qui sont des maîtres.
Vingt Mille Lieues sous les mers,
Jules Verne, éd. Hetzel, coll.
«
Voyages extraordinaires
»,
1870, chapitre VII,
p.
42
(
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