La dette du monde moderne à l’égard du peuple grec est immense. Les catégories de pensée qui sont encore les nôtres ont été pour la première fois définies par lui. Nous lui devons tout l’essentiel de nos outils intellectuels, mais aussi les principes de notre morale. […] Dans l’héritage commun que nos penseurs et nos artistes ont fait fructifier depuis quinze siècles avec des fortunes diverses, nul ne conteste que la part de l’hellénisme soit primordiale.
La Civilisation grecque(1963), François Chamoux, éd. Arthaud, coll.«Les grandes civilisations»,1983 (ISBN2-7003-0446-2), partie Introduction,p.7
Aussi haut que nous puissions placer notre estime pour les réalisations artistiques, religieuses et politiques des nations plus anciennes, l’histoire de ce que nous pouvons vraiment appeler civilisation — c’est-à-dire la poursuite consciente d’un idéal — cette histoire ne commence pas avant la Grèce.
Paideia: la formation de l’homme grec(1934), Werner Jaeger(trad. André et Simonne Devyver), éd. Gallimard, coll.«Tel»,1988 (ISBN978-2-07-071231-1), t.I,partie Introduction: la place des Grecs dans l’histoire de l’éducation,p.12-13
Peut-être est-ce une piètre louange que de dire des Grecs qu’ils ont créé un idéal de culture. En parler ainsi à une époque qui, à bien des égards, est fatiguée de civilisation, pourrait même passer pour du dénigrement. Mais nous appelons aujourd’hui culture quelque chose d’étiolé, la métamorphose finale de l’idéal originaire de la Grèce.
Paideia: la formation de l’homme grec(1934), Werner Jaeger(trad. André et Simonne Devyver), éd. Gallimard, coll.«Tel»,1988 (ISBN978-2-07-071231-1), t.I,partie Introduction: la place des Grecs dans l’histoire de l’éducation,p.16
C’est par la première civilisation sans livre sacré, que le mot intelligence a voulu dire interrogation.
La Grèce inaugure, […], une culture écrite. Mais cette culture conserve encore quelque chose des forces irrationnelles auxquelles elle s’arrache, et quelque chose aussi de l’intensité secrète des débuts. Elle laisse entrevoir mystères et sacrifices. Elle demeure la patrie des cosmogonies et devient vite celle du tragique. Bien plus, elle tire une part de son attrait du rayonnement de ses dieux et de la présence du sacré, souvent inséparable de l’humain. Comment nier que ces ombres venues de loin, cette dimension supplémentaire et la charge d’émotion qui l’accompagne, jouent un rôle considérable et attirent les esprits, à telle ou telle époque, et peut-être toujours, vers la Grèce antique?
[I]l y a comme un changement d’atmosphère radical quand on passe de la Grèce aux autres civilisations, même les plus raffinées. Rien d’équivalent, en Grèce, à ces représentations égyptiennes qui montrent Pharaon, l’homme-Dieu, foulant aux pieds les peuples soumis. Rien d’équivalent au triomphe fastueux de Persépolis, où tout est édifié à la gloire d’un homme. Rien d’équivalent non plus à ces subtiles hiérarchies de lettrés que connut jadis la Chine. Tout se passe d’emblée au niveau de l’homme. En face des images du souverain, si fréquente ailleurs, il suffit d’imaginer un de ces kouroi nus et anonymes, que la Grèce a multipliés, et la différence d’esprit apparaît.
Pourquoi la Grèce?(1992), Jacqueline de Romilly, éd. Éditions de Fallois, coll.«Le Livre de poche»,1994 (ISBN978-2-253-13549-4), chap. III. Le Vesiècle et la démocratie,p.100-101
L’intérêt de la Grèce et son importance, c’est que ce petit rectangle de collines, de bois, de plaines et de montagnes entouré d’îles et strié de cigales bavardes, n’a pas cessé, depuis deux mille ans, d’être l’auberge espagnole de la culture: on trouve en Grèce ce qu’on y apporte, et un peu davantage. Le moine de Cluny, le poète louis-quatorzien, le romantique allemand, le militant révolutionnaire contemporain ont pu tous faire le voyage de Grèce (au propre ou au figuré) et en revenir enrichis. Chacun s’est fait de la Grèce une image partiale, partielle et exacte, chacun d’eux lui a posé des questions différentes, et aucun n’a été éconduit. La Grèce est inépuisable. Le passé se définit et s’éclaire par l’image que nous choisissons de lui donner. On croit que la fouille de l’archéologue ou les recherches du philologue enrichissent ou transforment l’idée que nous nous faisons, par exemple, de l’antiquité grecque. Ce n’est vrai qu’à demi. […] Il y a moins de hasard et de chance qu’on ne le croit dans les découvertes. On découvre essentiellement ce qu’on cherchait. […] On a la Grèce qu’on mérite, celle qu’on choisit.
Le Commerce des classiques, Claude Roy, éd. Gallimard, coll.«Blanche»,1953, chap. Essai sur mon ignorance de la Grèce,p.27-28