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écrivain français De Wikiquote, le recueil de citations libre
Jacques Perret, né le 8 septembre 1901 à Trappes dans les Yvelines et décédé le 10 décembre 1992 à Paris, est un écrivain français.
Il a mené une vie aventureuse, où se mêlent vie militaire, expéditions lointaines, journalisme et publications de romans.
Caporal à Madagascar, sergent au Tonkin, deuxième classe au Dahomey, caporal au Sénégal, deuxième classe au Sahara, adjudant-chef à la Marne, lieutenant à Verdun, lieutenant à la Somme, Gaston Le Torch, le jour qu’il fut frappé par la limite d’âge, avait l’âme encore toute fraîche et le corps perclus de mâles expériences, avec deux trous de balles, trois éclats baladeurs, une rotule fêlée, un œil perdu, le pouce gauche coupé, six boutonnières d’armes blanches dans le gras des membres, une cavité au coin du front, comme une cabosse de chapeau melon, sans compter les innombrables horizons cueillis en divers bouges, cantines, souks et mauvais lieux, car, exemplaire soudard, il aimait le vin, la société des filles et le jeu, se montrait tatillon sur l’honneur, tenait ses promesses et craignait Dieu. Sur de tels garnements reposait, jadis, bon gré mal gré, la civilisation. Ils ne pèsent plus guère aujourd’hui sur le destin des peuples, mais il vaut mieux ne pas en perdre la graine, on ne sait jamais, quelque jour venant on pourrait le regretter.
Pourtant il notait ses trouvailles, et le crayon qu’il saisissait gauchement transcrivait avec application sur papier d’écolier d’interminables récits d’abordages, fines manœuvres, combats, évolutions d’escadres, ambassades exotiques, assauts, affaires, captures de galions lestés d’or, sacs de villes opulentes surprises au déclin du jour torride, rançons levées à l’esbrouffe dans la chambre parfumée des gouverneurs indolents, viols haletants au hasard des falbalas en panique, laborieux radoubs dans les criques insalubres, conseils des capitaines dans la buée du scorbut vibrante à l’orée des écoutilles, aiguades pimpantes, grand pavois de pendus, brûlots crépitants.
Ce fut pour Mme Le Torch l’occasion de mesurer approximativement les progrès de ce qu’elle appelait encore la lubie. Elle sourit avec un rien d’inquiétude, et pensa que l’extrême limite se trouvait atteinte. Mais, le soir où, peu après, en embrassant la joue rugueuse de son mari elle y découvrît un gout de sel, Mme Le Torch se demanda s’il n’eût pas été préférable pour la paix du foyer que son mari sentît à plein nez l’absinthe ou la gourgandine.
Et les mauvaises causes ont toujours besoin de circonstances, bien sûr, et dès qu’on parle de circonstances, je commence par me méfier, mais si on me met sous les yeux une belle petite lâcheté, une jolie foirade en couleurs comme celle-là, eh bien, je me soucie des circonstances comme de pets de lapins, parce qu’à partir du moment où on se laisse glisser dans les circonstances je dis qu’il n’y a plus d’honneur ni de société, et qu’on assassine sa mère avec des circonstances.
Gaston pénétra dans le premier bistro venu. C’était un établissement d’assez mauvaise mine, du genre tape-à-l’œil et progressiste, un parvenu du coin tout faraud de son contreplaqué, de son métal brillant et bon marché, de son percolateur à l’italienne et de ses chaises tubulaires. Dès le seuil, il se sentit immergé dans le jus purpurin du néon qui tremblotait aux corniches. Derrière le comptoir, affreux comptoir en laitons rose, il y avait une glace où il vit arriver entre deux piles de soucoupes sa tête de purgatoire barbouillée d’ombres vertes ; il commanda son vin blanc en vitesse.
Le soleil se diluait en reflets de nacre parmi les vapeurs immobiles d’un ciel sans présage. Saisie par le calme plat au moment que, pleine d’ardeur, elle poursuivait un gros vaisseau espagnol, la frégate La Douce flottait bêtement sur une mer mollasse et dérivait au seul gré d’un courant tiède et paresseux qui contribuait beaucoup au découragement de l’équipage frustré de sa proie.
