Seule, L'Action française manifestait ouvertement son inquiétude. L'occasion était belle d'accuser, plus violemment que jamais, la faiblesse spécifique du gouvernement républicain en matière de politique extérieure, et de flétrir l'antipatriotisme des partis de gauche. Les socialistes étaient particulièrement visés. Non content de répéter, comme chaque jour depuis des années, que Jaurès était un traître à la solde de l'Allemagne, Charles Maurras, exaspéré par les vibrants appels au pacifisme international que multipliait L'Humanité, semblait presque, aujourd'hui, désigner Jaurès au poignard libérateur de quelque Charlotte Corday: Nous ne voudrions déterminer personne à l'assassinat politique, écrivait-il, avec une prudente audace. Mais que M. Jaurès soit pris de tremblement! Son article est capable de suggérer à quelque énergumène le désir de résoudre par la méthode expérimentale la question de savoir si rien ne serait changé à l'ordre invincible, dans le cas où le sort de M. Calmette serait subi par M. Jean Jaurès.
Les Thibault(1936), Roger Martin du Gard, éd. Gallimard, coll.«Folio»,1980, t.Ⅲ, L'été 1914,chap. ⅩⅩⅧ,p.269-270
Le quotidien de Maurras est un vivier idéologique où tout intellectuel extrémiste de droite est venu, à un moment ou un autre, puiser le clair de ses convictions. Surtout, peut-être, il est une école de la tradition ultra du journalisme, nourrie de l'âpreté de l'article doctrinal (Maurras) comme de la verve explosive et flamboyante de l'écriture pamphlétaire (Daudet).
«Enquête sur le fascisme français», Serge Berstein, Marianne; L'Histoire, nº10H,juillet-août 2010, p.50