Stephen le laissa tirer un mouchoir malpropre et chiffonné que Mulligan exhiba en le tenant par un coin. Il en essuya soigneusement sa lame. Et considérant ce mouchoir :
— Le tire-jus de l'aède. Une nouvelle nuance d'art pour notre école poétique : vert pituite. On en a presque le goût dans la bouche, pas vrai ?
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
12
Par la fenêtre ouverte, les cris effarent le soir qui descend sur la cour d'honneur. Un jardinier sourd, en tablier, masqué du faciès de Matthew Arnold, pousse sa tondeuse sur la pelouse assombrie, et regarde de près la danse des fétus de l'herbe hachée. Pour nous-mêmes... néopaganisme... ombilic.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
15
— Et qu'est-ce que la mort, celle de votre mère, ou la vôtre, ou la mienne ? Vous n'avez vu mourir que votre mère. Moi, à la Mater ou au Richmond, j'en vois tous les jours qui tournent de l'œil, et dans la salle de dissection je les vois débiter en tranches. Est-ce que ça n'est pas tout simplement bestial ? Tout ceci ne rime à rien. Vous avez refusé de vous mettre à genoux et de prier pour votre mère qui vous le demandait sur son lit de mort. Pourquoi ? Parce que vous avez en vous de la maudite essence de jésuite, bien qu'elle opère à rebours. Pour moi dans tout ceci il n'y a que dérision et bestialité. Ses lobes cérébraux ne fonctionnent plus. Elle appelle le médecin Sir Peter Teazle et cueille des boutons d'or sur son couvre-pieds. Contentez-la tant qu'elle y est encore. Vous avez contrarié son vœu et voilà que vous me boudez parce que je n'ai pas la componction d'un croque-mort de chez Lalouette. Quelle absurdité !
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
17
L'ombre des forêts flottait dans la paix du matin entre la tour et la mer que regardait Stephen. Au creux de la baie et au large blanchissait la mer miroitante, éperonnée par des pieds fugaces et légers. Sein blanc de la mer nébuleuse. Les accents enlacés deux à deux. Une main cueillant les cordes de la harpe et mêlant leurs accords jumeaux. Vagues couplées du verbe, vif-argent qui vacille sur la sombre marée.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
18
La phrase d'
Aristote prenait corps parmi les vers bredouillés et s'en allait flottant par le studieux silence de la bibliothèque Sainte-Geneviève où il avait lu soir après soir, à l'abri du péché parisien. Tout contre, un Siamois frêle compulsait un traité de stratégie. Cerveaux nourris et se nourrissant autour de moi
; sous les lampes à incandescence épinglés, avec des antennes faiblement palpitantes
; et dans le noir de mon esprit un aï, un paresseux du monde souterrain, ombrageux, ennemi du jour, remuant ses plis écailleux de monstre. La pensée est la pensée de la pensée. Clarté tranquille. L'âme est en somme tout ce qui est
; l'âme est la forme des formes. Soudaine tranquillité, vaste, incandescente
: forme des formes.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
41
Laid et nul ; cou tout en longueur, cheveux broussailleux et une tache d'encre bave de limaçon. Pourtant une créature l'avait aimé, porté dans ses bras et dans son cœur. Sans elle, la race des hommes l'eût foulé aux pieds, flaque limaçon en bouillie. Elle avait aimé ce faible sang acqueux tiré du sien. Cela était-il donc réel ? La seule chose sûre en ce monde ? Le corps prostré de sa mère le fougueux Colomban dans son zèle saint l'enjamba. Elle n'était plus ; le squelette tremblant d'une brindille brûlée par le feu, une odeur de bois de rose et de cendre mouillée. Elle l'avait sauvé des pieds qui écrasent et avait disparu, ayant à peine été. Une pauvre âme partie aux cieux ; et dans la lande, sous les clignotantes étoiles, l'œil implacable et brasillant, grattait la terre, écoutait, rejetait la terre ; écoutait, scrappait et scrappait.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
44
Notre âme blessée de la honte du péché se cramponne à nous toujours plus, femme cramponnée à son amant, plus, toujours
- Il s'agit d'une anastrophe figure de style, dite de « construction », qui consiste en une inversion de l'ordre habituel des mots d'un énoncé pour créer un effet de langue raffiné
Sous son pied le sable grenu avait disparu. Ses souliers foulèrent de nouveau un magma humide et grinçant, coquilles manches-de-couteau et crissants graviers, et tout ce qui vient briser sur les galets innombrables, bois criblés de vers, Armada perdue. Des sables imbibés d'eau gluante guettaient ses semelles pour les aspirer, exhalant une haleine d'égout. Il les côtoyait, marchant avec précaution. Embourbée à mi-corps dans la pâte plastique du sable, une bouteille de porter se tenait au port d'arme. Sentinelle : île de la soif terrible. Des cercles de tonneaux brisés au bord de l'eau ; sur le sable un dédale de filets sombres, astucieux ; plus loin des dos de maisons avec leurs portes griffonnées à la craie, et à mi-côte sur une corde de séchoir deux chemises crucifiées. Ringsend : wigwams de pilotes basanés et de patrons de barques. Leurs coquilles.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
65
Patrice, en permission, lapait du lait chaud avec moi au bar Mac Mahon. Fils de ce canard sauvage, Kevin Egan de Paris. Un oiseau mon papa, il lapait le doux lait chaud avec sa jeune langue rose, face grasse de lapin de choux. Lape, lapin. Il espère gagner le gros lot. Les femmes, il se documentait sur elles dans