En attendant l’heure du casse-croûte des officiers, Gaston errait en diverses parties du navire et peu à peu discernait les signes d’une activité plus intelligente que méthodique, parmi toutes les apparences du désordre et de la désinvolture. Il semblait que, non seulement les bas officiers ni les maîtres n’eussent jamais besoin d’exhorter au travail, mais que les moindres matelots et les mousses s’appliquassent d’eux-mêmes à l’exacte besogne sans en attendre le commandement. Tel était le génie de La Douce que l’ivresse même ni les grandes crises de cafard ni les vagues de paresse n’arrivaient point à relâcher le minimum d’application requis par la frégate. Lié d’âme et de corps avec elle, chacun vaquait tout naturellement au service du navire, comme s’il eût pris soin de son propre salut.
— J’arrive.
— Ne vous excusez pas. Le tout est d’arriver. Les âmes bien nées n’arrivent jamais trop tard : les événements se retiennent.
La victoire, déclara M. de Bocambis, est vêtue de dentelle blanche à garniture de nacre, ses cheveux ondoient en boucles châtain clair, elle sent le cinnamome et la frangipane, son visage est celui de l’amour, et mon visage est dans ses yeux.
— À la bonne heure ! dit Gaston tout émoustillé, s'il n'y a plus que des ennemis, on ne se trompera pas.
— Le soleil est toujours seul, dit M. Le Torch en levant son verre, et briller est une grosse affaire.
Tournant la tête vers le pavillon de lourd satin, emblème somptueux à peine réglementaire où miroitaient les fleurs de lis en nombre, les cinq hommes firent cul-sec à la santé du Roi, puis le père Élias descendit sur le pont afin d'y accueillir les confessions du dernier quart d'heure.
C’était vraiment la clameur épique, redoutable appareil offensif qui terrorise l’ennemi, engendre l’exploit, et force l’accès de la postérité. Dans ce tumulte, le chœur espagnol se distinguait par un accent plus solennel peut-être et plus farouche aussi, mais, de toute évidence, ceux de La Douce, rompus à ces exercices, avaient pour eux le coffre, le registre, la virtuosité et la foi.
— Je pensais que tout le monde était sur le pont.
— Vous voulez plaisanter ? C’est un temps à garder toute la toile si on voulait, le bateau ne fatigue pas, au contraire.
— Quoi au contraire ?
— Il prend un peu d’amusement.
— N’empêche qu’elle fait un peu eau la frégate, dit Gaston en désignant les hommes de pompe.
— Fait de l’eau ! fait de l’eau ! Bien sûr qu’elle fait l’eau. On ne peut pas l’empêcher de boire un coup, non ? Une frégate comme il faut ne refuse pas l’eau, Monsieur, c’est une politesse qu’en passant elle fait à la mer. Holà ho ! Parez à brasser le petit hunier, les gars !
— Je ne tiens pas compte des effets ; les effets ne me regardent pas.
— L’Histoire, pourtant…
— Le Roi seul et Dieu me jugeront, chacun dans son royaume et dans son temps.
— J’aime mieux vous dire tout de suite que l’Histoire ne retient pas le combat de La Douce et du Trono.
— C’est une bonne nouvelle. Je ne travaille pas pour les poètes de ce monde.
— Mais songez en revanche que l’Histoire peut ne retenir qu’un seul de vos gestes et l’illustrer dans toute sa noirceur apparente.
Il se tenait debout, entre le novice attaché à la barre, et la silhouette plus claire du père Élias qui, simplement, avait l’air d’attendre, un air d’attendre admirable ; sa posture n’était pas celle de l’indifférence, ni de l’abandon, ni de la superbe, mais la posture extraordinairement placide et résolue d’un homme qui, ne sachant pas trop ce qu’il va quitter, sait fort bien, et de longue date, ce qui l’attend.
— Oui, cinq éclats. Les traces de Dieu sont partout dans le monde, mais il faut regarder pour les voir.
— De quoi ?
— C'est dans le livre au paragraphe des Casquets.
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