Michelet. Mais il doit m'envoyer la vie de Jésus par Léo Taxil.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
65
Fière allure. Comme qui essaies-tu de marcher ? J'oublie : un exproprié. Avec le mandat de maman, huit shillings, la porte du bureau de poste claquée à mon nez par le garçon. Une rage de dents à force de faim. Encore deux minutes. Regardez l'horloge. Il faut que je. Fermé. Sale salarié ! Ah, le bougre, le mettre en cent mille miettes, pan, d'un seul coup de feu, miettes-d'homme-botons-de-cuivre mouchetant les murs partout. Les morceaux craaaque-claaaquent trictrac tous en place. Pas de bobo ? Oh, pas du tout. La patte. Vous voyez de quoi il retourne, n'est-ce pas ? Ca va. Serrons-nous la pince. Ca va, ça va.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
66
Paris s'éveille débraillé, une lumière crue dans ses rues citron. La pulpe moite des croissants fumants, l'absinthe couleur de rainette, son encens matinal, flattent l'atmosphère, Belluomo quitte le lit de la femme de l'amant de sa femme, la ménagère s'ébranle, un mouchoir sur sa tête, une soucoupe d'acide acétique à la main. Chez Rodot, Yvonne et Madeleine refont leur beauté fripée, dents aurifiées qui broient des chaussons, bouche jaunie par le pus du flanc breton.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
67
Son haleine flotte au-dessus de nos assiettes maculées de sauce, entre ses lèvres la fée verte darde ses crocs [...]. Yeux verts je vous vois. Crocs je vous sens. Race licencieuse.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
68
Pommettes osseuses sous son chapeau de conspirateur. Comment le chef échappa, version authentique. Déguisé en jeune mariée, mon cher, voile, fleurs d'oranger, en voiture sur la route de Malahide. Comme je vous le dis. Leaders disparus, trahis, fuites épiques. Travestis : empoignés, envolés, courez après.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
69
A travers tous les sables du monde, suivie vers l'ouest par l'épée flamboyante du soleil, elle trekke son chemin vers les terres du soir. Elle trimarde, schleppe, traîne, tire, trascine sa charge. Une marée qui rampe à l'ouest tirée par la lune la suit. Marées en elle, avec des myriades d'îles, sang qui n'est pas mien, oinopa ponton, une mer sombre comme le vin. Voici la servante de la lune. Dans le sommeil le signe liquide lui dit son heure, la fait lever. Lit nuptial, lit de parturition, lit de mort aux spectrales bougies. Omnis caro ad te veniet. Et voici la vampire qui vient, ses yeux, perceurs de tempêtes, sa voilure de chauve-souris qui ensanglante la mer, bouche au baiser de sa bouche.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
76
Sous l'auvant de son chapeau et à travers ses cils palpitants de lunules, le soleil au zénith. Je suis pris dans cet embrasement. L'heure de Pan, le faunesque midi. Parmi les plantes-serpents lourdes de gommes les fruits d'où sourd le lait, là où s'élargissent des feuilles étalées sur les eaux couleur de bronze. La douleur est loin.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
78
Son regard méditatif s'était posé sur les bouts carrés de ses bottines. Laissés-pour-compte
nebeneinander d'un copain chic. Il comptait les sillons du cuir crevassé dans lequel le pied d'un autre s'était niché au chaud. Pied qui frappe le sol avec l'arrogance d'un pontife. Pied que j'aversionne. Mais quel n'était pas ton ravissement de voir que tu pouvais mettre le soulier d'Esther Osvalt
: c'est à Paris que je l'ai connue.
Tiens, quel petit pied ! Ami solide, âme fraternelle
: amour à la
Wilde qui n'ose pas dire son nom.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
78
Sous l'influence du flux il voyait les algues convulsées s'élever avec langueur, balancer des bras qui éludent quand leurs cotillons elles troussent, balancer dans l'eau chuchotante, et lever de timides frondes d'argent. Jour après jour, nuit après nuit : soulebées, inondées, laissées à plat. Seigneur, elles sont lasses, et au chuchotement de l'eau elles soupirent. Saint Ambroise l'entendit, le soupire des feuillages et des vagues, en attente, dans l'attente depuis toujours de la plénitude de leurs temps, diebus ac noctibus iniurias patiens ingemiscit. Pour nulle fin rassemblées, puis en vain relâchées, s'avançant avec le flot, avec lui revenant en arrière : écheveaux du métier de la lune. Elle aussi, lasse aux yeux des amants, des hommes lascifs, une reine nue rayonnante en son royaume, elle tire à elle le réseau des eaux.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
79
Poussant devant lui un amas flottant de détritus, un banc de poissons en éventail, de cocasses coquilles. Un cadavre blanc de sel, émergeant dans le ressac, ballotté vers la terre, mètre à mètre, un marsouin. Le voilà. Accrochez-le vite. Tout descendu qu'il soit sous le plancher des eaux. Il est à nous. Stoppe.
Sac de gaz cadavériques macérant dans une saumure infecte. Un frisson de fretin engraissé d'un spongieux morceau de choix fuit des interstices de sa braguette boutonnée. Dieu se fait homme se fait poisson se fait oie bernacle se fait édredon. Vivant, je respire des souffles morts, foule la poussière de mort, dévore un urineux rebut de chairs mortes. Hissé roide sur le plat-bord, il exhale aux cieux la puanteur de son tombeau vert, le trou lépreux de son nez ronflant au soleil.
Une marine métamorphose ceci, des yeux bruns bleuis de sel. Mort par la mer, la plus douce des morts qui s'offrent à l'homme. Antique Père Océan.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
79
M. Léopold Bloom se nourrissait avec délectation des organes internes des mammifères et des oiseaux. Il aimait une épaisse soupe d'abattis, les gésiers au goût de noisette, un cœur rôti avec sa farce, des tranches de foie frites dans la chapelure, des œufs de morue rissolés. Par-dessus tout il aimait les rognons de mouton au gril qui flattaient ses papilles gustatives d'une belle saveur au léger parfum d'urine.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
85
Une autre tranche de pain beurré ; trois, quatre ; bon. Elle n'aimait pas que son assiette fût pleine. Bon. Il laissa le plateau, prit la bouilloire sur le rebord du foyer et la plaça sur le feu, un peu de côté. Sise là, d'aplomb et maussade, le bec agressif. Thé bientôt. Tant mieux. Gorge sèche. La chatte tournait contre le pied de la table, raide et la queue en l'air.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
85
Dans sa tête les chiffres s'estompaient sans solution ; contrarié il les laissa échapper. Ses yeux se nourrissaient des chaînons luisants de chair hachée et il humait paisiblement la tiède exhalaison du sang de cochon cuit et aromatisé.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
91
Le charcutier aux yeux de furet pliait les saucisses qu'il avait détachées net avec ses doigts truffés, rose saucisse. Elle a une viande solide, génisse nourri à l'étable.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
92
Ils les aiment substantielles. Saucisses de choix.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
93
Il s'en retourna par Dorset Street, lisant gravement Agendath Netaim : Société de planteurs. Acheter au gouvernement turc des terrains sablonneux et les planter d'eucalyptus. Excellents comme ombrage, combustible et bois de construction. Au nord de Jaffa bois d'orangers et immenses cultures de melons. Vous versez huit marks par dunam de terre qu'on plante pour vous, avec oliviers, orangers, amandiers et citronniers. Les oliviers coûtent moins. Les orangers nécessitent des travaux d'irrigation. Vous recevez chaque année des échantillons de la récolte. Votre nom est inscrit comme propriétaire à vie au grand livre de la Société. Pouvez ne payer que dix livres comptant et le solde en versement annuels. Bleibtreustrasse 34, Berlin, W. 15
Très peu pour moi. Pourtant il y a une idée là-dedans.
Il regarda le bétail indistinct dans un halo d'argent de canicule. oliviers poudrés d'argent. Longs jours paisibles ; taille, maturité. Les olives sont empilées dans des bocaux, hein ? Il m'en reste quelques-unes de chez Andrews. Molly les recrachant. En sait le goût maintenant. Les oranges dans du papier de soie et des caisses à claire-voie. Les citrons aussi. Me demande si le pauvre Citron de Saint Kevin's Parade vit encore. Et Mastiansky avec sa vieille cithare. Quelles bonnes soirées dans ce temps-là. Molly dans le fauteuil d'osier de Citron. Tentant à tenir, fruit frais cireux, à tenir dans la main et porter aux narines, en aspirer le parfum. Comme ça, parfum lourd, sucré, véhément. Toujours le même, chaque année. Et ça se vendait cher, m'a dit Moisel. Place Arbutus ; rue des Plaisants ; plaisant passé. Il disait qu'il n'y fallait pas un défaut.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
93
Qui l'a appris, c'est le mari surpris. Petite blague du bon dieu. Et la voilà qui sort. Repentir à fleur de peau. Honte adorable. Prière à l'autel. Je vous salue Marie et Sainte Marie. Fleurs, encens, cires qui fondent. Cachent sa rougeur. Armée du Salut, tintamarresque contrefaçon. Prostituée convertie donnera une conférence. Comment j'ai trouvé le Seigneur.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
129
Rochers à l'ananas, citrons confits, caramels mous. Jeune fille enduite de sucre qui verse de pleines pellées de chocolat pour un frère Quatre-bras. Quelque goûter scolaire. Mauvais pour leurs petits bedons. Pâtes et Fruits confits, fournisseur de Sa Majesté le Roi. Dieu. Protège. Le. Assis sur son trône, suçant à blanc de rouges jujubes.
Un sombre jeune Y.M.C.A., en faction parmi les chaudes odeurs sucrées de Graham Lemon, mit un prospectus dans la main de M. Bloom.
Un mot cœur à cœur.
Bloo... Moi ? Non. Blood, sang.
Sang de l'Agneau.
Insensiblement pendant qu'il lisait ses pieds le portaient vers la rivière. Êtes-vous sauvé ? Tous lavés par le sang de l'Agneau. Dieu veut des victimes sanglantes. Naissance, hymen, martyre, guerre, fondation d'un monument, les sacrifices, holocauste de rognon brûlé, autel des druides. Elie arrive. Dr John Alexander Dowie, restaurateur de l'église de Sion, arrive.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
231
Ève. Péché nu du ventre de froment. Un serpent se love autour d'elle, crochet enfoncé au cœur de son baiser.
Ulysse, James Joyce, éd. Gallimard (traduction sous la direction de Jacques Aubert), 2004, p. 251
Dans la roseraie de Gérard, botaniste ; à Fetter Lane, il se promène, grischâtain. Une campanule bleu azur comme ses veines à elle. Paupières de Junon, violettes. Il se promène. Une vie et c'est tout. Un corps Agos. Mais agis donc. Au loin, dans une puanteur de crasse et de fornication, des mains s'abattent sur de la chair blanche.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
312
Buck Mulligan musard amusé murmurait d'aise, s'approuvant soi-même :
— Un postérieur plein d'aise.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
332
— On lui a détraqué la cervelle, dit-il, avec des peintures de l'enfer. Il ne pourra jamais attraper la note hellénique. La note qui fut, entre tous les poètes, celle de Swinburne, la pâle mort et la rouge naissance. Voilà son drame intérieur. Il ne sera jamais un poète. La joie de créer...
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
382
Oui, Bronze proche et Or lointaine entendaient l'acier proche, les sabots sonner loin, entendaient les sabots d'acier sondesabots sondacier.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
397
De nouveau Kennyglousse penche la belle pyramide de ses cheveux, se baisse, montre le peigne d'écaille de sa nuque, fait pleuvoir le thé hors de sa bouche, s'étranglant de thé et de rire, toussant de s'étrangler, miaulant :
— Ô ces yeux de poisson mort ! Penser qu'on pourrait être mariée à un homme comme ça ! Avec ses deux poils de barbe.
Douce laisse échapper un splendide hurlement, le vrai hurlement d'une vraie femme, ravissement, joie, indignation.
— Mariée à ce nez huileux ! hurle-t-elle.
Gamme de rire, de l'aigu au grave, de bronze et d'or, elles se provoquent l'une l'une, carillon sur carillon, sonneries alternées orbronze bronzor, gravaigu, rire sur rire. Et pouffent de plus belle.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
399
— Vous êtes une quintessence de vulgarité, dit-elle, glissant.
Boylan la fixe, fixe. A ses lèvres épaisses il applique son calice, vide d'un coup le coupe minuscule, et aspire les dernières gouttes épaisses, violettes, sirupeuses. Fascinés, ses yeux suivent la tête qui glisse au long du mur miroir, où sous un arche doré étincellent verres à bière, à bordeaux et à vin du Rhin, une conque épineuse, qui bronze reflet s'accorde à bronze plus soleilleux.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
409
Ignorés, les yeux héroïques de Miss Douce se détournent du brise-bise, blessés par le soleil. Parti. Pensive (qui sait ?) blessée (la blessante lumière) elle fait descendre le store sur ses lisses. Elle fait descendre pensive (pourquoi est-il parti si vite quand je ?) autour de son bronze, sur l'endroit où Pat le déplumé voisine avec sa sœur. Or, contraste non enchanteur, contraste non enchanteur désenchanteur, la pénombre abyssale fraîche et lisse, vert de mer, eau de Nil.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
411
Un flot de chaud lolo lichelape-le secret s'épanchait pour s'épandre en musique, en désir, sombre à déguster, insinuant. La tâter, la tapoter, la tripoter, la tenir sous. Tiens ! Pores dilatateurs qui se dilatent. Tiens ! Le jouir, le sentir, la tiédeur, le. Tiens ! Faire par-dessus les écluses gicler les jets Flot, jet, flux, jet de joie, coup de bélier. Ca y est ! Langue de l'amour.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
422
Seul. Un seul amour. Un seul espoir. Un terme à mes alarmes. Martha, note de poitrine, reviens.
Re-viens !
Cela s'essorait, oiseau, vol planant, célère, cri pur, essor d'orbe d'argent qui bondit serein, s'accélère, se soutient, près de moi, ne le filez pas trop longtemps, du souffle, il a du souffle à vivre, vieux, s'essorant haut, resplendissant dans le haut, enflammé couronné, haut dans la symbolique fulgurance, haut de l'étreinte éthérée, haut, de la vaste et haute irradiation où partout tout s'essore toutautour dutour du tout sansfinnicessecessecesse.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
424
Ma femme et votre femme. Une chatte miaularde. Comme de la soie qu'on déchire. Et quand elle parle un clapet de moulin. Elles n'arrivent pas à faire des intervalles aussi grands que les hommes. Un trou aussi dans leur voix. Emplissez-moi. Je suis chaude, sombre, ouverte. Molly dans le quis est homo: Mercadante.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
434
Un jeune homme, un aveugle, avec une canne qui tapait, passait en toctoquant devant la devanture de Daly où une sirène à la chevelure ondoyante (mais il ne pouvait la voir) tirait des bouffées d'une sirène (aveugle il ne pouvait), la Sirène, reine des cigarettes.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
446
Une putain malpropre avec un canotier de paille noire sur l'oreille se coulait nyctalope dans le jour cru le long du quai vers M. Bloom.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
447
Le dauphin neigeux secoua sa crinière, et, montant vers la poupe dorée, le nautonier déploya la voile gonflée, allant au vent toutes voiles dehors, armures à bâbord. Une multitude de nymphes charmantes s'approchèrent de bâbord et de tribord et s'attachant aux flancs de la noble nef elles entrelacèrent leurs corps éclatants ainsi que fait le charron habile quand il accommode au cœur de sa roue les rayons équidistants dont chacun est frère de l'autre et qu'il les relie tous par un cercle, gratifiant ainsi de vitesse les pieds des hommes, soit qu'ils courent au combat soit qu'ils s'efforcent de conquérir le sourire de la beauté. Ainsi les vit-on accourir et se placer, ces nymphes aimables, ces sœurs immortelles. Et elles riaient, s'ébattant dans leur cirque écumeux : et le navire fendait les flots.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
527
La blancheur de cire du visage le spiritualisait par sa pureté d'ivoire tandis que le bouton de rose de sa bouche, d'un dessin digne de l'antique, rappelait l'arc même l'Eros. Ses mains étaient de l'albâtre le plus finement veiné, ses doigts effilés et, bien que leur blancheur pût devoir quelque chose au jus de citron et à la reine des crèmes, il n'était pas exact qu'elle eût l'habitude de porter des gants de chevreau au lit ni qu'elle prît des bains de pieds au lait.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
538
Et pourtant et pourtant ! Cette tension du visage ! Un chagrin est là qui ne cesse de la mimer. C'est son âme elle-même qui transparaît dans ses yeux et que ne donnerait-elle pas pour se retrouver dans l'intimité de sa chambre de jeune fille où, laissant libre cours à ses larmes, elle pourrait pleurer un bon coup et se soulager de ce qu'elle avait sur le cœur ? Mais sans exagération car elle sait comment on pleure élégamment devant sa glace. Vous êtes délicieuse, Gertie, dit cette glace.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
542
Une vie terrible aussi celle des marins. Les grosses brutes de paquebots qui prennent le large et barbotent dans la nuit et beuglent comme des veaux marins. Faugh a ballagh. Arrière, bougre de nom de dieu ! D'autres dans des coquilles de noix, avec un bout de voile comme un mouchoir de poche, dansant comme des bouchons sur l'eau, quand les vents soufflent en tempête. Et mariés qui plus est. Quelquefois pendant des années on ne sait pas où, à l'autre bout du monde.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
588
Accroché à une planche ou à califourchon sur un mât, enragé à vivre, ceinture de sauvetage en rond autour de lui, de l'eau salée à pleines goulées, et c'est le dernier coup pour bibi avant que les requins n'en fassent qu'une bouchée. Est-ce que les poissons n'ont jamais le mal de mer ?
Après c'est le calme magnifique sans un nuage, mer d'huile, pacifique, l'équipage et le cargo en petits morceaux dans les boyaux du Père Océan. Et la lune qui regarde ça. Pas ma faute, mon vieux fendant.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
588
Les enfants veulent toujours jeter des choses dans la mer. Ont la foi. Le pain jeté sur les eaux. Et ceci ? Un bout de bois.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
593
Le flot vient jusqu'ici, une flaque près de là où était son pied. Me pencher dessus, y voir ma tête, miroir sombre, souffler dessus, ça bouge. Tous ces rochers ont des traits, des cicatrices, des initiales.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
593
C'est décourageant le sable. Rien n'y pousse. Tout s'y efface.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
593
Donne-nous, dieu du jour, dieu-vautour, Horhorn, fécondation et fruit du ventre. Donne-nous, dieu du jour, dieu-vautour, Horhorn, fécondation et fruit du ventre. Donnes-nous, dieu du jour, dieu-vautour, Horhorn, fécondation et fruit du ventre.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
595
Délicieux et délicat épithalame de la plus mollifiante efficace pour amoureux jeunets que les odoriférants flambeaux des paranymphes escortèrent jusques au théâtre quadrupédé de la communion conjugale.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
611
L'adiaphane au midi de la vie est une plaie d'Égypte qui dans les nuits prénatale et postmortelle est leur très véritable ubi et quomodo. Et de même que les fins et aboutissants de toutes choses s'accordent en quelque manière et mesure avec leur commencement et origine, cette même concordance multiple qui fait partir de la naissance l'accroissement successif, accomplit par une métamorphose régressive cette diminuation et ablation tendant au terme final selon le désir de la nature ; ainsi en est-il de notre être sublunaire. Les trois sœurs nous poussent dans la vie ; nous gémissons, grossissons, jouons, embrassons, étreignons, lâchons, rabougrissons, mourons ; sur nous, morts, elles se penchent. D'abord sauvé des eaux du père Nil, parmi les roseaux, une corbeille d'osier dascié ; pour finir, un creux dans la montagne, un sépulcre secret parmi les clameurs du chat-pard et de l'orfraie. Et de même qu'aucun homme ne sait l'ubicité de son tumulus ni dans quelle suite de transformations nous serons par là introduits, que ce soit à Tophet ou à Endenville, en semblable manière, tout nous est caché lorsque nous voudrions apercevoir derrière nous de quelle région la quiddité de notre égoticité a pris son undéité.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
613
N'avait-il nulle connaissance de cet autre pays qui est appelé Croyez-en-Moi, qui est la terre promise qui sied au roi Délicieux et sera éternellement là où ne sont plus ni mort ni naissance, épousailles ni maternité et où tous tant qu'ils sont entreront qui ont cru en elle ? Oui, Pieux lui avait parlé de cette terre et Chaste lui en avait indiqué la route mais le fait est que sur cette route il était tombé sur une certaine courtisane fort plaisante à l'œil et qui lui dit se nommer Un-Bon-Tiens et le détourna par ruse de la bonne voie avec des flatteries qu'elle lui prodiguait, comme : Oh mon joli cœur viens-t'en un peu par ici et je te ferai voir un endroit charmant, et elle le flatta de tant d'expertes façons qu'elle l'attira en sa grotte qui a nom Deux-Tu-l'Auras, ou selon quelques doctes personnes, Concupiscence Charnelle.
Ceci était ce que tous les membres de cette compagnie attablée là dans le Manoir des Mères convoitaient le plus chaudement et s'ils avaient fait rencontre de cette courtisane Un-Bon-Tiens (qui était dedans soi toutes les ordres infections, tous les monstres, et possédée d'un malin esprit), ils eussent fait feu de tout bois pour lui donner assaut et la posséder. Touchant Croyez-en-Moi, ils dirent que ce n'était chose autre qu'une imagination et qu'ils ne s'en pouvaient faire représentation aucune, que premier, Deux-Tu-l'Auras où elle les entraînait était par excellence une bienheureuse grotte et s'y voyaient quatre oreillers portant pancartes dessus lesquelles étaient ces mots écrits, En Levrette et Tête-Bêche et Langue-Fourrée et Flanc-à-Flanc, et second, que de cet ordre infection, Omnivérole, et des monstres, ils n'avaient souci car Préservatif leur avait fait don d'un puissant bouclier de boyau de bœuf, et en troisième lieu, qu'ils n'avaient non plus à craindre Progéniture qui était cet esprit malin, par la vertu de ce même bouclier qui s'appelait Mortogosse. Ainsi tous s'ébattaient en leur aveuglement, M. Lergoteur et M. Dévot-par-Occasion, M. Chimpanzé-de-la-Chope, M. Faux-Franc-Homme, M. Disert-Dixon, le jeune Grand-Vantard et M. Prudent-Bonace. En quoi, ô misérables humains, vous vous abusiez là, alors que c'était la voix du dieu qui retentissait en sa male rage et que son bras était prêt de se lever pour réduire en poudre vos âmes à cause de tant de blasphèmes et de ce que vous avez jeté hors à mépris de sa parole qui d'engendrer grandement vous enjoint.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
615
Dès l'âge le plus tendre Franck s'était montré un mauvais sujet que son père, maire d'un borough, qui pouvait mal aisément le tenir à l'école pour lui faire apprendre le rudiment et la lecture des cartes, avait fait inscrire à l'université pour y étudier la mécanique, mais il avait pris le mors aux dents comme un poulain non dressé et il était devenu plus familier avec la justice civile et paroissiale qu'avec ses livres. Parfois il rêvait d'être acteur, puis vivandier, ou parieur marron, et alors rien ne pouvait l'arracher au parterre et aux combats de coqs, puis c'était la mer océane qu'il lui fallait ou déambuler sur les routes avec les bohémiens, ravissant l'héritier du seigneur de l'endroit à la faveur du clair de lune ou dérobant le linge des lavandières ou étranglant quelque volaille à l'abri d'une haie. Il avait fait autant d'escapades qu'il avait de cheveux sur la tête, et, le gousset vide, revenait chaque fois à son père, le maire du borough, qui chaque fois qu'il le revoyait versait une pinte de larmes. Quoi ! dit M. Léopold, les mains croisées, et qui était anxieux de savoir où cela tendait, vont-ils les égorger toutes ?
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
621
Les voix se marient et se fondent en un silence nébuleux : un silence, qui est l'infini de l'espace ; et vite, en silence, l'âme aspirée plane au-dessus de régions de cycles des cycles de générations qui furent. Une région où le gris crépuscule descend toujours sans jamais tomber sur de vastes pâturages vert amande, versant sa cendre, éparpillant sa perpétuelle rosée d'étoiles. Elle suit sa mère à pas empruntés, une jument qui guide sa pouliche. Fantômes crépusculaires cependant pétris d'une grâce prophétique, svelte, croupe en amphore, col souple et tendineux, douce tête craintive. Ils s'évanouissent, tristes fantômes : plus rien. Agendath est une terre inculte, la demeure de l'orfraie et du myope upupa. Netaïm la splendide n'est plus. Et sur la route des nuées ils s'en viennent, tonnerre grondant de la rébellion, les fantômes des bêtes. Houhou ! Héla ! Houhou ! Parallaxe piaffe par-derrière et les aiguillonne, les éclairs lancinants de son front sont des scorpions. L'élan et le yak, les taureaux de Bashan et de Babylone, le mammouth et le mastodonte en rangs serrés s'avancent vers la mer affaissée, Lacus Mortis. Troupe zodiacale de mauvais augure et qui crie vengeance ! Ils gémissent en foulant les nuages, cornes et capricornes, trompes et défenses, crinières léonines, andouillers géants, mufles et groins, ceux qui rampent, rongent, ruminent, et les pachydermes, multitude mouvante et mugissante, meurtriers du soleil.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
645
Tout droit vers la mer morte leurs pas les mènent boire, inassouvis et en d'horribles goulées, le flot dormant, salé, inépuisable. Et le prodige équestre de nouveau croît et se hausse dans le désert des cieux à la taille même des cieux jusqu'à recouvrir, démesuré, la maison de la Vierge. Et voici que, prodige de métempsychose, c'est elle, l'épouse éternelle, avant-courrière de l'étoile du matin, l'épouse, toujours vierge. C'est elle, Martha, douceur perdue, Millicent, la jeune, la très chère, la radieuse. Comme elle est à présent sereine à son lever, reine au milieu des Pléiades, à l'avant-dernière heure antélucienne, chaussée de sandales d'or pur, coiffée d'un voile de machinchose fils de la vierge ! Il flotte, il coule autour de sa chair stellaire et ondoie et ruisselle d'émeraude, de saphir, de mauve et d'héliotrope, suspendu dans des courants glacés de vent interstellaire, sinuant, se lovant, tournant nos têtes, tordant dans le ciel de mystérieux caractères au point qu'après des myriades de métamorphoses il flamboie, Alpha, rubis, signe triangulé sur le front du Taureau.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
646
Il ceignit ses cheveux ébouriffés d'une couronne de feuilles de vigne en souriant à Vincent. Cette réponse et ces feuilles, lui dit Vincent, vous feront une parure plus convenable quand quelque chose de plus, de beaucoup plus qu'une poignée de poésies fugitives pourra se réclamer de votre génie comme d'un père. Tous ceux qui vous veulent du bien en forment le vœu. Tous désirent vous voir réaliser l'œuvre que vous méditez.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
647
Les marronniers qui nous ombrageaient étaient en fleur ; l'air était surchargé de leurs parfums persuasifs et du pollen qui voltigeait autour de nous. Dans les taches de soleil on aurait pu facilement faire cuire sur une pierre quantité de ces brioches aux raisins de Corinthe que Périplépoménos vend dans sa baraque près du pont. Mais elle n'avait rien à croquer si ce n'est le bras que j'avais passé autour d'elle et qu'elle mordillait malicieusement quand je la serrais un peu trop fort. Il y a une semaine elle était malade, quatre jours allongée sur son lit de repos, mais aujourd'hui libérée, leste, elle bravait le danger. C'est alors qu'elle est le plus prenante.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
648
Discrètement Malachie murmura : Gardez un silence de druide. Son âme est loin d'ici. Il est peut-être moins douloureux d'être tiré du ventre maternel que d'être tiré d'un rêve. Tout objet considéré avec intensité est une porte d'accès possible à l'incorruptible éon des dieux. N'est-ce pas votre avis, Stephen ? Théosophos me l'a appris, répondit Stephen, lui que dans une existence antérieure les prêtres égyptiens ont initié aux mystères de la loi Karmique. Les seigneurs de la lune, m'a dit Théosophos, toute une cargaison vif orange venue de la planète Alpha de la chaîne lunaire, n'ont pas voulu faire corps avec les doubles éthériques et c'est pourquoi les egos écarlates de la seconde constellation les ont incarnés.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
649
Tu as trouvé ton Amérique, ton programme de vie, et tu t'es rué pour la saillir comme le bison transatlantique. Que dit donc Zarathustra ? Deine Kuh Truesbal melkest Du. Nun trinkst Du die suesse Milch des Euters. Regarde ! Il fuse pour toi en abondance. Bois-en, mon brave, à plein pis ! Le lait maternel, Purefoy, le lait de l'espèce humaine, le lait aussi de ce bourgeonnement d'étoiles au-dessus de nos têtes, qui rutile dans la fine vapeur d'eau, un lait de poule analogue à celui que ces débauchés avaleront dans leur bousingot, le lait de la folie, le miel-lait du pays de Chanaan. Le trayon de ta vache était dur, qu'importe ! Son lait n'est-il pas chaud et sucré et engraissant ? Ce n'est pas de la petite bière ceci, mais de l'épais, du riche babeurre. Allons, vieux patriarche ! Tette ! Per dream Partulam et Pertundam nunc est bibendum !
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
662
Il montre du doigt le sud puis l'est. Un pain de savon au citron tout neuf, tout propre, monte à l'horizon répandant lumière et parfum.
LE SAVON :
Bloom et moi nous faisons un couple de première,
Le ciel je fais reluire, il fait briller la terre.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
683
LE SIGNOR MAFFEI (Avec un sourire satanique ) : Mesdames et messieurs, je présente en liberté mon lévrier dressé. C'est moi qui ai venu à bout d'Ajax l'étalon sauvage de la pampa, grâce à ma selle à pointes brevetée pour carnivores. Fouetter sous le ventre avec une corde à nœuds. Un palan à poulies avec un système étrangleur, et votre lion viendra vous lécher les pieds, si intraitable qu'il soit, même le Leo ferox que voici, le mangeur d'hommes de Libye. Une barre rougie au feu et une certaine pommade sur la partie qui brûle nous ont valu Fritz d'Amsterdam, l'hyène qui pense. (Ses yeux lancent des éclairs). J'ai le signe indien. C'est rapport à ce feu qui est dans mes yeux et les pétilards de ma poitrine. (Avec un sourire enchanteur.) Je vais vous présenter maintenant Mademoiselle Rubis, l'orgueil du cirque.
PREMIER SERGENT DE VILLE : Allons. Vos nom et adresse.
BLOOM : Tiens, j'ai une absence. Ah oui ! (Il tire son chapeau de luxe et salue). Dr Bloom, Léopold, chirurgien dentiste. Vous avez entendu parler de von Bloom Pacha. Je ne sais combien de millions. Donnerwetter ! Il tient la moitié de l'Autriche. L'Égypte. Mon cousin.
PREMIER SERGENT DE VILLE : Vos papiers.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
698
BLOOM (Le délaissé.) : Je n'ai jamais aimé une tendre gazelle sans la vouer au trépas...
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
722
Des gazelles bondissent et pâturent sur les montagnes. Des lacs proches. Au bord des lacs, les ombres noires à la file des plantations de cèdres. Un arôme s'exhale, une véhémente chevelure de résine. L'orient se consume, le ciel de saphir est barré par le vol de bronze des aigles. Sous lui s'étend la femmecité, nudité, blancheur, luxe, fraîcheur, calme et volupté. Une fontaine murmure parmi les roses de Damas. Des roses géantes murmurent de vignes pourpres. Un vin de honte, de luxure et de sang filtre avec un murmure étrange.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
722
VIRAG (La langue en cornet.) : Niam ! Regarde. Elle est confortablement charpentée. Elle est calfatée d'une sérieuse couche de graisse. Un mammifère ça ne fait pas de doute d'après le volume de la poitrine, tu remarqueras qu'elle présente en façade et à portée de la main deux protubérances de respectable dimension, qui ne demandent qu'à tomber dans son assiette à soupe, tandis qu'à l'arrière, sur un plan inférieur, s'offrent deux protubérances supplémentaires qui indiquent une certaine puissance rectale, tumescences qui appellent la palpation et ne laissent rien à désirer sauf pour la fermeté. Des parties aussi charnues sont le produit d'une alimentation méthodique. Le gavage sous la mue amène le foie à un volume éléphantesque. Des boulettes de pain frais, de fenugrec et de gomme de benjoin, ingurgitées avec accompagnement de thé vert, les dotent pendant leur brève existence d'une barde de lard aussi colossale que celle d'une baleine. Ca c'est dans vos cordes, pas vrai ? Tripotée de chair d'Égypte qui met l'eau à la bouche. Vautre-t-y, Lycopode.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
761
VIRAG (Un chaud rire féminin dans sa face impassible.) : Merveilleux ! Une cantharide dans sa braguette ou bien un cataplasme de farine de moutarde sur son plantoir. (Il glousse gloutonnement en agitant des fanons.) Dindoni ! Dindono ! Où en sommes-nous ? Sésame ouvre-toi ! Il ressuscite ! (Déroulant très vite son parchemin, il lit ; son nez lampyre frôle en sens contraire les lignes qu'il égratigne de sa griffe.) Une minute mon bon ami. Je t'apporte le message souhaité. L'heure des huîtres côterouges sonnera bientôt pour nous. Je suis le maître des maîtres-queux. Ces succulents bivalves peuvent nous être d'un grand secours et les truffes du Périgord, tubercules délogés par les soins de Son Excellence omnivore, sont sans rivales dans les cas de débilité nerveuse ou de viragite. Elles fouettent mais elles vous donnent un coup de fouet. (Il balance la tête et gouaille en caquetant.) Rigolo. Avec mon carreau dans mon oculo.
BLOOM (Distrait.) : Ab oculo, le cas bivalve de la femme est pire. Sésame toujours ouvert. Le sexe fendu. D'où leur terreur de la vermine, des choses qui rampent. Pourtant Eve et le serpent c'est contradictoire. Ca n'est pas historique. Mais j'y pense il y a une certaine analogie. Et les serpents sont assoiffés de lait de femme. Ils font des kilomètres à travers les forêts omnivores pour sucsucculer ses soins jusqu'au sang. Comme ces dindonnières commères de Rome Elephantuliasus.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
764
La flamme résineuse du bois de camphres s'élève du bûcher des sutties. La fumée de l'encens, drap funèbre, le cache, et s'éparpille. Sortant de son cadre de chêne, une nymphe aux cheveux flottants, légèrement vêtue de couleurs artistiques thé-infusé, descend de sa grotte, passe sous une voûte d'ifs et s'arrête au-dessus de Bloom.
LES IFS (Leurs feuilles murmurent.) : Sœur. Notre sœur. Ch !
LA NYMPHE (Doucement.) : Mortel ! (Compatissante.) Nenni, point ne te sied larmoyer.
BLOOM : (Gélatineux à quatre pattes sous les branches, tigré de soleil, et très digne.) : Cette posture. Je sentais qu'on attendait ça de moi. La force de l'habitude.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
764
Sur les hauteurs de Ben Howth au milieu des rhododendrons passe une chèvre, mamelliflue, la queue en trognon de chou, elle sème des raisins de Corinthe.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
800
STEPHEN
[...] Que fit chacun à la porte de sortie ?
Bloom posa le bougeoir par terre. Stephen mit le chapeau sur sa tête.
Pour quel être la porte de sortie fut-elle une porte d'entrée ?
Pour une chatte.
Quel spectacle leur apparut quand ils, l'hôte le premier, ensuite l'invité, surgirent en silence et pareillement sombres de l'obscurité par un passage de derrière dans la pénombre du jardin ?
L'arbreciel d'étoiles lourd d'humides fruits bleu-nuit.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
996
A quelle satisfaction finale aboutissaient ces sentiments antagonistes et ces réflexions réduites à leur plus simple expression ?
Satisfaction causée par l'ubiquité dans les deux hémisphères, austral et boréal, dans toutes les îles et terres habitables, explorées ou inexplorées (le pays du soleil de minuit, les Iles Fortunées, les archipels grecs, la Terre Promise), d'hémisphères féminins postérieurs et adipeux, fleurant le lait et le miel, et une chaleur extravasée sanguine et séminale, évoquant toutes les générations et toutes les familles de courbes d'amplitude, et non susceptibles de s'impressionner d'influences extérieures ou d'exprimer des sentiments contraires, mais présentant leur animalité à maturité immuable et muette.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
1052
Les signes visibles de présatisfaction ?
Une approximative érection ; une intense attention ; un graduelle élévation ; un geste de d'évélation ; une silencieuse contemplation.
Ensuite ?
Il embrassa les ronds mamelons melliflons de sa croupe, chaque rond et melonneux hémisphère à son tour, et leur sillon minon marron, avec une osculation ténébreuse, prolongée, provocante, melon-odorante.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Folio
»,
1957
(ISBN 2-07-040018-2), p.
1052
L'instinct, c'est comme cet oiseau qui mourait de soif et qui a pu boire l'eau de la cruche en jetant des cailloux dedans.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
426
Le sentimental est celui qui voudrait le profit sans assumer la dette accablante de la reconnaissance.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
466
Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d'art, c'est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
210
Le fromage fait tout digérer, sauf lui-même.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
194
L'homme et la femme, l'amour, qu'est-ce ? Un bouchon et une bouteille.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
553
Parbleu tout est trop cher quand on n’en a pas besoin. Voilà ce qui fait le bon commerçant. Il vous fait acheter ce qu'il a besoin de vendre.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
328
L’Histoire est un cauchemar dont je cherche à m’éveiller.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
38
Tous les jours rencontrent leur fin.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
57
Dieu a fait l'aliment ; le diable, l'assaisonnement.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
194
C'est pourquoi, qui que tu sois, ô homme, considère ta fin qui est la mort, laquelle a prise sur tout homme né de femme, car de même qu'il sort nu du ventre de sa mère ainsi s'en retournera-t-il nu à son heure dernière afin de partir comme il est venu.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-07-011378-7), p.
436
O cet effrayant torrent tout au fond O et la mer la mer écarlate quelquefois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuriers dans les jardins de l'Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand j'étais jeune fille et une Fleur de la montagne oui quand j'ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m'a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu'un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m'a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tout parfumés oui et son coeur battait comme fou et oui j'ai dit oui je veux bien oui.
Ulysse (1922), James Joyce
(trad. Auguste Morel, Stuart Gilbert, Valery Larbaud), éd. Gallimard, coll.
«
Pléiade
»,
1995
(ISBN 2-0701-1378-7), p.
857-858